YVON GATTAZ vient de publier des mémoires, une sorte de La vie, mode d'emploi, si je puis reprendre le titre de Pérec qui avait l'ambition de " saisir, décrire, épuiser, non la totalité du monde — projet que son seul énoncé suffit à ruiner — mais un fragment constitué de celui-ci ".

Cet homme curieux, attentif, affable, volontiers disert qui aime jouer du langage, offre un livre aisé à lire où l'on découvre une foule de choses sur ces " patrons " dont, tout au long du XXe siècle, idéologie et ignorance ont fait des boucs émissaires, facilité, fiscalité et mauvaise foi, des victimes désignées. Mes vies d'entrepreneur n'est pas le " tout premier livre sur la création d'entreprise ", lequel, dû à la plume de Gattaz Yvon qui a parfois des certitudes naïves à la Cézanne (!) fût Les Hommes en gris, en 1970 . Mais vous découvrirez au fil de ses pages qui font figure d'œuvre insolite, qu'on peut, même au sein de la " superbe et présomptueuse exception française ", être un " entrepreneur parti de zéro ", mener une existence captivante et accéder (sans s'en griser) aux honneurs... Suffit d'innover, dans la technique (vive " le créneau farfelu qui devient le créneau génial " !) comme dans la gestion (" patron qui court, patron tout court " !), d'étendre son autorité de compétence (" les plus grandes découvertes ont été d'une simplicité... géniale " !), de réinvestir l'argent gagné (vive le " radinisme industriel ", un " gattazisme " !), bref : de créer encore et, à tout moment ou presque, d'aider les autres qui, le plus souvent, ne demandent qu'à être guidés et encouragés à oser à leur tour. Il faut rêver un peu, bien sûr. Yvon Gattaz n'écrit-il pas (gattazerie !) qu'on se " met à son conte " ? Même si cela se chiffre : " 10 % de finance, 10 % de compétence, 40 % de vaillance, 40 % d'inconscience ", et requiert du savoir faire : " Cuire à feu vif et servir chaud. " Yvon Gattaz est un homme " engagé ", engageant à compter d'abord sur soi-même.

 

Les décisions courageuses bousculent, dérangent... et réussissent

 

Rien ne prédisposait ce fils et petit-fils de professeurs catholiques, natif de l'Isère, ingénieur de formation, à fonder Radiall , en 1952, dans un sordide fond de cour parisien, en compagnie de son frère Lucien, ingénieur également. Yvon a vingt-sept ans et pressent cette vérité première (autre gattazisme !) : " Les décisions courageuses choquent, bousculent, agacent, dérangent... et réussissent. Elles trouvent leur puissance dans le déséquilibre même, comme le service au tennis, le drive au golf ", bref — Yvon Gattaz le rappelle pour être compris même des intellectuels — dans " la destruction créatrice ", en quoi Schumpeter identifie le processus d'innovation capitaliste. " Le développement des organismes de production, depuis l'atelier artisanal et la manufacture jusqu'aux groupes industriels, constitue autant d'exemples du processus de la mutation industrielle qui ne cesse de révolutionner de l'intérieur la structure économique, y détruisant continuellement et par à-coups les éléments vieillis, y créant continuellement et sans programme des éléments nouveaux. Ce processus de "destruction créatrice" constitue la donnée fondamentale du capitalisme, toute entreprise capitaliste doit, bon gré mal gré, s'y adapter . " Il n'est jamais mauvais, en une époque comme la nôtre où le SBT (" scepticisme de bon ton ") fait volontiers figure d'expérience, d'enfoncer quelques portes ouvertes. À bon entendeur, salut !

Pour fonder une entreprise, donc, s'" il faut moins d'argent qu'on ne le croit " (et " les banques ont enfin compris quels profits elles pouvaient tirer d'une nouvelle entreprise qui réussit ") ; si " la compétence ou les diplômes ont une importance modeste " (" un acharné saura acquérir les compétences qui lui manquent ou les trouver chez un associé "), il faut beaucoup de foi. " Vaillance et inconscience sont essentielles. " La première rassemble " en particulier le courage, la combativité, le dynamisme, la ténacité, le charisme, l'imagination créatrice " — liste non exclusive. La seconde, " le goût du risque sans lequel on ne peut rien créer " ! Yvon Gattaz couronne cette brève exposition d'une formule qui n'eût pas été déplacée dans le Sermon sur la montagne : " Heureux les inconscients, les fonceurs, les entrepenants, les audacieux, les "si on essayait" ! " " N'ont-ils pas vocation, eux aussi, à " recevoir la terre en héritage " ? Ne les a-t-on pas considérés longtemps (on me pardonnera de solliciter un peu pauperes spiritu) comme des " pauvres en esprit ", ces " hurluberlus de l'aventure " — en général sans les diplômes propres à leur ouvrir " une belle carrière, brillante et tranquille dans l'administration ou la grande entreprise " !

