*Dominicain du couvent de Marseille, licencié en philosophie, bis-docteur en théologie, professeur habilité à la Faculté de théologie de Lugano.

 

 

 

LES LIBERTES RELIGIEUSES, dans la juridiction civile occidentale, désignent en large part des droits/exigences de l'homme dans la société (jus exigendi), et non seulement des facultés morales d'agir (jus agendi).

Car la "liberté" à la racine de ces libertés, recouvre visiblement de multiples sens : droit de rechercher la vérité sans contrainte, appartenance visible à une religion, manifestation d'un culte public, licence accordée au prosélytisme de bon aloi.

 

Cependant la "liberté" apparaît à certains adeptes de religion comme le fruit d'un mythe occidental représenté emblématiquement par la statue qui la symbolise à New York. Et s'il est vrai que la liberté idéologisée se vérifie être une opinion dangereuse quand elle existe dépourvue de contenu positif vers le vrai Bien ou le Bonheur, les récents événements dramatiques du 11 septembre 2001 à New-York, du 11 mars 2004 à Madrid, les attentats de Londres de juillet 2005 et la situation politique en Irak suite à la deuxième guerre du Golfe rappellent douloureusement à l'humanité l'existence de conceptions radicalement différentes de la liberté et l'urgence d'une convivialité entre les religions[1]. Sans quoi, la planète risque d'être un jour mise à feu et à sang en raison des effets multiplicateurs de la mondialisation. Si le choc des cultures et des religions devait devenir inéluctable, l'angoisse se révèlerait mauvaise conseillère et pourrait attiser rapidement des foyers multiples de haine et de guerre[2].

 

Il ne s'agit pas ici d'accuser tel ou tel groupe religieux mais de prévenir d'un effet encore plus sournois qui consisterait à accuser globalement toutes les religions et ainsi à donner raison à un double fanatisme déplorable : le fanatisme religieux en sa composante belliqueuse, et un fanatisme laïque qui voudrait remiser le fait religieux dans la sphère privée. Toujours minoritaire, le premier ne croit qu'à l'effet de la force pour s'imposer. Quant au fanatisme laïque, il pourrait devenir médiatiquement majoritaire et provoquer un inévitable repliement de l'humanité sur elle-même. Dès lors incapable de compter sur le plus précieux secours qui puisse être, Dieu sage et libre, la communauté humaine viendrait à vivre, en son aspect public, atrophiée de sa propre dimension religieuse.

 

Au contraire, il importe assez de constater que la reconnaissance du droit à la liberté religieuse opère des progrès de communion et de justice à tel point que la vie publique se trouve transformée chez les divers peuples qui l'adoptent. La négation de ce droit, tout comme son abus ou la licence religieuse, porte atteinte à " l'authentique paix publique qui consiste dans une vie vécue en commun sur la base d'une vraie justice[3]".

 

Cette contribution cherchera à identifier si ce droit reçu par le christianisme admet des éléments similaires au sein du judaïsme et de l'islam. Pour l'Église catholique, Dignitatis humanæ enseigne que c'est un droit limité par le Bien commun, droit civil à l'immunité contre toute coercition en matière religieuse[4]. Globalement, avant d'approfondir le sujet, il semble que les trois religions recommandent en théorie non seulement la vertu de tolérance religieuse, mais parfois aussi une clause ou même un devoir de réciprocité ayant trait à la justice commutative entre les peuples[5]. S'ils existent, comment s'organisent ces notions dans les religions mentionnées ?

 

Malgré des conceptions et des cadres d'expansion politique et religieuse des trois religions si différents, le but de l'article présent consiste à vouloir encourager une nouvelle prise de conscience interreligieuse unanime en faveur de la paix, fruit de la vertu de justice. Ne sera pas omis pour autant le fait que la paix puisse procéder aussi de la vérité, de la liberté et de l'amour[6]. En d'autres termes, la paix advient dans le respect des droits inviolables de l'homme[7] : c'est une condition sine qua non !

 

Pour les trois religions, il serait utile d'examiner non seulement la situation de la liberté religieuse dans l'État d'Israël comme nous le ferons pour mieux comprendre la pensée juive peu prolixe en la matière, mais encore de pousser l'examen dans les divers États à majorité chrétienne avec leurs variantes civiles, et dans les États à majorité musulmane ou à domination islamique. Ce dépouillement d'un aussi vaste dossier intégrant l'état du Dialogue entre les religions, ne sera pas réalisable dans le cadre restreint de cette contribution. Il montrerait de multiples variations dans la compréhension du droit à la liberté religieuse, mais aussi, de larges possibilités ouvertes aux progrès dans l'application de celui-ci. Pour mieux faire avancer la reconnaissance de ce droit et de ceux qui lui sont connexes, il convient de développer des concertations internationales et des échanges interreligieux sur ce sujet. Or mieux dialoguer exige une meilleure connaissance de l'autre. Un regard lucide sur les bases de ce droit au sein du judaïsme et de l'islam, en comparaison avec l'Église catholique, s'impose donc au préalable. Sans doute, une étude attentive des traditions juives ainsi que des principes du Coran et des déclarations musulmanes internationales – par exemple, la DUDHI c'est-à-dire la Déclaration universelle des droits de l'homme dans l'islam, laquelle sera évoquée plus bas –, ne résorberont pas toutes les difficultés, mais cette tentative de faire progresser la connaissance réciproque pourrait au moins apporter une authentique contribution aux échanges interreligieux. En effet, aider à comprendre les vastes possibilités et aussi les limites du dialogue, peut stimuler les religions et les États à y recourir dans la confiance, dans l'exigence de clarification et de prudence. Ce réalisme prépare aussi une meilleure articulation des bases du dialogue interreligieux à propos de la liberté religieuse elle-même, et de la stratégie en faveur de la paix à adopter.

 

I- PAS DE DILEMME THEORIQUE ENTRE LA RELIGION JUIVE ET LA LIBERTE RELIGIEUSE

 

À dessein, ne sera pas abordée ici la tragédie trop récente des populations palestiniennes dans l'État d'Israël depuis 1948, à propos desquelles il manque le recul des années et la relecture sereine et auto-critique des délits perpétrés par les factions en conflits. Constater l'humaine et trop universelle barbarie ne suffit pas à rendre compte de l'exigence rationnelle laquelle cherche à remonter aux tréfonds du problème religieux. Pareillement, lors de la guerre du Liban débutée en 1975, condamner certains massacres de Palestiniens par l'armée israélienne avec l'aide de leurs alliés phalangistes chrétiens, n'élucide pas la question théorique du véritable rapport qu'entretient la religion juive avec la liberté religieuse. Cependant ces exactions récentes pour un État tout neuf, ne laissent pas d'interroger l'homme de paix.

 

Objectivement, c'est un signe positif, la Constitution israélienne s'engage à la liberté religieuse, mais choisit en toute liberté étatique de favoriser les juifs de religion israélite. C'est le modèle de la confessionnalité presque disparue en Europe occidentale qui se trouve singulièrement privilégié, comme " ressuscité " pourrait-on dire. Après des débuts prometteurs dus à la Déclaration d'Indépendance de l'Etat d'Israël, il y a eu la colonisation brutale des terres arabes, qui ne laisse pas le pays sans souvenirs douloureux[8]. Mais la mise en pratique de la liberté religieuse paraît un fait bien acquis en dépit du fait que les groupes religieux non-juifs, chrétiens et musulmans, manifestent des points de désaccord sur la politique religieuse sioniste[9]. En fait, la situation politique souvent explosive entre Israéliens et Palestiniens masque la réalité pacifique de la liberté religieuse en Israël et dans les " territoires " – réunifiés en 1967 aux yeux israéliens, occupés aux yeux palestiniens –, ou dans ceux qui se trouvent octroyés à l'Autorité palestinienne : Bande Gaza, Bethléem, Jéricho.

 

Quatorze communautés religieuses sont reconnues en Israël : juive, musulmane, orthodoxe orientale, catholique romaine, arménienne grégorienne, catholique arménienne, catholique syrienne, chaldéenne, melchite, catholique grecque, maronite, orthodoxe syrienne, épiscopale -évangélique (depuis 1970), druze (depuis 1962) et bahaïe (depuis 1971). Paradoxalement ce sont surtout les juifs non pratiquant qui déclarent souffrir d'obstacle à leur liberté civile en raison de la pression du régime religieux juif. Effectivement la non-reconnaissance légale du mariage civil peut contraindre des individus à suivre la directive de lois confessionnelles juives qu'ils ne pensent pas devoir en conscience appliquer. Si les tribunaux civils demeurent compétents pour juger certains cas de nullité ou de dissolution de mariages, ils continuent à être incompétents pour avaliser une seule union[10].

 

Les normes juridiques des confessions non-juives découlent du droit en place avant la création de l'Etat d'Israël : Palestine Order in Council de 1922, et Holy Place de 1924 ; Law and administration Ordinance n. 1 de 1948. Ces lois tendent à conférer aux institutions religieuses un caractère public à travers leurs institutions, particulièrement pour les druzes et musulmans.

 

Outre que le droit de changer de religion demeure possible selon l'Ordonnance de 1927 toujours en vigueur, le droit de faire du prosélytisme reste lui aussi légal malgré les restrictions anti-missionnaires de 1977. Encore que cette loi anti-missionnaire – Penal Code Amendment (Enticement to Change of Religion) Act du 27 décembre 1977 –, n'a été édictée que contre certains groupes protestants exerçant un prosélytisme de mauvais aloi, elle peut cependant empêcher la légitime conversion d'un juif à une confession chrétienne[11]. Réciproquement ce règlement ne protége pas les individus issus de populations locales, chrétiennes ou musulmanes, de certaines visées de " juifs orthodoxes " qui cherchent à convertir au judaïsme l'époux ou l'épouse non-juif en cas de mariage mixte avec un juif ou une juive[12].

 

Cette analyse suffit-elle à montrer qu'Israël ressortit à un État confessionnel juif ? De jure cette constatation ne ressort pas de la Constitution, mais le sens des décisions pratiques des gouvernements successifs depuis 1948, semble y tendre de facto. En plus de l'absence de mariage civil déjà signalé, notons l'emploi du temps dans la vie civile, les jours de repos obligatoires ; tout le processus quotidien de la vie se trouve calqué sur les fêtes religieuses israélites. À ce conditionnement cultuel, s'ajoutent l'alimentation Kasher de la troupe, et l'interdiction de l'élevage des porcs dans les régions à majorité juive : Day of Rest Ordinance de 1948 ; Kasher Food for Soldiers Ordinance de 1949 ; Pig raising Prohibition law de 1962. De surcroît, interprétée parfois comme la " compensation " des lois de discrimination de 1939 en Palestine[13], la loi de retour favorise nettement les enfants de mère juive[14]: Law of Return – Amendment n. 2 – de 1970. Un spécialiste international du droit israélien n'hésite pas, de par l'insertion des règles religieuses israélites dans le droit public, à conclure en qualifiant l'État d'Israël de fondamentalement juif[15].

 

Au niveau international, il faut constater que cette situation confessionnelle n'a pas gêné le processus de réduction de l'incompréhension entre le Saint Siège et l'État d'Israël[16]. Comme aboutissement des rapports renaissants, voulus par le concile Vatican II, concrétisés par Paul VI et ses successeurs, entre les membres de la hiérarchie catholique et les grandes organisations juives internationales, une croissance d'accords ou d'événements à haute valeur politique doit être signalée : l'Accord fondamental (30 décembre 1993) ; les pleins rapports diplomatiques avec échange d'ambassadeurs (juin 1994) ; l'Accord sur la reconnaissance de la personnalité juridique des organismes ecclésiastiques (10 novembre 1997) ; le voyage du Pape Jean-Paul II, en mars 2000, marque un moment extrêmement symbolique et chaleureux. Malgré ces faits officiels incontestables qui produiront leur fruit immanquablement, la route d'une pratique concrète sur le terrain demeure encore malaisée pour les chrétiens[17]. Un Accord économique entre le Saint Siège et Israël devrait en principe être promulgué, si la conjoncture politique complexe entre Palestiniens et Israéliens l'autorise. Encore que la condition internationale des juifs dans le monde contribue fortement à ce processus de paix, il faut reconnaître que la vie difficile de la diaspora juive en certaines régions du monde retarde parfois la stimulation provenant de situations pacifiques promues en d'autres pays[18]. En outre, si l'élection du nouveau président de l'Autorité palestinienne, Mahmoud Abbas, suscite des espoirs fondés de pacification politico-religieuse, le mur de séparation édifiée par le gouvernement israélien entre les populations civiles suscite des incompréhensions internationales et locales assez difficiles à surmonter[19].

 

 

L'universalité du peuple élu

 

 

Au-delà du fait politique et de son interprétation contingente, un premier constat d'ordre purement religieux s'impose. La liberté religieuse comme expression littérale ne se trouve pas inscrite – tout au moins matériellement – dans l'Ancien Testament, ni dans les écrits talmudiques. À preuve d'un nouvel inventaire, elle ne tient pas comme telle une place notable dans la littérature juive contemporaine, hormis le fait que l'État d'Israël reconnaisse explicitement la liberté religieuse dans sa Déclaration d'indépendance.

 

Si la définition du "prochain" dépasse bien les frontières internes au judaïsme, la liberté religieuse pourrait cependant aller de soi à partir du précepte : " Tu aimeras ton prochain comme toi-même " (Lv 19, 18)[20]. À cause des origines communes dans la première Alliance[21], dans la même Révélation du Dieu unique (cf. Vatican II, Nostra Ætate, n. 4), il faut rappeler que la conception chrétienne de la liberté religieuse s'inscrit dans un rapport sensiblement analogue à celui qui marque le judaïsme dans les relations entre Dieu, l'homme et la vie civile. Cependant il existe une première spécificité bien différente pour la tradition israélite. La transmission de l'élection se réalise non par un geste communautaire, liturgique – comme le baptême dans le christianisme –, mais par la simple génération issue d'une mère juive. Les juifs postulent que cette élection demeure en strict rapport avec la promesse établie par Dieu d'une terre élue, la terre sainte d'Israël. Cette attribution territoriale implique comme conséquence que les juifs ne peuvent pas parler, à un niveau théorique, d'universalité de la religion juive, mais d'une universalité de fait à cause de la diaspora répandue sur les cinq continents. Est-ce que cette limite religieuse intrinsèque empêche une approche théorique semblable au christianisme à propos de la liberté religieuse, ce droit aux conséquences universelles ?

 

 

En prenant en compte cette "universalité juive" de fait et non de principe, il paraît intéressant de préciser ce que deviennent d'autres valeurs caractéristiques des " grandes religions[22] ". Il s'agit, analogiquement avec les notes traditionnelles de l'Église, de l'uniformité, de la sacralité, de l'universalité et de la trans-missibilité. C'est cet ensemble de valeurs qui se trouve à la base du dynamisme religieux, lequel exige l'expression de la liberté religieuse, et de cette résolution libérale qui perdure jusque dans sa réalisation concrète, juridico-sociale au sein de chaque pays d'implantation. Comment définir, à grands traits, ces valeurs dans leur spécification juive ? La notion d'uniformité ou d'unité du peuple de Dieu, affirmée comme une unification harmonieuse de tribus (cf. Gn 49, 28), trouve dans l'élection ? laquelle relève de l'initiative gratuite de Dieu (cf. Dt 7, 7) ? son sens ultime avec son corollaire, la séparation radicale d'avec les autres nations (cf. Ex 34, 12-16 ; Lv 20, 26). La sacralité ou sainteté du rapport entre Dieu et le peuple élu vient de la Révélation que Dieu a donnée de lui-même en demandant explicitement l'ajustement du peuple élu à sa propre sainteté : " Soyez saints, car moi, Adonaï votre Dieu, je suis saint " (Lv 19, 2). L'universalité du peuple élu apparaît comme un aspect prophétique de sa mission (cf. Am 9, 11-12 ; Is 45, 6 ; Is 59, 19 ; Zc 2, 15).

