LIBERTE POLITIQUE n° 42, automne 2008.

Par Luc de Marliave. Lorsqu'on pense écologie, on ne pense pas vraiment d'abord à l'entreprise. Pourtant c'est sans doute au sein de ces mêmes entreprises que se trouvent les meilleures chances d'apporter des solutions concrètes aux problèmes posés par une croissance souvent anarchique.

L'ENTREPRISE, et singulièrement l'entreprise industrielle, n'a pas bonne presse dans les milieux de l'environnement. Poursuivant ses objectifs de croissance et de production, elle oblige à développer des infrastructures qui artificialisent toujours davantage notre environnement, et consomment toujours plus de matière première et d'énergie pour produire et transporter ses produits. La recherche constante des améliorations de la productivité conduit souvent à un gigantisme qui concentre dans un périmètre étroit le bruit, les émissions et pollutions résultant des procédés employés.
Lorsqu'on pense écologie, on ne pense pas vraiment d'abord à l'entreprise. Pourtant face aux défis posés par les crises d'un développement souvent anarchique, c'est sans doute au sein de ces mêmes entreprises que se trouvent nos meilleures chances d'apporter des solutions concrètes aux problèmes posés à notre génération et à celles qui suivent. Comment s'y prendre pour canaliser au profit d'un développement plus respectueux de l'environnement la réactivité, le dynamisme et la capacité d'innovation propres aux entreprises ?

I- PEUT-ON CROIRE LES ENTREPRISES LORSQU'ELLES NOUS PARLENT D'ECOLOGIE ?

