Afghanistan 2017, comment en est-on arrivé là ?

L'histoire politique de l'Afghanistan est violente, douze dirigeants ont été déposés, renversés ou assassinés depuis 1900. Dans la dernière période, le président Hafizullah Amin, qui souhaitait s'affranchir de la tutelle de Moscou, fut tué par des commandos soviétiques, avant que l'URSS n'envahisse militairement le pays en 1979. Puis, ce furent les talibans qui prirent Kaboul, en 1996, et assassinèrent l'ex-président Mohammed Nadjibullah, pourtant réfugié dans un bâtiment de l'ONU. Le 9 septembre 2001, Ahmed Shah Massoud dit « le Lion du Panchir », chef de l'alliance du nord, fut assassiné. On peut également évoquer l'assassinat, sans témoins, de Ben Laden et imaginer que la chute du pouvoir taliban, au cours de l'opération militaire internationale de 2001, ne fut probablement pas un grand moment de l'histoire de l'humanité.

La République démocratique d'Afghanistan a duré de 1978 à 1992. Le pays est alors dirigé par un gouvernement pro-soviétique, après une « révolution » suscitée par les services soviétiques. Face aux États-Unis qui soutiennent le Pakistan, l’URSS, en soutenant l'Afghanistan, et ses revendications sur les régions pachtounes du Pakistan, espère ainsi obtenir un accès à la mer d'Arabie. L’Iran de Khomeiny s'oppose aux manœuvres de l’Union soviétique en déclenchant des émeutes dans la ville d’Hérat, contre le régime communiste de Kaboul. Le 25 décembre 1979, l’Armée rouge entre en Afghanistan pour consolider son avantage.

Le gouvernement pro-communiste de Kaboul entreprend de faire évoluer la société afghane : les mariages forcés sont interdits, comme le mariage des fillettes. Les femmes sont invitées à abandonner le voile, à circuler librement et conduire. En 1988, les femmes représentaient 40 % des médecins et 60% des enseignants à l'Université de Kaboul. Le gouvernement s'est également efforcé de réduire l'analphabétisme, de redistribuer les terres aux paysans pauvres. Mais les réformes se sont heurtées au poids des traditions. Les musulmans afghans ne veulent pas de ces idées étrangères sur leur territoire. Des islamistes viennent du Maghreb, de la péninsule arabique, d'Égypte, du Levant voire d'Europe, via le Pakistan pour faire le djihad. C'est l'« Alliance islamique » qu'utilise Washington pour contrer Moscou. les États-Unis, via l'opération Cyclone de la CIA, dépensent 3,3 milliards de dollars, autant que l'Arabie saoudite et les Émirats du Golfe, pour aider les moudjahidines les plus fanatiques, ceux de Hekmatyar et d'Oussama ben Laden. Zbigniew Brzezinski, ancien conseiller pour la sécurité de Jimmy Carter, a soigneusement préparé le « piège afghan », pour y attirer Moscou. 

Mikhaïl Gorbatchev comprend rapidement dans quel bourbier l'URSS s'est engagée. Il voudrait bien quitter l'Afghanistan sans ternir l'image de l'armée soviétique. Mais 80 % du pays est aux mains des moudjahidines qui, depuis 1986, sont équipés de missiles sol-air américains Stinger qui font perdre le contrôle du ciel aux Soviétiques. L'armée gouvernementale afghane, forte de 302 000 hommes en 1986, est bien équipée, mais, chaque année, 32 000 soldats en désertent les rangs. À partir de janvier 1987, les Soviétiques reçoivent l'ordre de rester à l'abri de leurs casernes. Le 15 février 1989, les troupes soviétiques repartent. Le régime communiste afghan, qui ne s'est maintenu que grâce à l'appui des troupes d'occupation soviétiques, tombe quelques années après cet abandon, en 1992. Moscou, alors en pleine perestroïka, a renoncé à faire naviguer sa flotte en mer d'Arabie. 
Commence alors la guerre civile, de 1992 à 1996, dans un pays livré aux seigneurs de la guerre. Le 28 juin, Burhanuddin Rabbani, musulman modéré du Jamiat-e-Islami, est nommé président intérimaire, puis élu chef du gouvernement en décembre. Les affrontements continuent, dans le pays, entre les Talibans, les forces du gouvernement dirigées par le commandant Massoud et les moudjahiddins du fanatique Hekmatyar, et de son parti Hezb-e-Islami.

Le Pakistan a d'abord tenté d'installer Gulbuddin Hekmatyar au pouvoir. Mais Hekmatyar veut le pouvoir pour lui seul. Le Pakistan se tourne vers les Talibans. L'Iran chiite, de son côté, soutient les Hazaras chiites du Hezb-e Wahdat d'Abdul Ali Mazari tandis que l'Arabie Saoudite  finance les Pachtounes sunnites du Ittihad-e Islami d'Abdul Razul Sayyaf. Le président ouzbek, Islom Karimov, aimerait se ménager une zone de sécurité dans le nord du pays. Il soutient la Djoumbesh, de l'ancien général communiste, Abdul Rachid Dostom à ses frontières.

