" ISLAM, seconde religion de France ! Quatre à cinq millions de musulmans ! " Lorsqu'ils traitent de l'islam et des musulmans, ce qui n'a guère à voir — on y reviendra — le seul point commun aux dirigeants politiques, autorités religieuses, universitaires, politologues et sociologues médiatiques, sans oublier les agitateurs associatifs subventionnés, c'est qu'ils sont dans l'incapacité de citer une source officielle fiable à l'appui de leurs dires.

Et cela dure depuis plus de quinze ans.

Mais comme nul ne peut mentir à la fois et tout le temps et à tout le monde, la vérité sort peu à peu du puits, surtout vu la tournure prise par les évènements depuis le 11 septembre 2001. L'opinion éclairée flaire l'anguille sous la roche... et pourquoi ne pas l'écrire, " sous le voile ".

Pour se faire une religion, il suffit pourtant de consulter l'unique source scientifique, fiable, disponible et officielle : l'enquête conjointe au recensement Insee de 1999 sur l'histoire familiale de 380.000 adultes. Elle seule permet d'approcher le nombre de " musulmans potentiels ", soit l'assiette démographique qui seule pourrait offrir une base scientifique aux diverses considérations et hypothèses formulées sur les personnes se déclarant musulmanes (ou sur leur taux de pratique) qui, toutes, relèvent du doigt mouillé . L'enquête Insee se fonde sur l'origine géographique et la filiation [(né dans un pays d'islam ; né d'un parent (1e génération) ou d'un grand parent (2e génération) au moins, lui- même né dans un pays d'islam]. Cette approche, outre l'avantage de ne pas mesurer la foi religieuse, permet seule de commenter rationnellement les modalités et résultats du vote religieux organisé par le ministre de l'Intérieur et des cultes.

 

Les chiffres de l'Insee

 

Les populations. Le total de la population présente en France issue de terres " musulmanes " est de 3,65 millions : dont la composition par âges est la suivante :

- Nés hors de France : 1,7 million d'adultes ; 1,7 million d'enfants.

- Nés en France : 269 000 petits enfants.

L'Algérie est le principal " fournisseur " humain avec 43 % ; le Maroc, 28 % ; la Tunisie, 11 % ; total pour le Maghreb, 82 %. La structure par âges porte en ses flancs (nombre d'enfants et petits enfants) une forte croissance du nombre d'électeurs potentiels, préoccupation prioritaire de tout ministre de l'Intérieur.

Quid de la religion ? Si l'on exclut les nourrissons pour ne compter que les seuls adultes " musulmans potentiels ", le total est de 2,35 millions, qui sont partie immigrés (1,226 millions), partie étrangers (1,135 millions). Maroc et Algérie ont vu naître 44 % de ces adultes " musulmans potentiels ". Avec un taux de pratique religieuse de 10 %, le nombre de fidèles musulmans serait de 235.000 ; avec un taux de 20 %, 470.000, soit dix fois moins que les " chiffres officiels " agréés par les autorités.

Quid des élections ? Les Français " musulmans potentiels " en âge de voter sont en revanche 1.200.000, à 90 % d'origine maghrébine, l'Algérie représentant à elle seule 44 % du total. Si l'on s'en tient aux seuls citoyens français, l'enjeu électoral est donc de six à dix fois plus important que l'enjeu religieux. À lui seul, le vote algérien pourrait peser prés de 530.000 voix.

Conclusion politique ? Il n y pas de problème de " l'islam en France " ni de " l'islam de France " pour la bonne raison que l'islam est aussi totalement hétéroclite et désuni dans le monde (Turc, Perses, Arabes, Chiites, Sunnites, Wahabites, Malékites, etc. sans oublier les nations), qu'il l'est en France. En revanche, et c'est le fait nouveau, des populations issues de terres musulmanes, en nombre non négligeable, vivent durablement en France et vont devoir s'accorder et compromettre entre elles, comme avec nous. C'est un problème principalement maghrébin, principalement étranger, principalement algérien . Telle est la seule nouveauté pour les musulmans de par le monde : en France, l'islam sera un islam de compromis ou ne sera pas.

Entre les urnes et le Croissant, l'on pourrait craindre que le ministre ne balance point. Dieu merci la complexité du dossier interdit toute facilité électorale.