Devant l'émergence d'une conscience verte dans le monde développé, la publicité ne cesse de brandir l'argument écologique pour mieux vendre ses produits. On a vu ces dernières années le vocabulaire de l'écologie, et plus largement du développement durable, envahir la sphère de la communication des entreprises. Trois fois plus en un an selon le rapport Publicité et Environnement 2007 du BVP, le bureau de vérification de la publicité en France. Aussi bien en interne qu'en externe, les entreprises rivalisent pour apparaître comme les plus motivées par les concepts du respect de l'environnement, de la planète ou des problèmes de développement humain des communautés les plus défavorisées.
Ne pourrait-on croire en lisant nos journaux et regardant les plages publicitaires télévisuelles, que nous sommes finalement en bonne voie de résoudre les problèmes environnementaux de la planète ? Ne suffirait-il pas de remplacer nos équipements frappés d'obsolescence précoce par la dernière génération mise sur le marché pour que la planète se porte mieux ? Ou bien tout cela ne traduit-il pas seulement la capacité des marques à exploiter l'air du temps et à adapter les messages pour plaire au client ?
C'est ainsi que beaucoup se sont adonnés au coup de peinture verte, le greenwashing ou le blanchiment si on préfère. D'ailleurs c'est souvent le même vert nature qui devient la couleur dominante des publicités pour tout et n'importe quoi. Sous l'impulsion des conseillers en communication, et dans l'idée de bénéficier de la sympathie du public et des clients, l'entreprise revisite son image institutionnelle et badigeonne en vert son logo, son action et ses produits sans réellement changer quoi que ce soit à l'essentiel de son activité sur le terrain. On assiste à une surmédiatisation des actions de l'entreprise en faveur de l'environnement sans que de nouvelles pratiques ou de nouveaux produits pour le consommateur fassent réellement une différence pour la société en général. On peut légitimement penser que l'entreprise en reste alors au discours sans les œuvres. L'objectif du greenwashing est finalement de donner au consommateur et au décideur politique l'impression que le produit proposé contribue positivement à l'environnement, ou plus largement que la compagnie agit de manière responsable pour gérer son impact environnemental. Lorsque la prétention n'est pas fondée, il s'agit bien d'une fausse monnaie.
Les associations et organisations non gouvernementales vertes ne se privent pas de dénoncer ce travers et on voit par exemple Greenpeace France lancer l'initiative Campagne voitures vertes sur la toile pour visionner cinq publicités de voitures et sélectionner le prix du meilleur verdissement . Aux États-Unis, un certain nombre de sites pratiquent la dénonciation comme le greenwashingindex où des notes de 1 à 5 sont attribuées aux campagnes ou Turn up the Heat au Royaume-Uni.
De la même manière, une étude récemment publiée par TerraChoice Environmental Marketing appelée Les six péchés du verdissement conclut sur la base d'un certain nombre de critères, que sur mille produits, pratiquement la totalité des prétentions environnementales étaient trompeuses, ou que les preuves n'étaient pas accessibles au consommateur. Dans la plupart des cas (57%), les produits sont baptisés verts sur la base d'une (ou d'un petit nombre) de caractéristiques comme le recyclage par exemple, sans tenir compte de l'ensemble des problématiques environnementales. Dans d'autres cas, les prétentions sont vagues, un produit est annoncé naturel ou sans produit chimique ou encore sans CFC (chlorofluorocarbures) alors que les CFC sont interdits depuis vingt ans aux États-Unis. On encore le qualificatif apparaît déplacé, comme du tabac aux engrais naturels ou un insecticide vert . Dans de nombreux cas, aucune preuve de la prétention environnementale n'est accessible
À bien y regarder, le message serait effectivement volontairement exagéré, mais la plupart du temps c'est plutôt la communication marketing qui aurait tendance à extrapoler, sans vraie malignité de la part de l'entreprise. Il y a un an, en France, l'Alliance pour la Planète a dénoncé également l'utilisation abusive de l'argument écologique dans une campagne intitulée Publicité et Environnement .
Quels sont les risques associés à cette pratique ? Si on laisse circuler librement la fausse monnaie, le risque de contagion est réel pour les autres entreprises. La société au sens large s'installe alors dans l'illusion complaisante que ses pratiques de consommation sont en train de s'améliorer. Cette habitude risque aussi d'engendrer un certain cynisme des consommateurs qui ne peuvent plus croire à la sincérité des démarches les plus authentiques des meilleurs élèves, ce qui ferait échouer les meilleurs produits dans la compétition du marché.
Le Boston Globe raconte par exemple, non sans stupéfaction, comment la vorace Chevrolet Tahoe de trois tonnes a été nommée voiture verte de l'année en 2004. Autre exemple, Ford avait lancé une nouvelle campagne verte en 2004, avec le SUV Escape Hybride, voiture labellisée verte , mais ne disait pas qu'en plus des 20 000 hybrides par an, il produisait 80 000 SUV classiques par mois. Pas de chance, l'Agence de protection de l'environnement publia au même moment un classement plaçant Ford en dernier pour la consommation des véhicules vendus. Le contraste valut à Ford d'être classé parmi les dix plus grands greenwashers de l'année.

Le développement des normes et des réglementations
Les gouvernements se sont émus de la situation et des initiatives voient le jour. De nouvelles réglementations sont en cours de développement pour le Canada, les États-Unis, le Royaume-Uni, l'Australie par exemple. En France, la situation n'est pas meilleure : 45 % des sondés disent douter de la véracité des arguments écologiques qu'avancent les annonceurs, en particulier dans l'automobile. Aussi le BVP a été saisi récemment et a défini des règles claires. On ne peut pas qualifier une énergie non renouvelable d'être écolo ou verte . On ne peut pas utiliser de signes, de termes ou de couleurs pouvant être associés à des vertus écologiques que le produit ne possède pas, ne pas inciter à des comportements nocifs comme mettre les 4x4 dans la nature ou inciter à faire plus de kilomètres...
Cette approche est elle suffisante ? Le BVP publie un avis sans obligation ou sanction. On constate néanmoins que le bilan est en amélioration, 82 % des visuels en 2007 sont conformes contre 64 % en 2006. Ce bilan n'est pas totalement exhaustif ; en effet le BVP n'évalue pas la publicité sur l'Internet qui devient pourtant un moyen important de communication des entreprises. Pourtant, les ONG environnementales et les associations de consommateurs contestent l'indépendance du BVP, composé il est vrai de professionnels de la publicité qui s'autorégulent. Faut-il aller au-delà de l'autorégulation ? C'est ce que préconise le Grenelle de l'environnement. Le BVP a ainsi proposé de créer un conseil des parties prenantes qui comprendrait les ONG, et définirait des règles de bonnes pratiques. En aval, un jury composé d'experts indépendants serait chargé d'instruire les plaintes concernant les campagnes qui contreviendraient aux règles déontologiques. Un tel contrôle en amont et en aval serait une première en Europe. En Angleterre par exemple, le contrôle se fait seulement a posteriori.

