*Benoit Falaize, Nouchka Cauwet, Carole Loubes, "L'Histoire", Hachette, coll. " Les savoirs de l'école " dirigée par Jean Hébrard.

 

 

 

LA PRESENTATION DU MOYEN ÂGE est depuis longtemps symptomatique du sens que l'on veut donner à l'histoire de France (et plus largement de l'Europe).

Elle est dans le manuel de CM2 l'Histoire, particulièrement orientée et caricaturale. Ainsi la lecture de la société féodale centrée sur l'oppression seigneuriale :

 

 

 

" Comme chaque seigneur veut obtenir le plus de terres possibles, il s'entoure de militaires pour attaquer et voler les seigneurs voisins. Il regroupe le plus de paysans possible, souvent avec brutalité... "

 

" Quand il y avait des révoltes, elles étaient combattues par le seigneur et ses hommes d'armes avec beaucoup de violence. "

 

" La famine et les disettes sont très nombreuses. En revanche, au château, le seigneur et ses hommes mangent et boivent beaucoup. C'est pour eux une façon de montrer leur supériorité et leur différence par rapport aux paysans souvent misérables. "

 

" Leurs manières (des chevaliers) sont souvent brusques et brutales. "

 

 

 

 

 

Une lecture orientée de l'Histoire

 

Même orientation déformante avec la lecture d'une Église médiévale au service de l'oppression. Citant Adalbéron sur les trois " ordres " (ceux qui prient, ceux qui combattent, ceux qui produisent, dont Georges Dumézil a pourtant démontré il y a longtemps combien ils font partie de l'héritage immémorial des cultures et civilisations indo-européennes), les auteurs écrivent : " Les grand évêques, dont fait partie Adalbéron, décrivent la société de cette manière afin que chacun accepte son sort, surtout les paysans. " Fidèle à leur grille de lecture, les auteurs poursuivent : " En construisant tous ces bâtiments (églises et hôpitaux), l'Église montrait sa puissance et sa richesse et cherchait à renforcer son influence sur la population. "

 

Même vision caricaturale avec les croisades, présentées sous l'angle de l'exutoire à la violence chevaleresque et de la quête des richesses de l'Orient :

 

 

 

" Les musulmans de Palestine furent surpris de la violence des croisés. Dans la région de la Méditerranée, les croisades ont augmenté les tensions entre les fidèles des trois grandes religions monothéistes : le judaïsme, le christianisme et l'islam. "

 

" Les chrétiens ne se seraient pas lancés avec autant d'enthousiasme dans l'aventure des croisades s'ils n'avaient pas su qu'ils trouveraient des parfums, des soieries et des perles. " 

 

" Au cours de ces expéditions, ils découvrent d'autres manières de vivre, plus raffinées, en particulier celles des arabes. "

 

 

 

Face à ce tableau noirci, le monde musulman est idéalisé : six pages sont consacrées à l'éclat de la civilisation arabe, au Cordoue des philosophes, à Averroès et Maimonide. Rien évidemment sur le déferlement des conquêtes arabes... ou l'histoire réelle des minorités en terre d'islam. Là tout n'est que paix, lumières, tolérance : " Quand les Arabes ont vu arriver les chrétiens, ils ont eu très peur car, pour eux, les Francs étaient de véritables barbares sans culture et brutaux. " Rien ne contredit cette dernière assertion dans l'ouvrage, plus que discret sur le développement de l'Occident médiéval. La création et la vitalité des Universités françaises, par exemple, de même que l'originalité et la splendeur des créations romanes et gothiques dans tous les domaines de l'Art (sculpture, peinture, vitrail, tapisserie, orfèvrerie...) sont purement et simplement ignorés.

 

Dans une conférence intitulée : " Que peuvent les enseignements dans la prévention des dérives communautaristes ? ", l'un des auteurs de l'ouvrage, Benoit Falaize, indiquait qu'il fallait, pour répondre aux attentes des enfants d'origine maghrébine, montrer " comment l'islam irrigue la société du Moyen Âge ". L'expression traduit bien la volonté de survalorisation (anti-historique) qui anime les auteurs, alors que la réalité (historique) est celle d'échanges (pas toujours pacifiques) entre deux mondes. Ne peut-on d'ailleurs valoriser la civilisation arabo-musulmane sans ignorer ou dénigrer la civilisation romano-gothique ?

