L'emploi de la torture pendant la guerre d'Algérie a été dénoncée dès 1955 par des intellectuels, qui pour la plupart étaient proches des nationalistes algériens. Elle a été reconnue par des responsables de la police (Wuillaume, Mairey) et de l'armée (Estoup, Massu, Hélie de Saint-Marc, Aussaresses).

Les faits ne sont donc pas niables, mais ils ne sont pas toujours replacés dans leur contexte historique. Le but de cet article est de rappeler ce qu'a été la montée des violences de 1954 à 1962 en soulignant que la torture est indissolublement liée au terrorisme . La recherche historique confirme ces données :

 

- dans un premier temps, le Fln s'impose par la terreur dans la population musulmane ;

- le terrorisme prend ensuite un caractère raciste contre les Européens ;

- le gouvernement réagit (état d'urgence — pouvoirs spéciaux — ordre public confié à l'armée) ;

- par la violence, l'armée élimine le terrorisme, puis les bandes rebelles ;

- les populations apeurées se rallient à l'un des camps ou se révoltent (contre-terrorisme, Oas) ;

- les rebelles d'Algérie, détruits par les opérations militaires, se réfugient en Tunisie et au Maroc ;

- la terreur du Fln se poursuit par le supplice de centaines de soi-disant traîtres (1959-60), puis de milliers d'anciens supplétifs (1962).

 

 

 

Contre les musulmans, le Fln s'impose par la terreur

De 1955 à 1956, on passe de 4 à 16 égorgés par jour. Le Fln na pas besoin de torturer. Il installe la terreur dans les villages. Des centaines de mutilations faciales (nez, lèvres et oreilles) sont constatées par la faculté de médecine. Amïrouche tue les habitants du village de Loun Dagen, qui s'étaient ralliés à l'armée française (490 morts probables le 21 avril 1956).

Le 28 mai 1957, la wilaya 3 et les kabyles de Melouza tirent 300 hommes des Beni Ilman, qui s'étaient ralliés au dissident Belounïs. D'autres massacres ont lieu en Oranie. Au total, 16000 musulmans seront ainsi éliminés de novembre 1954 à mars 1962.

Contre les Européens, le terrorisme prend un caractère raciste. Le 20 août 1955, Zirout Youssef fait attaquer une vingtaine de villages du Constantinois. Il s'agit d'entraîner une répression des forces de l'ordre contre le peuple, qui ne croit pas à la révolution .

Des tueries horribles sont perpétrées en particulier à la mine d'El Halia et à Ain Abid. La Commission de sauvegarde du droit et des libertés constate " l'atrocité de la guerre de rébellion [...]. Le terrorisme frappe de préférence des innocents [...]. Les fellaghas tuent pour tuer, pillent, incendient, égorgent, violent, écrasent contre les murs les têtes des enfants, éventrent les femmes, émasculent les hommes ".

Le gouverneur Soustelle, qui avait commencé à négocier, déclare : " C'est la guerre, il faut la faire. " La répression est brutale (1200 morts, et non 12000). Les atrocités expliquent la torture, sans la justifier. Les Européens sont pris de peur, certains déclenchent le contre-terrorisme.

De 5 Européens tués chaque mois en 1955 (20 août non compris), on passe à 42 en 1956, 50 en 1957. Le mot d'ordre Fln, selon Guy Pervillé, est de tuer un Européen, n'importe quel Européen. Grâce aux artificiers communistes, Yacef Saadi déclenche les attentats par bombe à Alger, dans les bars et dans les autobus, puis dans les stades et dans les lampadaires : 7 bombes en septembre et novembre 1956, 10 au printemps 1957, 12 en juin-juillet. 88 bombes sont découvertes en février-mars, 33 en mai-juin, 8 en juillet. Selon J. Chevalier, en 14 mois, il y a eu 751 attentats, 314 morts, 917 blessés, dont de nombreux enfants qui doivent être amputés.

