LIBERTE POLITIQUE n° 39, hiver 2007.

Par François de Lacoste Lareymondie. Avec le traité de Lisbonne les États européen ont renoncé au coup d'accélérateur politique voulu par le projet de Constitution. Mais ils n'ont pas davantage infléchi la trajectoire dans l'autre sens : Lisbonne prolonge Amsterdam et Nice. L'Europe se cherche toujours.

EN FAIT DE SIMPLIFICATION, c'est raté. Le projet de traité adopté par les Vingt-Sept réunis à Lisbonne le 19 octobre dernier est illisible. Les représentants des États membres ont renoncé à rassembler en un seul texte à la fois les traités actuels et leur révision. Ils ont procédé par insertion des modifications dans les traités existants. Le texte auquel ils ont abouti est évidemment beaucoup plus compliqué que ne l'était feu le Traité constitutionnel européen (TCE). Mais cet aspect formel n'a finalement que peu d'importance. La seule question qui vaille est celle du contenu. Se sont-ils contentés de découper celui du TCE en tranches fines pour justifier que l'on resserve le même plat à ceux qui n'ont pas voulu y goûter une première fois ? Cette complexité a-t-elle pour but d'empêcher la cristallisation des critiques ? Est-ce pour banaliser l'affaire et éviter le recours à des referendums de ratification ? Sans doute y a-t-il un peu de tout cela à la fois.
La réponse à ces questions ne peut pas être univoque : le mandat des négociateurs ne visait pas seulement à une transposition de forme. Un examen attentif montre qu'il y a plus que des nuances entre l'ex-TCE et le traité de Lisbonne, mais un changement d'esprit.
Aussi, l'examen sommaire que l'on propose ici se fera non par rapport à ce qui existe aujourd'hui, mais par rapport à l'ex-TCE ; il se déroulera en trois temps : 1/ ce qui a disparu de l'ex-TCE ; 2/ ce qui est repris dans les mêmes termes ; 3/ ce qui est modifié, et dans quelle mesure. À partir de quoi l'on pourra se poser utilement les questions politiques qui s'ensuivent.

I- CE QUI A DISPARU : TOUS LES SYMBOLES D'UNE CONSTRUCTION FEDERALE

Il n'y a plus aucun des symboles que Valéry Giscard d'Estaing s'était attaché à introduire, en pesant de toute son autorité personnelle, et que les États membres avaient accepté parfois de mauvaise grâce. Il n'y a donc plus ni concept constitutionnel puisqu'il s'agit d'un simple traité international modifiant les traités actuels ; ni drapeau, ni hymne, ni devise, ni loi , ni loi-cadre , mais conservation des termes actuels de directive , règlement et décision , même si demeure la distinction entre ce qui est de nature législative et ce qui ne l'est pas ; ni ministre des Affaires étrangères, mais simplement un haut représentant de l'Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité , encore que son statut soit quasiment identique (nommé spécifiquement par le Conseil dont il sera le mandataire, de droit vice-président de la Commission avec autorité sur les services nécessaires à l'exercice de ses attributions, chargé de présider le conseil des affaires étrangère et d'exécuter la PESC), en un mot, plus grand-chose de ce qui pouvait acclimater l'idée et la visibilité d'un super-État européen.
Ce n'est pas rien quand on se souvient du tapage qui avait été orchestré autour de ces symboles. S'ils avaient autant d'importance dans la présentation de l'ex-TCE, à présent leur suppression n'en a pas moins un sens car elle induit nécessairement que les Européens ont renoncé à l'ambition que ces symboles véhiculaient avec eux. La facilité avec laquelle les États membres y ont renoncé dès le printemps dernier en dit long sur l'état d'esprit dans lequel la renégociation a été conduite : faire disparaître du paysage tout support d'une identification politique visible.
En d'autres termes, il n'est pas vrai que le traité de Lisbonne fasse franchir le même pas que le TCE. Une première conclusion s'impose d'ores et déjà : en se contentant de modifier les traités existants, les chefs d'État et de gouvernement ont renoncé au coup d'accélérateur politique antérieurement voulu. Mais ils n'ont pas davantage infléchi la trajectoire dans l'autre sens ; ils s'inscrivent dans la continuité. Lisbonne prolonge Amsterdam et Nice.


II- CE QUI EST REPRIS DE L'EX-TCE DANS LES MEMES TERMES

Tant en quantité qu'en substance, ce qui est textuellement repris de l'ex-TCE forme la très grande majorité des dispositions du nouveau traité ; d'où sa longueur.

1/ L'équilibre institutionnel est le même

Toutes les innovations institutionnelles de l'ex-TCE ont été reprises :

• la Communauté européenne disparaît et seule existe désormais une Union européenne au sein de laquelle sont unifiés tous les dispositifs et toutes les règles antérieurs, Union qui en outre se voit reconnaître la personnalité juridique internationale , condition nécessaire de sa capacité à négocier et conclure des accords internationaux dans les domaines de sa compétence ;
• le Conseil européen qui réunit chefs d'État et de gouvernement et qui n'a pas d'existence juridique aujourd'hui, est institutionnalisé comme organe d'impulsion et d'orientation politique générale ;
• il sera présidé par un président élu pour un mandat de deux ans et demi, reconductible une fois ;
• le système de vote à la majorité qualifiée au sein du Conseil européen et du Conseil des ministres reposera sur des pondérations nouvelles (55% des membres, représentant des États réunissant au moins 65% de la population) à partir du 1er novembre 2014, une période transitoire ayant simplement été ajoutée pendant laquelle un État membre pourra demander de recourir aux pondérations antérieures, dans certaines conditions, jusqu'au 31 mars 2017 ;
• la Commission sera réduite de 27 à 18 membres (2/3 du nombre des États) à partir de 2014, avec un président élu par le Parlement sur proposition du Conseil ;
• le Parlement comptera 750 députés (+ 1, le président) au lieu de 785 aujourd'hui, et bénéficiera d'un pouvoir de codécision avec le Conseil étendu à la plupart des domaines.

Bien entendu, les prérogatives de la Commission demeurent inchangées : promotion de l'intérêt général de l'Union, monopole de l'initiative et de la conduite des procédures, responsabilité de veiller à l'application du droit communautaire sous le contrôle de la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE), détention du pouvoir exécutif et des fonctions de coordination, gestionnaire des programmes, etc.

[Fin de l'extrait] ...
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Nous vous remercions de votre confiance et de votre compréhension.

*François de Lacoste Lareymondie est vice-président de la Fondation de Service politique.