La France a longtemps considéré la création d'entreprise comme un " rattrapage social pour défavorisés ". Je songe à ces cadets de famille réduits hier, s'ils en avaient le talent, à devenir cardinaux ou maréchaux ! Or toute l'action d'Yvon Gattaz à travers ses diverses " vies d'entrepreneur " a été et demeure un combat contre cet " environnement psychologique navrant " dont la première victime reste, en dépit d'une lente évolution des mentalités, l'activité du pays, donc l'emploi des hommes. Cette évolution favorable finira-t-elle par saper les monstrueux obstacles que " l'exception française " dresse sur le parcours de l'entrepreneur combattant ? Quels obstacles ? D'une nocivité inégale, Yvon Gattaz en cite quatre. Un est proprement monstrueux, le fisc. Le TDN (" taux de nuisance ") de la fiscalité sur les bénéfices menace d'étouffer les jeunes entreprises dès la première année de profits dégagés — cette " année de tous les dangers ". Il y a la taxe professionnelle " qui a le génie de frapper simultanément les investissements et les salaires ". Il y a surtout le monstre protéiforme de la fiscalité du patrimoine. " La France est le seul pays du monde qui cumule quatre principaux impôts sur le patrimoine (plus quelques autres) : l'impôt foncier, les plus-values, l'impôt sur les donations-transmissions, l'impôt sur la fortune. " Fonder, chercher à s'agrandir, à créer richesses et... emplois, il faut être fou !

Hostile à l'entreprise encore, l'environnement social. Peu de chose au regard de la fiscalité, mais on ne peut ignorer ces " rigidités propres à la France et acquises par des "saints dicats" qui ont imposé l'IAA, l'Irréversibilité des Avantages Acquis, laquelle terrasse littéralement le pays ". L'environnement financier, on l'a vu, est " moins terrifiant aujourd'hui ", mais il est significatif que les " business angels n'ont pas encore été réellement francisés ", Yvon Gattaz fût-il persuadé que " chez les acharnés, la pauvreté est un atout redoutable pour la création d'entreprise ". L'environnement administratif, enfin, en ennuie plus d'un, il est " tatillon et agaçant ", y trouvât-on parfois de la BBF (" bureaucratie de bonne foi ") ; mais YG (appelons notre auteur YG) est sûr que celui qui " sait trouver les fonds saura surmonter les difficultés administratives " dont il se refuse toutefois à estimer, comme certains, " qu'elles représentent un bon test pour le lancement d'une entreprise où le créateur devra démonter ses capacités à franchir les obstacles ".

 

Radiall

 

Ces obstacles, les frères Gattaz les ont franchis. Radiall fondé sur le créneau de la fiche coaxiale de télévision, les garçons multiplient les découvertes qui sont souvent autant de questions et sollicitent des initiatives... sans précédents. " Persuadés, dès le début, que les lents seraient exclus de la performance économique, nous avons, Lucien et moi, cherché toutes les améliorations possibles pouvant accélérer les processus. " Leur conviction est bientôt faite que la petite entreprise est le milieu par excellence de l'innovation, laquelle est, par essence, " débridée, bouillonnante et, partant, dérangeante " pour toute organisation d'importance. Le progrès naît du désordre, les GE (à la différence des PME), surtout les GETA (" GE Très Anonymes "), volontiers " autonettoyantes ", ont tendance à exclure " les vrais innovateurs perturbateurs " qui les " bousculent ". Rien de tel, dans les petites, dans les moyennes entreprises " plus conviviales, plus proches de leurs collaborateurs " ! Telle constatation vaut pour le produit, elle vaut pour sa vente... Les patrons de Radiall en ont vite assez des VRP, payés à la commission et plutôt en quête de la sinécure de quelques gros clients que de marchés nouveaux... Il faut " faire quelque chose ". Voilà Gaudissart remplacé au pied levé (le hasard, la chance ont joué leur rôle) par le " technico-commercial ". " Un nouveau métier. " L'agent technique à salaire fixe vend les produits techniques à des clients eux-mêmes techniciens, met l'accent sur les performances techniques du produit. C'était en 1956. " Les résultats furent excellents. Nous fûmes vite copiés et, comme pour les mots d'humour, on oublia l'inventeur. "

