Les militants anti-prohibitionistes réclament depuis des années la reconnaissance des vertus thérapeutiques du cannabis. Il s'agit purement et simplement d'une manœuvre destinée à justifier, auprès de l'opinion publique, la mise sur le marché dans l'immédiat d'un produit thérapeutique dérivé du cannabis et à terme de banaliser le cannabis lui même et de lui reconnaître un statut proche du tabac ou de l'alcool.

 

Ces derniers mois, l'actualité a fourni de quoi illustrer cette supercherie ainsi que la complicité active du ministre de la santé Bernard Kouchner. Rappelons trois faits récents significatifs :

 

1/ Le MLC débouté par le tribunal administratif de Paris. En janvier 1998, le Mouvement de légalisation contrôlée (Mlc) avait demandé au ministère de la Santé une autorisation d'importer de Suisse 10 kilos d'herbe de cannabis en vue de soulager les douleurs de 10 personnes atteintes de maladies incurables. En l'absence de réponse, l'association a donc saisi six tribunaux administratifs, dont celui de Paris qui devait prononcer un refus d'importation et " le classement du cannabis parmi les substances stupéfiantes dépourvues de toute utilité thérapeutique " (le delta-9-tétrahydrocannabinol, substance psychoactive du cannabis, a été retiré de la pharmacopée française en 1953. )

Le 29 mai, le tribunal administratif de Paris a rejeté la possibilité d'importer du cannabis pour usage médical, estimant que " les bénéfices du cannabis sont loin d'être clairement établis " et sont jugés " totalement empiriques ".

 

2/ La cour suprême des Etats-Unis dit non au cannabis médical. De son côté, le 14 mai, la Cour suprême des États-Unis a unanimement déclaré (par un vote de 8 contre 0) que les tiers qui cultivent ou distribuent de la marijuana à des fins médicales ne peuvent pas utiliser pour leur défense la nécessité médicale dans le cadre de la loi fédérale. Ce qui signifie clairement la fin des clubs de distribution de cannabis en Californie et dans d'autres États. Rédigeant pour la cour, le magistrat Clarence Thomas a déclaré que " la marijuana ne présente pas de bénéfices thérapeutiques dignes d'une exception. "

 

3/ Bernard Kouchner ne veut rien savoir. Le lendemain de l'annonce du jugement de la Cour suprême, le 15 mai, Bernard Kouchner annonce que le cannabis va faire l'objet en France d'un programme d'étude sur son usage thérapeutique. " Il s'agit d'évaluer les indications et les résultats de l'usage thérapeutique de ce produit en particulier comme antiémétique (vomissements) et en complément des chimiothérapie anticancéreuses ", a expliqué le ministre délégué à la Santé .

 

Respect des procédures et principe de précaution

 

Connaissant les vues de Bernard Kouchner depuis des années quant à une libéralisation du cannabis, l'annonce d'un programme d'étude sur les vertus thérapeutiques du cannabis n'est pas réellement une surprise. En revanche, une telle opération est tout à fait scandaleuse de la part d'un ministre de la Santé. Elle contrevient à deux principes fondamentaux qui régissent toute la recherche médicale : d'une part le respect des procédures légales concernant les essais cliniques — et de ce fait, l'annonce de ces essais par le ministre de la Santé en personne ressemble à une ingérence ou tout du moins à une pression potentielle —, d'autre part le respect du principe de précaution qui commande de ne rien tenter qui puisse nuire d'une manière ou d'une autre aux patients.

 

1/ Le respect des procédures. Il y a des lois de la République qui régissent la mise sur le marché des substances revendiquant un effet thérapeutique et qui précisent dans quelles conditions il est possible de proposer à la vente et à l'utilisation thérapeutique ces dites substances. L'ex-Agence du médicament, désormais intégrée à l'Afssaps, a pour charge de délivrer l'amm (autorisation de mise sur le marché) et ce en toute indépendance. La loi Huriet datant de 1988 et d'autre part la loi européenne sur les essais cliniques sont également des textes régissant les procédures à respecter pour procéder aux études cliniques nécessaires avant mise sur le marché ou nouvelle application thérapeutique. Selon ces lois, seul un établissement ayant statut de laboratoire pharmaceutique ou un groupe de médecins (établissement hospitalier par exemple) peuvent déposer une demande d'essai clinique devant un Ccpprb (Comité Consultatif pour la protection des personnes en recherche biologique) composé sous l'autorité des préfets. Le ministre n'est pas compétent pour ordonner des essais. Le ministère de la Santé ne peut être saisi directement de l'autorisation de la demande d'essai qu'en cas de deux refus successifs d'un Ccpprb.