Quelles conséquences pour les entreprises ?
Le risque pour les entreprises, c'est le greenbashing. Au Royaume-Uni, pour une publicité refusée, l'annonceur risque le nameshame (la honte). Ce genre de risque ne va pas diminuer et pourrait même se développer sur le terrain juridique. Par exemple, l'association Eau et Rivières de Bretagne vient de porter plainte contre la firme Monsanto pour pratique commerciale trompeuse concernant les placards publicitaires Roundup, parus en mai dans plusieurs médias de la presse écrite.
Devant la pression des écologistes, les entreprises ont commencé à prendre conscience de la nécessité de clarifier les règles du jeu. En effet, le greenwashing fournit une thématique facile pour des ONG qui sont souvent plus à l'aise dans le registre de la dénonciation que dans celui des propositions. Ces campagnes contribueront finalement à alimenter une suspicion chronique du public pour la mauvaise foi réelle ou supposée de l'industrie et des entreprises, réputées obnubilées par le profit à court terme au détriment de la protection de l'environnement. Il paraît tout à fait essentiel de ce point de vue que les entreprises revoient leur politique de communication et d'image, et certaines le font, sur une base plus équilibrée et plus modeste face aux défis complexes posés par un développement mieux partagé et plus respectueux de l'environnement. Par ailleurs, les créatifs des entreprises de communication lisent les journaux et ont des enfants qui vont à l'école. Ils sont de plus en plus sensibilisés aux thématiques environnementales...
Cependant, les progrès sont encore lents et les changements sont encore parfois à la marge. Nous pouvons tous observer que le dernier 4x4 ne montre plus sa puissance, il est sagement garé au bord d'une rivière dans un paysage de nature sauvage dans lequel il se fond. Il n'a plus de chauffeur pour ne pas inciter le consommateur à des comportements illégaux. Pour le vert, c'est net, on l'utilise moins car on est passé... au bleu ! Le dernier écran plat est de plus en plus géant, mais il est plus économe en énergie que notre tube cathodique qui partira au rebut (le bilan cycle de vie est-il réellement positif ?). Quand à nos prochaines vacances, n'est-il pas urgent d'aller faire une croisière au Pôle Nord ou Sud voir de nos yeux les calottes avant qu'elles ne fondent ?
Ces tentatives d'établir une gouvernance ne pouvaient tarder davantage. En effet, les enquêtes le prouvent, le public sature. La société multinationale Getty Images France, basée à Seattle, vient de publier le rapport MAP (What Makes A Picture ?) après avoir analysé 2 500 campagnes de communication dans le monde courant 2007. Le concept durable a déjà pris un sens flou de mot valise, les mots indéfiniment répétés lassent et une partie du public fait même une réaction de rejet avec le vocabulaire trop ressassé de l'écologie et du développement durable. Et si après cette phase saturée d'écologiquement correct nous allions nous lasser ? Si nous finissions par penser que cette dernière mode va passer comme les autres ? Si nous allions tourner la page qui nous a fait rêver un temps à une autre manière de vivre pour revenir à notre course quotidienne à la consommation de masse ? Certains le disent ouvertement : Cela fait déjà plusieurs années que nous sommes sur le développement durable, il est temps de passer à autre chose...