Goût d'entreprendre et responsabilité qui les engage, audaces judicieuses et fructueuses mènent les Gattaz à faire de Radiall une PME prospère, " constellation d'unités de production à taille humaine, terrain idéal pour l'innovation et l'adaptation aux caprices du marché ". Succès économique, succès humain sont-ils complets s'ils ne sont pas largement partagés ? Or, Dieu sait si la France va en avoir besoin, de succès, passées les Trente glorieuses ! YG va œuvrer, à sa mesure, à revitaliser notre tissu industriel. Suffit que les autres profitent du fruit de ses expériences dont il ne cache rien, partagent sa foi au vrai rayonnante, partant communicative. S'agit en fait de propager et de faire adopter l'" orgueilleuse devise " de Radiall : " Vite et bien. " Laissons l'observateur hors pair qui fait fruit de toute surprise, raconter son itinéraire — à sa façon. Avec lui (c'est ce qui, là, le rend assez inimitable), il n'est pas une règle universelle qui ne puisse être personnalisée à l'infini !

 

De même que l'optimiste est plus gai que le pessimiste, il semble que le rapide, lui-même fonceur et optimiste, soit plus joyeux que le lent soumis à l'inquiétude et parfois au stress. "Et le risque d'erreur des trop rapides ?" lanceront les gastéropodes. Il existe, bien sûr, mais nous expliquons aux jeunes depuis longtemps qu'ils ne pourront pas éviter le risque et que celui-ci doit être simplement évalué pour juger s'il est compatible avec leurs moyens, leurs compétences, leurs revenus et... leur sommeil nocturne. Si le nouveau "principe de précaution" était appliqué sans discernement dans toute son étendue, on supprimerait le risque et ses innombrables innovations, en particulier la création d'entreprises nouvelles, haut risque s'il en est, mais avec quels espoirs ! [...] Qu'on le sache : l'entreprise est un vélo. Cette course permanente à la rapidité nous a fait découvrir, parmi nos collaborateurs, que les plus efficaces étaient souvent des paresseux contrariés. Ceux qui font aujourd'hui l'éloge de la paresse, planqués dans des administrations compréhensives, ne savent sans doute pas que tels de ces paresseux, lorsqu'ils sont contrariés ou ambitieux, vont vite (pour ne pas travailler trop longtemps) et bien (pour ne pas recommencer un travail déjà effectué). Je me suis demandé moi-même si je ne suis pas un véritable paresseux contrarié. Contrarié par les innombrables occupations que j'ai eu la faiblesse d'accepter ou plutôt de créer, puisque dans ma vie je me suis surtout installé dans des fauteuils que j'avais construits de mes mains : la société Radiall, avec mon frère, en 1952, le GECIR (Groupement des entreprises commerciales de Rosny-sous-Bois), en 1966, Les Quatre Vérités, en 1973, le mouvement ETHIC, en 1975, l'Association Jeunesse et Entreprises en 1986, le Comité d'Expansion de Seine-Saint-Denis, Comex 93, en 1987 et l'Association des moyennes entreprises patrimoniales, en 1995. Un ingénieur qui construit son propre habitacle est un véritable entrepreneur.

 

YG reconnaît avoir " fait le bernard-l'ermite " en deux occasions, au CNPF, qu'il préside de 1981 à 1986, à l'Institut, où il est EPFPT (" élu la première fois au premier tour ") à l'académie des Sciences morales et politiques, en 1989 !

 

Les Quatre Vérités

 

Fin 1972, devant la désastreuse image qu'ont en France entreprises et entrepreneurs, YG invite ses confrères du GECIR à " réagir collectivement ". Ils se dérobent au motif que la direction d'une entreprise, " trop accaparante ", " ne laisse aucun instant pour se pencher sur les problèmes nationaux ou sociétaux ". Le patron de Radiall enrage et pond " une philippique contre ces chefs d'entreprise qui veulent ignorer la société " ; elle arrive sur le bureau du tout nouveau président du CNPF. François Ceyrac reçoit YG, l'invite à " faire quelque chose ". Naissent les " réunions Gattaz " qui rassemblent une quarantaine de chefs d'entreprise " décidés à rétablir leur image auprès des Français ", mais qui ne parviennent pas à s'entendre sur les moyens onéreux, voire très onéreux, à mettre en œuvre ; puis Les Quatre Vérités qui va regrouper autour d'YG le journaliste Michel Drancourt, Jacques Plassard, économiste, et Octave Gélinier, le fondateur de la CEGOS. Les quatre hommes entendent, au moyen (modeste) d'une lettre mensuelle, rompre avec " le pessimisme, le démolissage, le pleurnichage ".

