"ON NE LIT PAS L'AVENIR dans le marc de café, mais dans les colonnes de l'état civil, dit Pierre Chaunu citant Alfred Sauvy. Malheureusement l'état-civil a moins d'attrait que l'idéologie du plaisir : peu de gens y vont constater comme les naissances se raréfient.

" Pour l'historien-démographe, " le désir de l'enfant chez la femme la place au cœur du plan divin, au sommet de la grandeur humaine " . Sa conviction est que la solution à la crise démographique planétaire, essentiellement culturelle, passe par la redécouverte, simultanément morale et téléologique, de ce désir. Alors la vie retrouvera son sens.

Une infinité de données psychologiques, sociales pèse sur l'homme – " singulièrement plus complexe que la descendance de Malthus l'a imaginé ". Exemple : le camouflage de la mort lié à la déréliction de la foi religieuse fait dire à un médecin, " l'Occident nourrit le fantasme d'une survie indéfinie et sans descendance, grâce aux greffes et aux clonages ". Si l'humanité est passée presque partout de l'explosion à l'implosion démographique, la culture en est responsable. Yves-Marie Laulan : " La dénatalité est la conséquence de la mutation morale de la femme blanche : il faut qu'elle s'accomplisse, mais, surtout pas, en faisant des enfants . " À sinistre culturel, réponse culturelle. En 2001, recevant Liberté politique, Pierre Chaunu évoquait Jérôme Lejeune pour qui le salut viendrait de " la sélection surnaturelle " ; le cardinal Ratzinger rappelait alors aux chrétiens qu'ils étaient " le sel de la Terre ". Chez nous, la réponse sera donc chrétienne.

Quoi de neuf à la question démographique pour que Pierre Chaunu, avec la collaboration de son épouse, publie Essai de prospective démographique ? C'est que la Population Division de l'ONU , organisme " hyper-malthusien " ne peut plus le dissimuler : l'humanité entière a cessé de remplacer les générations, la vie commande de chercher une issue !

 

" La perte du dernier vestige des conduites instinctives "

 

Des années durant, l'ONU espérant " un miracle " a promis le bout du tunnel pour 2050 ! Ce credo était fondé " sur l'hypothèse approximative d'un état vaguement stationnaire ", arrêtée à l'aide de projections de " l'autorégulation " qui aurait joué en Europe avant la Première Guerre mondiale et ses tueries. Supercherie : l'évolution européenne considérée n'était pas " le passage d'un équilibre à un autre, mais (on va le voir) d'un équilibre à un trou ". Autre supercherie, la " globalisation " : elle universalise les caractéristiques d'un " secteur de culture ayant pratiqué le retard de l'âge du mariage, avec célibat définitif féminin et valorisation d'un contrôle strict de l'acte sexuel ". Le " mariage tardif " n'existe ni dans le monde musulman ni en Chine où (jusqu'à présent) le " célibat féminin définitif " est impensable. Supercherie encore, la relève des générations assurée par un TFR (total fertility rate) à 2,1 enfants par femme : la relève passe par un taux de " 2,3/2,3+ " en raison d'abord de la mortalité périnatale. En outre, ce 2,3+ ne représente rien, dans l'actuelle société chinoise par exemple, où les avortements sélectifs pratiqués au détriment des naissances féminines entraînent une masculinité excessive. Idées reçues, les jérémiades sur les misères du tiers-monde liées à " l'explosion " démographique, les apaisements liés aux accroissements numériques globalement constatés : vieillissement et flux migratoires bientôt déficitaires dissimulant le non-remplacement. L'état civil l'indique, le mal est mondial. Si l'humanité entière est touchée, il n'y aura pas de solution planétaire. L'objectif est universel, le salut, fonction du crédit que le pouvoir politique de chaque " patrie " donnera aux mesures natalistes.

