Les oscars d'Hollywood n'ont pas failli à la règle : ils exaspèrent la critique politiquement correcte française. En 1995, l'académie des oscars avait couronné Braveheart, hymne catholique au nationalisme écossais, réalisé par Mel Gibson, acteur engagé.

Ce film, qui serait jugé extrémiste en France avait remporté au pays de Bill Clinton un immense succès public. L'Amérique est une terre libre et excessive, où le formatage des esprits, contrairement à ce que l'on pense, est infiniment moins important qu'en France. Il est ainsi possible de réaliser Gladiator — dont j'avais dit l'an dernier le plus grand bien dans ces pages — et de remporter l'oscar du meilleur film. Gladiator, splendide spectacle partiellement inspiré de Leni Riefenstahl (les scènes de stade) et qui célèbre le culte des ancêtres, la famille et la liberté au détriment des castes politiciennes et tyranniques. Gladiator de Ridley Scott, heureux réalisateur d'Alien, Blade Runner et de Lame de Fond, film scout et sans complexes.

 

Hollywood : l'élan du cœur

Mais l'académie des oscars a été également emballée par Tigre et Dragon. Ce somptueux chef-d'œuvre d'Ang Lee, cinéaste de Taï Wan, est une épopée sentimentale qui se déroule dans la Chine des légendes. Un film qui reprend la thématique chrétienne médiévale de l'amour courtois, dénonce la rébellion inutile d'une infante énervée, et conclut dans l'esprit de Balthazar Gracian que si " la vie est une illusion, le combat est un illusion, seul compte l'élan de son cœur ". Ces films plaisent à beaucoup, ce qui est heureux par les temps qui courent. Le public aime encore l'idéal, l'amour, le combat, l'épopée et la grandeur. Toutes choses que n'aime pas le cinéma français, privé de public depuis des années. Quelques films français ont toutefois tenu le haut de l'affiche depuis quelques mois : des films communautaristes (le Placard, la Vérité si je mens), et des pensums anticatholiques, comme le Pacte des Loups et les Rivières pourpres. Car, il faut le savoir, la bête du Gévaudan, c'est le catholicisme ; et l'université nazie des montagnes, dans les Rivières Pourpres, est une université catholique.

Tout cela passe comme une lettre à la poste en France. En Amérique, un film aussi teigneux n'aurait pas de public ; et il serait immédiatement dénoncé. La logique marchande a un grand bienfait : elle contraint les producteurs à respecter leur clientèle et leur audience, elle refuse de traîner dans la boue la foi de millions de personnes. En France, rien de cela ; le cinéma est financé par l'État et par le contribuable : juif, ce dernier se voit taxé d'escroc dans la Vérité si je mens ; catholique, de monstre négationniste dans le Pacte ou les Rivières. Et la critique d'encenser les films d'un Chéreau, militant communiste de toujours, et réalisateur d'exorbitants navets comme la Reine Margot.

La lâcheté des uns, la collaboration des autres fait le reste : il n'est pas possible de filmer en France des épopées comme Tigre et Dragon ou Gladiator ; à moins de projeter un message minable censé illustrer le combat des sans-papiers ou des droits de l'homme à travers l'histoire. Ou de faire de Jeanne d'Arc une junkie hystérique. La France a beau être devenue un lager médiatique gluant, le public n'est pas fou : il avait aimé les Visiteurs, ce bel hommage (involontaire ?) à la France éternelle ; comme il a aimé Gladiator et les grandes productions américaines, qui reflètent l'optimisme, le talent technologique, la foi en l'homme propre à ce pays, qui est devenu la deuxième patrie des Français. 300 000 s'y sont installés depuis dix ans ; et ce n'est pas fini. Car la France n'est plus en France, la France est une exception. Et elle ne fait que diaboliser l'Amérique ou la mondialisation pour être mieux à même de célébrer ses grèves, son chômage et ses émeutes de banlieue. Et son cinéma d'auteur...

 

Annaud : la culture du positif

 

Il y a pourtant des Français vertueux, puisqu'il y a des Français qui votent avec leurs pieds. Il ne faut pas désespérer des Français, contrairement à de Gaulle, s'il y a pour l'instant de bonnes raisons de désespérer de la France. Dans le monde du cinéma français, il y a — il y avait — une exception, Jean-Jacques Annaud. Le réalisateur de la Guerre du Feu, de l'Ours et de Sept ans au Tibet m'est très tôt apparu comme une exception culturelle à lui tout seul. Annaud aime l'épopée, le public, les grosses productions. Il s'adresse à un public mondial, comme les Américains, et pas à la critique germanopratine. Avec talent et professionnalisme, il a su s'imposer au niveau international et capter un immense public, souvent au nez et à la barbe de la critique.

C'est ce qui m'a décidé à lui rendre hommage, et à le contacter voici deux ans maintenant. Annaud avait répondu à ma lettre et m'avait permis d'assister au tournage de son dernier film, Stalingrad, Enemy at the Gates. L'homme est aussi sympathique et équilibré au quotidien que dans ses interviews. Il incarne finalement un Français qui a su échapper au système français qui brime tant de talents pour entraîner à sa suite une cour de grands professionnels comme Gérard Brach, Noëlle Boisson, Robert Fraisse, et Alain Godard, scénariste de Stalingrad, comparse depuis toujours et venu comme lui de la publicité (crime cosmique dans la France d'aujourd'hui). Son cinéma courageux — il faut voir les volées de bois vert qu'il reçoit — a toujours rencontré l'assentiment du grand public, infiniment plus éveillé que la critique branchée. C'est qu'Annaud ne fait pas de politique mais du cinéma. C'est un visionnaire, un grand technicien, un esprit curieux de tout et qui a une approche positive du monde.