Le ministre ne doit ni ne peut court-circuiter les administrations ou comités compétents. C'est à eux de décider d'autoriser ou non l'évaluation clinique d'une substance thérapeutique, sans pression politique, en fonction uniquement du bénéfice thérapeutique potentiel pour les patients soumis à cet essai : l'application thérapeutique invoquée est-elle suffisamment intéressante pour qu'on l'autorise ? C'est le rapport risque-bénéfice qui doit seul faire autorité.

 

2/ Le principe de précaution : ne pas nuire. Avant d'autoriser quoi que ce soit, les Ccpprb étudieront les informations contenues dans le dossier soumis par le promoteur de l'essai. Dans le cas d'une application thérapeutique, plusieurs questions seront préalablement posées : est-ce que le produit proposé pour essai a été suffisamment testé pour que l'on en connaisse ses propriétés pharmacologiques, ses effets secondaires potentiels et sa toxicité ? Est-ce que l'administration de ce produit à des patients se justifie ? Quel est le bénéfice réellement attendu ?

Dans le cas de l'existence d'un autre traitement déjà utilisé, l'essai ne sera autorisé que si potentiellement l'on sait que l'on va faire aussi bien, sinon mieux que ce traitement. La notion de gain thérapeutique potentiel, sans effet secondaire important, est ici primordiale. Les effets secondaires importants ne seront acceptés que dans des cas très particuliers.

Il ne s'agit donc pas seulement de procédures administratives mais de responsabilité éthique humaine et médicale. Peut-on accepter qu'un médecin prescrive un produit dont on sait a priori qu'il ne sera pas efficace ou qu'il induira des effets secondaires importants ? Le ministre de la Santé doit avoir le souci de la santé publique et non celui de satisfaire une idéologie. Or à ce jour aucun Ccpprb n'a été saisi d'une demande d'essai clinique. Tout simplement parce que la communauté scientifique internationale connaît pertinemment, depuis de nombreuses années, la faible efficacité du delta-9-thc dans la plupart des applications thérapeutiques et que de nombreux essais ont déjà eu lieu.

 

Efficacité du produit

 

Les effets pharmacologiques produits par le delta-9-thc ont conduit, depuis les années 60, à explorer des applications thérapeutiques potentielles de cette drogue. D'importants programmes de recherche réalisés dans l'industrie pharmaceutique, les universités américaines et certains laboratoires d'autres pays ont permis d'étudier les mécanismes d'action du thc.

 

1/ Les propriétés pharmacologiques du thc. Il y a deux manières de poser la question : a/ Est-ce que le cannabis possède une utilité thérapeutique meilleure que celle fournie par d'autres substances ou non assurée par celles-ci ? La réponse est clairement non car les effets observés sont ceux du thc qui est connu pour sa toxicité et ses effets secondaires. b/ Est-ce que des molécules contenues dans le cannabis (plante) pourraient avoir une utilisation thérapeutique ? La réponse est clairement oui.

Il y a plus de 600 molécules identifiées dans la plante. On a découvert en 1983 que l'un des dérivés du cannabis, le cannabidiol avait des effets intéressants sur un plan thérapeutique . Mais encore faut-il que la molécule soit isolée car si elle entre en compétition avec une autre, l'effet est annulé. Les patients éprouveraient des effets secondaires (anxiété, voire crise de panique, vertiges, désorientation, perte de mémoire, délire verbal, tout particulièrement aux doses les plus élevées) qui rendraient son emploi inacceptable, voire franchement impossible. Or les laboratoires américains s'efforcent depuis des années de dissocier les effets néfastes du cannabis des effets considérés comme plus positifs. Les résultats sont pour le moment mitigés. Beaucoup de plantes ont des vertus thérapeutiques intéressantes mais sont néanmoins toxiques à partir de certaines doses voire porteuses de toxicité si la molécule n'est pas isolée et consommée comme telle. C'est précisément le cas du cannabis.