De fait, chacun peut d'ores et déjà imaginer les négociations croisées, inextricables, en forme de jeu de billard à plusieurs bandes, plusieurs équipes contractant des alliances instables, opposant les partis français de gouvernement électoralement aux abois, les émissaires du FLN " caviar, pétrolier et clanique ", enfin des beurs algériens légitimement ambitieux et frustrés. Aux premiers, une réserve électorale non négligeable, voire déterminante, dans certaines grande agglomérations et certaines régions ; aux seconds le contrôle de l'islam en France, via la mosquée de Paris et le Comité du culte musulman, gage de modération des critiques contre la dictature militaire et l'usage politique de sa rente pétrolière en France, enfin des carrières politico-administratives " boostées positives " pour les jeunes " cousins " en France.

À quiconque jugera ces hypothèses médisantes, irréalistes et pessimistes, l'affaire du Conseil français du culte musulman apporte une réplique factuelle.

 

Un vote religieux, étranger et maghrébin

 

L'acharnement courageux de Nicolas Sarkozy aurait mérité les plus vifs éloges si ces stupéfiantes " élections musulmanes, religieuses et étrangères " ne constituaient une infraction frontale non seulement à la séparation de l'Église et de l'État, mais surtout aux principes et pratiques démocratiques les plus élémentaires.

Un ministre de la Police, des élections et des cultes organise l'élection de 62 conseillers nationaux par 4000 " religieux ", sélectionnés dans 985 lieux de culte, en fonction de la surface construite, à raison d'un délégué pour 100 m2. L'opération se déroule sous le regard non désintéressé et avec l'intervention active de " non-démocraties amies " comme l'Arabie Saoudite, le Maroc et l'Algérie. Le recteur Boubakeur de la mosquée algérienne de Paris a été nommé président du Conseil pour deux ans seulement, la veille d'élections qui ont enregistré sa déroute. Apothéose médiatique, le ministre des Cultes a été se faire siffler au Bourget par les vrais vainqueurs du " scrutin ", ceux qui exigent le voile sur leurs photos d'identité. Quant aux conseils régionaux, ceux que vont affronter nos élus locaux, ils sont totalement sous contrôle étranger et marocain.

Dans le Figaro du 14 octobre, Thierry Portes livre une énumération révélatrice du profil des 24 présidents régionaux du culte musulman, sorti des urnes. Selon la nationalité, on dénombre 10 Français et 14 étrangers ; selon les origines, on compte 22 Maghrébins et deux Turcs. Le journaliste conclut : " C'est l'islam en France, bien plus que l'islam de France, cher à M. Sarkozy. " Voici en tout cas pourquoi mieux vaut parler de musulmans en France et s'abstenir définitivement de pinailler sur l'islam, " de France " ou " en France ", ce concept religieux se révélant chaque jour politiquement plus inopérant. Quant au Conseil, il se révèle hors d'état de prononcer une parole compréhensible sur le voile au moment où le roi du Maroc, soutenu par un Jacques Chirac enthousiaste, rejoint le prix Nobel dans une commune exécration du minorat de la femme.

 

Retour à la réalité

 

Du coup — et c'est le seul mérite de cette étrange aventure électorale — la triple question politique : " Qu'est-ce qu'une religion ? Qu'est-ce qu'un musulman ? Qu'est-ce que l'islam en France ? " ne peut plus être éludée par les sociologues.

Une religion est autre chose qu'une origine géographique, ethnique ou une culture. C'est la conjonction d'éléments observables : croyance en une transcendance, culte s'extériorisant par l'organisation responsable de rites, catéchèse, financement collectif, enfin une communauté liée en communion spirituelle. Et s'il arrive qu'une religion donne naissance à une civilisation on n'a jamais vu de religion sans communauté. Dans cette conception, ni l'islam ni les musulmans ne constituent une communauté en France et c'est le journaliste attitré du Monde aux affaires religieuses, Xavier Ternisien, zélote hier encore affiché de la thèse contraire, qui l'affirme le 12 avril 2003 sous le titre " Le mauvais débat du communautarisme " : " Il y a un amalgame à considérer que tous ceux qui peuplent ces "zones" de banlieue constituent une "communauté" dont le ciment serait évidemment l'islam. Il n'existe pas de communauté musulmane en France, mais une mosaïque de communautés : Algériens, Marocains, Tunisiens, Turcs, Comoriens, Maliens, Sénégalais, Arabes du Proche-Orient, Pakistanais, groupes eux-mêmes subdivisés en sous groupes ethniques ou religieux : Kabyles, Berbères, Kurdes, membres de confréries, tenants d'un islam hétérodoxe. "

Ainsi à dire d'" experts ", la " seconde religion et ses 4/5millions de fidèles " ne serait plus une communauté mais mériterait néanmoins — d'accord en ceci avec MM. Frèches (maire de Montpellier), Hervé (maire de Rennes), Bédier (ministre), Valls, (maire d'Evry) Copé (ministre), de Clermont (président de la Fédération protestante) — le financement public de ses mosquées via la confusion juridique des lois de 1901 et de 1905 remodelées.

