LIBERTE POLITIQUE n° 40, printemps 2008.

Par Hervé Magnouloux. L'évolution du concept de chômage a donné lieu à deux approches économiques successives des politiques de l'emploi : pour la première, il s'agit d'un problème macroéconomique, la seconde insiste sur les dysfonctionnements du marché du travail.

LE CHOMAGE est probablement l'un des maux économiques les plus délicats de la fin du XXe siècle. Depuis près de quarante ans, les gouvernements qui se sont succédés en France et dans la plupart des pays occidentaux l'ont placé en tête de leurs préoccupations. L'histoire économique récente nous montre une large palette de mesures prises pour réduire le chômage.
Nous tenterons ici de montrer que cette évolution correspond à un certain approfondissement du concept de chômage. Ces mesures suivent certaines articulations fondamentales justifiées suivant différents schémas de raisonnement économique. Pour synthétiser ces différentes conceptions, nous noterons que deux approches économiques successives ont fourni des fondements aux politiques de l'emploi.
La première considère que le chômage est un problème macroéconomique, c'est-à-dire qu'il provient d'une insuffisance de résultats d'ensemble de l'économie. En conséquence, c'est une politique macroéconomique qui va être utilisée qui insiste sur l'ajustement en volume de certains flux.
La seconde explication insiste sur des dysfonctionnements et des rigidités se manifestant sur le marché du travail ; les mesures envisageables consistent alors à améliorer l'ajustement entre l'offre et la demande de travail. Ces politiques vont rencontrer une forte opposition sociale et vont ainsi conduire les gouvernements à développer un traitement plus personnalisé du chômage.


I- APPROCHE MACROECONOMIQUE DU CHOMAGE

Le XXe siècle aura connu deux périodes de chômage massif, la Grande Récession des années trente et la période d'après les années soixante-dix. Ces deux périodes, bien que situées à plus de trente ans d'intervalle, sont articulées l'une à l'autre du point de vue de l'histoire de la pensée économique : c'est à partir des analyses des phénomènes économiques des années trente que les premières politiques de l'emploi seront mises sur pied lors du choc pétrolier de 1974.

Un legs intellectuel de l'entre-deux-guerres

Il est partiellement erroné d'avancer que le chômage et la Grande Récession des années trente fut déclenchée par le krach boursier de 1929. Une récession avait commencé auparavant. Le krach boursier n'a fait que l'accentuer, réduisant les débouchés des entreprises et provoquant des faillites bancaires. Le chômage connaît alors un accroissement sans précédent, en 1929, il est de 3,2 % aux États-Unis, en 1933, il est de près de 25 %.
À partir de 1933, l'activité économique repart, stimulée par la politique monétaire de l'administration Roosevelt et par les effets d'annonce d'une politique fortement interventionniste ; les effets réels des politiques de Grands Travaux sont plus discutés. Ce n'est qu'en 1942 que le chômage retrouvera un niveau comparable à celui d'avant la crise.
L'épisode du chômage des années trente reste circonscrit dans le temps, mais il laissera des traces durables en science économique car il va être l'objet et l'origine des analyses novatrices de l'économiste anglais J.M. Keynes, analyses qui domineront la science économique pendant près d'un demi siècle et poseront les bases des politiques économiques d'après-guerre.
Selon les principes keynésiens, le chômage provient d'une insuffisance de la demande effective , demande globale solvable de court terme anticipée par les entrepreneurs, c'est-à-dire, des débouchés. C'est en fonction des débouchés anticipés que les entrepreneurs fixent le volume de l'emploi, le chômage provient donc d'une insuffisance de débouchés. La politique de lutte contre le chômage consiste alors à provoquer une hausse de cette demande effective, par une relance des dépenses publiques, une réduction de la fiscalité ou une politique monétaire expansionniste favorable à l'investissement. Tel est le contenu de la vulgate keynésienne qui va être mise en œuvre après 1945.

Les limites des politiques de relance

Cette politique sera reçue par la plupart des économistes d'après-guerre, à quelques exceptions près. Cependant, à partir des années soixante, les effets positifs des politiques de relance tardent de plus en plus à se manifester. L'économiste américain Milton Friedman, chef de file des opposants au keynésianisme, en publie une critique en 1968, mais ce n'est qu'après la hausse du chômage de 1974 que le doute s'installe chez les dirigeants. Les politiques de relance se révèlent alors incapables de réduire le chômage.
Un chômage massif s'installe alors. C'est l'Europe, cette fois, qui va être principalement concernée. Jusque dans les années soixante-dix, le chômage est plus bas en Europe (environ 3% de la population active) qu'aux États-Unis. La tendance s'inverse progressivement. En 1979, le taux de chômage dans les deux régions est à peu près identique, de 6 % environ. Ensuite, le taux de chômage européen reste en permanence plus élevé que le chômage américain, avec un différentiel plus ou moins marqué.
Plusieurs phénomènes vont expliquer cette perte d'efficacité des politiques de relance.
Une politique de relance conduit à des créations d'emplois, mais ces dernières incitent des personnes, jusque-là inactives, à se présenter sur le marché du travail. L'augmentation de la demande de travail provoque une hausse de l'offre de travail. De plus, les politiques de relance sont des politiques globales qui stimulent l'ensemble des branches de production, ce qui n'est pas forcément efficace, car ces branches sont plus ou moins créatrices d'emplois ; le BTP est très créateur d'emplois, d'autres secteurs le sont beaucoup moins. Il vaut mieux mettre en place des politiques plus ciblées.
Enfin, et cette raison est fondamentale, les économies des années quatre-vingt sont fortement ouvertes sur l'extérieur. Ainsi, une relance de la demande peut très bien conduire à une relance des importations. C'est ce qui s'est produit en France lors du début du premier septennat de François Mitterrand. En 1981, le gouvernement Mauroy prend une série de mesures pour relancer l'emploi, 170 000 emplois sont alors créés dans le secteur public et les entreprises nationales. Des mesures de revalorisation des prestations sociales sont également mises en place, accompagnées de hausses des traitements des fonctionnaires. Ces différentes mesures devaient provoquer une hausse de la consommation des ménages, poussant les entreprises à investir, d'où une hausse de la demande globale.
Mais la forte ouverture de l'économie française a annihilé ces effets de relance, tout en accroissant le déficit du commerce extérieur. Aussi, cette politique a été abandonnée dès 1983. Au début des années quatre-vingt, seule l'inflation sera durablement maîtrisée, le problème du chômage demeurant irrésolu.


II- DES POLITIQUES MICROECONOMIQUES CIBLEES

Après l'échec des politiques de relance globale des années soixante-dix, les gouvernements des pays occidentaux vont privilégier d'autres traitements du chômage, davantage focalisés sur le marché du travail. L'explication économique sous-jacente est que le chômage est dû à un manque de souplesse du marché du travail, qui empêche un ajustement satisfaisant entre l'offre et la demande de travail.

[Fin de l'extrait] ...

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*Maître de conférences des universités, secrétaire de l'Association des économistes catholiques. Texte de la communication au colloque Humaniser le travail dans une société libre , Paris 10 mars 2007, Association des économistes catholiques, Fondation de Service politique.