LIBERTE POLITIQUE n° 41, été 2008.

Par Miroslaw Mikolazic. EN MARS 2000, le Conseil européen de Lisbonne a fixé un objectif stratégique visant à faire de l'Union européenne l'économie de la connaissance la plus compétitive et la plus dynamique du monde d'ici à 2010, capable d'une croissance économique durable accompagnée d'une amélioration quantitative et qualitative de l'emploi et d'une plus grande cohésion sociale .

En 2002, en réponse à ces défis définis par la stratégie de Lisbonne, la Commission européenne a adopté une Stratégie pour l'Europe sur les sciences du vivant et de la biotechnologie .
Cette stratégie s'est fixé deux objectifs principaux. Tout d'abord, les États membres de l'Union ayant dilué leur capacité dans le domaine des biotechnologies en raison de politiques nationales divergentes, une vision partagée et une stratégie harmonisée seraient nécessaires pour pouvoir atteindre les buts de la stratégie de Lisbonne et de la consultation de la Commission européenne sur les sciences du vivant . Le deuxième but, qui nous concerne davantage ici, est la mise au point des garanties et des possibilités de dialogue pour assurer le développement et l'application des sciences du vivant et de la biotechnologie dans le respect des valeurs fondamentales reconnues par l'Union à travers la Charte des droits fondamentaux .
La mise en œuvre de cette stratégie s'est concrétisée aujourd'hui dans le règlement sur les médicaments de thérapie innovante . Ce règlement définit deux obstacles majeurs auxquels la règlementation communautaire actuelle est confrontée. Premièrement, les lacunes règlementaires dans le domaine des thérapies innovantes, concernant en particulier les produits issus de l'ingénierie du tissu qui ne sont pas classifiés comme étant des produits médicaux dans le droit communautaire, contrairement aux médicaments de thérapie génique et de thérapie cellulaire . Deuxièmement, ce qui est d'ailleurs plus pertinent vis-à-vis des sciences du vivant et du développement de la biotechnologie, la faiblesse de l'expertise scientifique pour l'évaluation des thérapies innovantes, alors que sa mise en place au niveau européen est essentielle afin de garantir un niveau optimal de protection de santé publique.
Depuis le début de la législature actuelle et donc depuis juin 2004, nous avons mené et nous menons toujours des débats vifs et des combats multiples avec mes collègues du Parlement européen en vue d'une meilleure réglementation dans le domaine des thérapies issues des cellules souches humaines. J'ose pouvoir dire que notre combat, malgré des hauts et des bas, n'a pas été inutile jusqu'à présent et que nous sommes toujours aussi déterminés pour promouvoir des thérapies éthiquement irréprochables. Ce combat s'est concentré plus particulièrement sur le règlement concernant les médicaments de thérapie innovante, sur le VIIe Programme-cadre pour la recherche et le développement (2007-2013) et sur plusieurs résolutions du Parlement européen que je développerai dans cet article.