 

Cet aspect de diffusion universelle du judaïsme se voit réalisé de manière conjoncturelle et très partielle – il faut compter environ quinze millions de juifs, répartis dans le monde entier – par le phénomène dit de la diaspora (Gallout), composée de juifs disséminés hors des frontières d'Israël. L'interprétation de cette "dispersion" reste d'ailleurs l'objet de vastes discussions entre les écoles juives[23]. Les communautés juives se trouvent réparties sans limite géographique théorique, et il est loisible de parler d'universalité de fait[24]. Enfin, depuis la destruction du Temple de Jérusalem (70 de l'ère chrétienne), la "trans-missibilité" de la tradition juive se réalise en comptant sur l'effort responsable de chaque famille juive. Cette réalisation s'effectue aussi par la création de centres d'étude hébraïque ou d'écoles talmudiques qui favorisent la formation de rabbins capables d'enseigner et de juger – des cas de mariage, entre autres – dans les limites de l'ordre établi par la nation où les juifs vivent. À titre d'illustration, en France, depuis Napoléon Ier, le judaïsme a trouvé dans le Grand rabbinat sa forme institutionnelle qui permet un rapport, un agencement légal, entre l'État et les courants internes au judaïsme. La liberté religieuse vécue par le judaïsme offre ainsi une base de valeurs repérables à sauvegarder, similaires aux autres grandes religions, au moins celles "monothéistes[25]". Pourquoi n'a-t-elle pas été conceptualisée par le judaïsme ?

 

Bien que la conception intellectuelle de la liberté religieuse, à l'instar d'autres notions religieuses, ne paraisse pas venir historiquement du judaïsme, néanmoins des racines lointaines et profondes trouvent leur source en celui-ci. En dehors des périodes de net rejet dû à l'anti-judaïsme ou à l'antisémitisme, lequel a provoqué des effets d'introversion communautaire, la fécondité des communautés juives, souvent minoritaires en milieu étranger, a trouvé son essor dans une culture de réciprocité et de mutuelle insémination à tel point que le judaïsme ne se comprend bien que dans l'histoire et le milieu intellectuel où il se déploie avec une note de tolérance et de droits reconnus à liberté religieuse.

 

 

Les sources judaïques de la liberté

 

 

Il semble possible de comprendre le concept juif de ce que serait la liberté religieuse pour les juifs à travers celui d'Alliance, c'est-à-dire au croisement de celui de Loi donnée par Dieu – la Torah –, et de celui de liberté humaine signifiée par le devoir d'obéir à l'Enseignement divin, au vrai sens de Torah. Ainsi la Loi joue le rôle rigoureux de norme de comportement dans la vie du peuple entier pour lui permettre de vivre une vraie relation avec Dieu.

 

Au départ (cf. Gn 1), la liberté va de soi comme une pleine communion avec le Créateur, mais la chute provoque dans ses conséquences lointaines l'esclavage (cf. Gn 9, 25), c'est-à-dire le contraire de la liberté. C'est un devoir pour le juif, après la libération de l'Égypte (cf. Dt 5, 15), dans le code définitif des Dix Paroles ou Commandements (cf. Ex 20, 1-17 ; Dt 5, 6-18) de se remémorer l'expérience de l'esclavage[26]. La liberté collective apparaît donc, dès les origines du judaïsme, dans le sens de libération et d'indépendance du peuple (cf. Lv 25, 10; Is 61, 1; Ez 46, 17). Quant à la liberté individuelle, elle surgit pareillement dans l'agir extérieur à la manière de l'esclave déclaré affranchi (cf. Ex 21, 3 ; Is 58, 6). Outre que la liberté de conscience – et plus précisément la liberté des consciences[27]–, apparaisse comme une conception assez tardive du judaïsme, la réflexion réalisée à partir des milieux juifs insérés en minorité dans un monde européen, le fait ressortir manifestement : " Quel que soit le système qui impose une vérité, quel que soit le système qui nie la valeur à l'échange et à la discussion, quel que soit l'agencement juridique qui pose une limite même minimale à la libre discussion et à la libre manifestation de la pensée [...], il est un système, un agencement, une idéologie qui viole la liberté religieuse entendue au sens hébraïque[28]. " En ce qui concerne la Loi en soi, elle apparaît comme la réfutation à certains actes historiques de coercition religieuse, et elle exerce un tel ascendant qu'elle peut conduire le juif à choisir paradoxalement d'" aimer la Torah plus que Dieu " selon la ligne d'approche d'Emmanuel Lévinas[29]. Le Talmud devient alors le lieu par excellence où l'israélite apprend à gérer les conflits entre les ordres – liberté et Loi, loi de l'État et Loi talmudique – agencements qui peuvent précisément s'opposer.

 

Effectivement, en symétrie à la liberté, " quel que soit le système, quel que soit l'agencement juridique, quelle que soit la norme qui tend à empêcher ou à limiter l'application de la Loi [...], il constitue pour le juif une violation de sa liberté religieuse[30]. " La tradition talmudique précise, dans des limites longuement étudiées – égalité de tous devant la loi, émanation de la loi par l'autorité légitime –, que la loi du royaume, ou de l'État, est la loi dans la mesure où elle n'offense pas la Torah. C'est l'adage Dina demalkhouta Dina – " la loi c'est la loi du Royaume " – de Rabbi Mar Samuel Yarkhinaï (au IIIe ap. J.-C.), dans le Talmud babli (Gittin 10 b)[31]. En fait, ce texte a permis une relative assimilation des juifs sous des juridictions non juives, spécialement dans le domaine commercial ou celui des impositions (taxes et impôts).

 

Le sens de la Berith – l'Alliance – impose de déclarer inique une norme étatique qui violerait une des Dix Paroles. Une loi émise par une majorité démocratique qui conduit à mal agir se trouve nettement rejetée dans la Torah par un appel à la conscience de chaque sujet : " Tu ne prendras pas le parti du plus grand nombre pour commettre le mal, ni ne témoigneras dans un procès en suivant le plus grand nombre pour faire dévier le droit " (Ex 23, 2). Dès lors la paix civile trouve sa mesure dans la conformité du peuple à la Torah : " Grande paix à qui aime ta Loi " (Ps 118/119, 165). La tradition talmudique montre de plus, par des exemples concrets, que même l'hérétique doit avoir une place dans la liberté religieuse octroyée à l'homme qui cherche la vérité[32].

 

Les éléments constitutifs de la liberté religieuse se dégagent très bien de cet ensemble de faits et de recommandations : non-coercition des autres adeptes, fidélité à la recherche de la vérité religieuse, culte public, accueil discret des prosélytes de bon aloi. Par ailleurs, le judaïsme, fort de cette tradition biblique et talmudique, se présente concrètement comme un défenseur sans équivoque de la paix, signe concomitant à la liberté religieuse[33]. À la Conférence de Davos en janvier 2001, le Grand Rabbin René-Samuel Sirat (France) proposait dix points en faveur de la paix[34]. Il importe de noter la priorité faite à l'éducation après l'engagement pour la fraternité et l'amour du prochain, ainsi que la solidarité invoquée aussi par la doctrine sociale de l'Église de manière convergente[35]. Le même a déclaré à Assise, le 24 janvier 2002, à l'occasion de la journée de prière pour la paix dans le monde, de manière extrêmement positive pour une collaboration judéo-chrétienne et judéo-islamique :

 

 

Nous nous engageons à demander aux responsables des Nations de faire tous leurs efforts pour qu'au niveau national et international s'édifie et se consolide, sur le fondement de la justice, un monde de solidarité et de paix[36].

 

 

Le judaïsme, mis en situation permanente de Diaspora au cours des siècles, a revendiqué par sa vie souvent difficile, voire si souffrante, la nécessité de proclamer et de revendiquer la liberté religieuse pour lui, ainsi que l'a enregistrée la tradition chrétienne jusque dans la Septante (cf. 1M 2, 15-28). En condition minoritaire et souvent en situation de bouc émissaire – à cause des expulsions, spoliations, pogrom –, il n'a pas réfléchi au problème théorique comme a pu le faire le christianisme, souvent en position dominante et stimulé par les injonctions de sa conscience. De plus, le judaïsme réflexif n'a pas trouvé l'appui de la doctrine de la loi naturelle – fondement de la liberté religieuse, selon l'origine[37]–, malgré certains essais à partir de la loi noachique[38]. Cette absence a contrarié la pensée juive à chercher ailleurs que dans la Torah une raison justifiant la liberté religieuse. Le judaïsme a cependant préparé, par sa protestation constante et par de riches thèmes bibliques, les voies d'accès à la proclamation de ce droit. Ceux-ci manifestent notamment la relation biblique traditionnelle entre la justice et la paix.

 

Le judaïsme contemporain, porté par sa tradition ancestrale si peu prolixe sur notre thème, ne s'étend guère sur la liberté religieuse. Des rabbins responsables de leur communauté et des juifs contemporains mentionnés dans cet article, comme David Schaumann, Daniela Piatelli, Jean Halpérin, se laissent timidement interroger sur la liberté religieuse, et encore par le biais du dialogue interreligieux. Ils font exception. Outre qu'un avenir plus réflexif et communicatif pourrait s'ouvrir grâce à ces nouvelles prises de conscience en la matière, les responsables politiques de l'État d'Israël seraient nécessairement contraints de tenir compte de cet esprit au cœur du judaïsme, si ce courant venait à se développer davantage.

 

Faute de développement théorétique important en milieu juif, il ne reste plus maintenant qu'à rejoindre l'islam. Sur la question étudiée, une certaine disproportion entre l'islam et le judaïsme apparaît inévitable. Non que les juifs ou l'État d'Israël se sentent en reste par rapport à l'immensité des populations musulmanes ou des États d'inspiration musulmane, mais le nombre même des penseurs, et le volume des réflexions sur la liberté religieuse lesquelles remontent au Coran lui-même, ne peut que provoquer le sentiment de disparité dans le traitement du problème tel qu'il est traité par les deux religions. La richesse musulmane, de pensée et d'expérience, s'est immensément développée au cours des siècles, face à un judaïsme silencieux et sans terre pendant des centaines d'années (135 ap. J.-C. – 1948).

 

 

II- UNE VRAIE PLACE A LA LIBERTE RELIGIEUSE DANS LA RELIGION MUSULMANE ?

 

 

À la différence du judaïsme et à cause même de la nature de l'islam, le contenu religieux du concept de la liberté religieuse ne peut se séparer de son contenu politique. Les données du débat qui en résultent deviennent vite disproportionnées par rapport à ce qui vient d'être mentionné sur le judaïsme. À cause des dimensions de cet article, il faut résumer au maximum les informations issues de l'islam afin de réduire quelque peu l'écart quantitatif de la comparaison judéo-musulmane, lequel devrait se montrer en fait beaucoup plus accentué dans un examen exhaustif des documents.

 

Hors le temps de l'intégrisme agressif apparu sur le devant de la scène politique, lequel a modifié à tort la perception internationale sur l'islam, le droit à la liberté religieuse dans l'aire d'influence musulmane s'affirme acquis, au moins au regard de certaines grandes déclarations universelles et des Constitutions[39]. Néanmoins, il faut noter que les Droits de l'homme dans l'islam ne concernent pleinement l'individu que s'il appartient à la Umma, la communauté musulmane, "tout" complexe à la fois politique et religieux. Cet état de fait constitue une différence immense avec les principes affirmés totalement universels dans les pays occidentaux où l'égalité est affirmée pour tous. De plus, il existe toujours un décalage entre les grandes déclarations de principe et la réalité[40]. Qu'en est-il dans le concret quotidien des pays musulmans ?

 

 

Liberté religieuse dans la vie sociale, en excluant l'ultra-fondamentalisme violent

 

 

Il existe de grandes différences politiques dans la Constitution des pays où vivent la majorité des musulmans. Car les pays islamiques – dont font partie les pays arabes musulmans formant la Ligue Arabe (22 mars 1945) – ont des régimes variés comme des royaumes, des émirats, des sultanats, des républiques (Jumhûriyyât[41]), en passant des pays de la péninsule arabe, à l'Iran, à la Turquie – Constitution de 1982 au caractère séculier –, jusqu'aux pays d'Afrique du Nord en circulant par l'Asie. Tous se considèrent cependant comme faisant partie de la Umma, c'est-à-dire de la communauté islamique instituée par Mohamed (ou Muhammad), mort en 632 de notre ère. La Umma crée ainsi une nation islamique (millat al-islâm). L'islam y est habituellement considéré comme la religion du chef de l'État, car l'islam est " religion, société et État (dîn oua dunya oua daoula) ". À cause de cet axiome, la sharî'a, c'est-à-dire la Loi islamique, pour la plupart des États musulmans, représente en théorie " la source principale de la législation ". En raison de cette origine commune, ces pays s'accordent tous à reconnaître dans la sharî'a la référence légale à la liberté religieuse accordée aux juifs et aux chrétiens, même si la sharî'a n'est pas pratiquée intégralement partout. En théorie et souvent en pratique, ces derniers, ces hôtes dits "privilégiés", ne peuvent vivre que comme des soumis au sein de la " Demeure de l'islam (Dâr al-islâm) ". À l'inverse des polythéistes qui, selon la " révélation " du Coran, devraient être légalement persécutés et occis – au " sabre " – s'ils ne se convertissent pas à l'islam[42], " les gens du livre " – juifs et chrétiens principalement – doivent être traités comme des " protégés " par le statut de Dhimma lequel garantit la survie et certains droits limités de réunion et d'organisation sociales : rites religieux, mariages, tribunaux confessionnels, etc.[43]. Les autres religions n'ont que rarement la possibilité d'exercer leur propre culte. Rare exception, au Bahreïn, dans les Émirats arabes et en Oman, la communauté hindoue peut pratiquer son culte – y compris au Qatar et Koweït –, et dispose même de temples en ces mêmes lieux, sauf au Qatar et Koweït. Des projets intéressants de construction d'église sont en cours au Qatar et au Koweït. Tous les cultes ne bénéficient pas de ces situations exceptionnelles et, par exemple, les Bahaïs[44] et les Yézidis demeurent interdits. Pareillement les Témoins de Jéhovah restent bannis, ainsi que d'autres organisations habituellement reconnues en Occident[45].

 

La " soumission " qu'il faut considérer, signifie que l'histoire a presque toujours enregistré un effritement des religions non musulmanes, dans l'extension de la durée[46]. Cet effet se produit par la légalisation des conversions à sens unique, c'est-à-dire exclusivement vers l'adhésion à l'islam, considéré comme la "meilleure des religions", parfois aussi par l'émigration vers l'étranger. En outre, le droit de culte pour les chrétiens n'est pas partout reconnu. À titre d'illustration, le culte chrétien se voit totalement interdit en Arabie saoudite même de manière privée : le seul fait de trouver une Bible chez quelqu'un suffit à provoquer son arrestation, sa perte de travail et son expulsion. L'interdiction d'un culte public chrétien est aussi en vigueur dans les Émirats du Golfe, sauf pour les travailleurs étrangers qui jouissent d'un peu plus de liberté qu'en Arabie Saoudite, avec la permission que les autorités publiques leur accorde de construire des églises, et l'usage d'un culte limité. L'herméneutique musulmane (ijtihâd) appliquée au Coran est interprétée à la lettre selon la règle de "l'abrogation" (naskh)[47]. La sourate la plus récente supprime la sourate plus ancienne, de sorte que cette règle puisse conduire à l'abolition de la sourate de la liberté religieuse (sourate 2, 256) par celle du "sabre" (sourate 9, 5) laquelle invite à la guerre sainte contre tous les non-musulmans – tous assimilés aux polythéistes –, et à leur liquidation brutale "par le sabre".

