DATAR, Aménager la France de 2020. Mettre les territoires en mouvement, la Documentation française, novembre 2000, http://www.datar.gouv.fr ; Gérard-François Dumont, la Population de la France, Ellipses, Paris, 2000.

 

La Délégation à l'aménagement du territoire et à l'action régionale (Datar), dépendant du ministère de l'Aménagement du territoire et de l'Environnement a publié, à la fin de l'année 2000, un document de prospective sous le titre Aménager la France de 2020, mettre les territoires en mouvement.

Le rédacteur principal en est Jean-Louis Guigou, délégué à l'aménagement du territoire et à l'aménagement régional. L'ouvrage est d'un volume réduit (87 pages A4), assez bien illustré d'une cinquantaine de cartes et de quelques graphiques. L'abord en est facile. Il est destiné à " ouvrir un débat. Il pose de nombreuses questions et pour certaines d'entre elles, envisage des perspectives "... Une nouvelle édition, " enrichie du débat ", est annoncée pour 2001. Entrons donc dans le débat.

 

Objectif : réintroduire le long terme

" Réintroduire le long terme dans l'action publique ", tel est l'objectif premier du document. Vingt ans, est-ce le long terme ? Quand l'espérance de vie à la naissance des Français est de près de quatre-vingts ans ans, vingt ans n'est plus le long terme. 1980 ne nous semble pas si loin derrière nous. C'est le temps de passer de l'enfance à l'âge adulte. Nos ancêtres dont la durée de vie moyenne était plus courte avaient un autre sens du long terme : on a planté sous Louis XIV les arbres qui ont fourni le bois des bateaux de Napoléon III. Il est vrai que les changements techniques étaient moins rapides, que la société paraissait plus stable. Mais nous connaissons déjà bien des éléments de ce que pourrait être notre société au-delà de ces vingt ans : notre environnement physique, par exemple, et le plus grand nombre de ceux qui vivront en 2020 sont là. Vingt ans, n'est-ce pas un peu court ? Les rédacteurs du document en sont conscients : " C'est d'une certaine manière déjà l'urgence qui est présente. "

Le champ de la prospective est également rétréci : il s'agit 1/ de l'action publique. Le gouvernement, en décembre 1997, avait chargé la Datar " de réunir les éléments prospectifs permettant [...] de définir un projet d'avenir en matière (d'aménagement du territoire) ". L'aménagement du territoire ne dépend pas que de l'action publique : les acteurs en sont tous les habitants du pays à travers leurs décisions d'investissement ou de recherche du travail, d'implantation de leur habitat. L'action publique peut favoriser certains mouvements, corriger certaines évolutions jugées néfastes, accompagner et soutenir des actions individuelles ou collectives. Jusqu'à présent, dans ce domaine, elle se voulait motrice.

2/ Les territoires : on est passé de l'aménagement du territoire à la mise en mouvement des territoires. La décentralisation est passée par là, mais aussi la régionalisation, la Commission européenne et ses fonds régionaux... Ce titre est significatif d'un changement conceptuel important de l'action publique d'aménagement. Finie la relation " jacobine " centre-périphérie, place au territoire, " cadre créateur d'organisation, structure active et non plus simple espace "... " Les territoires ne sont plus des cadres où les choses se passent, mais où les choses s'inventent. " Mais peut-être aussi fini le concept de " patrie ", de territoire national où tous les Français sont partout chez eux. L'histoire de la France est celle de la lente et difficile construction d'un territoire. La France est le résultat d'une action unificatrice et l'État a été le constructeur de cette unité : " Les découpages administratifs et l'expression de la puissance publique ont produit au fil des temps une organisation duale, entre un pouvoir descendant de l'État et de Paris et un maillage local dense et complexe émietté en 36650 communes, 19500 structures de coopération intercommunale, 100 départements et 26 régions. " Les 36650 communes et les 19500 syndicats sont bien l'émanation des volontés locales exprimées tout au long de l'histoire, en revanche les 100 départements et les 26 régions résultent de l'action du pouvoir central, comme l'étaient avant leur création, les intendances et les généralités de l'Ancien Régime, face aux pouvoirs provinciaux.