Action, réflexion vont se mêler, se conforter, alors même que de bonnes âmes rongées de SBT leur prédisent que " quatre aussi fortes personnalités ne pourront pas s'entendre au-delà de quelques semaines ". Nos mousquetaires vont publier Les Quatre Vérités pendant vingt ans. Intelligence des choses, volonté, respect mutuel et... circonstances !

 

Nous l'avons créé à l'époque où fleurissaient joyeusement les utopies de l'autogestion véhiculées avec délectation par des syndicalistes et par de bons esprits qui n'avaient jamais dirigé une entreprise. C'était aussi la naissance du programme commun de la gauche avec ses utopies dangereuses pour l'économie et l'entreprise. Ces théories fumeuses, pour intelligentsia sans responsabilité, faisaient tout d'abord disparaître le client (joli tour de force), puis le patron, dont on chuchotait qu'il était parfaitement inutile. Seul le partage des bénéfices par le personnel était abondamment traité, en oubliant celui des pertes beaucoup plus probables. Nos indignations, jointes à beaucoup d'autres, dissipent rapidement ce nuage extatique qui ne réapparut plus à l'horizon économique de notre pays. Quant à la Yougoslavie d'où venait paraît-il cette stupéfiante expérimentation, on sait ce qu'elle devint par la suite.

 

Ce sont là vingt ans rapportés en quelques lignes. Il faut aller un peu en profondeur et regarder ce que Les Quatre Vérités a pu écrire, quel but ses rédacteurs poursuivaient.

En France, la fin des années 1970 est dominée par le SBT, déjà nommé, " pas trop amer pour ne pas tomber dans le larmoiement, pas trop simpliste, mais peu conciliant pour ceux qui tentaient de rectifier le tir. C'était un négativisme dans lequel se complaisaient finalement ceux qui souhaitaient que rien ne change ". Affreuse PdC, pardon... " Peur du Changement ", sœur jumelle du PdV, vous aurez lu " Pas de vagues " ! Ce SBT, les quatre amis entendent le " terrasser ", afin de " favoriser le passage d'une France pétrifiée à une France bouillonnante, même si la première est rassurante et la seconde dérangeante ". " Vaste programme ", eût dit un autre sur un sujet voisin ! — et incontestablement politique. YG le montre qui titre son article, au lendemain des législatives de mars 1978, " Overdose de RLB " — " Ras Le Bol ". On y lit : " Les Français sont en overdose de RLB. Halte au pessimisme, aux calomnies, aux médisances... Vive l'optimisme créateur... Bravo aux fonceurs, aux essayeurs, aux amateurs de responsabilités, aux pleins d'humour, aux enthousiastes de tout poil ! [...] Dans tous les groupes d'individus, il y en a qui soufflent la critique en croyant bien faire. Malheureusement, de constructive cette méthode devient vite chronique, maladive, contagieuse et destructrice, [...] casse les meilleures initiatives. Le RLB est une drogue que nous avons trop consommée ! " Ces familières harangues mensuelles ont de l'effet — preuve que la santé politique d'un pays dépend surtout de l'état d'esprit qui y règne. " Les résultats ne furent pas insignifiants et beaucoup de nos lecteurs de longue durée nous apportent encore aujourd'hui les témoignages des leçons qu'ils ont pu tirer de nos incitations. "

L'entreprise est mal connue, le chef d'entreprise plus mal connu encore, partant soupçonné de tous les péchés d'Israël, et d'abord d'être " un exploiteur du travail des autres ". YG cite Churchill : " Certains considèrent le chef d'entreprise comme un loup à abattre ; d'autres pensent que c'est une vache qu'on peut traire indéfiniment. Peu voient en lui le cheval qui tire le char. " Que le chef d'entreprise se fasse connaître, cesse " d'afficher un punctum remotum limité aux hautes murailles de l'entreprise, signe clinique d'une pathologie grave ". Yvon Gattaz, à cette fin, a inventé le " décitemps " dont Les Quatre Vérités a précisé les caractéristiques. " Les meilleurs entrepreneurs n'ont plus le droit de rester enfermés dans leur entreprise-château fort en prétendant qu'ils ont suffisamment à faire à l'intérieur. [...] Longtemps le dirigeant a cru qu'il devait se consacrer à la technique, puis à la gestion. Il s'aperçoit aujourd'hui qu'il doit s'occuper d'animation interne et externe. [...] Il suffit que les dirigeants consacrent un dixième de leur temps de travail, le "décitemps", ce qui ne représente finalement pour eux qu'une demi-journée par semaine, pour défendre et promouvoir l'entreprise française auprès de ceux qui la méconnaissent et qui, une fois initiés, en parleront autrement ". Promouvoir l'entreprise française, auprès de ses salariés, auprès du public, auprès des étrangers — aux yeux desquels trop souvent " les Français sont fiers de leur tactique exhibitionniste du hérisson qui dresse ses épines devant l'adversaire pour l'intimider, mais se fait écraser la nuit par la première 2 CV qui passe " !