Pour constater la situation, Pierre Chaunu nous invite à un tour du monde, sphère culturelle par sphère culturelle. Cela ne signifie pas que de l'une à l'autre il n'y ait pas de constantes. L'impérative nature culturelle de la réponse en est une. Une autre que sous tous les cieux, la situation est tributaire d'une date-charnière. Le 3 mai 1960, la pilule de Pincus a été mise en vente libre aux États-Unis. Elle a ouvert la boîte de Pandore. Dissociant fécondité et plaisir, elle a causé " la perte du dernier vestige des conduites instinctives ". Surtout, elle a renversé le rapport psychologique à la contraception, traumatisante jusque-là parce qu'aléatoire et souvent saisie comme attentatoire à la vie, légitimé " le droit à la non-maternité " . Elle a répandu la thèse du " bonheur par l'empêcher de naître ", et, enfin, légitimé et élargi " l'éventail des moyens qui radicalisent le droit de refuser la vie, anéantissent la vie commencée par inadvertance " – considérés auparavant comme des crimes. Le geste quasi imperceptible de la prise journalière d'une pilule a masqué un phénomène culturel majeur. " 1960 demeurera une date comme celle de la révolution pastorienne et des antibiotiques sur l'autre rivage, celui de la vie. "

 

La souche européenne

 

Suivons d'abord nos auteurs aux États-Unis, 280 millions d'âmes en 2002. Le TFR à 3,5 lors du baby-boom des années 1950, chute à 1,8 dans les années 1970, puis remonte à 2/2,1. Aujourd'hui, malgré 43 % de femmes fécondes et sans enfants, il se situe à 1,9. Ce 1,9 " très honorable parmi les pays développés " n'en traduit pas moins le " lent suicide des peuples qui ont renâclé devant le devoir d'assurer la relève ". La courbe ne se redressera pas " sans un coup de pouce venu d'une volonté politique ". Les pouvoirs publics font-ils ce que l'avenir attend d'eux ?

Voyez le travail à temps partiel qui permettrait aux femmes de combiner maternité et activité au-dehors : " Une société assoiffée du seul rendement immédiat l'accepte difficilement. " La même courte vue se manifeste dans des actions autrement condamnables : les Américains WASP comptent sur les latinos pour combler le déficit de leur natalité : les 15 % de femmes issues de l'immigration latine donnent 19 % des enfants. Mais ces latinos inquiètent, " ils font tache d'huile ". S'ensuivent les campagnes pour la diffusion en Amérique latine des moyens de contraception, y compris la stérilisation massive.

Calcul à la Gribouille, " cette fausse bienfaisance digne d'un procès de Nuremberg " : les Latinos s'intègrent et rejoignent (lentement, c'est vrai) dans leur malthusianisme les neveux d'Uncle Sam. En finançant les campagnes de stérilisation au sud du Río Grande, les WASP concourent à tarir la source du relatif équilibre de leur population. Sans en empêcher la latinisation progressive. Les couples latinos/natives qui se multiplient conservent souvent jusqu'à la troisième génération une croissance naturelle plus rapide que les WASP : ces derniers constitueront à peine la moitié de la population des États-Unis en 2050. Au-delà de cette date ? Le Population Reference Bureau envisage une croissance continue et 570 millions d'âmes en 2100 grâce au solde migratoire. Quels immigrants ? Plane le flou. Cette croissance, estime le Bureau, représente une menace pour l'environnement, mais beaucoup la jugent inséparable de la prospérité et " à peine suffisante ". Mieux vaut tard que jamais, mais il est très tard : le nombre augmente des femmes qui ne veulent pas d'enfant. Le Bureau milite pour le retour au TFR 2,1, évoque comportements de la génération du baby-boom, charmes de la vie de famille, mais le mariage se porte mal. Si (les malthusiens sont obligés de l'admettre) le taux de fécondité 2,1+ est considéré désormais comme la condition de la poursuite de l'aventure américaine, les Américains n'ont pas retrouvé le chemin de la croissance démographique, trop d'entre eux lui préférant la fable du " développement durable ".