Règlement concernant les médicaments de thérapie innovante

En tant que médecin et membre du Parlement européen, rapporteur principal du projet de règlement sur les thérapies innovantes, j'ai consacré beaucoup de temps et d'énergie à l'étude du potentiel thérapeutique des cellules souches somatiques. Pendant plus d'un an, entre janvier 2006 et avril 2007, j'ai travaillé en tant que rapporteur principal sur le projet de règlement sur les médicaments de thérapie innovante. Ce texte législatif d'application directe dans tous les États membres de l'Union européenne a été adopté par le Parlement européen et le Conseil des ministres en première lecture en 2007 ; il est entré en vigueur le 30 décembre dernier. Il sera applicable à partir du 30 décembre 2008.
L'énorme valeur ajoutée de ce texte est dans l'harmonisation européenne des règles spécifiques pour l'autorisation, la mise sur le marché, la surveillance et la pharmacovigilance des médicaments de thérapie innovante, à savoir les médicaments de thérapie génique, de thérapie cellulaire somatique et des produits issus de l'ingénierie du tissu. Le règlement est fondé sur l'article 95 du traité instituant la Communauté européenne (traité de Rome ou Traité CE) qui forme la base juridique du marché commun européen pour la libre circulation des marchandises : dans ce cas il s'agit donc des médicaments à usage humain. Ce texte aura ainsi une incidence majeure sur la santé publique des Européens dans le but d'améliorer la qualité de vie des malades du cancer, du diabète, de la peau, des cartilages ou des os par exemple.
Ce projet de règlement a été proposé par la Commission européenne dans le cadre de la stratégie européenne de développement des sciences du vivant et de la biotechnologie qui a renforcé l'importance de l'unification des politiques nationales. La Commission a bien fait savoir son intention de proposer un cadre législatif unique pour les trois types de thérapies en expliquant que les thérapies cellulaires et géniques ont déjà été réglementées au niveau européen à l'inverse des thérapies du tissu.
Bien évidemment, l'urgence des demandes pour soigner de nombreuses maladies se fait pressante et ce projet de règlement a été cité par de nombreux spécialistes comme étant un règlement prometteur pour la recherche européenne. Néanmoins, une question clé surgit quand les thérapies innovantes et la science connaissent un développement trop rapide pour que les experts en droit et en éthique puissent suivre. Par conséquent, avant d'introduire un cadre législatif dont le but est de permettre à la science de progresser sans l'obstacle des divergences nationales, nous devons d'abord nous assurer qu'une telle ouverture de l'espace réglementaire sert vraiment la dignité humaine.
Ainsi, le débat central concernant le règlement sur les médicaments de thérapie innovante s'est focalisé sur la formulation et l'application de l'article 28, 2 du projet de règlement concernant l'application de l'article 95 du Traité CE et les opting out — clauses de l'article 30 du Traité CE. L'article tel qu'il a été proposé par la Commission tente d'encadrer ce débat et traite de deux points majeurs : 1/ d'abord la politique de concurrence et d'harmonisation ne peut pas, selon l'esprit du droit communautaire, remplacer la politique des États membres dans le domaine de la santé publique et de l'éthique ; 2/ ensuite, la technologie ne peut jamais sacrifier la dignité humaine en poursuivant ses objectifs, même si son objectif principal est de servir la santé de l'homme et le progrès.
Je considère que le droit communautaire ne devrait pas supplanter les politiques nationales de chaque État membre de l'Union, notamment si ceux-ci souhaitent maintenir ou introduire une législation nationale restrictive pour des raisons éthiques ou de moralité publique comme prévu par l'article 30 du Traité CE. Cette précaution du Traité permet aux États membres de se soustraire aux lois offensant la santé publique et le consensus éthique de leurs citoyens. À titre d'exemple, je citerais les pays comme l'Allemagne ou la Pologne qui introduisent des restrictions, voire des interdictions en matière de recherche sur les cellules souches embryonnaires. De plus, je suis profondément convaincu que la dignité humaine ne devrait pas être sacrifiée au progrès de la technologie.
Dans ce contexte, la Commission des affaires juridiques du Parlement européen a proposé des exemptions à l'application universelle de cette proposition de règlement en excluant de son champ d'application un certain nombre de produits potentiels contenant des dérivés de cellules souches embryonnaires par exemple. En pratique, l'application du principe de subsidiarité permettrait aux États membres qui le désirent de poursuivre la recherche et de développer des thérapies éthiquement controversées. Cependant, les États membres qui ne souhaitent pas partir dans cette direction pour des raisons d'ordre éthique ne seraient pas contraints d'accepter de tels produits sur leur territoire ou de se protéger par avance contre leur importation.
Malheureusement, les députés libéraux et socialistes au Parlement européen ont fait de ce débat un débat politicien, en prétendant que l'opinion de la Commission des affaires juridiques ainsi que tous les députés qui lui ont été favorables, refusent le progrès médical, le développement et l'accès des patients aux thérapies prometteuses au-delà des frontières.
Cela est absurde car l'enjeu de ce débat allait au-delà du progrès médical et de l'empiètement des normes éthiques nationales. Je reste persuadé que ces parlementaires n'ont montré aucun respect envers les principes fondateurs de l'Union européenne, à savoir la subsidiarité et l'autonomie éthique de chaque État membre. En tant que rapporteur principal et médecin, il me semble fondamental de faire progresser les nouvelles thérapies sans toutefois contraindre les États membres à légiférer pour se protéger contre une législation communautaire.
Le vote en session plénière le 25 avril 2007 à Strasbourg s'est déroulé de façon peu commune selon la pratique parlementaire. Des rapporteurs fictifs représentant les groupes socialistes, libéraux et d'extrême gauche ont contourné le rapporteur principal en introduisant en plénière un ensemble de 70 amendements inédits et jamais débattus par la commission en charge du dossier. Ce paquet a de facto remplacé le rapport de la Commission principale de l'environnement, de la santé publique et de la sécurité alimentaire discuté depuis le début de l'année 2006.
Le texte adopté en plénière du Parlement européen n'a pas porté suffisamment d'attention aux intérêts et à la souveraineté des États membres dans le domaine de la santé publique et de l'éthique. Ce contournement despotique du débat démocratique engendre une méfiance et une amertume au sein de l'Europe et montre un irrespect des sensibilités culturelles et morales des États. Les garanties éthiques ainsi que celles des droits de l'homme n'ont malheureusement pas trouvé leur part dans cette législation communautaire.
En dehors du débat sur les thérapies innovantes, le Parlement européen s'est penché à plusieurs reprises sur les questions d'ordre éthique évoquant notamment le respect de la dignité humaine. Je me permets ici de présenter trois exemples de ces débats : deux résolutions du Parlement européen sur la brevetabilité des inventions biotechnologiques et sur le commerce d'ovules humains ainsi que le VIIe Programme-cadre pour la recherche et le développement.