Le développement d'un marketing responsable
Pour éviter cette démobilisation qui serait dramatique, n'est-il pas urgent de donner aux entreprises ce qu'elles demandent ? Des règles claires et précises sur ce qu'on peut dire et ne pas dire. Il faut donc que tous les acteurs concernés — publicitaires, annonceurs, associations de consommateurs, écologistes — se rencontrent pour établir ces règles. Ce n'est pas nécessairement facile pour les entreprises. Elles ont parfois du mal à rencontrer les ONG environnementales ou les associations de consommateurs qui ont, paraît-il, l'impression de pactiser avec le diable. Une charte de la communication responsable a été signée, début décembre, sous la houlette de l'Union des annonceurs (UDA) par une vingtaine de grands groupes français. Les entreprises s'engagent notamment à inciter le public à des comportements responsables. L'intérêt de cette charte est d'engager l'annonceur qui lui-même engage ses partenaires et sous-traitants publicitaires. Ces engagements ne feront pas l'objet d'une vérification externe trop coûteuse mais les entreprises engagées publieront leurs résultats qui pourront être commentés par les associations écologistes et de consommation
Au-delà des chartes, le besoin de marketing responsable ou d'une éthique du marketing ne fera que croître. En effet, l'accès à la consommation d'une part plus importante de la population de la planète le rend plus nécessaire encore. Une autre approche paraît dès lors indispensable, c'est le développement des écolabels . Sans cette approche de labellisation au niveau international, les produits les plus respectueux de l'environnement et les entreprises les plus vertueuses et innovantes perdront les marchés qui devraient leur revenir et ne pourront pas se développer.
À partir de ces deux piliers, les chartes et les écolabels, des progrès réels en matière de publicité et de communication sont donc en bonne voie, et pas seulement en France. Le premier Festival européen de la communication responsable vient d'avoir lieu en septembre 2007.

II- AU-DELA DU MARKETING ET DE LA PUBLICITE, L'ENTREPRISE EVOLUE
La nécessité de cohérence entre les messages et les actes constitue également un puissant vecteur de changement dans les autres fonctions des entreprises. La première fonction mise en cause par les observateurs vigilants que sont les ONG est celle des approvisionnements. Unilever a été ainsi épinglé par Greenpeace, l'huile de palme achetée en Indonésie pour son shampooing Dove provenant de plantations récentes associées à une déforestation. La multinationale a réagi sans tarder et s'est engagée à utiliser de l'huile de palme durable dès cette année. De la même manière, pour être conforme à sa ligne de communication, Danone va changer ses emballages et passer aux bouteilles en PET recyclé (polyéthylène téréphtalate) pour ses marques Evian et Volvic. Pour mieux prendre en compte ces nouvelles exigences, les directions des achats des grands groupes se dotent de responsables Développement durable qui vont revoir à cette lumière tous les documents et chartes utilisés lors des procédures d'appel d'offre.
D'autres processus internes à l'entreprise entrent en jeu dans la prise de conscience environnementale et la prise en compte des nouveaux enjeux du Développement durable. À l'intérieur des grands groupes du CAC 40, et notamment de l'industrie, on pratique depuis longtemps maintenant le suivi et le management des accidents et des impacts environnementaux dans les métiers et les fonctions dits de sécurité-environnement. Cependant cela concernait essentiellement la prévention et la remédiation des pollutions. On était encore loin des problématiques plus globales de l'écologie. On peut dire que ce n'est que tout récemment que les thématiques de l'écologie et du développement durable ont commencé à sortir des directions centrales du Développement durable ou de la communication pour entrer dans les conversations et les préoccupations des directions techniques, opérationnelles, financières, commerciales et marketing. Pour les PME, on peut même dire que dans le nombre, très peu de personnes ont eu encore vraiment le temps de s'y intéresser.
En dehors de la réduction des impacts environnementaux et de la pollution des sols, des eaux ou de l'air, deux sujets globaux du domaine de l'écologie et de l'environnement sont en train de percoler rapidement dans les entreprises. Il s'agit d'une part de la question du changement climatique et d'autre part, un sujet plus neuf et plus difficile à appréhender, la réduction de la bio-diversité naturelle sous les coups de boutoir du développement industriel et agricole. Ces deux sujets sont liés mais ne sont pas au même degré de maturité ; on peut dire que c'est la question des émissions de gaz à effet de serre qui constitue le sujet le plus présent dans les séminaires internes de dirigeants des entreprises. Dans la cacophonie médiatique ou toutes les opinions se valent, l'intérêt des collaborateurs est très fort pour recevoir une information non biaisée directement à l'intérieur de l'entreprise. De manière globale, la prise en compte est très forte. Cependant, si on parcourt l'étendue des réactions spontanées à la crise écologique à l'intérieur des entreprises, quelques attitudes peut être un peu caricaturales paraissent assez typiques pour être mentionnées.