 

Sans rechercher en aucune façon un amalgame politique pro-occidental, et ne serait-ce qu'à cause de la passivité des populations locales alors impliquées, il faut interroger avec courage les effets sur les mentalités, de cette influence coranique lors des massacres du Liban à la fin du XIXe siècle, dans le terrible génocide des Arméniens au début du XXe siècle, et dans la disparition accélérée des chrétiens devenus progressivement minoritaires au Moyen-Orient jusqu'à maintenant. À cause de l'ignorance qui en résulte entre groupes religieux, ces exils forcés ou ces massacres ont provoqué en outre un facteur d'instabilité pour le Dialogue interreligieux. Certaines confessions se voient même récemment interdites – les Coptes en Algérie ont perdu leur seul lieu de culte en 1980 –, ou en dépit même de leur ancienneté, réduites à choisir l'exode dans des lieux où elles vivent de manière séculaire. C'est souvent le cas pour les Chaldéens ou Assyriens, et pour les autres minorités chrétiennes d'origine monophysite, en Turquie, en Iran et désormais en Irak. Le droit de dispenser un enseignement dans des écoles chrétiennes implique le devoir, sans réciprocité possible, de faire venir un maître coranique pour les élèves musulmans ; cette obligation disparaît dans les écoles musulmanes à l'égard des chrétiens qui doivent passer des examens sur l'enseignement coranique. Un des meilleurs spécialistes de l'islam déclare à ce propos : " Qui ne voit que les problèmes sont ici sans nombre et pratiquement sans solution, hormis celle d'une parfaite formation chrétienne à travers le contact personnel, en dehors de toute structure organisée[48]. " Le pouvoir de construire des églises dans les seuls pays musulmans où la tolérance en la matière existe au mieux, c'est-à-dire la Jordanie, la Syrie, l'Irak avant la deuxième guerre du Golfe, a toujours été un droit excessivement difficile à obtenir. Il faut en dire autant pour ce qui relève de la réparation de ces monuments de culte, opération qui reste malaisée même en Turquie et en Égypte. La discrimination, pour accéder aux hautes fonctions de l'État aussi bien qu'aux professions courantes, a souvent brimé des populations chrétiennes qui subissent une marginalisation très concrète – Égypte[49], Turquie, Libye, Pakistan –, voire une persécution ouverte : Soudan, et Timor-Est avant son indépendance récente de l'Indonésie, en mai 2002. Il faut enfin remarquer historiquement que les signes discriminatoires dans l'habillement n'est pas une invention chrétienne du Moyen-Âge vis-à-vis des juifs, mais une pratique très ancienne qui remonte aux premières décennies de l'islam en Égypte vis-à-vis des chrétiens, pratique remise en fonction en Afghanistan avant la chute des Talibans (2001-2002).

 

En définitive, le droit des non-musulmans en chacun de ces pays demeure très variable. L'Algérie reconnaît l'existence de "citoyens chrétiens", mais les Émirats du Golfe appliquent plus ou moins strictement le fameux hadîth ségrégationniste – attribué au Calife 'Umar – : " Pas de place pour deux religions dans la péninsule " arabe.

 

Le rapport de la liberté religieuse à la paix dépend en principe du rapport au Coran et de son application en politique. À titre d'illustration, voici la prise de position du cheikh Mohammed Tantâwî du Caire, recteur de la plus grande Université coranique au monde, Al-Azhar. Il représente en Égypte la plus haute autorité musulmane, mais ne fait pas nécessairement l'unanimité. Après l'attentat terroriste du 11 septembre 2001, Mohammed Tantâwî a pris parti, par la fatwâ du 2 décembre 2001, contre le suicide dans tous les cas, y compris donc les attentats kamikazes. Cette décision fut soutenue par le doyen de la faculté du Koweït, Mohammed Tabatabâ'î. Mais le cheikh égyptien fut contesté par d'autres autorités musulmanes : le cheikh Yousef al-Qaradâwî d'Égypte, le chiite Habib Nâbulsî au Liban, et l'assemblée de deux cent sept oulémas réunis à Beyrouth en janvier 2002. Certains tiennent une position mitigée comme Ahmad al-Tayyib, président de l'Université Al-Azhar, qui condamne le terrorisme, sauf en Israël à cause de la lutte d'indépendance du peuple palestinien. L'absence d'identité de vue ne favorise guère le Dialogue avec le judaïsme et le christianisme.

 

Nonobstant cet aspect positif de l'islam à travers la voix du recteur d'Al-Azhar, bien des difficultés se constatent sur le chemin d'une concorde interreligieuse en vue d'un unisson des voix en faveur de la paix. Même dans le texte brillant que Mohammed Tantâwî a envoyé, à l'occasion de la nouvelle journée interreligieuse de prière, le 24 janvier 2002 à Assise, des considérations religieuses – les citations du Coran – se trouvent entièrement mêlées, et d'autres à caractère politique plus discutables comme l'évocation unilatérale du peuple palestinien, le rappel partial de la situation en Égypte[50].

 

Il n'y a pas de quoi espérer d'emblée une harmonie exemplaire, car le Dialogue interreligieux demeure un fait récent. Effectivement avec les pays musulmans, seulement depuis le Concile, se sont noués des liens de dialogue promus par de nombreuses initiatives ecclésiales[51]. Peu après Vatican II, le Secrétariat pour les relations avec les non-chrétiens, créé par Paul VI (août 1967), vient à générer lui-même une Commission spéciale pour les relations religieuses avec l'Islam (octobre 1974). Ce même mois, les oulémas d'Arabie Saoudite visitent le Secrétariat. Avec des représentants de l'islam, des rencontres de plus en plus fréquentes ont eu lieu : au Caire et à Bamako (1974) ; à Niamey (1975) ; à Tripoli (1976) ; à Vienne (1976) ; au Caire à Al-Azhar (1978) ; à Amman et à Rome (1981) ; première rencontre à Assise (1982) avant celle plus largement interreligieuse d'octobre 1986 ; etc. La dernière rencontre d'Assise (janvier 2002), à peine citée, dévoile de réels progrès du dialogue islamo-chrétien, et le long chemin qui reste à parcourir pour une authentique défense de la liberté religieuse de tous. Ainsi les coptes d'Égypte souffrent de manquer de liberté sociale, alors que les relations se montrent excellentes entre le secrétariat pontifical et Mohammed Tantâwî d'Al-Azhar.

 

Malgré ces points positifs de dialogue dont le mérite important revient à l'Église catholique depuis Vatican II, il faut conclure en définitive sur une situation peu évolutive, voire non progressive, de l'exercice de la liberté religieuse dans l'islam. Cet état statique vient du fait que la croyance musulmane affirme que le Coran est comme tombé du Ciel sur Mohamed sans que celui-ci exerce une cause seconde ; il s'agit, pour les musulmans, d'une parole incréée descendue (munzal) directement dans l'esprit et sur la bouche de Mohamed. Le Coran avec la sunna – c'est-à-dire la tradition de Mohamed – réclame, par ailleurs, l'obéissance absolue à Dieu. C'est donc l'argument d'autorité qui prime, et de surcroît, l'autorité demeure immobile dans sa relation à un texte pétrifié. Avec de telles prémisses, la sharî'a, la Loi dite divine, source du droit musulman, au confluent du Coran et de la sunna, ne peut guère évoluer malgré les subtiles interprétations de certains juristes qui arrivent, vaille que vaille, à trouver dans les listes d'interprètes des arguments vers de légères modifications. Les tentatives pour faire évoluer positivement les Droits de l'homme en pays musulmans, ne peuvent donc être que très modestes, y compris donc celui de la liberté religieuse. Les pays juridiquement moins traditionalistes – au Maghreb, par exemple – offrent des perspectives plus encourageantes pour les Droits de l'homme, mais ils affrontent, à propos de certains droits fondamentaux liés à la sacralité de la vie (cf. GS, n. 27), des dangers identiques à ceux qui frappent actuellement de plein fouet la morale occidentale secouée par des tentations de plus en plus libertaires : qu'il suffise de mentionner les lois et débats sur la contraception, l'avortement, l'euthanasie, les droits à l'homosexualité active, la manipulation des cellules souches.

 

Après cette trop brève évocation sur la liberté religieuse réelle dans les pays situés dans l'orbite musulmane, il faut examiner ce qui est plus spécifiquement l'objet propre de cette recherche, la source musulmane de ce droit qui provient d'une sourate du Coran, et de la Sunna.

 

 

Bases de la liberté religieuse dans la tradition coranique

 

 

La multiplicité des formes d'interprétation du Coran laisse l'espace à diverses prises de position par rapport au droit à la liberté religieuse. Autrefois, il fallait seulement distinguer les positions sunnites, chiites et khârijites ; désormais, les écoles nationales deviennent prépondérantes. Cependant, des groupes internationaux musulmans cherchent à unifier fort heureusement la position islamique, malgré ces exégèses variées du Coran[52]. Si les déclarations internationales des organisations musulmanes s'établissent en fonction de la diversité de compréhension du Coran, elles se font presque toujours avec des accents assez voisins de la conception catholique exprimée dans Dignitatis humanæ. Somme toute, une dimension à valeur universelle se dégage nettement, et de la tradition coranique, et des textes internationaux musulmans[53].

 

Dans le monothéisme de l'islam, la notion d'Alliance, ou de pacte c'est-à-dire un engagement réciproque entre Dieu et son Peuple, ou celle de promesse n'existent pratiquement pas[54]. L'islam en appelle cependant à une certaine immunité de coercition en matière religieuse : ne pas être forcé à agir contre sa liberté en matière religieuse[55]. Mahomet, mieux Mohamed ou Muhammad, dit l'ultime "Messager", l'"Envoyé" (Rasûl), enseigne nettement la liberté religieuse[56]. Cela se réalise dans le strict respect au dogme central de l'islam, l'Unicité de Dieu[57] :

 

 

Pas de contrainte en religion. La vérité (al-Rushd) se distingue en effet d'elle-même de l'erreur. Celui qui rejette les fausses divinités (Taghût) et croit en Dieu tient l'anse la plus solide qui ne peut être rompue. Dieu entend et sait tout (Coran, sourate 2, verset 256)[58].

 

 

Les premières paroles de cette sourate (pas de contrainte en religion ; la vérité se distingue elle-même de l'erreur), citée par Mohammed Tantâwî, permettent un rapprochement saisissant avec l'enseignement du concile Vatican II. Évitant un concordisme trop simpliste, un troisième parallèle dans le même tableau évoque au contraire la différence essentielle entre les deux religions : Alliance par filiation pour le christianisme, et sorte de théodicée cultuelle "monothéiste" pour l'islam[59].

 

 

D'autres textes peuvent être invoqués en faveur du droit coranique à la liberté religieuse[60]. Cette liberté se fonde sur l'égalité de tous les hommes, ayant reçu un même souffle, quelque chose de l'Esprit de Dieu (sourate 32, 9)[61]. Cependant, la sourate la Vache demeure la plus citée. Voici un parallèle avec les textes de Vatican II (nous soulignons) :

 

 

 

CoranVatican II

 

 

 

Pas de contrainte en religion (Coran sourate 2, verset 256 a – début).

 

 

 

La vérité (al-Rushd) se distingue en effet d'elle-même de l'erreur (Coran II, 256 b – suite).

 

Celui qui rejette les fausses divinités et croit en Dieu tient l'anse la plus solide qui ne peut être rompue. Dieu entend et sait tout (Coran II, 256 c – fin).

 

 

 

 

 

 

 

 

 

À cette obligation [de chercher la vérité et y adhérer] les hommes ne peuvent satisfaire que s'ils jouissent, outre de la liberté psychologique, de l'immunité à l'égard de toute contrainte extérieure (DH, n. 2, §2).

 

 

La vérité ne s'impose que par la force de la vérité elle-même qui pénètre l'esprit avec autant de douceur que de puissance (DH, n. 1, §3).

 

 

Tous les fils de l'Église doivent se souvenir que la grandeur de leur condition doit être rapportée non à leurs mérites, mais à une grâce spéciale du Christ ; s'ils n'y correspondent pas par la pensée, la parole et l'action, ce n'est pas le salut qu'elle leur vaudra mais un plus sévère jugement (LG, n. 14).

 

 

 

 

Pour prolonger la comparaison avec Vatican II, il importe d'insister sur le fait que la loi naturelle n'existe presque pas dans la pensée de l'islam. Sauf assertion de penseurs isolés, le fondement originel de la liberté religieuse ne peut venir que directement de la volonté de Dieu tel qu'il se révèle dans le Coran. Outre que l'islam a élaboré la théorie d'un volontarisme divin très marqué, il n'y a rien à ajouter à cette volonté divine, même si celle-ci – cas absurde pour l'islam – devait s'opposer au bon sens de la raison. Attendu que les limites de cette contribution contraignent à émettre quelque simplification, il faudrait nuancer ces affirmations dogmatiques selon les écoles musulmanes coraniques qui seront mentionnées plus bas.

 

Dans le même aperçu doctrinal simplifié, il faut ajouter que Dieu-Allah crée tout et à chaque instant (cf. sourate 39, 6). Donc les réalités créées existent sans une autonomie substantielle propre, à la grande différence de l'enseignement de Vatican II lequel insiste fortement sur le ce point (cf. GS, n. 36). Il subsisterait seulement comme une "habitude" non nécessaire de Dieu à ce qu'il en soit ainsi. Ce manque d'autonomie des créatures réduit l'espace de la finalité du droit à la liberté religieuse, lequel stimule normalement le croyant à la recherche de la vérité et au vrai culte. De plus, dans l'islam, l'homme est créé à l'image de Dieu, mais au sens seulement où l'homme a été créé selon l'image que Dieu s'est faite de l'homme. Le correctif est de taille par rapport à la Bible (cf. Gn 1, 26-27). Comme quoi, le Coran situe l'homme – image de Dieu – et sa liberté sur un terrain beaucoup moins solide par rapport à la liberté biblique, à l'image de la liberté divine elle-même. Au total, ces bases doctrinales largement répandues rendent donc la comparaison ci-dessus moins positivement probante du point de vue d'une expression épurée de la loi naturelle.

 

Un commentaire musulman récent déduit de la sourate la Vache : " Ainsi près d'un millénaire et demi avant la Déclaration des droits de l'homme, le Coran est le seul texte sacré qui affirme, avec une parfaite netteté, qui dispense de toute maïeutique plus ou moins douloureuse et laborieuse, le droit à la liberté des consciences, y compris le droit de l'enfant, d'élaboration toute récente dans la juridiction internationale[62]." Mohamed Talbi discourt avec brio sur la " liberté des consciences " dans ce commentaire du Coran. En examinant de près le texte coranique, il s'agit plus précisément d'immunité de coercition en matière religieuse : " Pas de contrainte en religion ", ou ne pas être forcé à agir contre sa propre conscience en matière religieuse. C'est un point remarquable d'une certaine convergence avec la doctrine explicite de Dignitatis humanæ. Cet axiome coranique constitue comme une vérité naturelle, ou même la médiation instrumentale d'" un élément de bonté et de grâce[63]" chez les adeptes d'un livre dit sacré, issu d'une autre religion que le christianisme. Il faut noter aussi que, aux yeux des musulmans, les "droits de Dieu" (huqûq Allâh) éclairent à la fois les devoirs et les droits de l'homme[64]. Comparativement ce dogme musulman permet de rejoindre un point trop oublié à propos des fondements de la liberté religieuse dans le christianisme : Dieu qui se révèle, possède le droit de dire la Vérité. Il ne s'agit jamais des droits de l'abstraite vérité qui n'en a pas en tant que telle !

 

Mais de quelle vérité est-il question chez les musulmans ? Si, dans la sourate la Vache, il est affirmé que la vérité se distingue de l'erreur par elle-même, aussitôt après le texte coranique loue le rejet des autres religions avec leurs "fausses divinités". Selon les commentaires modernes, cette mention correspondrait à la condamnation de l'athéisme, c'est-à-dire à la sentence contre celui qui ne croirait pas en Dieu.

 

Par ailleurs, cette liberté se montre à sens unique : " Celui qui change de religion, tuez-le " dit bien un hadith du Prophète[65]. Cette terrible exigence s'interprète par les écoles coraniques dans le sens de la peine de mort pour celui qui apostasie l'islam[66]. Pour autant, il faut noter que, dans certains pays, la peine de mort prévue par ce hadith ne s'effectua jamais à l'encontre des apostats. L'école hanéfite a déclaré, de son côté, que ce hadith ne pouvait s'étendre aux femmes, incapables de faire la guerre : la peine est commuée en emprisonnement pour elles. En fait, la menace sur l'apostat réside beaucoup plus dans sa destinée éternelle qu'ici-bas dans la mort physique (sourate 3, 85)[67]. Malgré cette évaluation anagogique, la mort sociale – carence de sépulture musulmane, absence d'héritage –, et même parfois une vraie perte de vie familiale – rupture de toutes relations parentales –, demeurent toujours de mise pour l'apostat (murtadd).

 

Dans quel cadre s'inscrit cette liberté ? Pour le saisir, il faut examiner comment se définissent, dans la pensée musulmane, l'unité, la sacralité, l'universalité et la trans-missibilité de l'islam.