Résolution sur la brevetabilité des inventions biotechnologiques

À travers la résolution sur la brevetabilité des inventions biotechnologiques du 26 octobre 2005, le Parlement européen voit dans la biotechnologie une voie d´avenir qui doit être soutenue par un cadre politique approprié, tout en tenant compte des aspects éthiques, environnementaux et de santé publique. Il considère que la brevetabilité des inventions biotechnologiques est une condition préalable importante. Cependant, la définition des limites d´ordre éthique reste de toute première importance.
Le Parlement s'est déclaré favorable à la poursuite de la recherche sur les cellules souches, en soulignant sa position fondamentale concernant l´application de la biotechnologie aux êtres humains, notamment le refus d´interventions sur la ligne germinale humaine, le refus du clonage des êtres humains à tous les stades de leur développement et le refus de la recherche sur les embryons humains détruisant l´embryon.
Le Parlement a souligné que la création de cellules souches embryonnaires implique la destruction d´embryons. Par conséquent, l´octroi de brevet à des technologies utilisant des cellules souches embryonnaires humaines ou des cellules provenant de cellules souches embryonnaires n´est pas admis. De même, les cellules germinales faisant partie du corps humain ne sont pas brevetables et ne représentent nullement une invention. Il demande aussi la confirmation de l´interdiction de la brevetabilité de toute forme de clonage humain.
Le Parlement européen a demandé à l´Office européen des brevets basé à Munich et aux États membres de l'Union de ne délivrer des brevets en matière d´ADN humain que lorsqu´ils se limitent à une application concrète.

Résolution sur le commerce d´ovules humains

De plus, avec la résolution sur le commerce d´ovules humains du 10 mars 2005, le Parlement européen a rappelé que le corps humain ne doit pas être une source de profit. Il a condamné tout trafic du corps humain et de ses parties et a souligné que les États membres doivent s´efforcer de garantir les dons volontaires et non rémunérés de tissus et cellules humains.
La directive 2004/23/CE sur le don, l'obtention, le contrôle, la transformation, la conservation, le stockage et la distribution des tissus et cellules humains stipule que la rémunération autre qu´une indemnisation des dons de cellules et de tissus en Europe n´est pas acceptable. Les États membres ont la responsabilité d´autoriser et de fixer les montants d´une telle indemnisation.
Les activités de la clinique Global art en Roumanie et d´organismes similaires, spécialisés dans le don d´ovules à des ressortissants de l´UE contre compensation financière, peuvent être assimilés à du commerce et sont inacceptables. Le Parlement a ainsi condamné les pratiques commerciales avec des ovules humains impliquant des femmes roumaines de milieux défavorisés.
Le Parlement européen a invité les États membres à prendre les mesures politiques nécessaires en matière de couverture des dépenses de dons de tissus et cellules. Il a demandé à la Commission européenne de rendre public un bilan des législations nationales sur le don d´ovules et du système d´indemnisation pour le don d´organes et de cellules reproductives. Il est absolument nécessaire que le don d´ovules soit strictement encadré afin de protéger les donneurs ainsi que les receveurs.
Le Parlement considère que la Commission devrait appliquer le principe de subsidiarité à propos de la recherche sur les embryons et les cellules souches embryonnaires afin que les États membres dans lesquels ce type de recherche est autorisé financent celle-ci au moyen de leurs propres budgets nationaux.