Ce " décitemps ", Les Quatre Vérités l'a prôné, puis ETHIC et encore le dynamique patron du CNPF Gattaz Yvon... La pratique est lancée, la vantait en 2002 l'Association des anciens élèves de l'École centrale. Efficace, le " décitemps " ? Il a fait découvrir des hommes de chair et de sang, de cœur et d'action, éclipsé les seuls individus répertoriés en bilans et autres statistiques. Voyez la statistique, justement. Si aujourd'hui 80 % des salariés disent leur patron qu'ils connaissent, " honnête ", ils ne sont que 20 % à estimer que " les patrons " — catégorie socioprofessionnelle — le sont. Vive le " décitemps ", d'ores et déjà universalisé, oh dear ! en " decitime " et dont nul ne sait plus qui en a été l'initiateur !

 

ETHIC

 

L'Association ETHIC a vu le jour en 1975 : Entreprises de Taille Humaine Industrielles et Commerciales . La graphie du H de ce mot qui n'est pas un gattazisme (même le vieil Homère somnole parfois...) et dont la phonétique entend rappeler l'Éthique de Nicomaque traduit la volonté de privilégier l'Humain. Cette éthique chère à son cœur, YG la tient des catholiques sociaux, héritiers plus ou moins directs de La Tour du Pin, qui, pour mieux rassembler, ne parlaient ni politique ni religion, mais disaient : " Nous concevons l'humanité comme vivant à l'état organique de corps social dont toutes les parties sont solidaires se prêtant par conséquent assistance entre elles, parce que c'est leur loi de vie matérielle aussi bien que morale . " Ils ne prêchent pas, mais donnent l'exemple. La charte d'ETHIC est brève. L'adhérent s'y engage à

 

respecter et promouvoir la morale d'entreprise et en particulier les principes clés suivants : hiérarchie fondée sur la seule qualité des hommes ; sincérité des comptes fiscaux et sociaux : impératif de rentabilité ; responsabilité personnelle à tous les niveaux ; recherche permanente de l'harmonie sociale ; prise en compte de l'intérêt général ETHIC ; s'attache à répandre l'esprit ETHIC parmi les dirigeants et chefs d'entreprise ; à promouvoir une meilleure connaissance de l'entreprise auprès des jeunes et des publics généralement mal informés (enseignement, magistrature, administrations, syndicats...), par la pratique du "décitemps" ; à mettre en œuvre les moyens concrets pour favoriser le développement des ETH, et à assurer leur pérennité ; à constituer en France un centre de réflexion de l'entreprise de taille humaine et à multiplier les expériences individuelles exemplaires des moyennes entreprises par une animation régionale intense.

 

YG et ses compères poursuivent la tâche, entamée dès les " réunions Gattaz ", en 1972, entendent promouvoir qualité des hommes, responsabilité personnelle, intérêt général — " l'harmonie humaine " donc, à l'intérieur de l'entreprise et autour d'elle.

Cette harmonie, dans l'entreprise, n'est pas, rappelle YG, comme chez l'individu, fondée sur la vertu, mais : eh oui ! sur l'intérêt... Il sait qu'il surprend, YG. L'intérêt, c'est " intéressé " donc douteux ! Vous n'y êtes pas, mais vous allez comprendre, l'intérêt, l'éthique et le reste ! " Ce mot est parfaitement noble puisque dans l'entreprise, il s'agit à la fois de l'intérêt des actionnaires bien sûr, mais aussi de l'intérêt du personnel, des clients, des fournisseurs, en un mot de toutes les parties prenantes de l'entreprise. Porter intérêt à des hommes, à des choses ou à des faits est tout à fait honorable. Être intéressé par tel sujet l'est aussi. L'intérêt global de l'entreprise doit être réhabilité et c'est en son nom que l'éthique se justifiera. "

L'affaire marche, en 1977, c'est le Premier ministre qui préside le 1er Congrès national d'ETHIC, la notoriété de l'association s'étend ; elle fait œuvre utile. Fleurissent les chartes d'entreprise, elles sont respectées par les dirigeants, les cadres, le personnel.