 

L'unité se prend toujours de la Umma, c'est-à-dire comme il a été souligné, de la "communauté" ou "communion" islamique, politique et religieuse, voulue par Mohamed. Elle se caractérise par une dimension sociale et religieuse fortement unifiée. La communion sociale musulmane montre une impressionnante cohésion visible qui mérite notre attention par sa capacité à résister aux fortes pressions du monde matérialiste, que ce soit sous régime communiste – l'ancienne URSS notamment, ou la Chine – ou sous régime occidental qui s'est doté d'un matérialisme pratique érodant. La sacralité de l'islam tient certainement dans la radicalisation exprimée dans le Coran qui définit un rapport strict entre l'unicité de Dieu et les musulmans sans aucune réalité associée (shirk ; cf. sourate 4, 48). Même le prophète de l'islam n'est que le transmetteur quasi télégraphique, entre Dieu et les hommes, des versets qui lui sont transmis. Alors que Mohamed ne joue aucun rôle de cause seconde, il ne se montre que la cause instrumentale du Coran. Car Dieu parle directement à l'homme par le Coran. Ainsi, le concept d'inspiration du Coran diverge largement de celui du judaïsme ou du christianisme. En contraste avec cette conception du texte sacré des musulmans, la Constitution Dei Verbum à Vatican II insiste sur la composante humaine dans la réalisation matérielle de la Bible, dont Dieu est formellement reconnu comme l'Auteur.

 

Quant à l'universalité de l'islam, elle se définit dans un rapport simple à la nature humaine. Car tout homme naît musulman, mais perd le sens profond de son appartenance initiale à l'islam en devenant juif, chrétien ou polythéiste. D'une certaine manière, nul ne se convertit à l'islam, mais chacun peut retrouver son origine en professant la chahâda, la profession de foi, et en se soumettant ainsi aux quatre autres piliers de l'islam : la quintuple prière quotidienne (salât), l'aumône (zakât), le jeûne du Ramadan (saoum), le pèlerinage à La Mecque (hadj).

 

La diffusion externe à l'islam se réalise par le devoir du djihad, l'effort communautaire, puis par dérivation effort de guerre, guerre légale, appelée parfois "guerre sainte"[68]. Cet effort se réalise aussi, quand la conjoncture le permet, par une infiltration progressive, pacifique, notamment par une forte pression morale exercée sur les femmes en vue d'une fécondité recommandée la plus abondante possible, et notamment grâce au salut promis à la condition d'une maternité répétitive[69]. La diffusion à l'intérieur de l'islam dépend des imams ou plus généralement des oulémas : imams, muftis, cadis, ou encore mollahs chiites (tradition d'Ali). La formation de ceux-ci appartient aux écoles d'interprétation diversifiée du Coran. Celles-ci se répartissent selon quatre grands courants sunnites : il faut distinguer ainsi les leçons malékite (ou malakite), hanéfite (ou hanafite), chafiite et hanbalite. Ces écoles sont considérées comme les seules orthodoxes. À celles-ci, il faut ajouter les écoles du groupe chiite. Il serait trop long de résumer ici la pensée assez voisine de ces écoles sur la sourate la Vache laquelle vise particulièrement le droit à la liberté religieuse.

 

En absence d'une reconnaissance de l'existence d'une loi naturelle, les disputes théoriques sur la liberté religieuse se ramènent en fait au rôle de l'État et tournent donc autour de l'idée de savoir si le pouvoir politique, le gouvernement des hommes (Hâkimiyya) appartient aux fondements de la foi islamique ou seulement à une branche de la foi (Furu'al-îmân), un aspect donc plus secondaire et discutable sans que soit retenu un consensus (Ijmâ) obligatoire[70].

 

Pour une évolution positive vers plus de liberté religieuse – durement mise en question dans tous les pays à domination politique musulmane (Dâr al-islâm) –, il faudrait sans doute concevoir une attitude plus radicale encore avec Mohammed Akroun qui propose une "déconstruction historique" de toute la tradition islamique à commencer par les écrits du Coran[71]. Dans ce sens, et afin de mieux défendre les Droits de l'Homme (Usûl al-îmâm), un auteur comme Abdullahi an-Na'im travaille pour une relecture des sources coraniques distinguant la période normative de La Mecque et celle – plus contingente, selon lui – de Médine[72]. Mais le maître de ce dernier, Mahmud Muhammad Taha, a subi au Soudan (18 janvier 1985) la peine de mort pour ces opinions novatrices[73]. Les membres actifs du Dialogue interreligieux pourraient obtenir beaucoup plus pour la protection de ces courageux devanciers.

 

Par ailleurs, dans le cadre d'exercice de la liberté religieuse incluant les valeurs d'unité, de sacralité, d'universalité et de trans-missibilité de l'islam, il apparaît important que la notion de réciprocité puisse recevoir un écho favorable dans le Dialogue interreligieux. L'islam, à son origine, a pratiqué une attitude de tolérance pratique : en se référant au texte législatif çahîh d'Al-Boukhârî, un hadith précise que si, sur un point précis, Mohamed n'avait pas reçu de révélation divine, il fallait tenir compte des pratiques des autres religions. " Sous le règne du deuxième calife, quatre à cinq ans environ après la mort du Prophète de l'islam, on trouve une illustration de ce phénomène, notamment de la manière dont les lois étrangères pouvaient être acceptées comme lois islamiques. Un jour, le gouverneur d'une province frontalière écrivit une lettre au calife pour lui poser la question suivante: " "Des étrangers désirent pénétrer sur notre territoire pour faire du commerce. Quel tarif douanier devons-nous leur appliquer ?" La réponse fut celle-ci : "Le tarif appliqué aux musulmans dans le pays de ces étrangers"[74]. "

 

Ainsi, avec ce manifeste de l'islam, il importe de souhaiter que l'humanité puisse retrouver, à partir de cette base pratique de la réciprocité, une ouverture vers une réelle réciprocité religieuse. Ce thème mérite d'être développé dans l'expression internationale du droit à la liberté religieuse. Examiner dans ce dessein les déclarations internationales issues de l'islam, permet d'observer comment légalement se déclare ce droit, aujourd'hui.

 

 

 

Liberté religieuse affirmée dans les déclarations internationales musulmanes

 

 

L'Organisation de la Conférence islamique – l'OCI fondée en 1969 à Rabat – tente actuellement de donner, à partir désormais de Djedda, un cadre institutionnel à une coopération intergouvernementale des pays musulmans. La Déclaration universelle des droits de l'homme (1948) n'a pas été signée par de nombreux États arabes, en esprit d'indépendance à un système de pensée déclaré trop occidental[75]. Les textes de l'OCI tentent d'y remédier[76]. La première déclaration de l'OCI (1979) proclame dans son antépénultième article (art. 29) :

 

 

Tout homme a le droit de penser, d'écouter et de voir comme il le veut : il bénéficie du droit d'opinion, d'expression et de religion. Ce droit embrasse aussi l'emploi de tous les moyens qui garantissent l'exercice de cette liberté et la suppression de tous les obstacles qui s'y opposent. Toutefois le musulman a l'obligation personnelle de demeurer fidèle à l'islam dès lors qu'il y a adhéré en toute liberté[77].

 

 

Dans la formule de conversion à l'islam, il est explicitement mentionné que le converti choisit l'islam librement[78]. La Déclaration universelle des droits de l'homme en islam (DUDHI – 19 septembre 1981) prend, dès le préambule, appui sur un enracinement théologique dans le Coran. Le passage sur la liberté religieuse se vérifie encore plus explicite que le précédent[79] :

 

 

Tout individu a le droit à la liberté des rites suivant sa spontanéité divine ; il n'est pas permis d'exercer n'importe quelle sorte de contrainte ou de pression contre lui pour se convertir à une autre religion ou pour devenir athée ; [...] le musulman qui a été guidé à l'islam ne doit pas se convertir à une autre religion[80](art. 12).

 

 

Il y a là un clair refus de la coercition exprimée par la négative, contrainte inique, mais le texte sous-entend aussi qu'une certaine pression positive, légale, puisse s'exercer. D'autre part, il ne s'agit plus dans ce texte d'une obligation personnelle, donc subjective, de ne pas quitter l'islam mais d'une obligation objective : le musulman " ne doit pas se convertir ". Si cette obligation devient socialement légale, elle diffère totalement d'une nécessité théologique comparable à l'axiome ecclésial contre l'apostasie et redevient une pression sociale coercitive, ce qui diffère complètement de l'esprit de Dignitatis Humanæ. Le texte de la DUDHI s'achève avec une référence explicite à la sharî'a comme clef d'interprétation de l'ensemble de la déclaration (art. 27-28) ce qui laisse peu d'espoir de convergence de nos deux textes.

 

La déclaration de la Conférence islamique du Caire (5 août 1990) sur les Droits de l'homme dans l'islam, n'a pas été approuvée par les chefs d'État de l'OCI (décembre 1991)[81]. Ce refus vient sans doute du fait que cette déclaration semblait trop marquée par l'intégrisme musulman et son désir d'appliquer coûte que coûte la sharî'a. Pour éviter d'être débordé, l'OCI tente de jouer le rôle de justifier les grandes lignes traditionnelles de l'islam en matière religieuse : déclaration d'apostasie (ridda) contre qui ne confesse plus l'islam, assortie de la peine de mort, ou contre qui s'exprime de manière critique sur le Coran[82]. L'affaire Mahmud M. Taha, condamné à mort, illustre cette triste réalité. Similairement pour le chiisme, l'histoire de Salman Rushdie sous la menace de la fatwâ de peine de mort par l'ayatollah Khomeini en 1989 – et encore en vie sous la protection anglaise –, reste dans la mémoire internationale de tous[83].

 

Il subsiste une autre forme légale qui offense la liberté religieuse, c'est l'interdiction à une musulmane d'épouser un non-musulman[84]. En plus, il y a la prohibition faite à un non-musulman d'hériter d'un musulman. Il existe aussi la limite faite aux non-musulmans d'exercer une tutelle ou une garde des enfants musulmans. Équitablement, il faut signaler que, sur ces deux derniers points, la réciproque s'est vérifiée au Liban en faveur de la partie maronite.

 

Faut-il se demander à la fin de cette analyse schématique si le droit à la liberté religieuse convient vraiment à l'islam ? Serait-il seulement un fruit tardif d'influence occidentale ? Les croyants de l'islam accepteraient-ils majoritairement de dire avec Mohammed Akroun que " la liberté religieuse est une conquête de la rationalité ouverte, critique, toujours inquiète de la validité de la rationalité de l'esprit[85]" ? Outre l'existence restreinte d'une réelle analogie entre certaines conclusions du Magistère ecclésiastique et le Coran, et en dépit de fortes contraintes hostiles à la liberté religieuse, immanentes à l'islam, cette analyse incite à conclure que rien n'empêche que les traditions musulmanes puissent continuer à développer un enseignement positif sur le devoir de la paix, à base d'amour et de respect mutuel : " Aucun de vous n'est un croyant tant qu'il n'aime pas son frère comme il s'aime lui-même[86]." Cette considération de l'autre pourrait constituer le soubassement individuel nécessaire à un consensus en faveur de la liberté religieuse, dans la mesure où la notion de "frère" peut s'étendre au-delà des confins de l'islam, à l'instar du judaïsme.

 

 

III- CONVERGENCES POSSIBLES ENTRE LES RELIGIONS DE L'ALLIANCE – JUDAÏSME ET CHRISTIANISME –, ET L'ISLAM

 

 

Sans nier de grandes dissemblances, il apparaît urgent de proposer quelques rapprochements entre les trois religions en vue de promouvoir des lignes d'action interreligieuse et de politique internationale en faveur de la paix.

 

Encore que des éléments de rapprochement, fort significatifs, concernant des qualités interreligieuses analogues – unité, sacralité, universalité, "trans-missibilité" – existent, il faut enregistrer en premier la quasi-absence de la loi naturelle dans le judaïsme et surtout dans l'islam, ce qui apparaît comme le verdict instruisant, en grande part, la différence conceptuelle sur la liberté religieuse entre les religions confrontées[87].

 

À ce stade de la réflexion, il n'est plus possible de se situer à un niveau purement théorique, car la paix appartient aussi au domaine pratique et ne consiste pas seulement en l'absence de guerre mais dans la promotion d'une hiérarchie de valeurs justes la favorisant. Vatican II dégage clairement, en le démontrant, l'impossibilité de désolidariser l'aspect plus intérieur, celui du cœur de l'homme en quête de paix, et l'aspect plus extérieur de la paix civile ou politique[88]. Deux composantes majeures peuvent ainsi être mises en relief : un aspect concerne les rapports extérieurs entre les religions dans leur effort de convivialité, et un aspect intérieur regarde les capacités internes des religions à conserver, envers et contre tout, la juste attitude extérieure.

 

Le thème de la réciprocité comme expression bilatérale de la justice commutative mérite, en premier, l'examen attentif des religions. Puis la communion des hommes, réelle ressource propre à une religion, comme facteur de cohésion et de paix interne et externe, doit appartenir aux critères de discernement en faveur du Bien commun d'un pays, et aussi internationalement. Enfin, les "droits fondamentaux", dont fait partie le droit à la liberté religieuse, sont l'expression d'une responsabilité interreligieuse conduisant à une nécessaire coopération, parfois frontale, que les religions peuvent et doivent exercer en commun au milieu du phénomène de la "globalisation". L'expression de front commun des religions a mérité une juste critique : si Dieu est l'étendard de celles-ci, elles ont bien mieux à organiser qu'à promouvoir un nouveau front. Mais il serait naïf de penser que face à des puissances internationales, ou à des lobbies minoritaires mais décidés, il n'y ait parfois lieu de favoriser des actions communes, ou même une résistance orchestrée, interreligieuse. Quant il s'agit de faire respecter l'équité, le droit naturel avertit que " l'union fait la force ".

 

 

La réciprocité, pratique conséquente du droit à la liberté religieuse

 

 

Le principe de réciprocité s'exprime de manière plus limitée pour le judaïsme à cause de son déploiement politique en Israël, à la fois zone restreinte de la planète et territoire en conflit quasi permanent depuis 1948 à l'intérieur et à l'extérieur de ses frontières en discussion. En revanche, cette donnée s'observe dans le christianisme, et aussi dans l'islam, depuis les origines, à propos du domaine économique. Peut-il régir globalement les rapports entre des pays pluralistes ou à majorité religieuse différente[89] ? La réciprocité religieuse est-elle possible pour l'islam[90] ?

 

 

En plus d'aspects théoriques internes, l'islam véhicule une difficulté importante : celle de la non-distinction théorique entre religion et État. Par l'Imamat, c'est-à-dire la présidence d'un État, l'islam majoritaire voudra appliquer la Sunna, et donc le Djihad c'est-à-dire la défense de la communauté. Puis, par dérivation, ce sera l'effort de guerre sainte, dans les limites du ijtihâd, c'est-à-dire l'interprétation du droit à partir du Coran et de la Sunna. Seules des influences historiques, par exemple dues aux mandats des pays européens au Moyen-Orient, tempérèrent en fait cette tendance logique. Le crédit, accordé à cette modération possible, ne pourra jamais être indemne d'un irénisme insensible au risque de laisser beaucoup de mosquées se construire au nom d'un certain pluralisme religieux. Car la notion de mosquée – à distinguer de la musallâ, lieu plus exigu pour la prière, rassemblant au plus une cinquantaine de personnes, sans prédication organisée le vendredi –, cristallise le symbole du rassemblement politique du peuple et de son enseignement coranique. Cette donnée de l'islam ne semble pas, même en pays européen, pouvoir s'abstraire de son contexte d'origine et de la force politico-spirituelle, très effective, qui s'en dégage[91]. Là où il n'y a pas encore de mosquée, l'organisation juridique de la musallâ pourrait être mise sous tutelle par l'État laïque pour le bien des libertés religieuses individuelles, et sans provoquer des risques politiques massifs à plus ou moins longue échéance par la création intempestive de mosquées.