Dans cette étrange logique, et si d'aventure l'argent public était engagé, l'équité républicaine commandera de financer " l'évangélisme des catacombes " plutôt que le protestantisme officiel (réformés de l'Intérieur et luthériens d'Alsace-Moselle) avec ses 1.100 associations cultuelles au large dans leurs temples vides. Selon Henri Tincq, journaliste religieux du Monde, c'est en effet hors de la Fédération protestante, que vit et croit désormais la grande majorité du peuple issu de la Réforme. Quant aux Renseignements généraux, ils décompteraient 300.000 témoins de Jéhovah ! soit six fois plus que de cotisants réformés ? Qui croire ? Que croire ? Et surtout ! qui ne pas financer ? Et l'on comprend l'objurgation inquiète du cardinal Lustiger au président de la République : " Ne touchez pas à la loi de 1905 ou ce sera l'explosion ! "

Concernant la " pratique " religieuse des " 4/5 millions de musulmans ", c'est le trou noir ! Force est de se contenter d'évoquer — toujours avec le Monde (17 avril 2003) — ceux des Français qui se " déclarent " musulmans lors des sondages du CSA sur échantillon de 1000 personnes. Selon ces sondages, 2 % des personnes interrogées en 1994 et 6 % en 2003 se " déclarent " musulmans, sans qu'il soit possible d'établir le moindre lien mathématique entre " déclaration " et " pratique " d'une part, et d'autre part entre les 1000 personnes sondées et les " 4 ou 5 millions de musulmans ".Cerise sur le gâteau, l'opinion aura entendu que d'un média à l'autre, l'islam " pèserait " 1100 à 1600 mosquées (plus exactement lieux de prière), gérées illégalement par autant d'associations de 1901 et non de 1905, 1100 imams à 90 % étrangers, dont la grande majorité ne parlent pas français et 1500 à 2000 boucheries halal !

 

Que conclure ? Récapitulons l'histoire de ce qui restera comme un faux politique et médiatique historique : " Islam seconde religion de France, etc. " C'est d'abord au début des années quatre-vingt-dix, une affaire parisienne de sociologues plus militants que chercheurs, relayés par des médias, eux-mêmes plus militants que journalistes, reprise par des fonctionnaires et des " associatifs subventionnés " en quête d'importance ; le microcosme par excellence. Aujourd'hui — et c'est incompréhensible — ces mêmes milieux vouent une commune exécration aux islamophobes et homophobes. C'est ensuite un enjeu international majeur pour des " non-démocraties amies ", enjeu qu'attisent et exaspèrent aujourd'hui les événements du Moyen-Orient, mais aussi du Maghreb. C'est enfin devenu une affaire électoraliste montée en sauce par des carriéristes français de l'immigration, de la subvention, de la décoration et des élections locales.

Détruire ce terrorisme médiatique relève de l'hygiène intellectuelle, morale et politique. Le cas contraire, ce sont les pouvoirs publics eux-mêmes qui sous couleur de traiter convenablement des musulmans paisibles, " bien français ", divisés en quatre ou cinq " chapelles ethniques ", contribueraient par aveuglement et facilité à coaguler quelques dizaines de milliers de jeunes exclus d'origine arabe, promis à l'extrémisme en fait de femme et de laïcité, et dont le principal lien " communautaire " international se résume sous nos yeux à la haine d'Israël. Tel est l'avertissement d'un Alain Besançon dans le Figaro du 4 mai 2003.

Que des politiques et des médias puissent envisager avec légèreté de bouleverser, sans légiférer, le système juridique public et privé du peuple français ainsi que ses relations internationales sur la base de chiffres et de concepts à ce point fragiles et faux en dit long sur les causes du séisme électoral à venir.

Quiconque prétendra demain brandir le thème des " quatre à cinq millions de musulmans/seconde religion de France " va devoir préciser les sources officielles et certifiables qui justifient son discours.

Il y va de la paix civile, et au Diable les " religieux " !

Concluons dans la lignée du pasteur Tommy Fallot, à la fin du XIXe siècle : " Dieu seul est laïc ! Hélas l'homme a des maladies religieuses, cléricalement transmissibles, par voie masculine, chez les peuples dits "du Livre", francs-maçons compris. " Et que Dieu protège la République d'un vote religieux étranger.

 

P.-P. K