LORS DE L'ELABORATION de la Constitution européenne, le débat sur l'inclusion de la référence à Dieu et aux valeurs religieuses qui ont conforté l'Europe dans sa diversité nous conduit à prendre en considération la manière dont cette conception chrétienne du monde et de l'homme a façonné l'identité européenne.

 

 

 

Une identité basée essentiellement sur les valeurs laïques (qui peuvent être assumées par tous les citoyens, indépendamment de leurs convictions religieuses intimes) mais qui, paradoxalement, sont d'une inspiration chrétienne claire, peut-être parce que celle-ci est la seule pensée religieuse qui ait établi une distinction nette entre le spirituel et le temporel.

 

Ces valeurs laïques se sont établies dans la pensée européenne – surtout durant le XIXe et le XXe siècle – très souvent avec une confrontation anticléricale très nette. Mais nous pouvons constater aujourd'hui comment des idéologies publiquement athées assumaient implicitement, au XIXe siècle, des valeurs chrétiennes qui, actuellement, seraient peut-être beaucoup plus difficilement reconnues dans notre culture.

 

Dans ce sens, c'est après la Seconde Guerre mondiale – et avec la naissance de la construction européenne – que ces valeurs laïques ont été progressivement acceptées d'une façon plus générale. Les Droits de l'homme, le pluralisme comme expression du primat de la conscience, le principe de subsidiarité, l'acceptation des corps intermédiaires entre l'État et l'individu, en commençant par la dimension régionale, n'étaient pas bien acceptés dans les années antérieures ni par le jacobinisme au pouvoir ni par l'étatisme marxiste.

 

C'est le personnalisme d'inspiration chrétienne comme philosophie politique qui inspire les principaux dirigeants, instigateurs de la construction européenne, et qui récupère les valeurs qui avaient déjà imprégné diverses périodes de l'histoire européenne dans ses nombreux territoires mais qui avaient été noyées par l'imposition de principes plus récents aux caractères absolus tels que la souveraineté, l'identification entre Nation et État, le dictat exclusif de la majorité.

 

Bien que le concept de la personne ait été progressivement accepté dans sa double dimension – individuelle et communautaire –, on oublie bien souvent la primauté de la vocation transcendante de la personne.

 

Toutes les régions européennes peuvent apporter à cette volonté communautaire, à un niveau plus ou moins important, l'héritage de leur propre histoire, aussi ancienne que celle de l'Europe elle-même, laquelle a acquis une culture spécifique capable, en se maintenant, de créer, pour ses habitants, une dimension communautaire.

Chaque région européenne peut, par ses habitants, exprimer les caractéristiques supérieures de cette dimension. En me référant à celle que je connais le mieux, la Catalogne, sa volonté de préserver les libertés publiques, sa capacité de raisonner librement et son idéal de dimension éthique dans la politique s'exprimaient déjà à travers le premier grand philosophe et théologien de langue catalane, Ramon Llull, considéré avec Thomas d'Aquin, par Denis de Rougemont, comme les deux grands penseurs européens du XIIIe siècle.

Évidemment, lorsque les évêques de Catalogne ont publié, il y a dix-huit ans, leur lettre commune intitulée " Les racines chrétiennes de la Catalogne ", personne ne mettait en doute la solidité de cette affirmation.

 

Afin de s'adresser à tous les habitants de ce que l'on appellerait aujourd'hui une région européenne, avec des compétences législatives, ils n'hésitaient pas à valoriser positivement le vrai pluralisme de la société catalane et la volonté de contribuer au développement d'une communauté, avec une volonté d'intégration par la qualité de vie qu'elle sait offrir à ses habitants, vu que, d'après leurs affirmations, la nationalité catalane n'est pas fondée sur un fait d'ordre racial ou ethnique mais sur une identité culturelle capable d'intégrer des personnes d'origines très diverses.

 

Utilisant des concepts très usités dans l'Union européenne, les régions européennes, dans cette époque de profonds changements en tous genres, formeront chaque jour un peu plus l'unité de base de toute cohésion territoriale et sociale. C'est dans cette direction que devront se concrétiser les politiques de développement durables, principe constitutionnel déjà inscrit dans les traités européens en vigueur.

 

Pour que cette volonté de cohésion et de développement garantisse pleinement les droits de la personne, les valeurs d'inspiration chrétienne constituent un patrimoine indispensable que la future Constitution européenne devra implicitement reconnaître.

 

L. C.