Deux " nations-sœurs " aux États-Unis : Australie, Canada. Le Canada connaît une fécondité de la pire modalité : 1,79 en 1990, 1,60 en 2002. Au Québec, en 1960, le TFR est à 4, en 1970, à 2,08, à 1,63, en 1980, à 1,35, en 1987. Puis il oscille, 1,6+, 1,43, 1,47. La catholique Belle Province a, comme l'ensemble Italie-Espagne-Portugal, rejeté en 1968 Humanæ vitæ qui prohibait l'usage de la pilule . Les naissances y sont de plus en plus tardives. 25 % des couples de 30/34 ans, 50 % des 35/39 ans, 47 % des femmes ayant eu deux enfants sont stérilisés. On peut, dans un pays de tradition catholique, risquer l'hypothèse d'" une imbécile condamnation du plaisir ", dénoncer aussi " l'absence totale de politique familiale ". L'Australie et ses 19 millions d'habitants sur 7,75 millions de km2 apportent peut-être une autre explication. Les sociétés assez libres issues du Nord de l'Europe y ont un TFR supérieur à ceux des sociétés de strict respect du mariage. Motif ? Les adaptations au sein de la tradition protestante ont été souvent hâtives, désordonnées ; dans la tradition catholique, le comportement réglé, longtemps efficace " jusqu'à Humanæ vitæ, boulevard grand ouvert à la stérilisation à la chaîne ".

L'Europe – c'est là que s'est opérée la synthèse dont est issue la culture dominante. Peut-on attendre de cette souche la mise en branle " d'un autre avenir " ? En 2002, avec la Communauté des Quinze que mène une bureaucratie, " dernier retranchement des théories néo-malthusiennes " , l'Islande, le Lichtenstein, la Norvège, la Suisse, l'Europe occidentale comptait 390 millions d'âmes ; on en dénombrait 121 millions en Europe centrale, 86,5 en Europe orientale, 145 en Russie : soit, 742,5 millions. Avec les États-Unis et l'" extrême-occidental " Japon à 126 millions, on dépasse le milliard. Ce milliard " a conduit le bal du déficit démographique en répandant des images qui font du refus de la vie émergente le secret du bien commun " – culpabilité d'autant plus patente que, depuis le XVIIIe siècle, l'Europe conduit tout, y compris les formidables victoires sur la mort que symbolisent Jenner et Pasteur. En 1750, ses 149 millions d'habitants représentent 19,4 % de l'humanité ; en 1914, à 450 millions, ce taux passe à 25 % – auxquels pour la souche européenne il convient d'ajouter les 7 % de l'Amérique du Nord. A priori, la chute s'amorce en 1914-1918 : 8 millions de morts et 2 millions de victimes de la grippe espagnole. La chute s'accentue en 1939-1945 : 60 millions de victimes. Mais ces pertes s'inscrivent dans une tendance de " repli relatif " qui s'esquisse en France avant 1750 et ne se dément plus après la saignée de la Révolution et de l'Empire et un demi-palier jusqu'à 1825. Puis le déclin se fait plongée après 1870. L'Angleterre s'incline en 1870, l'Allemagne vers 1885. En 1920, les Européens, 24 % de l'humanité, ne comptent plus que 22 % des naissances. En 1960, les pays qui seront les Quinze groupent 316 millions d'habitants, un peu plus de 10 % de la population mondiale. La proportion, en 1980, passe à 7,9 % et tombe (376/6000 millions) à 6,2 % en 1999.