Il s'est entendu avec les Américains parce que ce sont des commerçants et qu'ils veulent faire de bons films. Les Américains calculent certes, mais ils font confiance au goût du public. Et le public n'a pas des goûts glauques. Il aime Annaud, Spielberg ou Cameron comme jadis Perrault, La Fontaine ou Homère. Il n'a pas cette culture du négatif, apparue en Allemagne au xixe siècle, avec Nietzsche, Marx et Freud, et qui depuis a décidé de décérébrer l'Occident avec plus ou moins de succès. Cela méritait bien un hommage.

Stalingrad est un des deux grands films de guerre de la décennie – avec le Soldat Ryan. Annaud films spectaculairement la bataille (il fait un bon usage des effets spéciaux, là où certains cinéastes ont tendance parfois à se disperser entre trois ordinateurs), et il réalise en même temps un film intimiste qui conte deux histoires : une amitié entre un commissaire politique soviétique et un tireur d'élite, qui tourne à la rivalité amoureuse ; et un duel de snipers, qui voit s'affronter le champion soviétique Zaitsev et un as allemand désabusé. Dans le même temps, Annaud reste français et cartésien : il ne célèbre jamais l'horreur, au risque parfois de passer à côté des accents épiques. Dans les ruines somptueuses de la cité en flammes, il fait le procès du totalitarisme rouge, qui a fusillé un million d'hommes pour les pousser à combattre. Annaud a oublié les plateaux tibétains, lui le cinéaste des grands espaces, les paysages alpins (l'Ours) ou africains (la Guerre du Feu) pour décrire un monde rétréci, étriqué, où tout est sujet à manipulation et à propagande. De là un goût amer, que l'on retrouve dès ses premiers films — la Victoire en chantant, satire de la république colonialiste (et socialiste) pendant la Première Guerre mondiale —, et qui marque une faiblesse fondamentale dans la conduite des projets humains. La rencontre qu'Annaud célèbre dans tous ses film débouche aussi sur la barbarie. Le Nom de la Rose passe parfois pour un film anticatholique : mais Annaud oppose un intégriste criminel à un nominaliste orgueilleux, tout en célébrant l'amour et, finalement, en rendant hommage aux valeurs franciscaines. Je n'en dirai pas plus.

 

L'Exorciste : le mal existe

 

Puisque nous en sommes à la religion, je voudrais saluer la redistribution de l'Exorciste, saluée elle aussi par un immense public. Cet extraordinaire film date de 1973 ; il commence en Irak, 18 ans avant la guerre du Golfe, au moment de la crise du pétrole. Selon le " théologien " marxiste Ignacio Ramonet, ce film fut la démonstration du réarmement moral de l'Amérique et du monde libre. Le diable existe, il prend possession de nos âmes, et il faut le combattre, même physiquement. On connaît l'argument : la fille d'une actrice célèbre, soumise comme sa mère aux influences subtiles du monde médiatique, est possédée par le démon. Un prêtre d'origine orientale est appelé à l'aide. Lui-même doute de sa foi, traverse une grande crise spirituelle. Un vieil exorciste viendra à son aide, magnifiquement incarné par l'acteur bergmanien Max von Sydow. Au cours de fouilles imprudentes, il défie le Malin dégagé de ses ruines. Guénon ne nous avait-il pas mis en garde contre l'archéologie, Seabrook contre les sept tours du diable, dont une se trouve au nord de l'Irak, au Kurdistan précisément ?

La montée en puissance de la Bête est surprenante : la fillette crache sur son psychiatre sous des illustrations d'art moderne (Maeght et Vasarely). Le capitaine Howdy, bonasse dans un premier temps, lui parle doucement et fait rouler ses jouets sur des tables de jeux. Puis il prend possession de son corps et la fait rouler en enfer ; et dire des grossièretés, preuve que le relâchement du langage marque, c'est le cas de le dire, un avènement démoniaque. Fait curieux, la fillette se nomme Regan. Sa mère est d'origine irlandaise ; d'Orient à Occident, toute la chrétienté se ligue pour lutter contre la démonstration de force du démon, qui emporte les deux prêtres dans la mort. Le producteur et l'auteur du film est William Peter Blatty, écrivain et agent de la Cia dans les années cinquante. Blatty est libanais, catholique bien sûr, et il a sept enfants. Il était spécialiste de la Psychological Workforce à Lenglet. Cette capacité américaine à utiliser les talents les plus divers, y compris les littéraires est un héritage de Chesterton : dans le Nommé jeudi, ce dernier décrit une police littéraire capable de deviner une conspiration dans un poème obscur. Les années 70 ont été marquées par le déclin de l'Amérique, que beaucoup en France, trotskystes, maos ou staliniens, ou cyniques, voulaient définitif. L'Oncle Sam a répliqué entre autres sous Nixon avec le cinéma : le Poseidon, l'Exorciste, la Tour infernale, Alien plus tard ont montré qu'il y a une limite que le mal ne saurait franchir. Espérons qu'il en sera de même en France.

 

n. b.