Aujourd'hui, " la Datar a identifié comme la pierre angulaire de l'aménagement et du développement des territoires, la structuration des cadres territoriaux et les modalités d'action publique qui permettent d'y répondre ".

On reprendra ici de façon résumée le contenu de chacun de ces chapitres.

 

I- Entre " projet collectif " et " agencement de l'environnement "

 

Le document est organisé en 4 parties : 1/ Se souvenir de l'avenir : réintroduire le temps long dans l'action publique. 2/ La société et ses territoires : de nouvelles relations. 3/ La prospective de la France dans l'Europe en 2020 : enjeux et scénarios. 4/ Plaidoyer pour le polycentrisme maillé : les politiques publiques qui en découlent.

" Le rôle de l'État demeure nécessaire pour réguler les mutations, investir à long terme et garantir les solidarités " mais il faut définir " de nouveaux principes " pour mettre en œuvre un projet collectif. " La notion de projet collectif et la confiance partagée des acteurs devraient être des éléments clés de la dynamique économique et sociale [...] mais l'action publique se construit dans un contexte où se multiplient, de façon souvent concurrentielle, les valeurs et les normes auxquelles il faut se référer. " Voilà bien effectivement un des plus graves problèmes de notre société : est-il possible de bâtir un avenir commun à des individus qui n'ont pas de normes communes, qui vont même jusqu'à refuser, au nom de la liberté, la notion de norme. C'est finalement plus important que " l'agencement " des " temporalités propres à chacun des champs économique, technologique, social, culturel ou encore environnemental ".

La notion d'aménagement du territoire serait typiquement française et européenne. En Amérique du Nord, la mobilité du travail serait un facteur essentiel de réduction des disparités territoriales. Mais vivre et travailler au pays, le rêve des Français, contraindrait l'État à opérer des transferts de revenu et de capital public pour réduire les disparités.

De 1960 (création de la Datar en 1963) à 1975, les " politiques fondatrices de l'aménagement du territoire ont procédé du centralisme français qui marqua le passage de la société agraire, organisée par un maillage urbain de villes moyennes, à une véritable société industrielle ". Certes, mais selon un modèle urbanisant, concentrant les investissements industriels sur de grandes opérations accompagnées d'une urbanisation en grands ensembles. Il ne s'agissait pas de vivre et travailler au pays mais de rejoindre l'agglomération parisienne ou la grande ville proche où se créaient les nouveaux emplois. Parallèlement, l'industrialisation de la production agricole et la concentration des structures d'exploitation lancées par la loi Pisani libéraient la main-d'œuvre nombreuse nécessaire à ce type de croissance économique. L'action de la Datar est alors plus interministérielle que réellement territoriale.

1975-1990 : années de crise. Il s'agit alors surtout de faire face à la reconversion des régions sinistrées par les changements technologiques : le Nord, la Lorraine. La régionalisation fait ses premiers pas mais sans beaucoup de compétences ni de moyens pour les mettre en œuvre. Le contrat devient un cadre de relation entre l'État et les collectivités locales.

Depuis 1990, le territoire est revenu au centre du débat. Il apparaît comme un " cadre créateur d'organisation ". Les territoires sont en concurrence les uns avec les autres pour attirer les investisseurs. Le rôle de l'État est alors " d'anticiper et d'organiser l'indispensable mutation du système d'administration territoriale en vue d'améliorer son efficacité tant économique que démocratique " mais aussi " d'assurer la cohésion nationale en prenant appui sur les points forts de l'hexagone ".

En vertu du " nouveau principe d'équité spatiale ", il s'agit " d'assurer le passage du traitement social des territoires au traitement structurel des territoires ". Et ceci nécessite : 1/ au niveau des territoires, un rééquilibrage des pouvoirs au profit d'un nombre limité de collectivités de base ; 2/ au niveau de l'État, l'affirmation et la rénovation de ses fonctions de régulation et d'arbitrage.

