Par Albert Barrois, docteur en biologie moléculaire.

Liberté politique n° 27, automne 2004

LA XVe CONFERENCE internationale sur le Sida s'est tenue à Bangkok au mois de juillet 2004, dans un climat aussi dramatique que les précédentes éditions. Malgré les milliards de dollars dépensés pour vaincre le virus du Sida, connu sous le nom de VIH (virus de l'immunodéficience humaine ), rien n'y fait : les chiffres sont toujours aussi catastrophiques, le nombre de contaminés et de malades ne cesse d'augmenter, y compris dans les pays riches.

 

Et cette épidémie dont l'Afrique était la principale victime se répand aujourd'hui à toute vitesse en Asie. On a avancé le chiffre de 15 millions d'orphelins du Sida (ayant perdu un parent ou les deux, ce qui n'est pas rare étant donné le mode de transmission de cette maladie), dont 12 millions dans la seule Afrique subsaharienne ; dans le monde on dénombrerait actuellement près de 40 millions de personnes infectées par le VIH.

Or malgré les trithérapies et autres traitements, le Sida est encore une maladie qui tue dans plus de 90 % des cas ; on considère qu'une trithérapie effectuée dans le monde occidental, c'est-à-dire aujourd'hui dans les meilleures conditions, ne fait que repousser l'apparition du Sida de neuf ans en moyenne chez une personne infectée par le VIH. Autrement dit, l'échéance est reculée, mais on a toujours aucun moyen de guérison et rares sont ceux qui, une fois infectés par le VIH, ne développent pas le Sida tôt ou tard. En résumé, la seule façon de lutter contre le Sida aujourd'hui consiste à ralentir sa progression à l'échelle mondiale, et pour chacun, éviter d'être infecté par le VIH.

Quelle prévention ?

Pour ne pas être infecté par un agent pathogène, il existe essentiellement deux moyens. Le premier, et indéniablement le plus sûr, est d'éviter le contact avec toute source de contamination. Cela peut paraître difficile pour le virus de la grippe qui survit dans l'air que nous respirons, mais c'est plus facile dans le cas du VIH qui ne se transmet que par voie sexuelle ou sanguine. La seule alternative consiste en la vaccination ; ceci permet d'être exposé à un agent pathogène sans contracter aucune maladie, car le système immunitaire a été préparé par la vaccination pour lutter contre cet agent particulier. Mais cette approche n'est pas disponible pour lutter contre le Sida car aucun vaccin n'a été découvert à ce jour. De plus, comme nous l'avons déjà dit, il est exceptionnel d'arriver à se débarrasser du VIH après une infection, et la seule bonne méthode consiste donc à se tenir à l'écart de ce virus mortel.

Les voies de transmission du VIH sont connues : il s'agit du sang et des relations sexuelles. La contamination par voie sanguine explique le scandale dit du " sang contaminé " lorsqu'au début de l'épidémie, de nombreux transfusés et hémophiles ont contracté la maladie accidentellement. De nos jours ce danger n'existe plus, ou de façon très marginale. Il existe en revanche pour les drogués qui partagent leurs seringues ; c'est aujourd'hui le seul vrai risque de contamination par voie sanguine. Le risque d'être infecté en se piquant sur une seringue usagée abandonnée est heureusement réduit car le VIH ne résiste pas longtemps en dehors du corps humain ; le risque est plus grand entre drogués du fait de la vitesse à laquelle une seringue peut être utilisée et passée au suivant.

Bref, pour l'immense majorité, le risque majeur d'être infecté vient du rapport sexuel avec une personne elle-même infectée. Et là encore, tous ne sont pas égaux : les risques sont plus importants pour les femmes et les homosexuels. Pour éviter que le VIH puisse contaminer une personne, il y a trois possibilités. Les deux premières ne comportent aucune prise de risque : soit s'abstenir de tout rapport sexuel, soit être fidèle à une personne qui vous est elle-même fidèle. Pour tous les autres, la seule solution consiste à diminuer les risques, principalement en utilisant le préservatif. Mais il ne fait aucun doute qu'il y a bien un risque : refus, oubli, mauvaise utilisation, défaillance du matériel, etc. En outre, cette prise de risque implique des tests de dépistage réguliers en raison d'une toujours possible contamination, dont il faut rester le moins longtemps dans l'ignorance. De nos jours, c'est cette solution qui est promue tous azimuts : préservatifs et dépistage anonyme, ou rien.

