DEUX ANS APRES LA CHUTE DU COMMUNISME, c´est-à-dire en 1991, a eu lieu dans ma ville natale de Bratislava, un congrès sur l´humanisation de la médecine, organisé par notre association non gouvernementale Donum Vitae en collaboration avec Pro-Vie France.

Ce congrès fut pour moi une occasion unique de rencontrer de vrais chrétiens français, pratiquants, apôtres des idées du christianisme moderne.

Après de longues années où je fus absorbée par les tâches de mère de famille nombreuse, cet événement me marqua. Par la suite, je méditais souvent sur une idée présentée à cette occasion, et qui m'était apparue comme " prophétique " ; elle me revint à l´esprit dès l´annonce du présent colloque ; je la cite de mémoire : " À l´époque où les forces du mal s´acharneront sur la famille, sur les époux et sur l´enfant, nous serons témoins d´un grand souffle de l´Esprit. "

Plus tard, je cherchais à rester informée des courants d'idées et des événements importants grâce à la littérature d´origine française, à l'excellent journal Famille chrétienne, et grâce aussi aux contacts avec le Mouvement mondial des mères (MMM) qui a son siège à Paris, et dont notre organisation Donum Vitae devint membre. J´eus la chance de participer au IIe Forum européen pour la vie et de recevoir régulièrement les informations sur les combats pour la famille et pour la dignité humaine. Nous les suivons avec grande reconnaissance envers Mme Montfort et ses collaborateurs.

J´ai souvent admiré la profondeur des idées, des œuvres, et des activités concrètes des chrétiens de France, " fille aînée de l´Église ". Parfois, j´étais même frappée par l´audace et la forme des pensées des " prophètes " de notre temps. Je citerais par exemple le docteur Xavier Emmanuelli, auteur du Dernier avis avant la fin du monde couronné par le prix catholique de littérature ; Le Festin de Kronos du professeur Gérard-François Dumont, l´un des premier livres traduit en slovaque. Enfin, j´étais impressionnée par les commentaires de l'Apocalypse de saint Jean que faisait le père Marie-Dominique Philippe, nommant ce livre biblique " le livre de l´espérance ". Permettez-moi de citer quelques-uns de ses propos :

" L´attaque la plus pernicieuse [de notre temps] est dirigée contre la Femme qui représente le mystère de l´amour et la fécondité. [...] On le voit bien aujourd'hui avec l´avortement, les manipulations génétiques, la normalisation des mères porteuses... [On] en est arrivé à ce que la Femme revendique la masculinité, pour ne plus s´intéresser à son propre mystère. Or, la destruction de la Femme entraîne celle de l´humanité, car elle est gardienne de ce qu´il y a de plus profond dans le cœur de l´homme.

" L´alliance fondamentale de Dieu avec l´homme, c´est la procréation : les créatures de Dieu, l´homme et la femme, sont sources de vie et participent elles-mêmes à la création de Dieu. " Cela, explique le père Philippe, l'Ennemi de Dieu ne le supporte pas : " Cette alliance foncière, ce mystère de la fécondité, il va l´attaquer le plus violemment et le plus "intelligemment" possible. À tous les niveaux : biologique, spirituel... "

On voit une haine de la fécondité, parce que la fécondité, c'est l'amour plénier ; or, l´Ennemi de Dieu refuse l´amour. " Pourquoi l´Église a-t-elle toujours dit que les familles nombreuses étaient bénies de Dieu ? " dit encore le père Philippe ; " parce que, justement, cette fécondité est offerte à Dieu. Or, toute la politique sociale et économique de notre monde va contre les familles nombreuses... "

Enfin, le père Philippe dénonce " l´Homme [qui] veut prendre possession de la vie et de la mort, dominer de la conception aux derniers instants... " Mais " le réalisme de la Femme vient à son secours, pour la faire redescendre sur terre, quitter ces idéologies, ces inventions de l´homme qui l´asservissent. " Ainsi, le réalisme de la femme, sa vision concrète, pratique, son intuition des choses essentielles sont comme une réponse aux signes des temps.

 

Après cette introduction un peu trop longue, pour exprimer l'" écho " que trouvent les pensées françaises en Slovaquie, je reviendrai sur ma première idée : l´acharnement du mal sur la famille.

 

 

 

La souffrance de la famille et de la jeunesse

 

En 1989, en Slovaquie, après la révolution dite " de velours ", on n´a pas vécu la guerre comme la proche Yougoslavie. Mais s´il existe des bouleversements et des guerres au niveau spirituel, on en a vécu de nombreux, sous forme de l´éclatement des relations jadis solides... Car les transformations économiques brutales ont causé une dévastation des relations humaines. On a vécu très rapidement l´exclusion et marginalisation. Un capitalisme sauvage, poussant sur les ruines du système marxiste, a eu pour conséquence, notamment, la forte chute de l'indice de fécondité passé, en 10 ans, de 2,1 à 1,4. Le taux d´avortements reste toujours très élevé. Le nombre des chômeurs − phénomène inconnu jadis − est passé à 18 %, avec de graves répercussions sur la famille. Malgré l´arrivée de la liberté religieuse aussi très désirée, on subit toujours – mais de façon plus cachée –, une sorte de discrimination à l'égard des chrétiens. Les manifestations de l'athéisme sont plus subtiles.