Un grand nombre de publications et de communications dans des congrès internationaux rapportent des études menées avec toute la rigueur scientifique voulue sur les effets médicamenteux, thérapeutiques, du cannabis. Ces études montrent que la réussite n'a pas été à la mesure des espoirs.

Parmi les grands domaines où l'on invoque l'utilisation thérapeutique du cannabis et plus particulièrement du delta-9-thc ou d'analogues synthétiques, il n'existe aucun domaine dans lequel la molécule ait fait la preuve d'une quelconque efficacité, sauf dans le cas du glaucome sur lequel nous reviendrons plus bas. Prenons quelques exemples :

 

2/ Effets antiémétiques (nausées et vomissements). Là ou les patients souffrent en moyenne de 7 crises de vomissement par jour, le produit de référence actuel traite au moins 5 à 6 crises sur les 7, le cannabis n'est capable d'en prévenir qu'une seule et exceptionnellement 2. Cet essai a été publié (il n'est d'ailleurs pas le seul . Le thc n'est donc qu'un antiémétique aux effets limités. Il ne peut être administré par voie intraveineuse et son absorption par voie orale est lente et inconstante. La fumée de marijuana, recommandée par certains, contient par ailleurs des cancérigènes en plus grande quantité que la fumée de tabac, et inhibe les défenses immunitaires du poumon.

 

3/ La prise de poids des sidéens. C'est l'exemple type de la déformation de l'information scientifique. Plusieurs essais ont été tentés. Le plus contestable, un essai américain publié par une infirmière, a été mené sur un nombre de sujets extrêmement faible, rendant toute analyse statistique impossible. La plus grande supercherie réside dans l'organisation de l'essai. Il comportait trois groupes, un groupe témoin, un groupe recevant des anabolisants stéroïdiens et un groupe recevant des anabolisants stéroïdiens et du cannabis.

On a montré que le fait de prendre des anabolisants stéroïdiens et du cannabis permet de prendre du poids, autant que le groupe ayant reçu seulement que les anabolisants stéroïdiens. Il n'y a jamais eu de groupe cannabis seul. Les anabolisants sont capables d'induire à eux seuls la prise de poids, mais pas le cannabis, qui donne simplement l'impression d'accroître l'appétit mais n'induit aucune prise de poids, comme l'a démontré une autre étude dont l'auteur, déçu, suggérait l'emploi d'hormone de croissance pour rendre le traitement efficace.

Quant au discours véhiculé par les médias — fumer du cannabis rétablit l'appétit —, l'argument est faux. Même si l'appétit semble revenir, aucune prise de poids n'a jamais été constatée lorsque que seul le cannabis est utilisé comme traitement .

 

4/ Effets antalgiques (traitement de la douleur). Les essais qui montrent un effet anti-douleur sont rares et de qualité médiocre. Ils ont été menés avec des doses élevées de cannabinoïdes, au prix d'effets secondaires difficilement supportables. Au contraire, les études qui montrent que le cannabis n'a aucun effet et même qu'il aggrave la sensation de douleur sont nombreuses et parfaitement établies.

Or d'autres médications efficaces et bien tolérées ont des effets spécifiques bien ciblés. Les opiacés et les médications du type aspirine ou paracétamol sont spécifiquement ciblés sur les deux grandes voies de la douleur, le système endorphinique dans la douleur aiguë et l'inhibition des prostaglandines dans la douleur inflammatoire. La plus grande confusion règne dans ce domaine quant aux effets du cannabis et les méthodologies d'études sont sujettes à caution, entre autres à cause de l'impossibilité de les mener en double aveugle, l'ivresse cannabinique révélant le type de produit administré / . Clark avait d'ailleurs naguère parfaitement cerné tous ces problèmes et l'on se reportera avec intérêt à ses publications.