Une alternative plus récente dont il a été question à la conférence de Bangkok consiste à développer un gel anti-VIH qu'une femme pourrait utiliser avant tout rapport sexuel ; mais cela ne ferait que diminuer d'environ 30 % le risque de contamination. Bref, si l'on en croit les grands pontes de la lutte contre le Sida, seul le préservatif est efficace. Il est défendu de parler d'abstinence et de fidélité. D'abord, ce n'est pas réaliste : comment peut-on sérieusement envisager d'expliquer à un jeune occidental la valeur de l'abstinence et de la fidélité quand une relation supérieure à trois mois est considérée comme longue ? Par ailleurs, dans les pays pauvres, les femmes n'auraient souvent pas la possibilité de refuser une relation, à tel point que dans certaines régions du monde, les femmes mariées n'utilisant pas de préservatifs ont plus de risques d'être contaminées par leur mari, trop souvent infidèles, que les femmes non mariées qui ont des rapports sexuels mais qui utilisent des préservatifs.

À première vue, ils est difficile de leur donner tort : le libertinage sexuel est devenu tel, qu'on ne voit pas bien en effet comment empêcher des adolescents de passer à l'acte, et encore moins les adultes. Et en Afrique, de très loin le continent le plus touché par le VIH, il est sans doute vrai que les femmes n'ont pas toujours leur mot à dire. Par conséquent, seuls le préservatif et les tests anonymes sont les solutions efficaces et responsables. Et ceux qui prétendent le contraire sont des criminels : le pape en sait quelque chose qui est régulièrement traité comme tel pour son refus d'aligner le discours de l'Église.

Pour autant, faut-il refuser la promotion de l'abstinence et de la fidélité parce que irréaliste, particulièrement en Afrique ? L'exemple de l'Ouganda parle de lui-même.

L'Ouganda

À la fin des années quatre-vingt, la contamination par le virus du Sida y était un problème dramatique. Mais en 2003 la prévalence de l'infection par le VIH (nombre total de cas) était estimée à 6 % de la population totale ; ce chiffre reste bien sûr très élevé mais n'a rien à voir avec celui de 1990 — 30 %, un triste record mondial — ni avec ceux d'autres pays africains aujourd'hui : 20 % en Zambie ou en Afrique du Sud, 15 % au Malawi et au Kenya. Malgré une situation de départ catastrophique, la prévalence de l'infection par le VIH était en baisse dès la fin des années 80, à une époque où même en Europe occidentale l'épidémie n'était pas encore maîtrisée. Pays africain extrêmement pauvre, souvent en guerre avec l'un ou l'autre de ses voisins, l'Ouganda est pourtant le champion incontestable de la lutte contre le VIH et le Sida en Afrique. Étant donné le contexte, la pauvreté des moyens et l'ampleur initiale de l'épidémie, on peut même affirmer que la réussite ougandaise est sans équivalent dans le monde. Comment ce succès a-t-il pu être obtenu, peut-on le reproduire ailleurs ?
C'est à ces deux questions que se sont attelés deux chercheurs de l'Université de Cambridge. Dès 1996, des chiffres circulaient, citant une baisse de 60 % du nombre de personnes ayant de multiples partenaires sexuels, entre 1989 et 1996. Ceci était le résultat d'une campagne d'information lancée dans les années quatre-vingt, prônant l'abstinence et la fidélité. Puis une seconde campagne, à l'instigation de l'ONU et de l'OMS, fut ensuite entreprise, mais longtemps après, mettant en avant le préservatif et le dépistage anonyme.

Les chercheurs de Cambridge comparèrent le résultat des deux campagnes. La synthèse de leurs recherches vient d'être publiée fin avril dans la revue américaine Science, faisant de cette étude un travail particulièrement important dont il faut tenir compte. Nature, la prestigieuse revue anglaise concurrente, ne s'y est pas trompé, qui a rendu compte de cet article sur son site Internet.