 

Interdépendance

" La société française est longtemps restée centralisée, hiérarchisée et faiblement ouverte sur le monde et l'organisation du territoire est le reflet de cet état de choses : Paris, au centre des pouvoirs, organisant la hiérarchie structurée des régions, préfectures et départements. " À la logique verticale, se substitueraient des logiques horizontales : pourtant le rédacteur du document constate que " la tendance dominante demeure la polarisation dans les grandes agglomérations ".

" L'enjeu majeur consiste à passer d'une conception monolithique du territoire emboîté à une conception multi-territoriale de territoires interdépendants. " Une telle affirmation rappellera à certains les discours marquant les étapes de la décolonisation où l'on utilisait beaucoup le concept d'interdépendance...

 

Quel dynamisme démographique ?

Quelle image de la France retire-t-on du recensement de 1999 ? La configuration du réseau urbain ne change guère : nombre important de villes de taille modeste, degré très élevé de prédominance de Paris. Le rôle et le statut des métropoles régionales s'est renforcé. Mais le taux de croissance de l'agglomération parisienne est plus faible que celui des métropoles éloignées de Paris qui absorbent l'essentiel de la croissance démographique. Des " systèmes urbains régionaux " se mettraient en place ayant plus de relations internes que vers l'extérieur. L'étalement des espaces urbains entraîne une mobilité croissante.

La croissance de la population exprimerait un " dynamisme démographique ". Le Bassin parisien, l'Alsace, la vallée du Rhône, les Alpes, la côte méditerranéenne et la côte atlantique ont des populations en augmentation. Une diagonale de décroissance s'étend des Ardennes au Pyrénées, englobant l'ensemble du Massif Central. Un second axe de décroissance commence à se dessiner à l'Ouest, de la Bretagne au Limousin. Mais augmentation de la population signifie-t-il " dynamisme démographique " ? La fécondité de la population française est inférieure à son niveau de renouvellement et le vieillissement en est une caractéristique de plus en plus remarquable : peut-on parler de dynamisme démographique ?

 

Le " désert français " résiste

Les disparités économiques interrégionales sont mesurées par le Pib/habitant. Le rapport est de 1 à 2 entre l'ensemble des régions et l'Île-de-France. La concentration des capacités productives en Île-de-France reste une caractéristique essentielle du tissu économique français : 4500 sièges d'entreprises de plus de 100 salariés, contre 459 à Lille et 298 à Lyon, 22,5 % des cadres et professions intellectuelles, 35 % des personnels de recherche publique, plus de 50 % des personnels de recherche privée. On observe un resserrement des revenus des ménages, essentiellement dû à la progression des transferts sociaux et notamment des retraites.

La " santé sociale " des régions est appréhendée à travers leur degré de " fragilité ", évalué à partir d'indicateurs tels que le taux de chômage de longue durée, la proportion de Rmi, le poids des zones urbaines sensibles, etc. Le résultat est beaucoup plus contrasté : 15 régions ont un indice compris entre 1 et 2, 4 régions sont entre 2 et 3, 3 régions sont entre 4 et 6. Ces dernières, Provence-Alpes-Côte-d'Azur, Nord-Pas-de-Calais et Languedoc-Roussillon, sont particulièrement marquées par un niveau élevé de chômage. On constate donc un maintien des caractéristiques fondamentales du territoire : prédominance très marquée de Paris et de l'Île-de-France qui agissent comme centres de commandement des autres régions. Dans celles-ci, une amorce de recomposition est sensible : les groupements intercommunaux à fiscalité propre concernent plus de 20000 communes et 37 millions d'habitants. Mais s'agit-il d'une réorganisation pour le développement ou n'est-ce pas le plus souvent une nécessité de survie dans le " désert français " ?