Les fonctions financières : l'environnement est aussi un business
On assiste parallèlement au développement d'une approche strictement business de l'écologie et de l'environnement. Il s'agit alors d'aborder les thématiques environnementales sous l'angle des risques et surtout des opportunités de développement. Une relecture de la crise écologique visant finalement à convaincre les clients, les collaborateurs et les actionnaires que l'entreprise a pris en compte ce nouveau paradigme environnemental, et a ajusté son business model à la marge pour retrouver un projet de croissance continue en surfant sur la vague verte. C'est la grille d'analyse que proposent ou imposent les questionnaires des agences de notation financières. Celle-ci a pour but d'informer les investisseurs actionnaires sur les perspectives des entreprises. Pour les analystes de l'Investissement socialement responsable, il s'agit également de pousser les entreprises à s'améliorer pour rester dans les listes de valeurs recommandées.
La méthode consiste à réaliser des questionnaires de plus en plus détaillés auxquels les entreprises répondent de leur mieux pour participer au concours de beauté. Dans le contexte actuel, les analyses risques/opportunités ont tendance à surpondérer les thématiques de la crise écologique. Bien entendu, il n'y a rien d'étonnant à voir naître un discours sur les opportunités pour des entreprises qui développent de nouveaux produits ou de nouveaux services pour la protection de l'environnement. Par ailleurs l'approche des analystes n'est pas illégitime car la crise écologique aura nécessairement des conséquences sur nombre d'entreprises et a contrario, cette crise ne sera dépassée que par une contribution essentielle des entreprises. C'est en effet seulement en mobilisant les ressorts de la recherche industrielle, de l'économie de marché et du capitalisme financier, par exemple en développant les marchés de permis d'émissions de CO2, que l'on pourra rentabiliser l'innovation technologique durable et permettre une mutation dans un délai raisonnablement court.
Cependant, il y a là aussi un risque d'exagération. Les marchés, l'actionnaire sans visage et sans état d'âme feront monter ou baisser la valeur boursière de l'entreprise en fonction de la gravité perçue des risques environnementaux et/ou des profits potentiels de l'entreprise. On peut penser par exemple à la bulle actuelle sur les énergies renouvelables ou à la volatilité des cours de bourse de certains grands groupes chimiques couplés à la valeur des marchés de crédits carbones.
In fine, l'entreprise peut être poussée à se dégager de ses activités considérées comme à risque environnemental dans les pays où les exigences sont les plus fortes. Une surmédiatisation des thématiques environnementales vient aggraver le divorce entre le public européen et son industrie et encourager une tendance de fond de l'industrie à se déplacer en dehors de l'Europe, vers des régions en rapide développement comme l'Asie. La protection de l'environnement n'y trouverait pas nécessairement son compte et l'emploi industriel en Europe encore moins.