Pour appuyer leurs comparaisons, les auteurs se sont servi des données disponibles au Kenya, Zambie et Malawi où les seules campagnes contre le VIH/Sida ont été menées sous l'égide de l'ONU/OMS. Chez les femmes enceintes en Ouganda, la prévalence du VIH atteint en 1991 un maximum de 21 % pour tomber à 10 % en 1998 et 6 % en 2000. Dans des groupes similaires (femmes enceintes habitant en ville), la chute fut de 60 % en Ouganda, contre moins de 10 % en Zambie et une augmentation au Malawi entre 1990 et 2000. Des statistiques similaires montrent que le même phénomène se reproduit chez différents groupes ou dans différentes tranches d'âge : l'Ouganda fait systématiquement mieux que ses voisins.

Comment ce résultat a-t-il été obtenu ? La doctrine officielle voudrait bien sûr que la seule utilisation du préservatif puisse expliquer ce phénomène. Hélas (si l'on peut dire) pour la théorie dominante, le préservatif est moins utilisé en Ouganda qu'au Malawi, et pas plus qu'au Kenya ou en Zambie d'après des chiffres du milieu des années quatre-vingt-dix. D'où vient la différence ? Il faut se tourner vers d'autres données, comme celles de l'âge moyen de la première expérience sexuelle : chez les 15-24 ans non mariés entre 1989 et 1995, le nombre d'expériences sexuelles a chuté de 60 % à moins de 25 % pour les hommes, et de 53 % à 16 % chez les femmes.

Interrogés en 1995, les Ougandais (hommes) ont répondu avoir réagi aux menaces du Sida, par la fidélité à plus de 50 % , l'abstinence pour 7 % d'entre eux et l'utilisation de préservatifs pour seulement 2 %. Par ailleurs, la proportion d'hommes pratiquant le vagabondage sexuel était tombée de 34 à 14 % entre 1989 et 1995, un chiffre qui passe de 16 à 3 % chez les femmes. Par comparaison, en 1996 et 1998 en Zambie, au Malawi et au Kenya, ces chiffres étaient beaucoup plus élevés : 30 à 40 % chez les hommes, et 12 à 16 % chez les femmes, donc similaires à ceux de l'Ouganda en 1989.

En résumé, les années 1989-1995 ont connu un brutal changement des habitudes sexuelles en Ouganda : guère plus d'utilisation du préservatif, mais un recul de l'âge de la première relation sexuelle, une plus grande fidélité, et davantage d'abstinence.

Comme un vaccin efficace à 80 %

Il reste à expliquer ce changement de comportement. La communication explique-t-elle tout ? Sans conteste, le double message diffusé en Ouganda a fait la différence. Tout d'abord, le VIH se propage par voie sexuelle et le Sida, qui en découle, tue. Ce message fut répété longtemps au début des journaux radiophoniques, sous une forme encore plus simple : " Le Sida tue. " Ensuite, étant donné le mode de transmission du virus, la meilleure réponse est l'abstinence et la fidélité. Mais un message, aussi bon soit-il, doit être pris au sérieux, et là aussi l'Ouganda fit preuve d'originalité. Pour mettre en place cette campagne, tout le tissu social du pays a été mis à contribution, et plus spécialement les relais locaux. Le bouche-à-oreille fut l'outil dominant de propagation de l'information sur le Sida, par opposition à une transmission plus directe dans les pays voisins. Autrement dit, inciter les gens à parler entre eux du VIH et du Sida, au lieu de subir information sans débat, explique en partie la différence de résultats entre l'Ouganda et les pays voisins. Ce mode de diffusion — un message simple, clair — et terrifiant — eut un impact considérable, en l'absence de tout autre facteur. Dénoncer le Sida pour ce qu'il est, une maladie mortelle dans 99 % des cas, se transmettant lors des relations sexuelles, a suffi à induire un changement de comportement de la population.

Il faut ajouter à cela la stratégie de prévention choisie qui, au lieu de promouvoir les tests de dépistage gratuit et l'utilisation de préservatifs, s'appuya sur l'abstinence et la fidélité. Le résultat ainsi obtenu est équivalent à un vaccin efficace à 80 % ; mais sans les coût énormes engendrés par la production d'un vaccin, avec simplement la volonté de dire la vérité sur la réalité du Sida.