De novembre 1954 au cessez-le-feu (mars 1962), 2788 civils Européens ont été tués et 875 enlevés.

 

État d'urgence contre guerre révolutionnaire

Le gouvernement se rend compte que la légalité républicaine n'est pas applicable dans ce contexte de guerre révolutionnaire. Il institue l'état d'urgence (3 avril 1955), la responsabilité collective des tribus et les pouvoirs spéciaux (12 mars 1956). Il élargit le pouvoir des militaires (Aurès, Kabylie, Alger), prescrit l'élimination des terroristes et des rebelles pris les armes à la main (pam), ferme les yeux sur l'emploi de la torture et les exécutions sommaires.

La Ve République tente ensuite de légaliser la répression en mettant en place 72 procureurs militaires, un par Secteur. Mais elle n'hésite pas à instituer des tribunaux d'exception contre les révoltés militaires et civils du putsch et de l'Oas.

L'armée engage toutes ses forces dans la guerre. Par des actions brutales mais limitées dans le temps et par les effectifs engagés (10e DP et Dop), elle élimine le terrorisme. Elle protège et regroupe les populations menacées, conduit une action humanitaire (scolarisation et formation de la jeunesse, assistance médicale, travaux, promotion humaine, dignité de la femme). Recrutant des milliers de soldats réguliers (380000 européens et 60000 musulmans)et supplétifs (150000), elle conduit un plan d'opérations qui détruit 90 % des bandes rebelles. Dans ces combats, 143500 rebelles sont tués. Les pertes amies sont de 15000 tués au combat (dont 4500 musulmans), 9000 décédés par accident ou maladie et 200 prisonniers dont 120 ont définitivement disparu.

La population européenne rejette toute concession, et parfois se livre à la violence (ratonnade du 11 juin 1957, barricades de janvier 1960, soutien du putsch et de l'Oas). La population musulmane se réfugie dans l'attentisme avant de rallier le camp du vainqueur politique (décembre 1960).

Le Fln ne torture pas, il supplicie les soi-disant traîtres, qui doivent mourir deux fois . Les djounoud suspects de trahison (bleuïte) sont brûlés à mort dans les wilayas (10000 victimes). En 1962, des milliers de harkis sont enterrés vivants, empalés, ébouillantés, écorchés vifs (60 à 80000 victimes). 3000 Européens sont enlevés et torturés après le cessez-le-feu, dont seulement 1280 ont été libérés ou retrouvés vivants.

 

Le débat sur les violences illégales

Des campagnes médiatiques contre la torture ont été lancées dans les années 50 et reprises en juin 2000 par le Monde, avec le soutien du Parti communiste et des anciens " porteurs de valises ". La soutenance d'une thèse contestable attire l'affluence des disciples de Vïdal-Naquet.

Les aumôniers militaires sont intervenus dans le débat. Le père Delarue, aumônier de la 10e Dp, a justifié les interrogatoires musclés au nom du principe du moindre mal. Sa justification, très argumentée, se limitait au cas des poseurs de bombes. Le père Peninou, aumônier du 8e Rcp, approuvé par le cardinal Feltin en octobre 1960, interdit la torture dans tous les cas, mais il ne sait pas ce qu'il aurait fait à la place du père Delarue. Il refuse cependant l'amalgame : tous les soldats d'Algérie ne sont pas des tortionnaires. Pour le père Alain de la Morandais, présent sur tous les écrans, l'Honneur est sauf

Les officiers des services spéciaux opposent la conception " utilitaire " de la torture, visant exclusivement la recherche du renseignement, à la conception " expiatoire ", qui sera celle du Fln et qui consiste à éliminer le suspect pour faire des exemples et rendre la victime infâme, selon la théorie de Michel Foucault et de René Girard, reprise par Mohamed Harbi.