On a vu accroître démesurément l'inégalité causée par une privatisation injuste, par le processus de globalisation, et par le retard de nos 40 années derrière le rideau de fer. Sur les postes clés de la société sont réapparus d'anciens communistes... On a vu une grande dégradation des valeurs culturelles. Souvent, le salaire est inversement proportionnel à l´importance concrète du service rendu à la société ; il y a, par exemple, un déséquilibre profond entre les salaires dans le secteur bancaire et le secteur de la santé. Les cadres universitaires, les médecins d´État sont très souvent moins payés que ceux qui font un travail de bureau dans le secteur de la finance. Les inégalités sont à l´origine d´une démotivation de la jeunesse, provoquent la " fuite des cerveaux " à l´étranger.

 

Peut-être ma vison est-elle trop pessimiste, mais je suis médecin en clinique de psychiatrie infantile, et là, on voit la partie émergeante de l'iceberg des maux de notre société : les tentatives de suicide des jeunes (un phénomène effrayant, au sujet duquel la France a organisé un grand congrès, en septembre 2000, durant sa présidence européenne ; ce congrès a réuni 800 participants, venus de toute l´Europe). Les enfants sont victimes des péchés individuels et sociaux... Ils aspirent à la justice, l´autorité, l´amour, même de façon très provocante. Nous sommes vraiment conduits à réfléchir sur le mystère de l´iniquité et à chercher des signes d'espérance.

N´est-ce pas, justement, un résultat de ces effets " diaboliques " que la destruction de la famille dont parle le psychiatre français Dominique Megglé ? Car la destruction de la famille est aujourd´hui organisée systématiquement, même à l´aide des lois... Elle se trouve dans l'air que nous respirons chaque jour... Ainsi nous en arrivons à ce terrible paradoxe : notre société organise sa propre destruction, fabriquant " en série " des " handicapés de la vie "... qu'elle demande ensuite au psychiatre de remettre debout !

 

 

 

L'espérance : un vain mot ?

 

Dans ce contexte, où chercher des signes d´espérance ? Je peux affirmer que, sans référence à Dieu et aux valeurs chrétiennes, aujourd'hui comme dans le passé, il est impossible d'espérer.

Notre nation, dont 70 % de la population s'est proclamée catholique au dernier recensement, a survécu pendant les siècles surtout grâce à sa foi chrétienne. Permettez-moi ici une parenthèse historique : mon pays fut christianisé au IXe siècle par les saints Cyrille et Méthode ; ces deux grands hommes venant de Thessalonique ont eu pour nous la même influence déterminante que saint Benoît pour l´Europe de l´Ouest. Ils ont créé notre alphabet, traduit toute l´Écriture Sainte en vieux slavon ; ils sont à l´origine de l´inculturation de l´Évangile. Ils ont introduit dans notre culture les structures de la vie civile et religieuse (règlements administratifs et ecclésiaux).

La Slovaquie avait une position centrale dans l´Empire de la Grande Moravie parmi les Slaves. Par l'influence des saints Cyrille et Méthode, l´Empire a gagné une place privilégiée : à cette époque, l´ancienne langue slave − le slavon − fut la quatrième langue liturgique après le grec, le latin et l'hébreux ; les textes liturgiques devinrent compréhensibles pour le peuple : c´était, au IXe siècle, l´anticipation du concile Vatican II ! La symbiose de l´année liturgique et de l´année civile a ses racines dans cette tradition.

 

 

 

Vivre du christianisme

 

Mais la déclaration d´une appartenance aux racines chrétiennes ne nous suffit pas. Il faut aussi vivre les valeurs du christianisme, la doctrine sociale de l´Église ; il faut travailler patiemment pour surmonter les graves conséquences de l´athéisme sous diverses formes dans cette " lutte des derniers temps ". Il faut se rendre compte que les valeurs chrétiennes sont à la base de nombreuses chartes et déclarations, et il faut les découvrir, les apprécier : voyons la Charte sociale européenne, la Charte éthique des travailleurs de la santé, ou bien la très belle Charte de la mère, promue par le Mouvement mondial des mères.

En parlant de " l´égalité des chances " pour la femme − thème moderne à tous les niveaux − il faut valoriser les qualités particulièrement féminines : la générosité, l´amour, la valeur du travail souvent familial et caché, mais aussi associatif, volontaire. La femme, elle, sait bien que la souffrance est la clé de la vie... ; que ce n´est pas " la violence structurée de l´Église ", comme l´avait définie une compatriote militante de l´IPPF slovaque très active, très inquiète et agacée par le récent − et d´ailleurs très bon − traité fondamental entre le Vatican et le gouvernement slovaque. La femme, elle, sait que la vie d´un enfant handicapé peut avoir un prix plus élevé que la vie d´un chercheur, d'un inventeur...