Quel réalisme ?

Au fond, quoi de surprenant ? On ne risque pas d'être contaminé par le VIH si l'on pratique la fidélité et l'abstinence (hors contaminations accidentelles par voie sanguine), c'est l'évidence. Or un tel programme a toujours été condamné au nom du réalisme. La dérision accueille systématiquement toute proposition de ce type, qu'elle vienne de l'Église ou du responsable de la lutte anti-Sida au sein de l'administration américaine, Randall Tobias. Celui-ci affirmait en avril à Berlin que l'abstinence était plus efficace contre le VIH que le préservatif. Nous avons désormais une preuve expérimentale historique de la validité de ces recommandations, et dans l'un des pires contextes qu'on puisse imaginer. L'article de Science apporte la démonstration scientifique du réalisme dont l'Église, et l'administration américaine actuelle, font preuve en prônant l'abstinence et la fidélité : le message fonctionne, y compris à l'échelle d'un pays, même (surtout ?) lorsque ce pays est africain et particulièrement pauvre. Dans le même temps, entre 2001 et 2003, la prévalence de l'infection par le VIH a augmenté d'environ 5 % en Europe occidentale comme aux États-Unis.

Le président de l'Ouganda, Yoweri Museveni, est intervenu à la conférence de Bangkok pour évoquer le succès de son pays dans la lutte contre le VIH. Il n'hésita pas à déclarer que " le Sida est principalement un problème moral, social et économique. Je considère les préservatifs comme une improvisation, pas une solution [...]. Les relations humaines doivent être basées sur l'amour et la confiance ", ajoutant que l'abstinence était plus efficace que le préservatif pour combattre le VIH. De son côté, sa femme a déploré que " la distribution de préservatifs à la jeunesse revient à leur donner un permis de faire n'importe quoi : et cela conduit à une mort certaine ". Malgré les applaudissements de certains promoteurs du préservatif, convaincus par l'expérience, certains n'ont pas hésité à recourir au mensonge pour critiquer la position ougandaise. Un participant a prétendu que " 50 % d'utilisation du préservatif en plus, c'est 50 % garanti de contamination en moins ". L'article de Science a prouvé que c'est faux : les pays voisins de l'Ouganda utilisent autant, sinon plus, le préservatif, et n'ont pas maîtrisé l'épidémie. D'autres ont cru relever les points du discours qui ne collent pas avec l'enseignement catholique (ou catholico-évangéliste chez les Américains), mais sans grand succès.

Il reste que l'article de Science est toujours aussi peu connu ; à notre connaissance pas un des journalistes commentant la conférence de Bangkok n'y a fait référence (eux qui sont toujours pressés de citer d'obscurs journaux scientifiques), en particulier quand il s'agissait de savoir si oui ou non le programme du président Museveni était bien responsable de la réussite ougandaise. En revanche l'AFP a trouvé une scientifique, Mary Crewe, chercheuse à l'Université de Pretoria, et qui ne lit manifestement pas Science : " ABC a été introduit [en Ouganda] tardivement dans la campagne de prévention et il y avait déjà des signes que l'épidémie suivait une courbe descendante ", une affirmation, très exactement contraire à la vérité.

Changer les valeurs

Les États-Unis se sont engagés à verser 15 milliards de dollars pour la lutte contre le Sida. Mais cet argent est réservé à des pays qui ont passé des accords bilatéraux avec les États-Unis, s'engageant à mettre en place la stratégie ABC : A pour abstinence, B pour being faithful (la fidélité) et C pour condom when appropriate (préservatif si approprié). Et sur cette somme, un milliard de dollars ont été réservés à des programmes basés seulement sur l'abstinence. Cela soulève l'indignation des âmes vertueuses qui se scandalisent qu'on restreigne les moyens disponibles pour distribuer des préservatifs. Ils accusent le programme ABC de tout baser sur l'abstinence qui, selon la vulgate à la mode, ne peut pas marcher. Eux-mêmes ont pour seul programme le C de ABC, tout en oubliant le " si approprié ". Randall Tobias, chargé par le président Bush de gérer ce progamme, ne s'est pas privé de le leur rappeler : il faut utiliser toutes les armes disponibles, d'où la supériorité du programme ABC. Ceux qui se focalisent sur le préservatif ont une vue restreinte, pas ceux qui ne voient dans le préservatif qu'un ultime recours.