 

Il est particulièrement significatif (et effarant) que Louis IX (" dit saint Louis ", sic) soit présenté, après une concession à son souci chrétien de la paix, comme un champion de l'intolérance " à l'égard de ceux qui ont une autre religion ", les juifs et les musulmans. Alors que rien d'essentiel n'est dit sur cette éminente figure de notre histoire, les auteurs, soucieux d'exposer les racines de l'antisémitisme français, ne reculent ni devant la focalisation tendancieuse, ni devant l'anachronisme. Les seules mesures du règne de (saint) Louis présentées aux enfants seront donc celles contre les juifs.

 

Il faudrait commenter aussi, comme modèles de présentation caricaturale et de manipulation idéologique, la lecture du Moyen Âge finissant, celle de la découverte de l'Amérique, celle de la Renaissance...

 

Particulièrement symptomatiques la lecture de l'Ancien Régime sous l'angle de l'inégalité des classes sociales, du commerce triangulaire et de l'intolérance religieuse, celle aussi des Lumières et de la Révolution française dans la droite ligne de l'interprétation marxiste. Ignorés là aussi, au profit d'une caricature entre misère et exploitation, la croissance économique et démographique, les progrès dont bénéficie une part croissante de la population française, la création d'une civilisation dont l'éclat rayonne dans l'Europe entière et jusqu'à nos jours...

 

Pour la période contemporaine, deux exemples pourront suffire, mais tout ou presque mériterait commentaire tant sont tendancieuses et contestables la sélection des évènements et la trame explicative.

 

Ainsi la présentation de la Seconde Guerre mondiale avec sa focalisation sur la culpabilité de Pétain, l'antisémitisme de Vichy et la lutte entre " une France de Vichy qui collabore " et " une France qui résiste ". Pas un seul mot sur les armées françaises qui ont combattu pour la libération du territoire au sein des armées alliées et la victoire chèrement acquise par eux contre l'Allemagne ; oublié ce que l'on doit réellement à la Russie, aux États-Unis et à la Grande Bretagne (pas même mentionnée...). Alors que les enfants ont droit aux photos de Lucie Aubrac et de Germaine Tillon, résistantes " engagées ", Churchill ou Leclerc par exemple ne sont pas même cités !

 

Avec la guerre d'Algérie l'art du raccourci tendancieux atteint des sommets : " Une guerre atroce commence en 1954. L'armée française torture les algériens et réprime les manifestations ; les combattants pour l'indépendance organisent une armée pour libérer leur pays et commettent des attentats. " Non seulement les auteurs salissent par une généralisation odieuse le comportement de l'armée française, mais l'ordre de la phrase laisse à entendre que les attentats commis par le FLN seraient la (juste) réponse à l'emploi de la torture ! Les enfants peuvent ainsi en déduire qu'il existe une violence légitime, celle commise par les " mouvements de libération ", celle de la Terreur, du terrorisme et des attentats...

 

Dans un article publié dans le Monde diplomatique de mai 2004 intitulé " Peut-on encore enseigner la Shoah ? ", Benoît Falaize, réfléchissant à la manière d'aborder avec les élèves des questions sensibles de l'histoire contemporaine comme l'extermination des juifs ou la guerre d'Algérie, explique combien l'exaltation du FLN permet de faire passer auprès des enfants d'origine maghrébine l'accent mis ailleurs sur l'Holocauste [1].

 

Cet " équilibrage " dont fait les frais l'Histoire de France est inadmissible. On est ici totalement sorti de l'Histoire, de sa démarche comme de l'éthique qui devrait présider à son enseignement.