 

Perspectives démographiques

Quelles perspectives démographiques pour la France ? La carte de la croissance démographique 2000-2020 ressemble fort au " scénario de l'inacceptable " envisagé dans les premiers travaux de prospective, il y a 30 ans : croissance au Sud-Est et sur la côte méditerranéenne, sur la côte atlantique et sur la périphérie de l'Île-de-France, renforcement de la diagonale du vide, des Ardennes aux Hautes-Pyrénées. L'examen de la structure de cette population n'est pas enthousiasmant : augmentation du nombre des retraités, développement massif d'un véritable quatrième âge. Pourtant " les migrations de retraités vont probablement augmenter, renforçant l'économie de régions dynamiques, authentiques, cohérentes [...]. L'économie de la retraite va prendre une place considérable ". On croit rêver : ne sait-on pas déjà que les retraites ne seront pas ce que l'on imagine ? Et puis quelle dynamique attendre d'une " économie de la retraite " ? Le rédacteur de cette phrase a-t-il jamais mis les pieds dans une maison de retraite ?

Il est aussi question du recours à l'immigration pour combler le manque de main-d'œuvre.

Pour faire face à la mondialisation économique, un concept à la mode : le développement durable qui assure " la survie écologique ". Le développement technologique entraîne la montée d'une " société de l'intelligence " qui favorise la concentration des hommes et des activités.

 

II- Quatre scénarios prospectifs

 

La présentation des scénarios est précédée de considérations sur les opportunités et les risques. Ceux-ci sont l'objet d'une page cartographique montrant les " fractures " territoriales déjà sensibles dans l'espace français : la diagonale dépressive, l'écart entre la capitale et le reste du territoire, l'attraction de l'Europe continentale et la mise à l'écart de la moitié occidentale du pays, les replis identitaires périphériques (Corse, Pays Basque, Alsace, Bretagne, Savoie, Catalogne).

 

Scénario 1. L'archipel éclaté

Ce serait le résultat du néo-libéralisme poussé à l'extrême. La France est faite d'espaces urbains très fortement polarisés : Paris, bien sûr, et aussi, Lille, Strasbourg, Lyon, Marseille, Toulouse, Bordeaux et Nantes. Entre ces pôles peu liés entre eux, c'est le désert. Et, à l'intérieur des mégapoles optimisant les performances économiques, les tensions sociales deviennent si fortes qu'il faut y consacrer des ressources de plus en plus importantes.

 

Scénario 2. Le centralisme rénové

Ce scénario résulterait de ce que " l'intégration européenne s'est quelque peu essoufflée [...]. L'État a été légitimé dans sa volonté de conserver un rôle prééminent dans l'impulsion et l'initiative au nom des enjeux de solidarité nationale, de cohésion territoriale, voire de protection environnementale ". Ce rôle de l'État s'exerce dans un système hiérarchisé où ont été soigneusement précisés les rôles respectifs des différentes institutions territoriales.

Le prix à payer de ce système serait l'abaissement de la marge d'initiative des collectivités décentralisées et des groupes sociaux exclus des procédures d'élaboration des moyens de reconquête des espaces délaissés. Cette conclusion paraît un peu hâtive si l'on a effectivement précisé les rôles respectifs des institutions territoriales : ne leur a-t-on laissé aucune marge d'initiative ?

 

Scénario 3. Le local différencié (un scénario néo-communautaire)

Pourquoi néo-communautaire ? Il n'y a jamais eu de " communautarisme " français. C'est le scénario de l'effacement de l'État. " Les territoires s'insèrent de façon différenciée dans l'économie mondiale [...]. Les communautés culturelles, parfois ethniques, emboîtent le pas aux communautés d'intérêt entre acteurs. L'État français se trouve relativement mal à l'aise [...]. Il se contente donc d'accompagner le mouvement [...]. L'État fait office de médiateur et d'arbitre dans les conflits d'intérêts entre communauté et féodalités qui voient immanquablement le jour entre certains territoires ". C'est la France désintégrée...