La chute française ralentie autour de 1950 s'accuse à partir de 1960-65. Le pays vieillit dans l'indifférence du grand nombre, les mensonges de ceux qui prétendent le conduire. L'immigration compenserait notre TFR à 1,9. On le souhaite sans trop l'avouer, on pressent les dangers. La triste république a-t-elle perdu tout pouvoir assimilateur ? Pierre Chaunu le suggère qui, en 1981, nous invitait " à réapprendre le Sens, en dehors de l'espace et du temps, à ne pas oublier la liberté, à redécouvrir la vie " . L'Angleterre, relativement épargnée en 1939-1945, " compte sur un flux d'émigrants des quatre coins du monde pour ne rien faire, heureuse des années moins mauvaises 1980-1990 ". Son TFR, à 1,82 en 1990, était à 1,72 en 2002. L'Allemagne a plongé sous le seuil de remplacement à long terme dès avant 1930, elle a comblé ses pertes de 1939-1945 par le rapatriement de populations chassées de Pologne, de Bohème, du Danube, de la Volga. 82 millions d'Allemands bénéficient à ce jour, avec un TFR à 1,38, d'une faible croissance due à l'excédent migratoire (+104 000, en 2002) qu'absorbe largement l'excédent des décès sur les naissances. " Après les pertes subies, le pays ruiné et surtout abaissé, c'est la racine de la vie qui est ébranlée. " L'essor économique, la réunification n'y changent rien, un " ressort est cassé. "

L'Europe occidentale se porte mieux que ses voisines, Europe centrale, Europe orientale, Fédération de Russie qui est en chute libre. Avant 1914, la natalité russe tourne autour de 50 ‰, la mortalité de 35 ‰, le solde est très positif. Quand en 1991, elle est libérée du communisme, son TFR est à 1,90 ; il est à 1,34 en 1995, 1,21 en 2000. La Russie connaît 2+ avortements pour 1 naissance. Le seuil de non-remplacement a dû être franchi en 1960-1970 — allez savoir avec les statistiques soviétiques ! L'empire rouge " s'est brisé sur un choc infime et une incoercible lassitude ". La faillite de la fécondité russe est " sans précédent dans l'histoire ". Hier, le socialisme lui assénait " le choc psychologique de la disparition de l'avenir ", aujourd'hui, le brutal passage au marché est riche " en moments difficiles anxiogènes ". Comment dans ces conditions désirer un enfant et, s'il se présente, comment éviter (l'avortement existe) de se résoudre à " ne pas le laisser naître " ? Avec le même indice que les Anglais, 1,73 en 2002, les Russes sont autrement mal lotis : leur espérance de vie diminue, grimpe le taux de mortalité périnatale. Dimiter Philipov du Max-Planck Institut refuse le pessimisme absolu : cette " basse fécondité " est " un vide momentané ", conséquence de " l'abolition d'un système totalitaire qui nie à l'homme sa qualité de sujet ". On voudrait le croire, les chiffres n'y aident guère . Pierre Chaunu espère, pour tout l'Est européen, après " un passage dans la jungle sans l'encombrement des enfants ", que se fasse jour la volonté de " vaincre un fatalisme désabusé dû au communisme à 90 %, à l'orthodoxie à 10 % ", mais ne nourrit guère d'illusion : les projections révèlent que la Russie, en 2050 ne compterait plus que 118 millions d'habitants.

Les Europe ne remplacent plus les générations, pourtant, depuis 2000, la situation a cessé de se dégrader. Le bloc occidental, sauf sur sa face méditerranéenne, a un solde positif – que l'immigration couvre à 60 %, le recul de l'Est s'est atténué. Reste le Sud, 107 millions d'âmes. Considérons l'Espagne, 40 millions d'âmes, l'Italie, 57 . Au XXe siècle leurs TFR connaissent une chute similaire : parties, en 1910, l'Espagne de 4,29, l'Italie de 4,35, on les retrouve en 1990, la première à 1,19, la seconde à 1,21. Elles en sont en 2002 respectivement à 1,16 et 1,18. Le nombre des décès excède celui des naissances. On a pudiquement parlé de " report dans la constitution de la famille ", pour dissimuler la puérilité des 20-34 ans qui, vivant souvent jusqu'à plus de trente ans chez leurs parents, fuient les responsabilités d'adulte. Le mariage se porte bien, mais est jugé " fécond " avec un seul enfant. Le taux moyen est à 1,17/1,18. Si, à l'Est, la chute de la natalité est une réponse à la misère, elle est jugée, au Sud, comme " le seul moyen d'ajustement au style de vie des populations riches ".