Un cas souvent évoqué pour justifier le préservatif est que la première expérience sexuelle des femmes en Afrique est souvent forcée, donc le préservatif est son seul espoir. Mais comment espérer qu'un homme qui s'apprête à violer une jeune fille accepte un préservatif ? Et à quoi bon, puisqu'étant vierge, le risque de s'en prendre à une jeune fille porteuse du virus est pratiquement nul ? Certes, convaincre cet homme de s'abstenir ne sera pas facile, mais ce n'est sûrement pas plus absurde que de prétendre lui faire utiliser un bout de caoutchouc. Dans un livre relatant leur voyage à travers l'Afrique, Sonia et Alexandre Poussin rapportent leur discussion avec deux jeunes prêtres au Malawi à propos du Sida : Normal 0 21 false false false MicrosoftInternetExplorer4 /* Style Definitions */ table.MsoNormalTable {mso-style-name:"Tableau Normal"; mso-tstyle-rowband-size:0; mso-tstyle-colband-size:0; mso-style-noshow:yes; mso-style-parent:""; mso-padding-alt:0cm 5.4pt 0cm 5.4pt; mso-para-margin:0cm; mso-para-margin-bottom:.0001pt; mso-pagination:widow-orphan; font-size:10.0pt; font-family:"Times New Roman"; mso-ansi-language:#0400; mso-fareast-language:#0400; mso-bidi-language:#0400;} "Il faut arrêter d'infantiliser les Africains nous disent-ils, car le Sida progresse à cause du comportement des gens auquel le préservatif ne changera rien (au contraire) : "Tous les séropositifs qui viennent [nous] voir ont été et sont des grands consommateurs de préservatifs [...] Environ 7 % de nos jeunes prêtres meurent du Sida. C'est moins que les statistiques nationales, mais tout de même ! C'est la sexualité dans son ensemble que l'on doit apprendre à gérer en Afrique. Cela passe par l'éducation, la morale, le rapport à l'autre sexe et la perception de soi. Ça ne se réglera pas avec des préservatifs"." 

La lutte contre le Sida passe donc par un changement des valeurs de la société, africaine et mondiale. L'histoire retiendra que c'est l'Ouganda, pays déjà célèbre pour ses martyrs héroïques, qui en aura apporté la preuve. Mais les conséquences peuvent être plus vastes. Ces dernières années, on s'inquiète beaucoup de la croissance des maladies sexuellement transmissibles autres que le Sida. On commence l'éducation sexuelle de plus en plus tôt, on expose comment le préservatif, la pilule, la pilule du lendemain et enfin l'avortement, permettent d'éviter le pire des fléaux : une grossesse. Et pourtant, non seulement le nombre des avortements n'a pas diminué, mais on découvre que les autres maladies sexuellement transmissibles réapparaissent (en Grande-Bretagne, la syphilis est passée de 136 à 1.575 cas entre 1995 et 2003, les infections par Chlamydia de 30.794 à 89.818 cas, etc.) et que le Sida continue à progresser en Europe occidentale. Sans compter un effet dramatiquement pervers des trithérapies désormais relativement efficaces pour retarder l'apparition du Sida : certaines populations à risque ont baissé la garde, soit par lassitude soit par inconscience, et n'utilisent plus de préservatifs ce qui a provoqué une remontée immédiate des contaminations. La seule réponse à ce problème est : toujours plus de préservatif.

Surinformation ou éducation

Mais quel idéal de vie, quelles motivations donne-t-on à la jeunesse en lui expliquant qu'elle peut faire n'importe quoi, sauf oublier le préservatif et la pilule ? Ce n'est pas nouveau, mais ce qui l'est c'est le retour d'un discours plus conforme à la morale naturelle, et par conséquent plus attrayant et plus efficace pour quiconque a encore un peu d'estime de soi-même. L'Ouganda est un exemple, mais les États-Unis en sont un autre.