 

Elles constituent une ligne directrice intangible pour les cas de conscience qui peuvent se présenter dans la vie d'une entreprise. [...] L'éthique d'entreprise est contagieuse. [...] Dans tel réseau d'entreprises qui ont des relations fidèles de fournisseurs et de sous-traitants, cet état d'esprit, même s'il n'est pas consigné dans une charte, pénètre lentement mais inéluctablement les partenaires. [...] On connaît les résultats économiques étonnants obtenus par ces cercles vertueux apportant ainsi la preuve qu'un engagement éthique, même s'il semble contraignant au départ, peut apporter à moyen terme le succès économique. L'honnêteté paie. À terme sinon à court terme. Mais ne croyons pas qu'il s'agisse d'un comportement facile. L'opiniâtreté sera nécessaire. Expliquons nos difficultés avec franchise à nos concitoyens. Ils réagiront sainement. Et que nos politiques acceptent de s'en inspirer plutôt que de claironner "braves gens, dormez en paix", injonction médiévale lénifiante au coucher du soleil ! "

 

Le monde change lentement et la conviction s'installe (le mot fût-il facile) que " si le capital n'est pas humain, l'humain est capital ". Et voici que reparaît le christianisme, ici " personnaliste ", selon lequel — comme pour Gabriel Marcel — être c'est " être avec ".

 

L'humain, d'après ETHIC, est tellement capital qu'il doit se pratiquer de façon différente suivant les personnes. Après l'autorité capitaliste, parfois militaire, due au respect envers le porteur de capitaux, on vit apparaître l'autorité souple de la compétence incontestée. Après la main de fer, ce fut la main du savoir-faire. Celle-ci n'a même plus besoin de gant de velours... Cette stratégie humaine définie par ETHIC devrait privilégier la personne. C'est là que nous avons découvert que l'humain était préférable au social qui n'est que l'humain massifié, lui-même préférable au syndical qui n'est que le social institutionnalisé.

 

L'audience qu'YG tire de son action et de sa réflexion, la portée de son message le mèneront à la tête du CNPF où il cultivera " cette suprématie de l'humain sur le social ", rompant délibérément avec une stratégie d'appareil qui privilégiait, notamment depuis 1968, un rôle " social et syndical, aux innombrables négociations au sommet, avec des "saints dicats" eux-mêmes bien éloignés des problèmes humains de l'entreprise ". Cette audience portera YG au CAMR (" cercle d'admiration mutuelle et réciproque ") de l'Institut où il sera le premier " entrepreneur " jamais reçu quai Conti ! La réflexion académique ne l'a pas éloigné de l'action : fidèle à la charte ETHIC il s'attache aujourd'hui à la " pérennité des ETH " — qui passe par leur délicate transmission.

 

Les moyennes entreprises patrimoniales

 

Longtemps, de ce qu'il nomme les " trois C " de l'entreprise : C comme Création, C comme Croissance, C comme Conservation — YG semble s'être principalement soucié des deux premiers. Mais, comme son appellation l'indique, une entreprise " patrimoniale " a vocation de passer de son créateur à ses héritiers, d'où le troisième C. L'ASMEP (l'Association des moyennes entreprises patrimoniales) n'a été fondée qu'en 1995, " suite à une chasse au lapin sur l'aéroport de Roissy " au cours de laquelle avec une vieille connaissance chargée de mission à l'Institut de l'Entreprise avait été évoqué " le triste sort de nos moyennes entreprises patrimoniales ", et l'impérative nécessité (une fois encore) de " faire quelque chose ". À quoi obéissait YG ? Il parle d'un " sentiment diffus de besoin de pérennité de ces constructions si laborieusement élaborées " et le justifie le plus naturellement du monde. " Apparaît comme un tropisme naturel qui, parmi les deux instincts de base du monde animal, instinct de conservation de l'individu et instinct de conservation de l'espèce, fait discrètement passer, avec l'âge, du premier au second. " Nul doute qu'il songe aussi à l'assise traditionnelle de la famille que la République néglige quand elle ne cherche pas à la détruire, au bénéfice d'un individu abstrait, citoyen électeur dont elle entend être seule le soutien... YG est si actif dans cette sauvegarde des patrimoines que le voici pour certains (il n'en est pas peu fier) " le père de la pérennité des entreprises " !