Permettons donc à la femme de proclamer d´autres droits : le droit d´avoir un enfant, le droit d'avoir le nombre d´enfants qu'elle désire, le droit de prendre du temps pour cultiver ses relations avec ses proches, le droit à une qualité de vie décente – même avec plusieurs enfants. À tous les niveaux, il faudrait promouvoir la responsabilité de la mère de famille à l'égard de la génération future. Comme se plaît à le souligner le MMM-France : " L´équilibre de la société passe par l'équilibre de la femme. " Aidons alors efficacement la mère dans son rôle. Elle le mène souvent dans des conditions épuisantes, physiquement et psychiquement, pouvant aller jusqu'au syndrome du burn out connu chez les chirurgiens de guerre, dont on parle de plus en plus dans les organisations féminines. Aidons d'une vraie estime la femme, car elle subit les conséquences de l´expulsion du paradis : " et l´homme dominera sur toi " et... c'est elle qui supporte tout le poids de la régulation des naissances et de la contraception !

Combien d´incohérences dans la vie d'un homme débordant de santé, d´énergie, orienté vers l´efficacité, vers la domination du monde, le progrès technique, ne voulant montrer que sa force ou sa raison... tout ceci en détruisant la nature ! L´homme utilise parfois la technique pour des loisirs dangereux, des sports nocifs ; il veut briser tous les tabous dans ses projets de recherche scientifique, ne voyant guère les réalités essentielles : la recherche de la vérité, l´adoration, la beauté, l´amour, et même la souffrance, cette valeur non désirée et pourtant estimée dans notre Slovaquie ravagée pendant des siècles par les différentes tribus asiatiques... et dont la Patronne est Notre-Dame des Sept-Douleurs.

 

 

 

Pour l'équilibre de la société

 

Si j´ai peut-être injustement souligné l´importance de la femme, ce n´était que pour parler de ces valeurs. Car, on veut vivre un renouveau. À l´époque du communisme, la femme, contrainte par l'État à travailler, ne pouvait pas remplir pleinement sa mission en famille. Le communisme était hostile à la famille malgré ses déclarations contraires. Par leur travail, les femmes ont pu atteindre de hautes qualifications. Une grande partie d'entre elles ont reçu une éducation professionnelle et une érudition relativement élevée, mais le communisme était totalement insensible à la vie humaine (souvenons-nous des goulags et des prisons), comme envers la vie naissante dans le sein de la mère. Les avortements, légalisés dans les années 30 dans l´Union soviétique, et dans les années 60 en Slovaquie, ont atteint des chiffres effroyables, car ils ont remplacé d´autres méthodes de régulation des naissances.

C´est pourquoi, comme le déclare notre " Société slovaque pour la famille et pour la parenté responsable " regroupant 26 associations engagées en faveur de la famille, nous voulons :

- respecter les droits des membres de la famille et les valeurs de la vie naissante à tout stade de son développement ;

- créer un milieu éducatif favorable au développement humain, où l'on transmette aux enfants des valeurs culturelles et éthiques : la confiance, le goût de la coopération, la communication ;

- créer un milieu éducatif qui prévienne la violence.

 

- Nous proclamons aussi, pour la mère, le libre choix de toute activité professionnelle ou autre, en concertation avec son conjoint, et en dehors de la contrainte des conditions économiques et sociales ;

 

- nous souhaitons la réalisation progressive de ses aspirations en tenant compte de sa santé, de sa famille et des besoins de la société ;

 

- nous voulons accepter les valeurs démocratiques de l´Union européenne, dont nous attendons le respect des valeurs nationales et chrétiennes que nous estimons pour leur richesse et leur apport à la culture de la grande Europe future.

 

- Dans le contexte européen, nous considérons comme justifiée la demande de nos responsables politiques − non seulement ceux du Parti chrétien démocrate − que des pays candidats puissent garder leur compétence propre et souveraine en ce qui concerne les valeurs culturelles et éthiques, particulièrement les valeurs de la famille (normes législatives incluses).

 

 

 

Aussi, nos politiciens du parlement slovaque se sont prononcés à une grande majorité (3/4 des députés), pour que Dieu soit mentionné dans la future constitution de l´Europe, comme Source des valeurs fondamentales, d´une unité spirituelle et d´un héritage religieux. Car une Europe sans ces valeurs, réduite à n'être qu'un espace économique, ne pourrait aucunement conserver sa cohésion. La liberté sans limites, sans normes éthiques et morales nous amènerait à la destruction de la cohésion sociale, et aurait d´autres conséquences graves.

" Sans prophètes, le peuple devient sauvage " (Prov. 29, 18) comme le dit J.-G. Cascalesa (Wesentliches für wache Christen). En cela consiste le vrai rôle du prophète : avoir le courage de se sentir concerné par les défis politiques et sociaux. Le courage d´apporter le message de l´espérance − non pas un message de menace, de condamnation et de peur − mais un message de lumière pour surmonter les angoisses. Le courage de vivre le message, quoi qu´il en coûte.

 

A. K.