Devant un phénomène de cette ampleur, on attendrait " une prise de conscience, un discours ", c'est " le silence ". Celui de l'Église, celui des politiques. Parler ne doit pas être politically correct, on a hué Berlusconi quand il a voulu soulever le problème ! Dans ces pays, le conformisme culturel a longtemps et lourdement pesé sur un comportement nataliste. Vont-ils réagir, se rappeler le temps des mammas fières de leur tribu ? Souhaitons qu'ils suivent l'exemple du Japon. Traditionnellement soumis lui aussi " à un encadrement puissant et à un respect identitaire élevé " l'un et l'autre natalistes, il vient, après avoir sombré jusqu'à être le peuple le plus âgé de la terre, de prendre conscience du danger qu'il court.

" La population de la terre n'est pas la somme de populations sans rapports entre elles ", les néo-malthusiens l'ont compris. Quand leurs discours annonçaient : " Il n'y a jamais eu tant de misère sur la planète en raison de la prolifération humaine ", que de dupes ils ont faits à Pékin, Delhi, Brasilia, ailleurs. Ce que cette communicabilité a fait dans le sens de la stérilité, elle le peut dans celui de la vie. Réagissent les pays méditerranéens, on les imitera en Amérique australe où l'accélération de la croissance démographique a, notamment au Brésil , déterminé des stérilisations par dizaines de millions, où Humanæ vitæ a eu le même effet qu'en Italie, en Espagne, l'Église gardé le même silence. Là-bas sont concernés, non 107 millions d'êtres, mais 525. Beaucoup voient encore en l'Espagne la Madre Patria, son exemple ne serait pas sans portée. Le sursaut ne relèverait pas du miracle. Brésil, Chili ne remplacent pas les générations, mais sont à 2+. Les grands, Mexique, Argentine, Venezuela, sont " tangents positifs ", 2,57, 2,40, 2,41. À l'autre bout du tableau, le petit Paraguay, à forte composante indienne, est à 4. Si la mortalité périnatale est importante, avec un seuil à 2,19, il " recouvre " largement.

 

Monde islamique et Asie

 

Le monde islamique, 1,3 milliard d'hommes, en Afrique, en Asie. Entre l'espace européen aujourd'hui déchristianisé et l'espace musulman actif, voire activiste, forte interpénétration souvent conflictuelle. Le 11 septembre 2002 a ranimé une peur ancienne. Le premier islam s'est développé en zone chrétienne, la chrétienté n'a pratiquement entamé aucune zone musulmane. En Afrique noire, comme au Maghreb, en Afrique orientale, l'islam est chez lui. L'Européen lambda imagine des populations islamiques foisonnant d'enfants prêts à venir chercher chez nous la manne dont Allah refuserait de les pourvoir. Des chiffres en nos mémoires concourent à cette inquiétude : les Algériens étaient 10 millions en 1962, 20 millions en 1983, 30 en 1998... Certes, mais voyez l'état-civil ! Chez eux comme chez nous, le TFR s'est effondré : à 5+ en 1967, 4,33 en 1990, il est à 2,63 en 2002. Le Maroc de 4,38 en 1990 est passé à 2,97. La Tunisie a cessé de renouveler les générations. La Libye, 6 millions d'âmes et un seuil de recouvrement à 2,3, l'Égypte, 70 millions, seuil à 2,5, assurent la relève, mais ont vu de 1990 à 2002 leur TFR passer respectivement de 4,97 à 3,56, de 4,19 à 2,99.