L'environnement parfois vécu comme une contrainte intenable
Lorsque le fonds de commerce ne permet pas de surfer sur la vague, on observe souvent un raidissement anti-écologique, notamment de la part de dirigeants de PME ou du middle management de grandes entreprises. Il y a dans bien des cas une méfiance voire un rejet en bloc des thématiques environnementales vues sous l'angle du développement inflationniste d'une réglementation environnementale considérée comme irréaliste, inefficace et tatillonne.
Le public, le citoyen électeur, demandent, il est vrai, toujours plus de réglementation car ils restent encore souvent dans la vision que la pollution est le problème des industriels négligents, et qu'il suffit de les contraindre à changer leurs pratiques... ou à enlever leurs usines... De plus, cette réglementation naguère nationale est aujourd'hui à 70 % d'origine européenne, donc réputée plus lointaine encore du terrain. Au moment où les entreprises pensaient sortir progressivement du dirigisme étatique et revenir au contrat en matière sociale , voilà que l'État reviendrait encore plus prégnant dans chaque processus de l'entreprise sous le visage incontestablement légitime de la protection de l'environnement et de la santé publique.
Si on force un peu le trait, la question posée est celle-ci: L'État et les bureaucrates européens vont-ils finalement étouffer l'entreprise et son développement sous des réglementations environnementales irréalistes et suicidaires dans le monde impitoyable de l'économie compétitive globalisée ? Pourtant les chefs d'entreprise, les hommes politiques et les syndicats s'entendent au moins sur un point : il faut maintenir la croissance à tout prix. Celle-ci arrange en effet tout le monde en donnant des marges de manoeuvre à chacun pour construire des unités nouvelles avec des performances énergétiques mais aussi environnementales plus élevées, augmenter les salaires et gagner du temps sur la réforme du fonctionnement de l'État.
Tout le monde sauf peut-être l'environnement car, jusqu'à nouvel ordre, croissance veut dire plus d'énergie fossile et donc plus d'émissions de CO² et autres émissions atmosphériques. C'est pourquoi, depuis un an, la hausse des prix des matières premières et du crédit, le ralentissement de la croissance qui s'en suit font bien l'affaire des écologistes décroissants . Les entreprises, elles, se retrouvent prises en ciseau avec des frais énergétiques croissants, des besoins d'investir dans de nouveaux équipements pour respecter les nouvelles normes environnementales et une marge qui diminue avec un tassement de la consommation.
De ce point de vue, la crise financière et économique internationale va peut être faciliter l'atteinte d'objectifs de réduction d'émissions de dioxyde de carbone mais elle fragilise aussi les entreprises qui doivent se conformer à de nouvelles réglementations coûteuses comme le règlement européen Reach (Enregistrement, évaluation, autorisation des produits chimiques), ou à la réduction les seuils d'émissions de polluants atmosphériques ou encore à l'achat potentiellement coûteux de quotas d'émission de dioxyde de carbone. Cela ne va pas forcément aider à des prises de décisions ambitieuses pour la protection de l'environnement.
Pourtant la crise écologique demeure et il faudra bien dépasser ces prises de positions défensives des uns et des autres, sortir des ornières du court terme, prendre un peu de hauteur et enclencher un cercle vertueux pour les entreprises.
III- EST-IL POSSIBLE DE RECONCILIER L'ENTREPRISE ET L'ENVIRONNEMENT ?
Comment inventer dès à présent de nouveaux comportements, de nouvelles pratiques pour que l'entreprise se développe dans un jeu de contraintes différent ?
Sans demander que l'entreprise et notablement l'industrie soit de nouveau reconnue comme la bénédiction qui apportait la prospérité des territoires, ne peut-on pas rendre ces activités au moins mieux adaptées et plus acceptables par le plus grand nombre ? Ce que la société demande finalement, c'est que chacun reconnaisse et assume ses responsabilités. Cet objectif est à la portée des entreprises qui ont tout à gagner, d'une part à mieux expliquer ce qu'elles font et la manière dont elles comptent assumer leur part de responsabilité sur l'environnement, et d'autre part en montrant au citoyen et au consommateur la façon dont lui-même peut assumer les siennes.
Au-delà de l'entreprise acceptable et de l'entreprise responsable , ne faut-il pas un pas de plus pour faire l'entreprise du XXIe siècle ? Un pas vers davantage de pro-activité environnementale en intégrant non seulement l'approche classique mais de plus en plus nécessaire de la réduction des impacts environnementaux des activités, mais aussi en anticipant sur les nouveaux besoins de la société.
Ne serait-ce pas tout l'enjeu d'une vraie réflexion développement durable dans les entreprises ? Cette réflexion ne fait que commencer mais elle est déjà urgente compte tenu des perspectives écologiques annoncées.