Une journaliste du Daily Telegraph anglais a récemment publié un article comparant les approches britannique et américaine de l'éducation sexuelle et leurs résultats en nombre d'adolescentes enceintes. En Grande-Bretagne, l'éducation sexuelle commence très tôt et ferait rougir un corps de garde ; mais cela s'accompagne d'un régime exceptionnellement favorable pour les filles-mères qui bénéficient de logements presque gratuits et d'allocations. Autrement dit, le message reçu est : ayez toute les relations que vous voulez, si le préservatif, la pilule, la pilule du lendemain ou l'avortement n'ont pu régler le problème, la société veille et s'occupera de vous.

Dans le même temps, aux États-Unis, dans la ligne du programme ABC, l'État soutient de plus en plus les associations qui encouragent par les moyens les plus divers l'abstinence des jeunes. L'exemple le plus célèbre est celui du Silver ring, d'origine évangéliste : un anneau pour afficher son engagement à rester vierge jusqu'au mariage ; la remise de l'anneau (qui s'achète 10 dollars, on est aux États-Unis !) fait l'objet d'une réunion festive, à la mode évangéliste. Par ailleurs, les aides d'État aux filles-mères sont conditionnées par l'obtention d'un travail dans les deux ans suivant la naissance, un programme mis en place dans les années Clinton. Résultat : le nombre de filles-mères a baissé de 30 % aux États-Unis tandis qu'il battait tous les records en Grande-Bretagne. On objectera que les jeunes américaines pratiquent sûrement davantage les contraceptifs, mais comment expliquer la différence, alors que privées de la surinformation britannique, les jeunes filles d'outre-Atlantique font mieux que leurs cousines européennes ? La solution est sans doute plus simple : moins d'information signifie aussi moins de tentations et plus d'idéal. On peut penser ce que l'on veut de la politique étrangère du président Bush, mais pour ce qui concerne l'éducation morale, elle est certainement ce qui se fait de mieux aujourd'hui.

Pour les catholiques, le C du programme ABC est peut-être regrettable — encore qu'il faille distinguer ce qui relève de l'enseignement du Magistère, et ce qui relève, dans la cohérence morale, de la responsabilité politique —, il reste qu'un immense pas en avant a été franchi. Le Pape, lors de la visite du président Bush en juin dernier au Vatican, lui a fait part de sa très grave inquiétude sur les conséquences de la guerre contre le terrorisme ; mais ce que l'on sait moins car les media en ont beaucoup moins parlé, c'est qu'il a aussi remercié le Président pour ses efforts dans la lutte contre ce qu'il qualifie de culture de mort :

Dans le même temps, Monsieur le Président, je saisis cette occasion pour reconnaître le profond engagement de votre gouvernement et des nombreuses organisations humanitaires de votre nation, en particulier celles d'inspiration catholique, qui œuvrent afin de surmonter les conditions toujours plus intolérables dans divers pays africains, où la souffrance provoquée par les conflits fratricides, les pandémies et la pauvreté dégradante ne peuvent plus être ignorées. Je continue également à suivre avec une profonde satisfaction votre engagement en vue de la promotion des valeurs morales dans la société américaine, en particulier en ce qui concerne le respect pour la vie et la famille.

Le programme ABC, basé d'abord sur l'abstinence et la fidélité, a fait ses preuves en Ouganda dans la lutte contre le Sida. L'extension de ce type de programmes à d'autres pays, non seulement permettrait de juguler ce fléau, mais permettrait de résoudre également de nombreux autres problèmes comme celui des grossesses chez les adolescentes, dont la racine profonde est une absence complète de respect pour la morale naturelle. Que la mise en pratique de ce programme, porteur d'espérance, vienne d'une administration américaine plutôt belliqueuse et d'un pays africain extrêmement pauvre montre que rien n'est simple : un signe que la Providence utilise les moyens qu'elle trouve.

AL. B.

 

NB. Pour consulter le texte intégral de l'article avec l'appareil de note, se reporter à la version papier de la revue.

 

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