 

Sans attendre le résultat exigé par la réciprocité internationale, l'Église n'exclut pas que déjà dans les limites du Bien commun juste d'un pays, soient attribués aux ressortissants d'autres religions, ayant acquis l'identité nationale ou non, les droits afférents à une liberté de culte exempte cependant de revendication politique outrepassant ce même Bien. Théoriquement le christianisme se détermine sur la haute valeur de la charité en évitant d'intervenir trop directement désormais dans la vie civile comme par le passé sous un régime théocratique. Indirectement, l'Église apporte librement des conseils à la vie publique, au titre d'" experte en humanité " (Paul VI). Ce phénomène tient de l'auto-compréhension qu'a désormais l'Église d'elle-même comme pouvoir spirituel capable de s'adresser au pouvoir politique par exhortation, au niveau moral des consciences sans faire appel au bras séculier. L'Église exhorte à titre indicatif dans l'estimation des mesures pratiques ou techniques à prendre, sachant qu'elle ne possède pas de solution toute faite pour les épineux problèmes socio-économiques[92]. L'Église peut cependant, en cas de graves défaillances et en tout domaine, s'adresser au pouvoir politique à titre impératif, mais sans nulle contrainte physique exercée par sa propre juridiction autrement que par des peines spirituelles[93].

 

Les chrétiens, à titre individuel, peuvent accueillir tout homme sans exigence de réciprocité, et cette exhortation leur est même évangéliquement recommandée (cf. Mt 5, 38-47). Mais, au moment de l'immigration d'une pluralité d'individus, les États, en tant qu'ils reconnaissent qu'une religion représente ou intègre une partie importante de leur Bien commun propre, doivent réclamer la réciprocité aux autres pays par souci de justice pour leurs émigrés potentiels. La pensée catholique doit enregistrer, en faveur de la réciprocité civile entre pays à majorité musulmane ou chrétienne, l'intéressant appel du cardinal Giacomo Biffi de Bologne analysant la situation en Italie. Le ton se montre convaincant en faveur de la réciprocité[94].

 

Il paraît souhaitable d'appliquer pratiquement le principe de réciprocité, non au niveau des religions elles-mêmes qui procèdent selon des principes propres, mais des États. Pour engager un processus réel, il convient de développer une prise de conscience allant en ce sens dans les "États de droit", c'est-à-dire là où le pouvoir est réglé par la loi. Cet agissement suppose, entre autres, certains principes issus de l'histoire des démocraties où s'est reflétée l'influence de la maxime chrétienne : " Rendez à César ce qui est à César et à Dieu ce qui est à Dieu " (Mt 22, 21). Malgré les conflits contre les tendances théocratiques et les inévitables vicissitudes de l'histoire, les pays européens, d'Amérique et d'ailleurs, dans des États de droit, jouissent plus ou moins de ce privilège, celui d'un pouvoir étatique en harmonie concrète avec ce principe de distinction. Il est à craindre que pour certains pays, à forte tendance laïciste ou pour les pays islamistes, l'exception demeure de règle. Ces pays pourraient donc semer la terreur et la guerre sans le garde de fou du dialogue. Au-delà de tout amalgame réducteur, le constat du passé proche ou plus lointain comme les talibans en Afghanistan, la France de la Révolution de 1792, le Mexique au début du XXe siècle, tend à le démontrer.

 

Grâce à cette capacité originelle de leur pouvoir, il revient aux États de droit, de promouvoir la réciprocité à une échelle internationale. Il apparaît paradoxal que les pays européens aient tenté, récemment, de ne pas mentionner leur origine chrétienne dans la charte commune[95]. Est-ce une volonté de neutralité, de désengagement planétaire en ce qui concerne cette réciprocité interreligieuse, le signe d'une définitive atrophie politique ou un vieillissement marqué par une tendance à un alanguissement spirituel et donc une apathie culturelle ? L'histoire à venir donnera elle-même la réponse à propos des capacités européennes à favoriser le dialogue interreligieux, et l'interface conséquente bâtie sur la réciprocité et sur la paix.

 

 

La communion, authentique critère de discernement pour favoriser la paix

 

 

Pour saisir les conditions optimales de l'avènement à un droit social à la liberté religieuse, le concept de communion tient un grand rôle dans le christianisme, mais aussi dans l'islam par le biais communautaire de la Umma. L'attachement à la terre d'Israël rend le judaïsme moins apte à déployer la force convaincante de cette notion de communio qui préexiste néanmoins dans sa conception des relations humaines idéales et à l'égard de Dieu. Les prophètes, particulièrement Osée et Isaïe, se montrent l'écho de cette communion parfaite entre Dieu et son peuple. La solidarité traditionnelle exercée entre les membres de la diaspora juive va dans la confirmation de ce fait. Quel que soit le "monothéisme", les pouvoirs publics peuvent donc faire appel à ces forces de communion religieuse pour interroger l'avenir d'un mieux vivre et discerner, avec elles, les forces antagonistes au Bien commun d'une nation.

 

Cependant il faut remarquer que communio, terme pris abstraitement, admet un contenu très élastique – est-ce une union ou une unité commune ? –, et ne peut certainement pas signifier, chez les musulmans, une communion à la manière dont l'Église peut la comprendre, à la fois comme réalité socio-religieuse, diaconale et parfois charismatique, jusqu'à être aussi une communion théologale (cf. La Soujeole – Fribourg)[96]. La communion musulmane, au moins celle issue du sunnisme, se déploie essentiellement comme une simple communion socio–religieuse.

 

Effectivement le concept de communion (communionis notio[97]), terme clé parmi les concepts mis à l'honneur par le concile Vatican II – selon l'interprétation même du Synode extraordinaire de 1985[98] – ne se comprend bien que comme fruit de la grâce, don du Saint-Esprit. Suivre ici encore le théologien de Fribourg permet d'énoncer que la troisième personne divine agit doublement, au niveau de la grâce elle-même – communion théologale –, et notamment au niveau des sacrements et des charismes : communion diaconale. Cette grâce se donne et se déploie au sein de l'Église dans une vie structurée organiquement et notamment par l'institution des sacrements – communion diaconale – qui permet la communion des fidèles à Dieu : la communion théologale. Or les pouvoirs civils ayant le Bien commun comme principe de référence pour organiser la paix entre les concitoyens et la concorde des intérêts, peuvent n'être qu'à l'écoute de la réalité terrestre pour former une communion sociale. Ainsi, en raison de sa structure même, l'Église apparaît la mieux placée et peut revendiquer le meilleur discernement en matière de communion, par exemple, à propos du problème juridique des sectes, qualifiables de "fausses communions"[99].

 

 

La possible promotion commune des "droits fondamentaux" dont la liberté religieuse

 

 

En étudiant la conception du droit à la liberté religieuse dans une religion, le rapport connexe de ce droit avec les autres droits essentiels de l'homme se dégage nettement. Il faut noter, par exemple, une belle cohésion de la pensée musulmane semblable à celle catholique qui concerne le droit à la vie des enfants dans le sein maternel : il n'y a que la Tunisie autorisant légalement le " crime abominable " (cf. GS, n. 27 ; 51) de l'avortement[100]. Ainsi, les rencontres internationales sur le problème de la natalité dans le monde, aux conférences du CIPD (Conférence internationale sur la population et le développement) organisées par l'ONU au Caire (sept. 1994 ; juillet 1999), ont montré comment une coopération active, interreligieuse – joignant le Saint-Siège et les pays de l'islam – en faveur du "droit fondamental" de la vie naissante, pouvait avoir lieu. Or le sens éclairé de la vie accompagne nécessairement la promotion de la vraie paix. La cohérence des droits fondamentaux les lie entre eux ; et soutenir le droit à la vie devrait provoquer similairement la juste défense du droit à la liberté religieuse. En outre, la possible défense de la dignité humaine pourrait accentuer également cette ligne politique de coopération internationale promue par les religions[101]. Le manque de cohésion interreligieuse, en particulier sur le droit à la liberté religieuse et sur la réciprocité comme pratique qui devrait en découler, affaiblit à l'heure actuelle cette force unitive que les religions pourraient favoriser en commun dans le concert des grandes orientations planétaires.

 

 

IV- POUR UN MEILLEUR CONSENSUS

 

 

La liberté de conscience ou plus précisément la liberté religieuse alimente souvent en sourdine ou de manière médiatique de grands débats politiques à l'échelle internationale. Le choix de Pékin pour les Jeux olympiques (2008) a montré récemment l'importance de ce débat de fond. Les partisans de la liberté qui souhaitaient que le gouvernement de Pékin, sous condition de la venue des Jeux en Chine populaire, accepte de changer sa politique intérieure en matière de liberté religieuse, semblent avoir perdu à cette occasion une bataille puisque seul l'enjeu économique a emporté la décision internationale. A-t-on assez fait entrer en action l'argument du manque de liberté religieuse en ce pays ? Bien plus, il faut douter que les principes, sur lesquels repose la liberté religieuse, aient reçu suffisamment d'attention pour permettre de mieux les faire valoir politiquement. Ainsi, de façon regrettable, ils ne s'imposent pas assez au plan du droit. Il faut souhaiter la mise en œuvre à l'échelle internationale de tout un processus en faveur de la liberté religieuse. Dès lors, cette prise de conscience devrait convaincre certains pays de prendre de réels engagements sur la liberté civile en matière religieuse, vrai "test" pour l'ensemble des libertés civiles selon Jean-Paul II[102].

 

La juridiction internationale avec sa force, et ses limites – dues à l'influence de la philosophie des Lumières[103] –, ainsi que la reconnaissance progressive de la liberté religieuse dans les aires culturelles du christianisme, du judaïsme et de l'islam, montrent un effort très cohérent et universel pour donner aux religions leur place dans l'amélioration du Bien commun des nations et pour reconnaître leur rôle dans la promotion de la paix. Ce point commun provoque une authentique espérance dans la confrontation paisible sur le thème de la liberté religieuse entre l'Église et les autres "monothéismes". Une coopération active, mieux orchestrée, serait possible, mais aussi utile.

 

Cependant les ombres que jette la situation réelle de la pratique de ce droit, reconnu de manière encore insatisfaisante, font parfois mieux saisir les difficultés internationales qui rejaillissent sur la paix entre les nations. Généralement la liberté religieuse décroît avec la diminution de la libertas Ecclesiæ. Cet obstacle au droit à la liberté religieuse, enregistré concrètement dans les nations, juive et musulmanes, semble particulièrement d'actualité en ces années difficiles pour la paix au Moyen-Orient (2001-2005) et dans le monde.

 

Parmi ces difficultés, l'auto-compréhension du judaïsme et celle de l'islam laissent un espace réduit, ou même peu d'espace, au vrai concept de liberté religieuse, sans que cette carence empêche sa possible universalisation. En effet, il n'existe pas, dans la loi juive ou dans la tradition musulmane, de définition assez précise de la liberté religieuse, prise en tant que droit exprimé dans une juridiction par mode de prohibition, et comprise comme une absence de coercition de l'État ou de quiconque. En conséquence, il est impossible de démontrer commodément, au nom de ces deux religions, la transition des principes respectifs de ces deux croyances à l'expression confessionnelle d'un droit concret, reconnu dans de justes limites, à l'immunité contre toute coercition en matière religieuse. Une analogie notable, bien que limitée, a pu cependant être observée entre le Coran (sourate la Vache, verset 256 a–b) et l'axe de pensée de Dignitatis Humanæ à Vatican II. Les résultats obtenus dans cette recherche entreprise avec autant d'ardeur pour le judaïsme, demeurent beaucoup plus modestes, mais rien ne contredit les principes de la liberté religieuse dans cette dernière religion. Nombre de ses fidèles la défendent en se fondant sur les principes bibliques et talmudiques d'amour du prochain. Malheureusement le judaïsme contemporain s'affirme peu présent sur ce terrain de la réflexion.

 

Plusieurs orientations d'action favorisant la paix internationale, peuvent largement être préconisées au sein des religions : la juste promotion de la réciprocité qui devrait être reconnue comme une pratique internationale conséquente au droit à la liberté religieuse ; la notion de communion, authentique critère de discernement à l'intérieur des nations ; la coopération active, interreligieuse, de défense des droits fondamentaux en lien avec celui central de la liberté religieuse. Ainsi le dialogue interreligieux pourrait favoriser davantage un même engagement pour la liberté religieuse et la promotion conséquente en faveur de la paix[104].

 

Éd. D.

 

 

 

 

 

 

© Liberté politique, hiver 2006.

1. Cf. JEAN-PAUL II, Déclaration à la rencontre interreligieuse d'Assise (24 janvier 2002), n. 1 et 4 ; DC, n. 2264, (17 février 2002), col. 167-170, [col. 167 ; 169] : " Nous voulons apporter notre contribution pour éloigner les nuages du terrorisme. [...] C'est pourquoi nous voulons nous écouter les uns les autres : c'est déjà là – nous le sentons – un signe de paix. [...] Il faut que les personnes et les communautés religieuses manifestent le rejet le plus net et le plus radical de la violence, de toute violence, à commencer par celle qui prétend se parer de religiosité, allant jusqu'à faire appel au nom très saint de Dieu pour offenser l'homme. Offenser l'homme revient en définitive à offenser Dieu. Aucune finalité religieuse ne peut justifier la pratique de la violence de l'homme sur l'homme. " Voir aussi la déclaration de Jean-Paul II à la VIe Assemblée générale de la Conférence mondiale des religions pour la paix, le 3 novembre 1994, Insegnamenti di Giovanni Paolo II, XVII, 2, (1994), p. 597-601 (en anglais). Le patriarche grec-orthodoxe de Constantinople a signé avec les autres représentants des religions et des Églises : " Nous rejetons unanimement le postulat selon lequel la religion contribue à un choc inévitable des civilisations. Au contraire, nous affirmons le rôle constructif et instructif de la religion dans le dialogue entre civilisations. " (BARTHOLOMEE Ier, Rencontre interreligieuse de Bruxelles, 20 décembre 2001, dans SOP n. 265, février 2002, p. 20-22.)

2. Cf. S. P. HUNTINGTON, " The Clash of Civilisations ? ", Commentaire 18/66, (1994), p. 238-252.

3. Vatican II, Déclaration Dignitatis humanæ, n. 7.

4. Cf. Par exemple notre article : É. DIVRY, " Sur les conséquences de Dignitatis Humanæ ", Revue thomiste n. 103, (2003), p. 249-290.

5. Cf. Pour le christianisme, JEAN-PAUL II, Au corps diplomatique accrédité auprès du Saint-Siège, n. 3, 12 janvier 1985 ; Insegnamenti di Giovanni Paolo II, VIII/1, (1985), p. 53-67, [p. 60] : " Quant au domaine de la liberté religieuse, il doit aussi comporter une réciprocité, c'est-à-dire une égalité de traitement. "

6. Cf. JEAN XXIII, encyclique Pacem in terris, AAS 55, (1963), p. 257-304, [p. 265-266]. Voir aussi JEAN-PAUL II, encyclique Dominimum et Vivificantem n. 67, 18 mai 1986 ; AAS 78, (1986), p. 809-900, p. 900 : " La paix est fruit de l'amour. "

7. Cf. JEAN-PAUL II, Redemptor Hominis, n. 17.

8. Sami A. ALDEEB ABU-SAHLIEH, Liberté religieuse et Paix au Proche-Orient, Louvain-la-Neuve, CERMAC, 1988, p. 4-12.

9. Roberto TONIATTI, " Aspetti problematici in materia di libertà religiosà nello Stato di Israele ", in Franco BIFFI, AA.VV, I Diritti fondamentali della personna umana e la libertà religiosa, Atti del quinto Colloquio giuridico (8-10 marzo 1984), " Utrumque ius, n. 12 ", Roma, L.E.V. / Libreria Editrice Lateranense, 1985, p. 663-669 ; Ruth LAPIDOTH, " Le pluralisme religieux en Israël ", Conscience et Liberté, n. 35, (1985), p. 11-20 ; Silvio FERRARI, " La liberté religieuse en Israël ", in Joël-Benoît D'ONORIO, La Liberté religieuse dans le monde, p. 243-254.

10. Cf. Giovanni CUBEDDU, " Démocratie et non théocratie ", entretien avec Léa Rabbin, 30 Jours dans l'Église et dans le monde, XVII, n. 2, (1999), p. 16-17 ; Ruth LAPIDOTH, " Le pluralisme religieux en Israël ", p. 12, note 5 ; p. 19. Voir aussi Renzo GUOLO, " La frattura laici/religiosi nella società israeliana ", Religione e Società, (Gennaio-Aprile 2000), p. 33-42.