 

Scénario 4. Le polycentrisme maillé

Évidemment, après ce scénario catastrophe, apparaît la " synthèse " idéale, le " polycentrisme maillé ". " L'organisation du territoire national repose sur les territoires de projet (structures intercommunales, pays, agglomérations, parcs naturels régionaux...) alliant dans un même périmètre l'espace vécu par les habitants, la représentation politique et la solidarité financière. " Les institutions territoriales " se trouvent intégrées à de grands ensembles géographiques interrégionaux [...]. Un véritable système de villes maillées entre elles se renforce, complétant le dynamisme parisien ". Et pour conclure, " ce polycentrisme maillé entre en résonance avec l'organisation spatiale qui émerge sur l'ensemble du territoire européen ". On retrouve l'un des leitmotiv des discours sur le territoire français : trop de communes, de trop petites régions, regardez ce qui se passe ailleurs. Oui mais ailleurs ce n'est pas la France. Ailleurs c'est une autre histoire et la nôtre s'est faite en grande partie en opposition avec " ailleurs ". La patiente construction de la monarchie est bien une construction à volonté unitaire et non fédéraliste et, plus que tout, la France républicaine prône l'égalité. Que les villes jouent un rôle essentiel dans la structuration de l'espace, c'est évident, mais il ne faut pas rêver les duos ou les trios moteurs en complémentarité ou en synergie. Il y a surtout des concurrences.

 

III- Le choix de la Datar

 

C'est, bien sûr, le dernier scénario qui est préféré, aboutissant à " des systèmes interrégionaux et polycentriques pour six grands ensembles de peuplement [...]. La recomposition en ensembles interrégionaux impose un double effort : " 1/ des administrations pour conforter ces six systèmes urbains régionaux, voire interrégionaux ; 2/ des élus pour admettre que l'on passe du concept de métropoles d'équilibre au concept de métropoles polycentriques. " Voilà bien du nouveau : un niveau administratif supplémentaire alors qu'il faudrait simplifier l'État.

La Datar envisage une " recomposition " de la France sur la base de la loi Chevènement : " Favoriser l'émergence d'une quinzaine de communautés urbaines au-dessus de 500000 habitants ; puis recomposer les quelque 140 aires urbaines de plus de 50000 habitants en y favorisant la constitution de communautés d'agglomérations ; enfin créer environ 3500 communautés de communes de la taille d'un bassin de vie quotidienne. Soit au total une France de 2020 composée d'environ 3800 collectivités locales regroupées en quelque 500 pays [...]. La modernisation des services publics ne peut être entreprise qu'au niveau des 3800 bassins de vie quotidienne (niveau de l'école et de la poste) et au niveau des quelque 350 bassins d'emplois (niveau du lycée, de l'hôpital et du palais de justice) . "

À cette recomposition micro-territoriale doit correspondre une recomposition " macro-territoriale ", à l'intercommunalité doit faire pendant " l'inter-régionalité " : 1/ " inter-régionalité des bassins de peuplement " : 6 ensembles autour des métropoles, Paris, Lille, Strasbourg, Lyon, le duo Bordeaux-Toulouse, Nantes ; 2/ " inter-régionalité de massifs qui relèvent de la politique des espaces naturels et ruraux " : Massif Central, Pyrénées, Alpes, Vosges et Jura.

Enfin, " il est désormais nécessaire de resituer les grands découpages de la France dans l'espace européen " et ses grands ensembles, le Nord-Ouest européen, l'Espace alpin et le Sud-Ouest européen qui s'opposerait à la " banane bleue " concentrant puissance économique et population.

 

IV- La France et les Français

 

Au moment où la Datar propose son image de la France en 2020 paraît une analyse géographique de la population française par Gérard-François Dumont , professeur à la Sorbonne, dont l'ouvrage la France ridée sonnait dès 1978 le tocsin de la perte de vitalité française.