" J'ai peur pour l'islam ", écrit Pierre Chaunu. " La rapidité avec laquelle les filles en Espagne, en Italie, en Grèce, ont répudié les valeurs de leurs mères pourrait bien se retrouver au Maghreb, avec des conséquences dévastatrices sur la fécondité ", répond le démographe Youssef Courbage. Laissons la Turquie à l'Ouest, regardons au-delà du Proche-Orient . En Iran, 66 millions d'habitants attirés traditionnellement par la culture de l'Occident, la décrue volontaire remonte à 1970. La révolution de 1979, l'affirmation de l'identité chiite ont déterminé un bref regain de fécondité avec TFR à 6,3. Le retour, en 1988, au programme contraceptif l'a mené en 2000 à 2,17. Un léger redressement est possible. " Toute la partie occidentale de l'islam, Maghreb, Turquie, Iran, est alignée sur l'Europe. Comme l'ex-Asie centrale soviétique qui, avec ses 41 millions d'habitants et son TFR à 2,2/2,3, ne risque pas de créer un prurit à la planète. Les poids lourds de l'islam sont en Extrême-Orient : Pakistan, 145 millions d'habitants ; Bangladesh, 134, " entassés sur un delta, les pieds dans l'eau " ; Indonésie : 212 millions dont 118 à Java et Madura. Parti d'un TFR à 7+ en 1963-65, le Pakistan est à 6 en 1991. La densité de 200/km2 suscite une campagne antinataliste qui le mène à 4+, en 2002. Rien de tel au Bangladesh : le TFR à 3,85 en 1990 tombe à 2,71 en 2002, pour un seuil à 2,56. L'Indonésie à 5,8 en 1965 descend rapidement sous 4, est à 2,97 en 1991, en 2002 à 2,52. Les chiffres moyens cachent un déséquilibre entre Java et Madura, 900 habitants au km2, et l'Est indonésien moins développé. " Présenter l'islam comme un agent nataliste est une erreur. Il n'intervient pas dans les rapports sexuels au sein du mariage, veille seulement au respect de la morale sociale ", tolère polygamie, mariage précoce, rarement très féconds.

1031 millions d'hommes en Inde en 2001, de 12 à 1300 millions en Chine. 2500 millions contre 1100 en 1960, si on ajoute les diasporas indienne et chinoise. L'Inde a écarté le spectre de la famine, fait fonds sur les technologies nouvelles après un rattrapage comparable dans sa rapidité à celui du Japon de l'ère Meiji. Au plan démographique, elle représente peut-être un espoir, " fragile mais à sa taille ". Elle a obstinément refusé la stérilisation massive voulue par Mme Nehru au lendemain de l'indépendance ; en revanche, elle est parvenue en cinquante ans à réduire son TFR de 6 à 2,9. Après l'indépendance toutefois, l'Inde " frôle le communisme ", choisit l'industrie lourde, l'acier, l'atome (" contre le rouet de Gandhi ! "), la bombe. Mais le Nord indo-européen renâcle ; contre le dirigisme, la société civile se défend ; l'économie de marché s'instaure " par infiltration, avec l'anglais langue interne et externe ". L'effondrement de l'URSS achève de dissiper l'illusion communisante, le dirigisme malade agonise. " L'intelligence se libère, les taux de croissance bondissent " – sauf dans le Sud dravidien. Il a longtemps confié le pouvoir aux marxistes qui l'ont plongé dans l'engrenage mortel de l'indigence et du déficit démographique. Pour l'heure, l'Inde " nous livre une information sur laquelle on peut s'appuyer : un recul de la fécondité soutenu à un rythme raisonnable ". Comment évoluera-t-elle ? Il faut se garder d'un optimisme excessif. Comme la Chine, elle pratique l'avortement sélectif au bénéfice de la masculinité.