11. Cf. Ruth LAPIDOTH, " Le pluralisme religieux en Israël ", p. 17-18.

12. Cf. Sami A. ALDEEB ABU-SAHLIEH, op. cit., p. 19-21. Il faut ajouter que les mariages mixtes sont abhorrés par le droit hébreu à cause de la Loi (cf. Dt 7, 3-4).

13. Cf. Ruth LAPIDOTH, " Le pluralisme religieux en Israël ", p. 16.

14. À l'exclusion de " toute personne qui a été juive et qui a volontairement changé de religion " (" Pas de citoyenneté israélite pour les juifs messianiques ", CL, n. 43, (1992), p. 114). Ou encore, à propos du fameux Père Daniel o.c.d. (Oswald Rufeisen), juif converti au catholicisme, à qui fut refusée la nationalité israélienne auquel fait allusion Silvio FERRARI, " Liberté religieuse et pluralisme confessionnel : le cas d'Israël ", CL, n. 40, (1990), p. 20-31, [p. 26, note 16].

15. Cf. Silvio FERRARI, id., p. 24 : " L'orientation qui prévaut dans la législation israélienne est [...] d'affirmer le caractère juif de l'État."

16. Dès 1910, l'écrivain français Léon Bloy, puis Jacques Maritain, marquent un changement profond de mentalité. Pendant la guerre de 1939-45 l'attitude courageuse de plusieurs évêques (cardinaux Gerlier, Suhard ; Mgr Saliège) et de pasteurs (Dietrich Bonhoeffer, exécuté au camp de Flossenbürg par les nazis en 1945) ont débouché sur un après-guerre riche en événements positifs. Sans être exhaustif, en voici quelques-uns : Conférence à Seelisberg en Suisse (30 juillet - 5 août 1947) ; Amitiés judéo-chrétiennes fondées par Jules Isaac (1948). L'attitude politique prudente de Paul VI, en janvier 1964 en Terre Sainte (il évita les mots "État d'Israël"), ne doit pas faire illusion, c'est à lui qu'on doit le bon aboutissement de la déclaration Nostra Ætate (n. 4) à Vatican II (1965), la création de la Commission pontificale pour les relations avec le judaïsme (1973). Dans la même ligne, signalons la visite de Jean-Paul II à la Synagogue de Rome (1986). Voir AA.VV., Une mémoire pour l'avenir, Cinquante ans de dialogue entre juifs et chrétiens, les grands textes, Lausanne, édit. du Zèbre, 1997 ; publication du texte de la Commission du St-Siège Nous nous souvenons. Une réflexion sur la Shoah, 16 mars 1998.

17. Cf. Giovanni CUBEDDU, " La réalité, c'est Jésus-Christ, après le voyage du Pape en Terre Sainte. Interview de David Maria Jæger ", 30 Jours dans l'Église et dans le monde, XVIII, n. 6/7 (2000), p. 54-57.

18. Cf. Michel ABITBOL, Monothéismes et tolérance : colloque du Centre international de recherche sur les Juifs du Maroc, Paris, Albin Michel, 1998.

19.  Cf. Jean-marie ALLAFORT, " Terre sainte : la bataille du Mur ", Liberté politique, n. 25, (mars 2004), p. 203-206.

20. Cf. Jean HALPERIN, " Témoignage sur la liberté religieuse dans la Bible et dans le judaïsme " dans Émile POULAT, Francesco Margiotta ABROGLIO, La Liberté religieuse dans le judaïsme, le christianisme et l'islam, colloque à l'abbaye de Sénanque, actes mis en forme par Éric BINET et Roselyne CHENU, Paris, Cerf, 1981, p. 89-99. Sur le judaïsme voir aussi : Daniela PIATTELLI, " Tutela della personna umana e libertà religiosa in Israele ", dans Franco BIFFI, AA.VV, I Diritti fondamentali della personna umana e la libertà religiosa, p. 175-183 ; Giovanni GARBINI, " Gli Ebrei e la tolleranza religiosa ", dans Idem, p. 309-313.

21. Sur le sens de l'expression : A. VANHOYE, " Salut universel par le Christ et validité de l'Ancienne Alliance ", NRT, n. 116, (1994), p. 815-835.

22. Expression de Vatican II, Ad Gentes, n. 10. Voir aussi JEAN-PAUL II, encycliques Sollicitudo rei socialis, n. 47 ; Centesimus annus, n. 60.

23. Cf. Geoffrey WIGODER, adaptation française Sylvie-Anne GOLDBERG, Dictionnaire encyclopédique du judaïsme, Esquisse de l'histoire du peuple juif, Paris, Cerf, 1993, p. 425-428.

24. La critique récurrente objecte que le judaïsme ne se définit pas comme une religion universelle, mais comme une Alliance avec le Dieu d'Abraham, d'Isaac et de Jacob ayant la terre d'Israël comme promesse. Aux yeux de la théologie catholique, la dimension universelle des prophéties juives (par exemple : Am 9, 11-12 ; Is 45, 6 ; Is 59, 19 ; Za 2, 15) se réalise justement dans l'Église en tant qu'elle se proclame traditionnellement elle-même nouvel Israël (Rm 9, 6) "accompli", ou encore issue de la semence d'Abraham (cf. Ga 3, 29). Au-delà de ces désaccords de compréhension, le judaïsme a continué historiquement à exercer une influence universelle sur la pensée, la culture, etc.

25. Le préfixe grec mono de monothéisme demeure ambigu. Pour les chrétiens, Dieu est un et unique mais pas seul, au sens d'isolé, solitaire, Dieu est un en trois Personnes. Le concile de Nicée-Constantinople affirme : Nous croyons en Dieu un (DzH, n. 150). Dans les premiers symboles antérieurs, l'adjectif monos est utilisée, mais il faut l'attribuer à vrai et non à Dieu directement : " Nous croyons en un, et seul vrai, Dieu " (Fragments du Symbole d'Antioche, DzH, n. 50). Dans la traduction française non littérale de Credo in unum Deum (symbole de Nicée-Constantinople) : " Je crois en un seul Dieu ", seul doit se comprendre comme unique, une accentuation de un. (cf. CEC, n. 200). Pour le christianisme, il s'agit d'un Dieu personnel, unique, d'un "uni-théisme", qui s'oppose à la fois au tri-théisme hérétique et au "monothéisme" musulman, au théisme impersonnel ou au simple déisme. Pour prévenir ce néologisme, "uni-théisme" (ou enothéisme), sera évitée l'expression ambiguë monothéisme, en écrivant désormais entre guillemet "monothéisme" ainsi que son dérivé "monothéiste". Pour les juifs, le "monothéisme" signifie aussi l'unicité de Dieu (cf. Dt 6, 4).

26. Cf. David SCHAUMANN, " Libertà nell'ebraismo e nella religione ebraica ", Humanitas n. 1-2, (1969), p. 175-187. Ce souvenir nécessaire de l'esclavage apparaît plus tardivement, à l'époque deutéronomiste, donc de plus grande maturité, à la différence du premier récit (cf. Ex 20, 1-17) centré sur la Création seule (cf. Ex 20, 11) et qui ne mentionne pas pour chaque juif le devoir de se remémorer qu'il a été esclave en Égypte.

27. Cf. Guido FUBINI, " Ebraismo italiano e problemi di libertà religiosa ", dans P. BELLINI, AA.VV., Teoria e prassi delle libertà di religione, Bologna, il Mulino, 1975, p. 673-753.

28. Guido FUBINI, " Ebraismo italiano e problemi di libertà religiosa ", p. 686 (notre traduction de l'italien).

29. Emmanuel LEVINAS, Difficile liberté. Essais sur le judaïsme, Paris, Albin Michel, 19833, p. 1989-1983 (écrit de 1955), cité en titre du livre de Azzolino CHIAPPINI, Amare la Torah più di Dio, Emmanuel Lévinas lettore del Talmud, thèse de doctorat, Firenze, Giunta, 1999, p. 107-109 : " Aimer la Torah plus que Dieu. "

30. Guido FUBINI, " Ebraismo italiano e problemi di libertà religiosa ", p. 686 (notre traduction de l'italien).

31. Pour une discussion autour de ce texte qui peut être mis en parallèle avec la canon 22 (CIC, 1983), lequel prescrit l'observance des lois civiles si elles ne sont pas contraires au droit divin et si le droit canonique n'en dispose pas autrement, voir : Silvio FERRARI, Lo spirito dei diritti religiosi : Ebraismo, cristianesimo e Islam a confronto, Bologna, Il Mulino, 2002, p. 240 ; 252-256.

32. Rabbi Meir converse, par exemple, souvent avec un "Autre" mystérieux, c'est-à-dire un hérétique dont le nom est connu secrètement et qui n'est autre qu'Élisée ben Abuyah. Cf. David SCHAUMANN, " Libertà nell'ebraismo e nella religione ebraica ", p. 185-186.

33. Cf. Talmud, Shabbat 31 a : " Ce qui t'est odieux, ne le fais pas à ton compagnon. C'est là la Loi tout entière, le reste est un commentaire. " Ajoutons le Midrash sur la prière citée par le rabbin Israël Singer (cf. note suivante). Midrash Bamidbar Raba : " Les bénédictions ne sont pas complètes jusqu'à ce qu'elles ne contiennent pas en elles la parole Paix. "

34. Cf. rabbin René-Samuel SIRAT, dans DC, n. 2266, (17 mars 2002), col. 270 : " Si tu veux la paix, prépare... 1/ Surtout, ne prépare pas la guerre. 2/ Bien au contraire, si tu veux la paix, prépare d'abord la fraternité. 3/ Mais aussi, si tu veux la paix, prépare l'enseignement de l'amour du prochain. 4/ Car, en effet, si tu veux la paix, donne la priorité des priorités à l'éducation. 5/ Mais n'oublie pas : si tu veux la paix, prépare la justice et respecte la dignité de l'adversaire. 6/ Mais aussi, si tu veux la paix, purifie les mémoires. 7/ Si tu veux la paix, prépare la vérité. 8/ Surtout, si tu veux la paix, prépare la solidarité. 9/ Enfin, si tu veux la paix, prépare la miséricorde. 10/ Alors, si tu prépares tout cela, la paix te sera donnée par surcroît. "

35. Cf. JEAN-PAUL II, Laborem exercens, n. 8.

36. Le rabbin Israël Singer a déclaré, quant à lui, au nom du judaïsme que les " traditions religieuses juives ne confèrent pas un rôle central au concept de guerre ", que " l'offensive militaire n'est pas au cœur du judaïsme ", malgré certaines injonctions à la guerre totale contre Amalek, par exemple, et que la guerre n'est pas dans leur culture, " ça n'est pas notre labeur, ça n'est pas notre mission, ça n'est pas notre tâche en tant que juifs ". Le rabbin Singer a aussi déclaré : " La Bible juive, notre Loi orale, notre Talmud, notre Midrash et nos écrits rabbiniques, tous mettent l'accent sur l'importance de la paix, chez nous comme avec nos voisins " (OR, Anno CXLII, n. 21, (25 gennaio 2002), p. 5 ; trad. française : DC, n. 2264, (17 février 2002), col. 174).

37. Cf. par exemple Karol WOJTYLA, concile Vatican II, Congrégation générale n. 133, 22 sept. 1965 ; A.S. IV/II, 1977, p. 12-13 : " Ad hanc difficilem quæstionem clarificandam oportet dicere, quod ius ad libertatem religiosam tamquam naturale (id est in lege naturæ ergo divina fundatum) non recipit limites nisi ex parte eiusdem legis moralis. Lex humana positiva limites hic imponere nequit, nisi secundum legem moralem. "

38. Cf. S. FERRARI, Lo spirito dei diritti religiosi : Ebraismo, cristianesimo e Islam a confronto, p. 138-142. Pour un rapprochement des chrétiens avec les juifs entre la loi noachique et la loi naturelle : David NOVAK, Natural Law in Judaism, Cambridge, Cambridge University Press, 1998 ; Nahum RAKOVER, Law and the Noachides. Law as a Universal Value, Jerusalem, The Library of Jewish Law, 1998 (généralités).

39. Cf. Maurice BORRMANS, " La liberté religieuse dans les pays d'islam " dans Joël-Benoît d'ONORIO, La Liberté religieuse dans le monde, p. 255-269. Mohamed Talbi, " Religious liberty : a Muslim Perspective ", Islamocristiana, n. 11, (1985), p. 99-113. M. BORRMANS, " Convergences et divergences entre la déclaration universelle des droits de l'homme de 1948 et les récentes déclarations des droits de l'homme dans l'islam ", Islamocristiana, n. 24, (1999), p. 1-17.

40. Par exemple, seulement l'Afghanistan, l'Arabie saoudite, le Bahreïn, les Comores, l'Oman, le Yémen du Nord (avant l'unification de 1990), sur vingt-deux États arabes, n'ont pas signé (Mauritanie, Turquie) ou n'ont pas ratifié (Algérie, Égypte, Émirats Arabes Unis, Iran, Irak, Jordanie, Koweït, Libye, Maroc, Pakistan, Qatar, Syrie, Tunisie, Yémen du Sud) la Convention relative à l'élimination de toutes formes de discrimination raciale promulguée en 1966. Cf. Pontfico Istituto di studi arabi e d'islamistica, Islamocristiana, n. 9, (1983), p. 158-159.

41. L'encyclopédie Larousse écrit au singulier Djamahiriyya, ex. : République de la Libye. Le Dictionnaire historique de l'islam transcrit comme nous jumhûriya, ou en turc cümhuriyet. Cf. Dominique et Janine SOURDEL, Dictionnaire historique de l'islam, Paris PUF, 1996, p. 707.

42. Cf. Coran, sourate 9, verset 5. Noté désormais sourate 9, 5.

43. Cf. Sami A. ALDEEB ABU-SAHLIEH (Salieh [sic]), Les Musulmans face aux droits de l'homme : religion & droit & politique : étude et documents, Bochum, D. Winkler, 1994, p. 99.

44. Cf. Nations-unies, " Rapport de Madame Élisabeth Odio Benito ", in CL, n. 35, (1985), p. 55-112, [p. 67] ; Kamran EKBAL, " Les bahá'is - Une minorité religieuse persécutée ", CL, n. 39, (1990), p. 8-16.

45. Parmi les organisations interdites par l'islam, notons les franc-maçons qui réclament souvent en Occident une équi-parité avec les religions. Sami A. ALDEEB ABU-SAHLIEH, Les Musulmans face aux droits de l'homme..., p. 118 : " Une décision de l'Académie du droit musulman en Arabie saoudite considère la franc-maçonnerie comme l'organisation la plus dangereuse contre l'islam et les musulmans. Selon cette fatwâ, la franc-maçonnerie se cache derrière d'autres groupes, notamment le Lions club et le Rotary club. " En comparaison, en Occident, l'appel à l'État (aux princes catholiques et aux pouvoirs séculiers) pour lutter contre la franc-maçonnerie remonte quasiment au début de celle-ci (1717) : Clément XII, Lettre apostolique In Eminenti Apostolatus Specula (28 avril 1738) (DzH, n. 2511-12) ; Benoît XIV, Bulle Providas Romanorum (18 mars 1751), dans Tutte le encicliche e i principali documenti pontifici emanati dal 1740, vol. 1, a cura di Ugo Bellocchi, Vaticano, Libreria editrice Vaticana, 1993, p. 289-294, [p. 293], n. 9. Actuellement l'incompatibilité entre l'appartenance à l'Église et la franc-maçonnerie reste de rigueur : Déclaration de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi, 26 novembre 1983, dans AAS 76, (1984), p. 300 ; DC, n. 1865, (1er janvier 1984), p. 29. (Voir aussi AAS 73, (1981), p. 240-241). Il y aurait donc possibilité de favoriser une coopération active, interreligieuse, pour avertir contre celle-ci en cas de danger spirituel avéré.

46. Cf. Sami A. ALDEEB ABU-SAHLIEH, Les Musulmans face aux droits de l'homme..., p. 97.

47. Cf. Sami A. ALDEEB ABU-SAHLIEH, op. cit., p. 90-91 ; 96. Le principe du ijtihâd est que la Sunna règle le Coran et pas l'inverse, et que l'ijtihâd aurait cessé à la fin du quatrième siècle de l'ère musulmane (XIe siècle.) ; il s'agirait, désormais, seulement de gloser sans pouvoir transposer ce qui est déjà une fois pour toute donné. Nonobstant, bien qu'en principe, le Coran se commente seulement mais ne s'interprète pas ou quasiment plus, plusieurs auteurs modernes contestent la fermeture du ijtihâd, et cet article ne veut que les encourager à persévérer.