La géographie de la population française plonge ses racines dans un passé très lointain et connaît des périodes fastes et d'autres difficiles. En 1700, la France compte 22 millions d'habitants et les éléments essentiels de sa hiérarchie urbaine sont en place : Paris compte cinq fois plus d'habitants que la seconde ville du royaume (en 1999, le rapport est de 1 à 7). La population française est la plus nombreuse des pays européens. Le xviiie siècle voit s'amorcer une baisse de la fécondité qui, se poursuivant au xixe siècle, fait de la France du début du xxe siècle un pays au " potentiel démographique en voie d'affaiblissement ". La Première Guerre mondiale accentue cet affaiblissement général et la France de 1939 (41,5 millions d'habitants) est moins peuplée que celle de 1913 (41,6 Mh). La croissance de l'urbanisation et les mutations économiques ont amené le renforcement de la prédominance parisienne et une différentiation de plus en plus sensible entre les zones rurales en perte démographique et les régions industrielles attirant population d'origine rurale et migrants étrangers.

À la veille de la Seconde Guerre mondiale la France est un pays démographiquement et économiquement atone. Les pertes de la guerre sont moins importantes que celles de 14-18 mais pourtant, en 1945, la France compte 39,6 Mh et il faudra attendre 1949 pour retrouver l'effectif de 1911, soit 41,5 Mh.

 

10 millions d'habitant de plus en 22 ans

Et puis, pendant vingt ans, tout change : la France connaît un " printemps démographique " conjuguant haut niveau de fécondité et immigration. La population de la France atteint 50 Mh en 1968, après avoir gagné 10 Mh en vingt-deux ans. Ce renouveau se prolonge, en raison des effets d'inertie, jusqu'en 1974, parallèlement à la croissance économique des " 30 glorieuses ". Il est indubitable que l'application du Code de la famille, adopté par décret-loi le 31 juillet 1939, un mois avant la déclaration de guerre, a initié un mouvement que les dispositions financières de l'après-guerre ont puissamment renforcé. Malheureusement, le dernier quart de siècle ne maintient pas cet élan. Le taux de fécondité est insuffisant pour assurer le renouvellement des générations et le vieillissement est de plus en plus accentué. La crise annoncée des retraites en sera la conséquence.

Sur le plan spatial, on a vu plus haut que c'est dès le xixe siècle que la répartition de la population française s'est profondément modifiée en faveur des villes, de la région parisienne et des régions industrielles du Nord et de l'Est.

 

Accentuation des diversités

Les disparités spatiales vont aujourd'hui en se renforçant. L'espace français présente des contrastes beaucoup plus accentués que dans les autres pays européens. L'Île-de-France regroupe 18,6 % de la population (10,9 Mh) sur 2,2 % du territoire de la métropole. La seconde région française (Rhône-Alpes) ne pèse que la moitié de la première et la moins peuplée (Corse) n'a que 300 000 h. Sur les 22 régions métropolitaines, la moitié ont moins de 2 Mh.

On a déjà indiqué plus haut l'existence d'une " diagonale du vide ", des Ardennes aux Hautes-Pyrénées où la densité de population est inférieure de moitié à la densité moyenne française (105 h/km2). L'Île-de-France, avec plus de 900 h/km2, est une des régions les plus denses de l'Europe alors que la Corse n'a que 30 h/km2. Le rapport est de 1 à 30, au début du siècle, il était de 1 à 10. On remarque les mêmes contrastes en ce qui concerne les dynamiques d'évolution. G-F. Dumont conclut : " Au regard de l'effectif de la population, les échelons hiérarchiques sont de plus en plus prononcés : les écarts entre le nombre des habitants s'accroissent entre les régions les plus peuplées et les moins peuplées. En conséquence les différences régionales s'accentuent, comme en matière de composition par âge, de composition par sexe [...]. Comme les infrastructures d'hier hiérarchisaient le territoire, les conditions économiques et socio-politiques contemporaines introduisent de nouveaux critères hiérarchiques qui entraînent nombre de différenciations, et les régions enregistrent dans leurs évolutions démographiques les effets des discontinuités territoriales. "