Quelques pistes
Parmi les nombreuses pistes de réflexion sur ce qui se vit dans les entreprises, en voici quelques unes qui paraissent assez générales pour être partagées.
Tout d'abord, l'entreprise abrite des activités très diverses, et chaque activité a besoin de s'approprier les thématiques de la crise écologie, de définir ses propres enjeux. Aucun service ne devrait s'abstenir de cette réflexion et de développer ses propres solutions pour ses clients internes et externes. Ensuite, il n'y a pas de petit sujet, c'est une question d'état d'esprit. Les collaborateurs attendent cette cohérence de la part de l'entreprise dans son ensemble et se demandent pourquoi on est obligé d'ouvrir les fenêtres sur tel chantier de la forêt boréale parce qu'on ne peut pas régler le chauffage.
Pour autant, il ne sert à rien de se donner bonne conscience en recyclant les cartouches d'encre alors que les vrais sujets ne sont pas correctement traités au bon niveau d'engagement. Il ne faut pas se tromper : les vrais sujets sont en général bien identifiés et mal traités. Ils sont nécessairement conflictuels dans l'entreprise comme dans la société en général et il y a une tendance naturelle à les éviter. Il n'y a pas de sujet facile dans la performance environnementale, et cela peut coûter cher de traiter les vrais sujets. D'où la nécessité d'une feuille de route partagée, avec des objectifs chiffrés, des plans d'action et des budgets. Tant qu'il n'y a pas un objectif clair et engageant, un délai et les moyens d'y parvenir, le risque est gros de rester dans le vœu pieux.
De la même manière, on ne peut se passer de moyens humains, des gens qui travaillent spécifiquement à la préparation des décisions sur ces sujets. On ne parvient à progresser que lorsqu'on met en place une organisation dédiée. C'est une banalité : sans un responsable, on ne peut progresser. Les sujets environnementaux doivent être insérés dans les circuits normaux de décision afin que ces objectifs ne soient pas sacrifiés.
L'engagement du management au niveau le plus élevé est également indispensable. L'entreprise est le prisme de la société en général. Toutes les opinions concernant la crise écologique ou le changement climatique s'y trouvent. Cependant le grand avantage de l'entreprise, c'est que les responsabilités y sont clairement définies. Si le patron ou le comité de direction décide une pratique protégeant mieux l'environnement, les opinions de chacun n'entrent plus en ligne de compte et tous se conforment à la décision sans état d'âme. De ce point de vue, il me paraît essentiel de placer au bon niveau les personnes et les organisations qui portent en germe ces réflexions, de manière à irriguer les personnes clés de l'entreprise, avec analyses partagées sur les thématiques environnementales et sociétales.

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Si tout n'est pas vert, ni rose, dans le monde des entreprises, on est loin du gris, de la vision caricaturale souvent mise en avant d'un univers indifférent aux thématiques environnementales globales. Il faut au contraire voir l'entreprise comme le reflet de la société traversée par les inquiétudes sur la crise écologique. L'expérience montre cependant que les entreprises ont besoin de conditions aux limites plus claires pour évoluer dans un marché international très compétitif, comme par exemple dans le domaine du marketing vert . De ce point de vue, on peut dire que la naissance de nouvelles instances de dialogue élargi avec les cercles politiques et environnementaux comme le Grenelle de l'environnement est bien accueillie par les entreprises. Le développement de labels de qualité environnementale globale ne peut que faciliter l'adaptation de l'entreprise.
Enfin, ne faut-il pas tout faire pour que le cadre politique, réglementaire et institutionnel favorise l'émergence et le développement des gazelles du développement durable, mais encourage aussi les grands groupes qui sauront mener une authentique réflexion développement durable, conduire une vraie mutation des pratiques et innover pour apporter les nouveaux produits et services dont le siècle a un besoin si urgent ? On ne voit pas comment la société en général pourrait espérer voir l'émergence d'une alternative plus durable au mode de vie actuel, sans fonder une grande part de cette espérance sur la capacité des entreprises à intégrer et à s'adapter à cette nouvelle règle du jeu.

L. M.