Le VIIe Programme-cadre pour la recherche et le développement

Le même débat est apparu lors de la discussion sur le VIIe Programme-cadre pour la recherche et le développement. L´article 6 de cette décision du Parlement et du Conseil est consacré aux principes éthiques. La décision stipule que toutes les actions de recherche menées au titre du VIIe Programme-cadre doivent être réalisées dans le respect des principes éthiques fondamentaux.
Les activités de recherche visant au clonage humain à des fins reproductives, visant à modifier le patrimoine génétique d´êtres humains et celles visant à créer des embryons humains uniquement à des fins de recherche ou pour l´approvisionnement en cellules souches, y compris par transfert de noyau de cellules somatiques, ne font pas l´objet d´un financement au titre de ce programme-cadre. Or les activités de recherche sur les cellules souches humaines, adultes ou embryonnaires, peuvent être financées en fonction du contenu de la proposition scientifique et du cadre juridique de l´État membre intéressé.
La décision précise que toute demande de financement de la recherche sur les cellules souches embryonnaires humaines doit indiquer en détail les mesures qui seront prises en matière de licence et de contrôle par les autorités compétentes des États membres ainsi que l´approbation nationale qui sera donnée en matière d´éthique.
En ce qui concerne le prélèvement de cellules souches embryonnaires humaines, les institutions, organismes et chercheurs sont soumis à un régime d'autorisation et de contrôle strict conformément au cadre juridique des États intéressés. Néanmoins et malgré les conditions strictes de surveillance de ce type de recherche controversée, le problème de financement à partir des fonds européens suscite de nombreux débats. Imaginez une recherche interdite en France : quelle serait sa réaction si une telle recherche était financée dans d'autres États membres à partir des fonds européens auxquels la France contribue elle aussi ? C'est exactement la situation dans laquelle se trouve aujourd'hui l'Allemagne ou la Pologne.
Nous avons essayé avec d'autres collègues au Parlement d'apporter une solution à cette situation complexe due aux divergences nationales. Pour nous, la seule solution possible et acceptable aurait été d'appliquer le principe de subsidiarité et par conséquent, ne permettre que le financement national et non pas européen de cette recherche particulièrement controversée. Malheureusement, la majorité du Parlement a voté en faveur du financement européen. Dans cette décision qui s'appliquera durant les années 2007-2013, encore une fois et tout comme dans le dossier thérapies innovantes, les intérêts et la souveraineté des États membres dans le domaine de l'éthique, du respect des droits de l'homme et particulièrement de la dignité humaine n'ont pas été entendus et respectés. Au final, ne soyons pas étonnés de la méfiance et de l'amertume que portent nos citoyens et nos électeurs vis-à-vis de l'Europe.

***

Malgré une coloration nettement plus libérale du Parlement européen depuis les dernières élections européennes en juin 2004, les débats éthiques continuent d'agiter l'ensemble de l'hémicycle. Suite aux nouveaux défis et au progrès de la science et de la recherche, le législateur européen aussi bien que le parlementaire national est de plus en plus confronté aux questions liées à l'éthique et à la bioéthique. Nous devons absolument continuer de défendre les principes éthiques aussi bien au Parlement européen qu'au sein des parlements nationaux afin de garantir un développement de la recherche respectant les valeurs fondamentales telles que la dignité humaine et le respect de la personne.
En se penchant sur le potentiel thérapeutique des cellules souches humaines comme c'était les cas dans le rapport sur les thérapies innovantes, nous ne devons pas oublier la capacité encore peu exploitée des cellules souches humaines adultes et des cellules souches provenant du sang de cordon ombilical à des fins thérapeutiques. Les résultats thérapeutiques concernant ce type de cellules souches sont aujourd'hui très prometteurs et ces recherches ne posent aucun problème éthique, n'impliquant pas la destruction ni la fabrication d'embryons humains dans un but utilitariste.

M. M.*
*Membre du parlement européen (PPE-Slovaquie), membre de la Commission Environnement, Santé publique et Sécurité alimentaire.