L'appréhension de la réalité urbaine s'est complexifiée : l'urbanisation déborde plus ou moins largement les limites de la commune principale des agglomérations et les villes étendent leur influence quotidienne sur des espaces définis par le temps nécessaire à les parcourir plus que par les distances. L'Insee a utilisé divers concepts pour saisir cette réalité. Toutes les observations montrent un renforcement des " métropoles " : les hommes et les activités se regroupent à proximité et autour des espaces les plus urbanisés. La France des grandes villes s'accroît. Le tissu de petites et moyennes villes se dévitalise. Certes, l'étalement de l'urbanisation gagne des communes " rurales " mais c'est simplement parce qu'aujourd'hui l'urbanisation se poursuit plus loin des centres, sur de nouveaux espaces. L'utilisation de l'espace par la population se transforme : " Les hommes vivent [...] dans un espace discontinu, formé par tous les territoires accessibles par un quelconque moyen de communication autonome en un temps limité [...]. De plus en plus d'individus ont une mobilité géographique hors de l'espace économique polarisé par une ville et inscrivent leurs activités dans une pluralité d'espaces économiques et donc dans une pluralité de villes [...], ville de résidence, ville d'activité, ville de consommation, ville de loisir, ville de résidence secondaire... "

L'accentuation des diversités géographiques est un phénomène majeur. " Dans un monde dominé par la globalisation, le territoire français ne bénéficie plus du double apport des Trente Glorieuses, du dynamisme démographique et du dynamisme économique, qui augmentaient les chances des populations d'améliorer leurs conditions de vie mais également les chances de chaque territoire français de s'inscrire dans une perspective de croissance. "

 

 

 

V- Sortir du malthusianisme

 

G.-F. Dumont observe dans la France du début du xxie siècle permanences et mutations.

Permanences : 1/ le faible peuplement relatif de la France par rapport à son environnement européen ; 2/ l'importance relative considérable de la région-capitale qui exerce l'essentiel des fonctions politiques, possède l'éventail des fonctions internationales (à un niveau mondial) et conserve en conséquence un pouvoir d'influence majeur sur la vie de l'ensemble des territoires ; 3/ le haut niveau sanitaire de la France fait bénéficier les Français d'une longévité accrue.

Mutations : 1/ le ralentissement de l'accroissement naturel en raison d'une fécondité abaissée ; 2/ les différentiels géodémographiques dépendent maintenant des migrations et les changements principaux dépendent donc des redistributions spatiales ; 3/ celles-ci privilégient des espaces de polarisation : métropoles, littoraux, espaces plus ensoleillés...

 

Les leçons du passé

La politique d'aménagement du territoire est à définir en tirant les leçons du passé. Il faut d'abord des hommes pour le mettre en valeur. L'attitude malthusienne qui prévaut du milieu du xviie siècle au milieu du xxe a affaibli la France par rapport aux autres nations européennes, ne lui a pas permis de profiter pleinement de la révolution industrielle du xixe siècle et en a fait une proie désignée pour les totalitarismes expansionnistes du xxe. Vingt ans d'une politique familiale hardie où s'alliaient la reconnaissance sociale et les compensations financières substantielles lui ont donné une population rajeunie et dynamique. La France s'est reconstruite et s'est développée. Et c'est la présence de cette population jeune et dynamique qui a fait l'aménagement du territoire. L'exemple le plus frappant vient de la Bretagne. Cette région a pris conscience après la Seconde Guerre mondiale de son " sous-développement " relatif. Portée par son identité culturelle et la volonté de proposer un avenir à sa jeunesse, elle a su imposer au pouvoir politique national des arbitrages en sa faveur et, dans le même temps, moderniser son agriculture qui était alors sa principale fonction économique. Aujourd'hui la Bretagne accueille plus de retraités que de nouveaux-nés : son dynamisme s'est altéré.