 

5/ Effets sur le glaucome. Le traitement du glaucome est le seul pour lequel le cannabis et certains dérivés aient montré une certaine efficacité. Administrés en inhalation ou par voie orale, ils sont capables de diminuer la pression oculaire chez 60 à 65 % des sujets atteints de glaucome . Malheureusement les doses utilisées impliquent des effets secondaires (ivresse) importants. Considérant qu'il existe sur le marché des produits qui traitent plus efficacement et sans effets secondaires le glaucome, les ophtamologues ont clairement déclarés leur non-intérêt quant à l'utilisation du cannabis et de ses dérivés dans le traitement du glaucome, surtout à cause de ces effets secondaires.

 

Effets défavorables et toxiques du produit

 

Les effets défavorables et toxiques du cannabis et plus particulièrement du delta-9-thc ont fait l'objet d'innombrables publications et ont été largement rapportés lors de symposium et de congrès. Le lecteur en trouvera une excellente synthèse dans le livre Marihuana and Medecine ainsi que les références bibliographiques correspondantes ou les pistes permettant de les retrouver.

Lors de la soumission d'un protocole d'essai clinique à un Ccpprb, il est impératif de fournir une bibliographie sincère et exhaustive rapportant les effets du ou des produits employés dans le protocole et en autres les données toxicologiques ou potentiellement défavorables. Certaines de ces données peuvent d'ailleurs entraîner la définition de critères d'exclusion du protocole de certains sujets ou malades et éventuellement des restrictions quant à la future utilisation du produit. Évidemment, au vu de l'abondance de la littérature sur le sujet, (contrairement à ce qu'affirment certains), il est compréhensible que les bibliographies qui ont été ou seront déposées auprès des Ccpprb qui auront à examiner les demandes d'essais évoquées par le ministre de la santé, soient limitées. L'absence de certaines références, en revanche, seraient coupables voire criminelles. Citons par exemple deux études qui ont été publiées par Aronow et Cassidy et qui concernent les effets cardiovasculaires extrêmement défavorables qu'ils ont rapportés sur le delta-9-thc. Les résultats sont suffisamment inquiétants pour que l'on soit sur ses gardes avec une telle substance !

Dans une première étude , chez des sujets insuffisants coronariens, le fait de fumer une seule cigarette (calibrée) à teneur faible en delta-9-thc suffit à diminuer leur capacité à l'effort de 50 % avant douleur angineuse, comparativement à leur propre performance lorsqu'il fume un placebo. Dans une autre étude comparative , cette réduction de 50 % du temps d'effort avant douleur a été confirmée avec le cannabis, sachant que lorsque les sujets fumaient une cigarette calibrée, dont le contenu en nicotine équivalait à dix cigarettes courantes, leur temps d'effort par rapport à leur temps témoin (placebo) n'était diminué que de 23 %. Les mesures effectuées ont montré une augmentation du rythme cardiaque et du travail cardiaque, accompagnés d'une forte augmentation de la consommation en oxygène due au delta-9-thc.

Naturellement, les sujets de ces études étaient atteints d'insuffisance coronarienne, ce qui exacerbait les effets de la nicotine et du thc, mais combien de sujets dans la population générale finissent avec de telles atteintes ? Plus qu'on ne l'imagine parfois, ce qui montre encore une fois que la prudence doit être de mise, même avec une substance que les discours de certains ont voulu présenter comme anodine.

 

En conclusion, le cannabis est une médicamentation vétuste, dont les effets nocifs contrebalancent les effets thérapeutiques partiels. Il convient donc de rappeler que le cannabis est avant tout une drogue dont la consommation peut avoir des conséquences dévastatrices sur la santé physique et mentale des individus.

 

R. Tr.
. Depuis, l'usage thérapeutique du cannabis vient d'être autorisé sous certaines conditions au Canada. Le gouvernement d'Ottawa a annoncé, le 4 juillet, que les Canadiens atteints de maladie comme le SIDA ou le cancer pourraient recevoir des " permis " les autorisant à fumer du cannabis pour soulager les symptômes douleurs (NDLR).

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