Mais, au fait, qu'est-ce qu'une " entreprise patrimoniale " ? Une entreprise " où les dirigeants possèdent une part significative du capital, leur permettant de prendre les décisions stratégiques à long terme ". Qu'est une " moyenne entreprise " ? Elle compte de 100 à 3000 salariés. Reste que la combinaison de ces caractéristiques — capital et effectifs — fait que 75 % des ME sont patrimoniales. Les GE et les ME dépendant de groupes cotés voient leur pérennité assurée au moment de la retraite ou de la disparition d'un dirigeant : un autre manageur est nommé. Point. Le changement est sans effet fiscal sur les actionnaires, il s'opère sans heurt ni préjudice pour les patrimoines.

Il en va tout autrement des MEP, où " la disparition du PP, patron-propriétaire, ou du PPP, patron partiellement propriétaire, pose parfois des problèmes de survie à l'entreprise elle-même ". Le responsable de cette situation économiquement criminelle ? Un État avide aux mains d'hommes dont la compétence en économie est au moins problématique — pour ne rien dire des aberrations démagogiques dites " sociales " dont ils usent et abusent à des fins électorales. YG abandonne un temps la légèreté du ton qu'il manie si heureusement, devient tragique. C'est d'un assassinat récurrent de l'outil industriel national qu'il est question, et de la captation par une collectivité abusive du fruit de la vie (et parfois du génie) d'un homme ! Au diable " l'humain ", quand l'État " social " cherche 18 sous pour faire 1 franc, vive le prélèvement confiscatoire !

 

Les médias et les gouvernements font semblant d'ignorer que les droits de succession plafonnent en France à 40% en ligne directe, à 55% pour un neveu et à 60% pour un directeur non parent, payables, bien entendu, avec de l'argent déjà totalement défiscalisé. Pour faire simple, un fils ou des enfants qui héritent d'une MEP valant 100 millions d'euros doivent payer de leur poche 40 millions d'euros, ce qui est, on s'en doute, hors de portée de toutes les familles de France. Une fiscalité meurtrière. La fiscalité française, longtemps indigeste, est devenue vénéneuse et parfois même phalloïde. Et je n'ai pu, en 1983, lorsque j'assurais la défense armée des entreprises françaises, arrêter ce doublement inquiétant des droits de succession.

 

1983, c'était, Mitterrand à l'Élysée et Mauroy à Matignon, la mise en chantier de la France socialiste qui — selon le mot impayable du nommé Mermaz, alors président de l'AN (l'Assemblée nationale) — " allait calmement sortir de l'Histoire "... Les temps, les hommes ont changé, les gouvernements se sont succédé sous des couleurs différentes, le démembrement — au sens pénal du mot : Ravaillac a été " démembré " — des MEP, à chaque passage d'une génération à l'autre se porte bien ! Enfin, il n'est plus aussi vigoureux qu'au temps béni des marxistes à la française — grâce à YG !

" Les innombrables démarches de l'ASMEP ont eu quelques résultats positifs, puisque nos gouvernants et le Parlement ont accordé des abattements de 50 % (bientôt portés à 75 %) contre un "pacte ASMEP" ou "engagement collectif de conservation de titres", tant pour les transmissions après décès que pour les donations. " Il fallait " faire quelque chose ", voilà. C'est un début. " Nous avons l'espoir de voir un jour notre fiscalité de transmission d'entreprise se rapprocher de celle de nos voisins ; elle a été ramenée à zéro en Angleterre et en Italie, et exonérée de 95 % en Espagne. " Mais il reste beaucoup, beaucoup à faire : " La fiscalité du patrimoine témoigne d'un acharnement pathologique... " Je saute les chiffres et en arrive à cette conséquence nécrosante qu'YG expose avec un humour grinçant, que le bon sens reconnaît sans peine, mais que l'" élu à la française " ne peut admettre, sauf à taire ses éternelles contrevérités et à s'inscrire à l'ANPE. " La physique et la fiscalité ont des principes analogues : les gaz et l'argent se déplacent inexorablement des zones à forte pression vers les zones à pression plus faible. L'ISF n'est plus un impôt, c'est une centrifugeuse, le plus efficace des tours-opérateurs, sans billet de retour. "