 

 

 

Endoctrinement et réécriture

 

Les personnalités proposées aux élèves relèvent d'un choix incroyablement " partisan " : à partir de la IIIe République par exemple, hormis les personnages diaboliques de " l'extrême droite " (Pétain, Hitler, Mussolini et Franco), n'a plus droit à la mémoire qu'un certain Panthéon étonnamment monocolore : Dreyfus et ses défenseurs, Émile Zola et Anatole France, les peintres communistes Picasso et Fernand Léger, Jules Ferry et Clemenceau, Jean Jaurès et Léon Blum, le général de Gaulle (en tant qu'anti-pétainiste), des résistants et résistantes, Aimé Césaire et Simone Veil (promotrice de la légalisation de l'avortement)...

 

Textes, images et photographies sont soigneusement sélectionnés pour appuyer le discours idéologique : ainsi les croisades seront-elles illustrées par deux encarts sur les violences et les pillages des Francs, la découverte de l'Amérique par trois vignettes sur le meurtre des Amérindiens, la guerre d'Algérie par un encart sur l'appauvrissement de l'Algérie après la conquête et une photographie de soldats français opérant un contrôle d'identité dans les rues d'Alger, la vie politique de 1945 aux années 1970 par une affiche du mouvement pour le planning familial (" Un enfant si je veux quand je veux ") et Simone Veil défendant l'avortement à l'Assemblée nationale, etc.

 

Le vocabulaire choisi vise à créer chez les enfants des associations d'idées et d'images favorisant une lecture réflexe des évènements contemporains : le contraste entre la " civilisation " arabo-musulmane et les Francs " sans culture ", nous l'avons vu, est saisissant et hautement révélateur de l'intention des auteurs. On parlera d'Hitler, " dictateur nazi, c'est-à-dire raciste et antisémite ", dans un paragraphe intitulé " le danger de l'extrême droite ", évoquant par ailleurs les manifestations organisées en France par les anciens combattants de la Grande Guerre, qualifiés de " militants d'extrême droite "...

 

Quand on lit la conclusion de l'article de Benoît Falaize dans le Monde diplomatique appelant à la vigilance pour " déjouer les simplifications, les abus de langage, afin de donner à tous les élèves la capacité d'exercer un regard critique sur le monde et son histoire ", on croit rêver.

 

 

 

Une anti-histoire

 

Pour qui s'intéresse à l'histoire de l'Histoire, il est évident que l'" objectivité " historique ne peut exister. Car l'histoire ne peut se penser et se dire qu'en tenant compte, ne serait-ce que pour être audible, des préoccupations du moment. Il est clair aussi qu'un ouvrage d'initiation destiné à des enfants doit simplifier une matière d'une infinie richesse. Mais nous avons affaire ici à autre chose qu'une entreprise d'initiation tenant compte des enjeux du présent. Sous le titre fallacieux d'" Histoire ", ce livre, reprenant ou mettant au goût du jour poncifs et légendes noires de l'histoire marxisante, présente tout au long des analyses partiales et mensongères qui inoculent aux enfants une vision radicalement faussée de l'histoire de France.

 

Vue sous l'angle de l'intolérance religieuse (catholique), du racisme et de l'antisémitisme, de lutte des classes et de la libération de la femme, elle se transforme en une caricature grotesque et manichéenne, en une sorte d'" anti-histoire de France " donnant la parole sans souci de la vérité aux représentants supposés de l'avant garde prolétarienne et des peuples opprimés, et caricaturant les détenteurs de l'autorité, exposés avec systématisme comme des exploiteurs et des dictateurs.

 

Par sa focalisation partisane, par omission, par déformation des faits, l'histoire présentée devient d'ailleurs aussi incompréhensible que mensongère. Comment comprendre le développement extraordinaire de la civilisation française (osons le mot), après la présentation caricaturale et sinistre du " Moyen-Âge ", de sa fin en particulier, dans ce pays dévasté par la famine, la peste et les Écorcheurs, dans ce peuple hanté par la peur maladive de la mort, où l'" on massacre les juifs, et brûle les sorcières " ? De même l'accent mis tout au long de l'ouvrage sur l'opposition à " l'ordre établi ", les soulèvements, révolutions et manifestations (1848, la Commune de Paris, mai 68, les guerres de libération coloniale, les luttes ouvrières, les mouvements de libération de la femme...) ne finit-il pas par rendre illisibles les sociétés dans lesquelles ils se développent ?