48 M. BORRMANS, " La liberté religieuse dans les pays d'islam ", p. 264. Voir aussi Édouard Sami M. SABANEGH, " Les droits de l'homme en Islam et le problème des minorités chrétiennes en pays musulmans ", dans Franco BIFFI, AA.VV, I Diritti fondamentali della personna umana e la libertà religiosa, Atti del quinto Colloquio giuridico (8-10 marzo 1984), p. 593-595.

49. Par exemple, le Rapport 2000 sur la liberté religieuse de l'Aide à l'Église en Détresse qui, parmi tant de publications, dénonce le mauvais traitement et la persécution des coptes en Égypte : Giovanni MARCHESI, " Rapporto sulla libertà religiosa nel mondo ", La Civiltà Cattolica, qu. 3611, (2002 IV), p. 476-485, [p. 482-483].

50. Mohammed TANTÂWÎ, texte lu par le Dr Ali Wahby Elsamman, OR, Anno CXLII, n. 21, (25 gennaio 2002), p. 5. (Traduction française : DC, n. 2264, (17 février 2002), col. 173) : " Au Nom de Dieu, le Tout Miséricordieux, le Très Miséricordieux. J'adresse d'abord un grand merci à Sa Sainteté le Pape Jean-Paul II qui réunit aujourd'hui tous les représentants des diverses traditions religieuses, animés par la même ferveur pour construire un monde meilleur. Pour nous éclairer dans ce cheminement vers la paix, la foi musulmane nous donne des rappels que je vais brièvement vous livrer. Premièrement : Dieu a créé tous les humains à partir d'un seul père et d'une seule mère. Comme Dieu l'a déclaré dans le livre sacré : " Oh vous les hommes ! Craignez votre Seigneur qui vous a créés d'un seul être, puis, de celui-ci, il a créé son épouse et il a fait naître de ce couple un grand nombre d'hommes et de femmes. Craignez Dieu ! Vous vous interrogez à ce sujet et respectez les entrailles qui vous ont portés. Dieu vous observe " (sourate Les Femmes, 1). Deuxièmement : Toutes les religions monothéistes révélées par Dieu à ses honorables prophètes s'accordent sur deux points essentiels : - La dévotion au culte du Seul et Unique, comme Dieu l'a dit : " Il a établi pour vous, en fait d'obligation religieuse, ce qu'il avait prescrit à Noé, ce que nous te révélons (Mahomet) et ce que nous avions prescrit à Abraham, Moïse et à Jésus: Acquittez-vous du culte. Ne vous divisez pas en secte ! Combien paraît dur aux polythéistes ce vers quoi tu appelles ! Dieu choisit et appelle à cette religion qui il veut et dirige vers elle celui qui revient repentant à Lui " (sourate La Délibération, 13). - Le respect des valeurs : Allah a révélé ma religion monothéiste pour le bonheur de l'humanité. Les religions prêchent toutes les valeurs de l'éthique comme l'honnêteté; la justice, la paix et la prospérité, ainsi que l'échange de toutes les actions bienfaitrices autorisées par Allah, la coopération entre tous les peuples en faveur du bénévolat et de la pitié et non pour l'offense et l'agression. Troisièmement : " Dieu nous a créés en cette vie pour que nous nous connaissions les uns les autres, comme il a dit : Oh vous les hommes ! Nous vous avons créés d'un mâle et d'une femelle. Nous vous avons constitués en peuples et en tribus pour que vous vous connaissiez entre vous. Le plus noble d'entre vous, auprès de Dieu, c'est le plus pieux d'entre vous. Dieu est celui qui sait et qui est bien informé " (sourate Les Appartements privés, 13). Quatrièmement : Toutes les religions monothéistes prônent que l'être humain soutienne le droit et la justice, restaurant les légitimes propriétaires dans leurs droits. À cette occasion, Al-Azhar Al Sharif a le plaisir de rendre hommage à l'Etat du Vatican pour son honorable soutien à l'égard du peuple palestinien. Cinquièmement : En Égypte, musulmans et chrétiens ont vécu en tant que frères pendant quatorze siècles, sous un même ciel, sur la même terre, égaux en droit et en responsabilité. Chacun pratique sa foi comme le dit le Saint Coran : " Pas de contrainte en religion ! La voie droite se distingue par l'erreur. Celui qui ne croit pas aux idoles et qui croit en Dieu a saisi l'anse la plus solide et sans fêlure. Dieu est celui qui entend et qui sait tout. " (sourate La Vache, 256). Al-Azhar et ses oulémas, dans cette journée de prière en commun adhère avec conviction à l'appel à la paix avec un lien immédiat et inséparable à la justice. " (texte intégral). Notons aussi la position plutôt pacifiste du monde musulman présenté par Edmond FARAHIAN, " Il mondo musulmano dopo l'11 Settembre 2001 ", La Civiltà Cattolica, qu. 3641, (2002 I), p. 507-513.

51. Il existe de nombreux livres sur le sujet ; signalons celui de Maurice BORRMANS, Annie Laurent, Dialogue islamo-chrétien à temps et à contretemps, Paris, édit. St-Paul, 2002 (chapitre cinquième sur les Droits de l'Homme).

52. Cf. Hmida ENNAÏFER, Les Exégèses modernes du Coran, Roma, PISAI, 1997.

53. Cf. Henri SANSON, " Universalité du christianisme et universalité de l'islam ", Islamocristiana, n. 13, (1987), p. 47-59 ; Mohammed CHARFI, Islam et liberté : le malentendu historique, Paris, Albin Michel, 2001 ; ZOILA COMBALIA, El derecho de libertad religiosa en el mundo islámico, Pamplona, Navarra Gráfica Ediciones, 2001.

54. Les soufis enseignent cependant, en un sens très différent du judaïsme, un Jour d'Alliance primitif où l'homme prêta serment d'allégeance et attesta Allah comme seul et unique Seigneur. La technique du dhikr permettrait un retour du mystique à ce jour primordial. Mais le soufisme n'est pas représentatif de l'islam.

55. Cf. Louis GARDET, L'islam, religion et communauté, Paris, DDB, 1970 ; Louis GARDET, M. M. ANAWATI, Introduction à la théologie musulmane, Paris, Vrin, 19813 ; Jacques JOMIER, Pour connaître l'islam, Paris, Cerf, 1988 ; Abdelmajid CHARFI, " L'islam et les religions non musulmanes. Quelques textes positifs ", Islamocristiana, n. 3, (1977), p. 39-63 ; Alexandra PETERSOHNEN, Islamisches Menschenrechtsverständnis unter Berücksichtigung der Vorbehalte muslimischer Staaten zu den UN-Menschenrechtsverträgen, Inaug.-Diss. Recht, Bonn, 1999.

56. Cf. Édouard Sami M. SABANEGH, " Les droits de l'homme et l'islam ", dans Franco BIFFI, AA.VV, I Diritti fondamentali della personna umana e la libertà religiosa, Atti del quinto Colloquio giuridico (8-10 marzo 1984), p. 701-714; M. TALBI, " Religious Liberty, a Muslim Perspective ", Islamocristiana, n. 11, (1985), p. 99-113 ; " Liberté religieuse et transmission de la foi ", Islamocristiana n. 12, (1986), p. 27-47 ; M. TALBI, " Les réactions non catholiques à la déclaration de Vatican II Dignitatis humanæ, point de vue musulman ", Islamocristiana, n. 17, (1991), p. 15-20 ; RIDWAN AL-SAYYID, " Contemporary Muslim Thought an Human Rights ", Islamocristiana, n. 21, (1995), p. 27-41.

57. Cf. Vincent CORNELL, " Tawhid, la reconnaisance de l'Un dans l'islam ", Concilium, n. 253, (1994), p. 77-83.

58. Les traductions ne sont pas unanimes. Nous suivons ici celle de M. Talbi ou Aldeeb Abu-Sahlieh. Celle de Mme D. Masson (coll. La Pléiade, 21990) donne rectitude à la place de vérité. Le texte continue avec de terribles menaces comme les sourates de la note suivante : " Dieu est le maître des croyants : il les fait sortir des ténèbres vers la lumière. Les incrédules ont pour patron les Taghout : ceux-ci les font sortir de la lumière vers les ténèbres: ils seront les hôtes du feu où ils demeureront immortels. " (Coran II, 257). Notons que M. Talbi a traduit Taghout seulement par "Mal" (Evil) dans Coran II, 256 rendant l'expression plus présentable, au niveau moral : M. TALBI, " Religious Liberty, a Muslim Perspective ", p. 103.

59. Cf. " Notes de lecture ", Joseph GELOT, " Les doctrines de l'islam et le salut des musulmans ", Nova et Vetera, n. 79, (2004), p. 85-101.

60. Cf. Coran X, 99-100 : " Si ton Seigneur l'avait voulu, tous les habitants de la terre auraient cru. Est-ce à toi de contraindre les hommes à être croyants, alors qu'il n'appartient à personne de croire sans la permission de Dieu ? Il fait sentir le poids de sa colère à ceux qui ne comprennent pas. " Coran XVIII, 29 : " La vérité émane de votre Seigneur. Que celui qui le veut croie donc et que celui qui le veut soit incrédule. Oui, nous avons préparé pour les injustes un feu dont les flammes les entoureront. S'ils demandent de l'eau, on fera tomber sur eux un liquide de métal fondu qui brûlera les visages. Quelle détestable boisson ! Quel abominable séjour. "

61. Cf. M. TALBI, " Religious Liberty, a Muslim Perspective ", p. 102 : " From a Qur'anic perspective we may say that human rights are rooted in what every man is by nature, and this is by virtue of God's Plan and Creation. "

62. M. TALBI, " Muhammad - Je suis un don de miséricorde (Anâ rahmatum muhdât) (hadith) ", CL, n. 52 (1996), p. 83-93, [p. 92]. Il faut noter que M. Talbi s'inscrit dans une ligne particulière, résolument moderniste, au sein de l'islam : M. TALBI, Plaidoyer pour un islam moderne, Paris, DDB, 1998 ; Penseur libre en Islam, Paris, Albin Michel, 2002.

63. Congrégation pour la doctrine de la foi, Dominus Iesus, n. 8 in fine, 6 août 200, AAS 92, (2000), p. 742-765, [p. 749].

64. Cf. Lucie PRUVOST, " Déclaration universelle des droits de l'homme dans l'islam et charte internationale des droits de l'homme ", dans Pontificio Istituto di studi arabi d'islamistica, Islamocristiana, n. 9, (1983), p. 141-159, p. 141 : " C'est innover [...] que proclamer des "droits de l'homme". Tout étant ordonné à la réalisation de ces "droits de Dieu" (huqûq Allâh), le croyant est d'abord un homme de devoirs. "

65. Boukhari, Sahîh, 39, I, 1. La Sunna (tradition) intègre les dires et les faits (hadith) du prophète Mohamed dans son explicitation du Coran. Voir aussi Coran XVI, 106 : " Celui qui renie Dieu après avoir cru, [...] celui qui délibérément, ouvre son cœur à l'incrédulité : la colère de Dieu est sur lui et un terrible châtiment l'atteindra. " Cf. Sami A. ALDEEB ABU-SAHLIEH, Les Musulmans face aux droits de l'homme..., p. 106. id., " Le déli d'apostasie aujourd'hui en droit arabe et musulman ", Islamocristiana, n. 20, (1994), p. 93-116.

66. Cf. Silvia TELLENBACH, " L'apostasia nel diritto islamico ", il Mulino, Daimon (2001/1), p. 53-70. Voir aussi : Mahmoud AYOUB, " Religious Freedom and the Law of Apostasy in Islam ", Islamocristiana, n. 20, (1983), p. 75-91. Mohammad HASHIM KAMALI, Freedom of Expression in Islam, Cambridge, Islamic Texts Society, 1997, p. 93-98.

67. Pour M. Talbi cet hadith ne serait pas mutawatir, c'est-à-dire sans la garantie d'une longue série de témoins et ne s'appliquerait que contre les apostats de l'islam devenus chrétiens (cf. en parallèle dans les anciens États catholiques : R. NAZ, " Apostasie ", Dictionnaire de droit canonique I, Paris, Letouzey et Ané, 1935, col. 640 sqq.) ou juifs (cf. en parallèle Lv 24, 16 ; Dt 13, 2-19). M. TALBI, " Religious Liberty, a Muslim Perspective ", p. 108-109. Voir aussi le débat sur la peine de mort contre les apostats de l'islam dans Ann-Elizabeth MAYER, Islam and Human Rights. Tradition and Politics, Boulder/Colorado, Westview Press, 1999, p. 149-190.

68. Cf. B. LEWIS, Ch. PELLAT, J. SCHACHT, Encyclopédie de l'Islam, nouvelle édition, tome II, Paris/Leyde, E. J. Brilll/ G. P. Maisonneuve, S. A. Larose, 1965, p. 551-553 : le djihad, " la guerre sur le chemin de Dieu (fî sabîl Allâh) ", signifie principalement chez les sunnites le devoir pour chaque musulman de défendre la communauté par la guerre (ou djihad des corps, djihad mineur, au sens chiite). " Il procède du principe fondamental d'universalisme de l'islam : cette religion et ce qu'elle implique de puissance temporelle, doit s'étendre à tout l'univers, au besoin par la force. " En période de paix, le djihad a pu prendre, secondairement, la signification d'effort intérieur, de combat spirituel (djihad des âmes, djihad majeur, au sens chiite). Mais, la paix (absence de guerre) n'a jamais existé dans la vie de Mohamed ni dans l'histoire universaliste, expansionniste, continuelle de l'islam. Voir Gilles KEPEL, Jihad, expansion et déclin de l'islamisme, Paris, Gallimard, 2000 ; Sami A. ALDEEB ABU-SAHLIEH, Les Mouvements islamistes et les Droits de l'homme, Bochum, D. Winkler, 1998.

69. Cf. Néanmoins, un certain parallélisme possible avec le christianisme sur la fécondité salutaire avec 1Tm 2, 15.

70. Cf. SALAH EDDINE BEN ADID, " La Sharî'a fra particolarismi e universalità ", in S. FERRARI, L'islam in Europa, [Bologna], Il Mulino, 1996, p. 29-51, [p. 41-51]. G. R. I. C. (Groupe de Recherches islamo-chrétien), " État et Religion ", Islamocristiana, n. 12, (1986), p. 49-72.

71. Cf. Mohammed ARKOUN, " L'Islam et la laïcité ", CL, n. 41, (1991), p. 37-60, [p. 57].

72 Cf. A. PACINI, L'islam e il dibattito sui diritti dell'uomo, Torino, Fondazione Giovanni Agnelli, 1998.

73. Sami A. ALDEEB ABU-SAHLIEH, Les Musulmans face aux droits de l'homme..., p. 30.

74. Cf. Muhammed HAMIDULLAH, " La tolérance dans l'œuvre du Prophète à Médine ", CL, n. 41, (1991), p. 11-22, [p. 20].

75. Cf. M. BORRMANS, " Convergences et divergences entre la Déclaration universelle des droits de l'homme de 1948 et les récentes Déclarations des droits de l'homme dans l'islam ", Islamocristiana, n. 24 (1999), p. 1-17. La Charte internationale des droits de l'homme (1981) – intégrant la DUDH –, ne peut pas non plus être signée par de nombreux États musulmans (Afghanistan, Arabie saoudite, Barheïn, Comores, Émirats Arabes Unis, Koweït, Mauritanie, Oman, Pakistan, Qatar, Turquie, Yémen) qui ont refusé les deux pactes internationaux : celui relatif aux droits économiques, sociaux et culturels et celui relatif aux droits civils et politiques (1966). Pontificio Istituto di studi arabi e d'islamistica, Islamocristiana, n. 9, (1983), p. 158-159.