YG qui a retrouvé tout son allant donne encore quelques précisions sur cet effet centrifuge :

 

"Nos" entreprises du CAC 40 ont déjà une majorité de leur capital détenue par des groupes étrangers... L'indifférence des Français à la perte de leurs bijoux de famille est préoccupante. Ces MEP performantes sont en fait les meilleurs de leurs petites entreprises qui ont réussi et grandi. Les études de l'ASMEP ont démontré que trois ans après une prise de contrôle étrangère d'une MEP, dans 75 % des cas, il y a une réduction sensible d'effectifs, et parfois même fermeture d'établissements, que dans l'immédiat les services de finances, études, recherche, gestion, informatique étaient transférés dans le pays prédateur... Indiscutablement, ces prédations de nos meilleures MEP sont pour la France une perte de substance, de centres de décision, de dividendes, de notoriété, d'influence... et d'emplois. "

 

Voilà une façon de " sortir de l'Histoire " que le triste Mermaz n'avait pas prévue. Mais " dormez tranquilles, bonnes gens ", et... vive la République !

Les bons esprits, toujours à la page, ont opposé à YG " le mythe de l'héritier incompétent ", arguant que " les héritiers gâtés étaient, comme les staphylocoques, plus nocifs quand ils étaient dorés ". Encore une fois, les prédicants avaient tout faux ! " Ils ne savaient pas que les incompétents et les dilapideurs ont disparu depuis vingt ans car, dans la concurrence mondiale impitoyable, aucun chef d'entreprise ne confierait plus un management moderne aussi difficile à un nouveau dirigeant peu qualifié. Il faut aujourd'hui que le successeur ait cette triple qualité d'être à la fois compétent, motivé et admis, triple conjonction évidemment difficile à réaliser. " Les hommes ont réglé, de façon ETHIC, le problème humain, la République s'obstine dans sa stratégie confiscatoire de gribouille.

 

L'organisation d'une vie qui a été accordée par le Ciel

 

Yvon Gattaz est un homme engagé... Le vecteur de cet engagement de plus d'un demi-siècle déjà ? L'enthousiasme, et je garde son souffle sacré à ce mot. L'enthousiasme conquérant de l'" Entrepreneur " — YG voudrait que, dût-on n'en conserver qu'une seule, on gardât de lui le souvenir de cette qualité — " naît de la naïveté ", révèle l'incorrigible optimiste. RLB du SBT... Vous lisez le gattazien : " Ras le bol du scepticisme de bon ton " !

Pas étonnant que cette vie, au vrai d'une diversité stupéfiante, dispersée ou écrasée qu'elle eût pu être par les responsabilités successives et simultanées, Yvon Gattaz la rapporte sans un seul instant se prendre au sérieux. Il a mieux à faire ! Elle ne cesse de l'interroger, cette vie qui lui impose de nourrir de l'espoir, " en croyant ou faisant semblant de croire en un avenir meilleur ", toujours plus d'espoir, " par la transmission de ses connaissances aux jeunes ", et de " le transformer en espérance " — vertu théologale.

 

En prenant de l'âge, ma joie, mon inquiétude, ma surprise, mon étonnement renouvelé, c'est la vie. Elle est de plus en plus inexpliquée malgré les découvertes scientifiques qui, croyant sans cesse s'approcher de la solution, ouvrent au contraire un champ de plus en plus vaste aux interrogations. Plus on résout de mystères, plus on aperçoit en même temps l'étendue des mystères nouveaux à découvrir dans cette vie multiforme de la terre... Quant à la vie professionnelle qui absorbe une immense partie de notre temps sur terre, elle est bien une part de la vie tout court. On y assure sa subsistance élémentaire, bien sûr, et ce depuis l'origine des temps... Le travail, comme l'espoir, c'est également la vie et il est possible que sa rareté actuelle augmente encore son prestige, récemment redécouvert. Mais le travail n'est que l'organisation par l'homme d'une vie qui lui a été accordée par le Ciel .

 

Deo gratias !

Lisez cette gattazerie gattazeïante, vous y découvrirez que le gattazisme est d'abord une magnifique joie de vivre, Dieu aidant ! — vinssent les professionnels de la vacuité politicienne et des sacro-" saints dicats " en réfuter, par ignorance, par calcul, par paresse, voire par bêtise et chaque fois ou presque qu'ils abordent les questions économiques et sociales, maints salutaires enseignements. Et, dans cette joie, par elle, quel boulot il a abattu, le " paresseux contrarié " !

 

X. W.