La relance de la campagne médiatique en 2000 a révolté la masse des anciens combattants d'Algérie, appelés et militaires de carrière, qui refusent la généralisation et l'amalgame, et condamnent les agissements inadmissibles du général Aussaresses. Ils se demandent si cette campagne n'est pas manipulée par le Parti communiste et par les soutiens du Fln, désireux de faire oublier à la fois les violences du passé stalinien et de l'épuration, la trahison de certains et la sale guerre de l'Algérie actuelle. La production de photos truquées, et de témoignages douteux (Favrelière, Louisette Ighilariz), selon les procédés des régimes totalitaires, pourrait confirmer cette interprétation.

Dans un article récent, l'ingénieur général René Mayer, qui a été un libéral d'Algérie avant d'être directeur de l'Habitat auprès de M. Delouvrier, écrit :

 

Si chaque matin, en ouvrant le journal ou la radio, les Parisiens apprenaient qu'une bombe a explosé au métro St-Michel et une autre à l'entrée du lycée Fénelon, tuant des enfants se rendant de bonne heure à l'école, si on leur disait qu'en banlieue on a découvert les cadavres de toute une famille, le père émasculé et égorgé, la mère violée et éventrée, les enfants découpés en rondelles, leurs morceaux alignés, comme sur un étal de boucher, sur la table de la salle à manger, quelles seraient leurs réactions ?

N'exigeraient-ils pas de leurs gouvernants que les coupables soient sévèrement châtiés ? Ces gouvernants n'exigeraient-ils pas à leur tour des forces de l'ordre qu'elles gagnent, par tous les moyens, la bataille de Paris ? Ces forces ne seraient-elles pas alors entraînées dans des dérapages ? Qui en seraient les principaux responsables : les militaires qui tourneraient la manivelle des magnétos, ou l'intellectuel français qui, à l'intention des centres de formation au terrorisme, aurait théorisé le bon usage de la terreur et aurait professé que plus un attentat est horrible, plus il est efficace ?

 

" L'anamnèse historique est indispensable, affirme Gérard Leclerc. Ce ne sera pas l'affaire d'une simple campagne de presse. Les historiens allemands ont mis cinquante ans avant de pouvoir juger de la responsabilité de leur peuple dans les crimes du IIIe Reich . " Cette reconnaissance par les historiens devrait donc concerner les militaires et les policiers coupables de violences abusives, et les responsables politiques qui les ont encouragés, sans oublier ceux qui ont permis l'abandon et le massacre des harkis, ni ceux qui ont approuvé la violence révolutionnaire et conduit l'Algérie au totalitarisme et à l'obscurantisme. C'est dire que cette reconnaissance, ainsi que le souhaite Jacques Julliard (cf. note 2), doit être faite des deux côtés de la Méditerranée, afin de préparer la réconciliation des deux peuples. La teneur des manuels scolaires et les discours des intellectuels et oulemas d'Algérie n'indiquent pas que les autorités de ce pays y soient favorables.

 

m. f.
. Affirmation de Pierre Messmer et Germaine Tillion. Albert Camus " condamne un terrorisme qui s'exerce dans les rues d'Alger et qui un jour peut frapper ma mère. Je crois à la justice, mais je défendrai nia mère avant la justice " (Le Monde du 14 décembre 1957).

. C'est Jacques Julliard qui fait observer qu' " après la Toussaint de 1954, incapable de provoquer un soulèvement généralisé, le FLN a eu recours à la terreur et aux atrocités " (Le Nouvel Observateur du 10 mai 2001).

. Rapport du préfet Haag, septembre 1957.

. Confirmation de Maurice Patin, président de la Commission de sauvegarde du droit et des libertés.

. Le GIA se rend coupable des mêmes horreurs (enfants embrochés, selon Yasmina Khadra dans le Monde du 13 mars 2001).

. Méconnaissance des techniques du renseignement, action sociale ignorée, assimilation de la guerre révolutionnaire au droit humanitaire de l'an 2000, témoignages orientés, interprétations abusives, non consultation de témoins à décharge.

. L'Honneur est sauf, Seuil, 1990.

. Le Casoar, avril 2001.