Partant de Kandahr en 1994, soutenus par l’armée pakistanaise, les Talibans conquièrent peu à peu les différentes provinces du pays, sauf le réduit tadjik du commandant Massoud, au nord-est. Ils instaurent une dictature fondamentaliste, après avoir pris Kaboul, le 27 septembre 1996. Le mollah Omar, chef charismatique du mouvement et « Commandeur des Croyants », dirige le pays, sans aucun titre politique ou constitutionnel. Il accorde l'hospitalité, durant l’été 1996, à Oussama Ben Laden qui a quitté le Soudan. Le mouvement Taliban (en persan : "étudiants") veut mettre fin à l'anarchie de la guerre civile et restaurer la société islamique afghane traditionnelle. Islamabad soutient officieusement le régime, espérant sécuriser les routes commerciales menant à l'Asie centrale et mettre en place un gouvernement stable qui incitera les trois millions d'Afghans, réfugiés depuis quinze ans au Pakistan, à retourner chez eux.

La population afghane, elle-même, est d'abord favorable à l'arrivée des Talibans qui met fin au banditisme sur les routes et permet de nouveau l'exercice du commerce. Mais les Talibans appliquent la charia, loi islamique très stricte, pour instaurer l'État islamique « le plus pur ». Les femmes n'ont plus le droit à l'éducation, et les exécutions sommaires sont courantes. Les communistes afghans sont systématiquement exécutés et les voleurs punis par amputation de leurs membres. En raison du traitement réservé à la minorité chiite, les relations entre l'Émirat et l'Iran se détériorent, les Iraniens soutiennent l'Alliance du Nord. En 1998, les Talibans s'emparent du consulat iranien de Mazari Sharif et exécutent le personnel diplomatique. Téhéran s'apprête à attaquer militairement l'Afghanistan, mais l'ONU et les États-Unis l'en empêchent. Seule, dans la province de Badakhchan (nord-est), les différentes factions de « l'Alliance du Nord », sous la direction générale du commandant tadjik Massoud, se sont soustrait à la férule des Talibans. Les ethnies non-pachtounes et les opposants aux fondamentalistes y trouvent un régime plus modéré. Le 9 septembre 2001, Massoud est assassiné, lors d’un attentat suicide déguisé en une fausse interview, par des pseudo-journalistes. Deux jours plus tard, les attentats du 11 septembre aux États-Unis, attribués à Ben Laden, provoquent l'intervention américaine en Afghanistan. Le Pakistan, l'Arabie Saoudite et les Émirats arabes unis reconnaissent, bien évidemment, le gouvernement taliban qu'ils ont contribué à créer. Le Turkménistan entretient également des relations diplomatiques avec Kaboul. Mais le reste de la communauté internationale ne reconnaît pas le régime taliban. Les occidentaux reprochent aux Talibans d'avoir assassiné l'ancien président afghan, Mohammed Nadjibullah, en violation du droit international, à l'intérieur même d'un bâtiment de l'ONU, lors de la chute de Kaboul en 1992 ; les Russes, les Indiens et les Chinois reprochent aux fondamentalistes afghans de soutenir les islamistes de Tchétchénie (République tchétchène d'Itchkérie), du Jammu-et-Cachemire et du Xinjiang. Depuis l'invasion américaine de l'Afghanistan en 2001, les sanctions furent appliquées à des individus et des organisations partout dans le monde, ciblant aussi d'anciens membres du gouvernement talibans. Il est intéressant de remarquer que le président afghan Hamid Karzai interviendra auprès des Nations Unies pour que l'on amnistie cinq notables pachtounes, anciens responsables talibans. L'Afghanistan, hier comme aujourd'hui, reste très attaché au système des alliances... et des revers d'alliance.

La communauté internationale s'était indignée que le régime taliban protège Oussama ben Laden et les combattants d'Al-Qaïda. Après les attentats du 11 septembre 2001, dans lesquels Ben Laden était mis en cause, la situation n'était plus tenable. Le mollah Omar n'a probablement pas compris la dimension internationale de l'événement. Il y perdit le pouvoir. Washington attaque l'Afghanistan et renverse le régime taliban. Les Talibans ont bien compris la leçon. Aujourd'hui, ils s'emploient, à rassurer les uns et les autres.

Washington a bien mis en place un gouvernement à son goût à Kaboul. Depuis le 11 août 2003, l’OTAN a pris le commandement de la Force internationale d’assistance et de sécurité (FIAS), dans laquelle ont été entraînés, plus ou moins enthousiastes, 37 pays alliés. Depuis avril 2009, l’armée pakistanaise prétend lutter contre les talibans, mais refuse de s’attaquer aux talibans afghans basés au Waziristan du Nord. L'Afghanistan est, depuis 2004, une « République islamique » de type présidentiel. Le gouvernement est, aujourd'hui dirigé par le président Ashraf Ghani. Il a succédé à Hamid Karzai, en 2014 à la suite d'élections contestées par le candidat battu, Abdullah Abdullah. Le régime pro-occidental de Kaboul ne se maintient, tout comme le gouvernement communiste dans les années 80, que parce qu'il est soutenu par des armées étrangères ; et le pays ne veut pas plus de la tutelle américaine que de celle des prédécesseurs soviétiques, britanniques ou perses.

En réalité, l'insurrection est permanente, partout règnent les seigneurs de la guerre et les Talibans reprennent, irrémédiablement, le contrôle du pays. Les Américains et le gouvernement d'Ashraf Ghani en sont conscients et s'efforcent de trouver des moyens d'y faire obstacle. C'est peut-être la raison pour laquelle ils sont allé chercher Gulbuddin Hekmatyar, et l'ont fait revenir à Kaboul, le jeudi 4 mai 2017. Quel meilleur obstacle aux fondamentalistes musulmans que le fanatique « boucher de Kaboul » ?

De William Kergroach