 

Vers un " centralisme rénové "

Parmi les scénarios envisagés par la Datar, c'est sans doute celui du " centralisme rénové " qui semble le plus réaliste : la primauté parisienne et le rôle moteur de l'État sont inscrits dans l'histoire de notre pays. Ce n'est pas incompatible avec la décentralisation : les compétences et les moyens de les exercer sont à définir clairement. Les objectifs de l'aménagement du territoire resteront " de mieux intégrer les espaces périphériques ou délaissés, de limiter le développement anarchique des flux et de leurs effets en terme de polarisation, d'assurer la cohésion nationale ".

Reconnaître le rôle moteur de l'État et de la région Île-de-France dans le développement de notre pays n'est pas faire preuve de " jacobinisme " mais tenir compte d'une réalité enracinée dans l'histoire et constitutive de la nation. Le pôle parisien est un tout dans la mesure où il atteint un " poids " mondial. La structuration de l'espace mondial se fait sur la base d'un réseau de très grandes villes, cumulant des fonctions de commandement politique, économique, culturel. Ce point est bien mis en valeur dans le document de la Datar qui remarque que, à l'heure actuelle, en Europe, Paris et Londres sont les deux seuls pôles d'intégration mondiale.

La France est dotée d'un vaste territoire relativement peu peuplé : sa densité est 2 à 3 fois moins élevée que celle de ses plus importants partenaires européens. La réduction massive du nombre des agriculteurs a fait craindre une "déprise" des espaces ruraux. Jusqu'à présent cette crainte est infondée bien que des changements significatifs de l'occupation du sol aient été observés : par exemple l'extension continue des surfaces forestières. La gestion des espaces ruraux nécessite une attention permanente assurée par les municipalités. Le quadrillage des 36 500 communes permet une connaissance fine des évolutions de notre territoire. Une détermination claire des compétences des différents échelons territoriaux doit s'assortir des ressources nécessaires à leur gestion pour que la décentralisation porte ses fruits.

 

Justice sociale et territoires

La décentralisation a donné des compétences aux collectivités locales mais peu de moyens. Elles doivent maintenant les conquérir. Les pouvoirs locaux et régionaux se sont affirmés mais on a vu aussi pointer leurs dépenses somptuaires et des gestions peu rigoureuses. Les métropoles régionales peuvent être de vrais pôles de développement à condition d'être des centres d'animation des villes petites et moyennes de leur région. Ce n'est pas le cas aujourd'hui. En effet l'aménagement du territoire se fait aussi silencieusement à travers les innombrables décisions de vie des entreprises et des ménages. Ainsi, comme le fait remarquer G.-F. Dumont, la nécessité du double salaire dans les ménages pour maintenir leur niveau de vie est un puissant facteur de développement des métropoles les plus importantes : trouver deux emplois sur le même site ne peut se faire que sur un important marché du travail, celui des grandes villes. Il est certain qu'une politique familiale compensant réellement les surcoûts engendrés par les charges d'éducation des enfants donnerait une bien plus grande liberté d'installation géographique aux familles car elle n'obligerait pas à la recherche d'un double salaire.

La véritable richesse d'un pays, d'une région, ce sont ses habitants. Pour maîtriser et mettre en valeur son territoire si riche et si divers, la France a besoin d'hommes actifs, conscients de la valeur de l'héritage que leur vaut leur qualité de Français. L'aménagement du territoire de la France, en ce début de siècle, nécessite que les Français retrouvent le " goût de la vie " pour prendre en main la construction de leur avenir.

 

J. Fl.

ation de la France, Ellipses, Paris, 2000
. Cf. M. Schooyans, la Face cachée de l'ONU, Fayard, 2000.

. Le département et le canton, créations de la République, sont de plus en plus mis en cause en tant que structures administratives pertinentes. Liberté politique abordera ultérieurement cette question.

. Gérard-François Dumont, la Population de la France, Ellipses, Paris, 2000.