En matière démographique, Pierre Chaunu juge la Chine d'une imprudence suicidaire. En 1900 26 % de l'humanité, elle n'en représente plus que 21 %. Il se demande si la Chine qui " assimile tout ", au lieu d'absorber le communisme, n'aurait pas été absorbée par lui. Je ne le crois pas au motif d'abord qu'il y a des précédents " communistes " dans l'histoire chinoise, dogmatiques et calamiteux aussi ! Mais je crois avec lui que n'est pas chinoise l'erreur de considérer la croissance démographique comme un obstacle au développement, quand la première force de la Chine est sa masse. L'idée court à l'étranger depuis la fin du XVIIIe siècle : Barrow, contemporain de Malthus, voit dans " la surpopulation de la Chine " la raison de sa misère endémique ; en 1914, l'Américain Edward Ross estime que " sa population excède les capacités du pays ". Les discours de l'ONU annonçant des lendemains de famine auront déterminé son récent malthusianisme. La misère s'estompe en Chine, même si 4/5 % des Chinois vivent sous le seuil de pauvreté, si la croissance (8/10 % l'an) est très inégalement répartie.

Au cours de récents séjours en Chine, j'ai noté la référence répétée à la " terrible " population chinoise. Interdit-elle d'espérer un relâchement de la politique 1.2.4. – 1 enfant, 2 parents, 4 grands-parents ? Un Chinois me disait : " Nous sommes pris entre deux feux : nous sommes douze cents millions, nous ne pouvons être plus. Mais l'espérance de vie augmente : qu'allons-nous devenir demain avec un salaire pour entretenir un ménage, son enfant, cinq ou six ascendants ? C'est un immense problème pour nos dirigeants ! " La pudeur de sa race l'empêchait de livrer son avis sur ce fait : " L'administration locale conserve un contrôle absolu sur le sexe de la femme et la vie au sein de l'utérus " en violation de son intimité. Jusqu'à quand, cette dictature suicidaire ? Je la vois assouplie, non rapportée. Il y a un moment que, moyennant une amende, on tolère que les paysans aient plusieurs enfants. Les couples veulent un fils : en 1999 déjà les autorités laissaient ceux qui avaient une fille concevoir un second enfant, après quatre/cinq ans. Autorisation vient d'être accordée aux époux, l'un et l'autre enfant unique, d'avoir deux enfants. Mais Pierre Chaunu a raison de souhaiter que les autorités chinoises cessent de " célébrer l'empêcher de naître ". Plus la décision tardera, plus le retour à la vie sera difficile. Les grandes agglomérations se sont adaptées sans difficulté excessive à ces limitations impératives ; sans coercition, elles ne feront jamais plus qu'1,2/1,4. Malheur si les campagnes, 60 à 65 % de la population, suivaient !

La Chine a su " réévaluer la place de la religion dans la société " jusqu'à percevoir la liberté religieuse comme un droit fondamental. Osera-t-elle dans un avenir proche " réévaluer celle de la vie à naître " ? " La vie d'un homme est plus précieuse que construire une pagode à neuf étages " dit un adage confucéen. Les dirigeants chinois ont répudié puis réhabilité Maître Kong. Ils seraient conséquents s'ils reconnaissaient que le Sage avait là une vision d'avenir : ce prix de la vie humaine énoncé par Confucius est tout autant le respect de la personne que celui de l'être social. Un signe venu de Chine serait de poids dans tout le Sud-Est asiatique. Tout l'Extrême-Orient est en effet en danger de voir le déclin des populations en âge de travailler : plus tôt la menace sera perçue, plus vite viendra " la prise de conscience d'une nouvelle urgence ".

 

Les fils de Cham

 

L'Afrique, 700 millions de destins. Une part nous en est apparue avec le Maghreb près du non-remplacement des générations. Quatre Afrique(s), au sud du Sahara, l'occidentale, l'orientale, la centrale et l'australe : 21/22 millions de km2, une faible densité, 35 habitants au km2, un TFR proche de 5 , élevé malgré l'énorme mortalité infantile et l'espérance de vie inférieure à celles du reste du monde. L'Afrique noire, 11 % de l'humanité, seul ensemble loin au-dessus du seuil de remplacement, a vu sa population tripler entre 1950 et 1990, grâce à l'amélioration de la situation sanitaire, à la baisse de la stérilité et de la mortalité. En dépit du Sida qui mord au Sud et à l'Est et de la mortalité péri-natale, elle seule reste assurée d'une vraie croissance. Sauf l'Afrique du Sud, tous les États d'Afrique noire remplacent les générations.