 

On ne peut ainsi que déplorer l'absence d'éléments essentiels à la compréhension historique, au profit d'une accumulation de faits et de figures, parfois secondaires, mais toutes orientées à la même entreprise d'endoctrinement. Emportés par leur perspective militante de l'histoire, les auteurs finissent même par perdre le sens commun : les revendications de logements mixtes à l'université de Nanterre lors de l'hiver 1968, par exemple, font-elles vraiment partie de ce qu'un enfant de dix ans doit absolument savoir de l'histoire de son pays ?

 

Les auteurs, habités d'une vision idéologique à transmettre, n'ont cure ni de ce que la science historique de niveau universitaire a pu produire sur les périodes anciennes (oubliés les apports, équilibrés, de nos grands universitaires, de Lucien Febvre à André Chastel, d'Émile Mâle à Victor L.Tapié, de Pierre Chaunu à Fernand Braudel ou à Jacques Le Goff...), ni des analyses sérieuses sur l'époque contemporaine qu'elles soient de nature économique, sociologique, polémologique...

 

Le parti pris idéologique gâche par ailleurs la portée humaniste que pourrait revêtir une approche privilégiant, légitimement, le point de vue du développement des peuples et du progrès social et veillant à éduquer par la compréhension de l'autre, aux vertus de paix et de tolérance. S'il faut ainsi certainement tenir compte de l'origine et de la sensibilité diverses des enfants scolarisés aujourd'hui en France, il n'est pas admissible pour autant de réécrire l'Histoire. Tout ceci est d'autant plus préoccupant que ce reflet fidèle de l'" histoire officielle " de la gauche laïque sectaire est en résonance avec la grille de lecture de nombre de médias acquis à cette vision.

 

 

 

Appel à la vigilance

 

Quelle que soit notre vision du monde, il ne devrait être acceptable pour personne qu'au nom d'une idéologie, l'histoire de la France et de sa civilisation soit radicalement faussée ; que l'Église soit odieusement caricaturée, son apport à la civilisation minimisé et détourné de son sens. Or il est particulièrement consternant que ce livre d'" histoire " ait pu être choisi dans une école catholique. Pouvons nous admettre, ne retenant que cet exemple bien dans l'esprit de l'ouvrage, que la contraception soit présentée aux élèves de l'enseignement catholique comme une conquête libératrice : " Dès lors, par leurs protestations, les femmes obtiennent le droit de choisir si elles veulent ou non un enfant et à quel moment, grâce à la contraception " ?

 

L'expérience montre ainsi combien un ouvrage sans valeur scientifique et dont le militantisme transparaît à chaque page peut s'imposer par la simple couverture d'une importante maison d'édition. Elle doit inciter chaque parent à vérifier, dans ce domaine comme en d'autres particulièrement sensibles (" éducation " civique, sciences de la vie...) les manuels de leurs enfants.

 

Au travers de l'enseignement de son histoire, il en va de la mémoire d'une nation. À force de déformations ou d'occultations systématiques dans ce qui est transmis, une sorte de poison finit par envahir le corps social. Invasion d'autant plus profonde que l'inoculation est précoce, d'autant plus insidieuse qu'elle opère dans un cadre offrant une certaine respectabilité, sans l'emphase ou la violence marquant d'habitude les pensées sectaires ou totalitaires.

 

Il ne s'agit pas d'opposer telle vision à telle autre, telle idéologie à telle autre, mais comme en d'autres domaines, d'intervenir, clairement, au nom de la simple vérité sans laquelle aucune paix ni aucune justice ne sauraient tenir.

 

 

P. SCH.

 

 

© Liberté politique, hiver 2006.

[1] Il analyse pour ce faire une enquête réalisée auprès des enseignants de l'académie de Versailles : " On a dans notre collège un tiers d'enfants maghrébins. Jusqu'au moment où on aborde les chapitres concernant les guerres de décolonisation, ils ne sont pas trop intéressés par la question. Mais lorsqu'on aborde la guerre d'Algérie, là ils se sentent intéressés. Ils s'identifient même si leurs parents sont marocains ou tunisiens aux combattants du Front de libération nationale (FLN). " " C'est, dit un autre enseignant, leur page d'héroïsme. "