76. Cf. Sami A. ALDEEB ABU-SAHLIEH, Les Musulmans face aux droits de l'homme..., p. 118-120, 462-496.

77. Idem, p. 464.

78 Cf. M. TALBI, Religious Liberty, a Muslim Perspective, p. 108, note 15.

79. La déclaration de 1981 provient d'un organisme privé qui n'a pas de valeur officielle dans l'islam : le Conseil islamique pour l'Europe – car il ne représente pas tous les courants islamiques en Europe –, l'original arabe diffère fortement des versions française et anglaise. Cf. Heiner BIELEFELDT, " La déclaration islamique universelle des droits de l'homme (1981). Prise de position chrétienne ", Concilium, n. 253, (1994), p. 107-114.

80. Nous soulignons. Sami A. ALDEEB ABU-SAHLIEH, Les Musulmans face aux droits de l'homme..., p. 466. Traduction de l'arabe en 1988, très critique sur celle du PISAI de 1983, signée Maurice BORRMANS, dans Pontificio Istituto di studi arabi e d'islamistica, Islamocristiana, n. 9, (1983), p. 121-140. Cette dernière est métamorphosée par rapport à l'arabe.

81. Voir l'esprit de cette déclaration, soucieux de s'émanciper de l'arrière-plan européen : Mohammad Mahmud GAMAL UD-DIN, " Les droits de l'homme dans l'islam ", Concilium, n. 253, (1994), p. 95-105.

82. Sur les différentes interprétations de la ridda dans l'islam : Hmîda ENNAYAFAR, " De la ridda (apostasie) à la foi, ou de la conscience du paradoxe ", CL, n. 35, (1985), p. 27-37. Actuellement, après les talibans en Afghanistan (1996-2001), il y a encore l'Arabie saoudite (constitution wahhabite), le Soudan (article 126 – 1991), la Mauritanie (article 306 – 1984), le Koweït (article 96 – 1993) qui prévoient explicitement la peine de mort pour apostasie en conformité avec la sharî'a.

83. Il faudrait ajouter bien des affaires dramatiques : Farad Foda assassiné en juin 1992 ; le sémiologue égyptien de l'université du Caire, Nasr Hâmid Abû Zayd, qui doit vivre en exil en Hollande ; la femme écrivain Nawal al-Sa‘dâwî ; Naghib Mafouz prix Nobel de littérature (1988) encore inquiété en Égypte ; Taslima Nasreen au Bangladesh, réfugiée en Occident ; le somalien, converti chrétien, Mohamed Omer Haji, émigré du Yemen en Nouvelle Zélande, etc., et tant d'autres inconnus. Cf. Giorgio PAOLUCCI, Camille EID, Cento domande sull'islam, Intervista a Samir Khalil Samir, Genova, Marietti, 2002, p. 72 ; 102-103.

84. Les mariages mixtes entre homme musulman et femme catholique (seul cas admis par la sharî'a) demeurent problématiques. Cf. M. BORRMANS, " Mariage et famille dans le droit musulman, classique et moderne ", l'Année canonique, n. 42, (2000), p. 83-100, [p. 92-93] : " Qu'y dire de la situation des enfants si ceux-ci, nonobstant la présomption de droit qui en fait des musulmans à la ressemblance de leur père, entendent être chrétiens comme leur mère ?" Sur la comparaison entre le droit musulman et juif avec le droit canonique voir S. FERRARI, Lo spirito dei diritti religiosi : Ebraismo, cristianesimo e Islam a confronto, p. 224-227. Pour la position catholique, deux ouvrages collectifs s'imposent : AA.VV., I matrimoni misti, Città del Vaticano, Libreria Editrice Vaticana, 1998 ; AA.VV., Il matrimonio tra cattolici ed islamici, Studi giuridici n. LVIII, Città del Vaticano, Libreria Editrice Vaticana, 2002.

85. Mohammed ARKOUN, " La liberté religieuse comme critique de la religion à partir du Coran et de la tradition islamique " dans la Liberté religieuse dans le judaïsme, le christianisme et l'islam, [colloque à l'Abbaye de Sénanque], p. 109-118, [p. 115]. Il faut préciser que M. Akroun définit la liberté religieuse comme " liberté de création doctrinale, d'innovation intellectuelle, artistique..." (Idem, p. 118) ce qui diffère totalement du sens classique adopté ailleurs.

86. Cf. Les 42 traditions de An-Nawawi.

87. Cf. S. FERRARI, Lo spirito dei diritti religiosi : Ebraismo, cristianesimo e Islam a confronto, p. 138-142. Pour un parallèle avec les juifs entre la loi noachique et la loi naturelle, nous avons déjà signalé David NOVAK (Natural Law in Judaism, 1998) et Nahum RAKOVER (Law and the Noachides. Law as a Universal Value, 1998). Pour un rapprochement avec les musulmans entre fitra et loi naturelle à l'époque des Mu‘tazila : Albert W. NADER, " Les systèmes philosophiques des Mu‘tazila : premiers penseurs de l'islam ", Beyrouth, Les Lettres orientales, 1956 ; Richard C. MARTIN, Mark R. WOODWARD, Dwi S. ATMAJA, Defensers of Reason in Islam : Mu‘tazilism from Medieval School to Modern Symbol, Oxford, Oneword Publication, 1997. Sur le concept musulman de fitra qui se limite parfois à la prédétermination à confesser Dieu : M. YASIEN, Fitrah : The Islamic Concept of Human Nature, London, Ta-Ha Publication, 1996.

88. Cf. Vatican II, GS n. 78 : " La paix n'est pas une pure absence de guerre et elle ne se borne pas seulement à assurer l'équilibre de forces adverses ; [...] Elle est le fruit d'un ordre inscrit dans la société humaine par son divin fondateur, et qui doit être réalisé par des hommes qui ne cessent d'aspirer à une justice plus parfaite. En effet, encore que le bien commun du genre humain soit assurément régi dans sa réalité fondamentale par la loi éternelle, dans ses exigences concrètes il est pourtant soumis à d'incessants changements avec la marche du temps : la paix n'est jamais chose acquise une fois pour toutes, mais sans cesse à construire. Comme de plus la volonté humaine est fragile et qu'elle est blessée par le péché, l'avènement de la paix exige de chacun le constant contrôle de ses passions et la vigilance de l'autorité légitime. Mais ceci est encore insuffisant. La paix dont nous parlons ne peut s'obtenir sur terre sans la sauvegarde du bien des personnes, ni sans la libre et confiante communication entre les hommes des richesses de leur esprit et de leurs facultés créatrices. [...] La paix terrestre qui naît de l'amour du prochain est elle-même image et effet de la paix du Christ qui vient de Dieu le Père. Car le Fils incarné en personne, prince de la paix, a réconcilié tous les hommes avec Dieu par sa croix, rétablissant l'unité de tous en un seul peuple et un seul corps. Il a tué la haine dans sa propre chair (Ep 2, 16; Col 1, 20-22). "

89. Cf. JEAN-PAUL II, Aux congressistes de l'Union internationale des avocats, n. 3, 23 mars 1991, dans Insegnamenti di Giovanni Paolo II, XIV, 1, (1991), p. 629-632, [p. 631] : " On connaît aujourd'hui une grande diversité de religions parmi les habitants d'un même territoire, voire dans une même famille. La paix civile demande d'accorder à chacun la même liberté qu'à tous les autres. Les populations demandent une réelle égalité de traitement pour tous les croyants, l'absence de discrimination en matière d'éducation et d'accès à l'emploi, l'abolition de statuts personnels. "

90. Certains, plus pessimistes, demeurent totalement sceptiques sur la proposition de réclamer la réciprocité à l'islam. Cf. Alain BESANÇON, Trois tentations dans l'Église, Paris, Calmann-Lévy, 1996, p. 184 : " L'islam tend à considérer le christianisme comme une religion à mystères, ce qu'il condamne tout à fait. Et comme tel, d'être irrationnel. Il faut savoir en effet que l'islam se donne pour rationnel et en ce sens comme la seule religion conforme à la nature humaine. [...] On a tort de reprocher à certains États musulmans de ne pas pratiquer la réciprocité de tolérance que leur consentent aujourd'hui les chrétiens sous la loi démocratique. Considérant l'irrationalité chrétienne comme un abandon du statut humain, en droit strict ils ne le peuvent pas. "

91. Cf. Samir KHALIL SAMIR, " Note sulla Moschea ", La Civiltà Cattolica, qu. 3618, (2001/I), p. 599-603. Voir en contraste, la méconnaissance quasi-totale de la réalité politique sous-jacente des mosquées dans : Brigitte BASDEVANT-GAUDEMET, " Les lieux de culte musulmans en France, régime juridique et réalités ", VS.S n. 75, (1990), p. 151-174, [p. 154-155]. Pour la mentalité française, il faudrait évoquer à propos des mosquées, mutatis mutandis, comme comparaison historique l'existence de places fortes huguenotes en France sous Henri IV jusqu'à Louis XIII (1629), en opposition avec de simples temples protestants (lieux de prière). La musallâ signifiant "esplanade" ne revendique pas les privilèges politiques de la mosquée.

92. Cf. JEAN-PAUL II, Centesimus annus, n. 43 ; Sollicitudo rei socialis, n. 41.

93. En effet, un tel agir reste du domaine de la charité puisque les peines canoniques appartiennent au domaine spirituel, médicinal. Voir L. GEROSA, La scomunica è una pena ? Saggio per una fondazione teologica del diritto canonico, Fribourg, Édit. Universitaires, 1984. Sur le takfîr musulman et l'excommunication juive avec ses degrés décroissants (hèrem, niddouï, chamta et nezifah), comparés au droit canonique, cf. S. FERRARI, Lo spirito dei diritti religiosi : Ebraismo, cristianesimo e Islam a confronto, p. 218-223. S. Ferrari ne mentionne pas le cas juif du chamta (destruction ?) sans doute un équivalent du niddouï (séparation), degré intermédiaire entre le blâme (nezifah) et l'anathème (hèrem) ; seul, ce dernier est encore invoqué après le Ve siècle. Encyclopédie du Judaïsme, p. 388.

94. Cf. G. BIFFI, " Sur l'immigration " trad. franç. Société St. Thomas d'Aquin, Sedes Sapientiæ, n. 75, (2001), p. 1-14, [p. 8-9] : " Les musulmans (gli islamici) — dans l'immense majorité des cas, et à quelques exceptions près — arrivent chez nous résolus à rester étrangers à notre type d'"humanité" individuelle ou sociale, dans ce qu'il y a de plus essentiel, de plus précieux ; étranger à ce à quoi il nous est impossible de renoncer "laïquement". Plus ou moins ouvertement, ils viennent chez nous bien décidés à rester substantiellement différents en attendant de nous faire devenir substantiellement comme eux. [...] Ils ont surtout une vision rigoureusement intégraliste de la vie publique, si bien que l'identification absolue entre religion et politique fait indubitablement partie de la foi à laquelle ils ne peuvent renoncer, même s'ils attendent prudemment pour faire valoir d'être en situation de prépondérance. Ce n'est donc pas aux hommes d'Église, mais aux États occidentaux modernes qu'il importe de bien peser toutes les conséquences pour eux de cet état des choses. On peut même ajouter une autre considération ; si notre État croit vraiment à l'importance des libertés civiles (parmi lesquelles la liberté religieuse) et aux principes démocratiques, il doit tout mettre en œuvre pour qu'ils soient de plus en plus diffusés, accueillis et pratiqués sous toutes les latitudes. Un petit instrument pour atteindre ce but est celui de la demande de réciprocité qui ne soit pas seulement verbale, de la part des États d'origine des immigrés. [...] Même si cela peut paraître étrange à notre mentalité, voire paradoxal, le seul mode efficace et non velléitaire de promouvoir le principe de réciprocité, pour un État vraiment laïque et vraiment intéressé par la diffusion des libertés humaines, serait d'autoriser en Italie pour les musulmans, en ce qui concerne les institutions, seulement ce qui, dans les pays musulmans, est effectivement accordé aux autres. " (Texte prononcé à la fondation Migrants (12 sept. 2000) à Bologne).

95 Cf. La rencontre de Nice, en 2001. Cependant, à la rencontre européenne de Venise (2002), la KEK (Conférence des Églises Chrétiennes) s'est vue reconnaître un rôle de partenariat dans le dialogue pour la construction de l'Europe. Depuis, le Président Valéry Giscard d'Estaing a assuré que serait intégrée, aux documents fondamentaux de l'Union Européenne, la référence au patrimoine religieux de l'Europe. Le texte n'a pas abouti, comme chacun sait, à mentionner le christianisme.

96 Cf. B.-D. DE LA SOUJEOLE, Le Sacrement de la communion, Essai d'ecclésiologie fondamentale, Paris/Fribourg, Cerf, 1998.

97. Déclaration de la Congrégation pour la doctrine de la foi - 28 mai 1992 ; AAS 85, (1993), p. 838-850.

98. Le texte final des évêques dans Exeunte coetu secundo (7 décembre 1985) ; texte latin dans Enchiridion Vaticanum n. 9, Bologna, EDB, 1991, p. 1760-1762, [p. 1760] : Ecclesiologia communionis idea centralis ac fundamentalis in documentis concilii est.

99. Le discernement de l'Église catholique sur la communio, doit se retranscrire dans l'entendement que celle-ci a d'elle-même en tant que "tout potentiel" par rapport à tous ceux qui sont ordonnés à l'unique Église du Christ et qui ont part à cette évaluation (et en premier lieu les Églises orthodoxes chalcédoniennes, puis les Églises anciennes, et les communautés ecclésiales de la Réformation) ; cf. B. D. DE LA SOUJEOLE, " Être ordonné à l'unique Église du Christ ", Revue Thomiste n. 102, (2002), p. 5-42 : l'Église catholique y incarnerait comme le maxime tale de cette thèse. Mutatis mutandis, il faut ajouter à cette liste les " grandes religions " en tant qu'elles sont aussi, à leur degré, ordonnées à l'unique Église du Christ, selon des critères propres à chacune.

100. L'article 214 alinéas 3 à 5 (1973). Sami A. ALDEEB ABU-SAHLIEH, Les Musulmans face aux droits de l'homme..., p. 47. Il faut cependant noter en faveur de la Tunisie que divers droits de l'homme sont largement mieux respectés que dans les autres pays musulmans car ces droits – influence " fortunée " de la colonisation – divergent de la sharî'a (ceux de la femme notamment, comme en Coran sourate 2, verset 228 : " Les hommes sont supérieurs aux femmes "; cf. aussi sourate 2, 34).

101. Cf. Pontifical Council for intereligious dialogue (Vatican), Royal Academy for islamic civilization research al Albait Foundation (Amman), Human Dignity, Acts of a Christian-Muslim Colloquium, Amman (Jordan), 2-4 December 1997, Roma, edit. Scuola Tipografica S. Pio X - Via degli Etruschi, 7, 1999. Il convient de le relever particulièrement pour la défense de la vie naissante et finissante, c'est-à-dire contre l'avortement et l'euthanasie. Samir Khalil Samir le note avec un jugement sans ambiguïté. Cf. Giorgio PAOLUCCI, Camille EID, Cento domande sull'islam, Intervista a Samir Khalil Samir, p. 94 : " La sacralità della vita e il rispetto di certi valori, che sono a fondamento dell'antropologia islamica come di quella cristiana. " Notons plus généralement, pour certains penseurs de l'islam, qu'il y aurait même une certaine convergence (ce que ne partage pas S. Khalil Samir), au niveau des valeurs, entre la Sharî'a et le droit naturel. Cf. S. FERRARI, Lo spirito dei diritti religiosi : Ebraismo, cristianesimo e Islam a confronto, p. 149-150, bibliographie en note 128.

102. Cf. JEAN-PAUL II, 8 décembre 1987, AAS 80, (1988), p. 278-286, [p. 280]; Insegnamenti di Giovanni Paolo II, X/3, (1987), p. 1336.

103.  Cf. La critique magistérielle des Lumières dans Centesimus annus, n. 13.

104. Cf. Michael L. FITZGERALD, " Report on WCRP VI – Healing the World : Religions for Peace ", Bulletin Pro Dialogo, n. 88, (1995/1), p. 28-32 ; Francis ARINZE, " The Contribution of the Religions for Healing of the World and for Peace ", Bulletin Pro Dialogo, n. 88, (1995/1), p. 33-38. Roger ETCHEGARAY, " Les religions et la paix ", Bulletin Pro Dialogo, n. 88, (1995/1), p. 39-41.