Les fils de Cham peuvent sans péril être demain 1500 millions, s'ils conservent un ralentissement progressif. Mais il faut s'ôter de l'idée que ces populations forment un ensemble démographique homogène résistant au changement. Le changement existe partout, plus ou moins accentué suivant qu'il s'agit de populations, cultivées ou non, rurales ou urbaines – avec un coup de frein soutenu dans les métropoles. Si vie citadine, polygamie, vie sexuelle précoce ont une incidence plutôt négative sur la fécondité, inégalement répartie, la grande question actuelle est le Sida, " grande peste " moderne . Depuis le début de la pandémie, en Afrique centrale (50 millions d'habitants) la mortalité des adultes a doublé ; en Afrique du Sud (44 millions d'habitants) l'espérance de vie est tombée de 60 à 40 ans ; la fécondité des zones atteintes accuse une chute de 25 à 40 % ; la seule séropositivité, suite à l'infection des organes génitaux, entraîne la stérilité de nombreuses femmes. " C'est une très grande catastrophe de l'histoire, tous les moyens doivent être mobilisés pour mettre un terme à cette cataracte de souffrances qui s'en prend aux sources de la vie. "

 

En manière de conclusion

 

Jacques Renard, statisticien du présent ouvrage , le rappelle : " Les prévisions de Pierre Chaunu qui, depuis quarante ans, ont tant irrité se sont révélées très proches d'une réalité inattendue non acceptée . " Non acceptée ? Nous écrivions avec Alain Peyrefitte en 1996 : " Éviter la disparition de la souche française relève d'une politique hardie. " Pierre Chaunu entérine, parle " d'un choix collectif identitaire soutenu par un pouvoir accepté ".

Après avoir rappelé le succès (ancien) en France de " la politique familiale inspirée par Alfred Sauvy ", affirmé que " ce qui a été possible hier l'est aujourd'hui avec d'autres moyens ", assuré que " cette politique doit être féminine (et non féministe) ", il insiste sur le cadre de l'entreprise, " une patrie, assemblage de familles, de cultures voisines " : " C'est au sein d'un cercle identitaire chaleureux que l'on peut éprouver le désir de ceux qui après nous vivront. " Le salut du monde passe par " le retour à l'équilibre du bloc moteur, Europe, Amérique du Nord ". Que la souche européenne montre l'exemple, chacun aura un motif propre, " identitaire ", de lui emboîter le pas. Ainsi le pouvoir en Chine, soucieux de conserver tianming – le mandat du Ciel, " trouvera un nouveau tournant dans une continuité qui échappe à notre pauvre bon sens d'Occidentaux ". Les autres à l'avenant.

Marque d'espérance, Pierre achève, lyrique. " Nous disposons d'un clavier à trois touches, l'enfant, le ciel étoilé, la connaissance – le Sens, l'héritage. " L'enfant qui naît et grandit est " sous nos yeux, toute l'évolution récapitulée ". Le ciel étoilé ? Écoutez le Psaume 19 : " Les cieux racontent la gloire de Dieu/ Et l'étendue manifeste de l'œuvre de ses mains. " La connaissance, le sens, l'héritage ? " Le volume des connaissances a grimpé selon une courbe exponentielle. Qu'en faire ? La mettre, au service du Sens ! Le Sens, les sens, nous les trouvons dans notre héritage. Nous avons reçu ce trésor avec mission de le transmettre. Allons-nous le laisser perdre ? Nous le remettrons à l'enfant. " Le salut des hommes passe par l'affirmation de leur héritage culturel, aux antipodes du cosmopolitisme niveleur, atone, à travers quoi tant d'idéalistes, " philosophes " et autres " citoyens du monde " croient pouvoir promettre la paix perpétuelle – une paix à quoi il conviendrait d'appliquer la formule de Tacite : " Ubi deserta faciunt, pacem appellant ! "

 

X.W.