QU'EST CE QU'UN CLONE ? Étymologiquement, c'est une bouture, une brindille à partir de laquelle on pourra obtenir une nouvelle plante, semblable à celle sur laquelle elle aura été prélevée, sans faire intervenir l'habituel mode de reproduction sexuée.

Par extension et pour la plupart des gens, le clone désigne un être rigoureusement semblable à un autre, sa copie conforme, ce qu'on observe dans le cas de jumeaux identiques. Mais le clone peut être bien autre chose : il peut s'agir d'une population cellulaire. C'est le cas des bactéries qui se reproduisent, identiques à elles-mêmes par division directe, ce qui fait qu'une colonie bactérienne est l'exemple par excellence du clone cellulaire. Il peut même s'agir de substances : c'est ainsi qu'on peut actuellement produire des copies de tel ou tel segment d'ADN par un processus dit d'amplification, ce clonage de gènes étant la base des fameux tests ADN pratiqués en médecine légale dans les cas de recherche de paternité ou de criminel, mais aussi pour la mise en évidence d'un gène pathologique dans le diagnostic préimplantatoire.

Trois types de clonage donc : 1/ celui pratiqué pour obtenir des individus plus ou moins complexes, c'est le clonage dit reproductif ; 2/ celui pratiqué pour obtenir des colonies des cellules identiques entre elles à partir d'un élément unique, c'est le clonage cellulaire ; 3/ et enfin celui pratiqué pour obtenir un nombre considérable de copies d'un fragment d'ADN : c'est le clonage de gènes.

 

I- LE CLONAGE REPRODUCTIF

 

C'est bien entendu celui dont on parle le plus, surtout depuis la naissance largement publicisée de la brebis Dolly annoncée en février 1997. La possibilité d'obtenir un être humain en dehors de tout processus naturel a toujours fait fantasmer l'imagination de différents auteurs : qu'on pense au vieux mythe du Golem, ou plus près de nous au deuxième Faust de Goethe, ou encore au monstre de Frankenstein. Créer de toutes pièces un être nouveau satisfaisait l'orgueil de l'inventeur, mais celui ci était incapable de contrôler le comportement de sa créature qui lui échappait complètement. Cette littérature fiction bien évidemment ne reposait sur aucune base scientifique. Les progrès démesurés accomplis depuis vingt ans dans le contrôle de la reproduction allaient relancer les vieux fantasmes et faire envisager par certains la possibilité de se perpétuer, identiques à eux-mêmes, en se reproduisant à volonté par le clonage, réalisation de " copies conformes " pour lesquelles on trouvait de bonnes excuses mais qui ne font que traduire un orgueil démesuré.

Le clone, rappelons-le, signifie pour la plupart des gens l'obtention d'une copie parfaitement identique d'un individu donné. Cela, la nature le réalise spontanément (encore que rarement : 25 naissances sur 10.000) chez l'homme avec la survenue de jumeaux identiques. La base de cette identité parfaite est représentée par le fait que ces jumeaux provenant d'une structure commune qui s'est séparée en deux, possèdent le même capital génétique contrôlant aussi bien leur aspect extérieur que tout le fonctionnement de leur organisme et aussi leurs capacités intellectuelles. Si la nature est, occasionnellement, productrice de clones, pourquoi ne serait-il pas possible de réaliser expérimentalement le même phénomène ? Puisque c'est l'identité absolue de leur capital génétique qui fait que deux individus constituent un clone, il faut que la cellule initiale, le zygote à l'origine de ces deux individus possède précisément ce capital qui sera ensuite présent dans toutes les cellules. Pour cela, deux possibilités qui, toutes deux ont été expérimentées sur l'animal. Ou bien, quand l'œuf n'est encore constitué que de quelques cellules, on peut disperser ces cellules — toutes semblables — en espérant que chacune d'elles pourra donner origine à un individu. Ou bien, on enlève le noyau cellulaire provenant de l'individu dont on cherche à obtenir la copie : ce second procédé est dit clonage reproductif par transfert de noyau. Alors que ce second procédé peut sembler le plus compliqué, c'est lui qui a été expérimenté le premier, il y a plus de trente ans, sur la grenouille : Gurdon énucléa des ovocytes de grenouilles et y greffa un noyau provenant de l'intestin, soit d'un têtard, soit d'un batracien adulte. Il constata que si le noyau greffé provenait d'un têtard, le développement se faisant de façon complète, jusqu'à l'âge adulte. Par contre si le noyau était prélevé sur une grenouille adulte le développement s'arrêtait au stade têtard. Les expériences de Gurdon montraient que le clonage reproductif par transfert de noyau était possibles, faciles même lorsqu'on s'adressait, ainsi qu'il l'avait fait à un animal relativement peu évolué, dont l'œuf a un développement assez simple. Les choses allaient se compliquer lorsque, à la suite des travaux d'Edwards sur la fécondation in vitro, on put avoir accès aux gamètes : ovule et spermatozoïde, mais surtout au résultat de leur union, l'œuf qu'il était désormais possible de maintenir en culture pendant quelques jours, avec assez peu de retentissement sur les premières étapes de son développement.

 

Clonage par dispersion des cellules de l'œuf

On a maintenant rapporté la naissance d'un certain nombre de veaux ou de moutons obtenus par ce procédé qui a également été appliqué avec succès au singe rhésus.

Quant à l'homme, ce type de manipulation est actuellement interdit (pour combien de temps ?) dans les pays de la Communauté Européenne. Cependant, en 1993, Kolberg a tenté de le faire aux Etats-Unis sur des embryons apparemment anormaux. Sa tentative a soulevé un tollé général dans la communauté scientifique ; elle a eu néanmoins le résultat de démontrer que l'œuf humain se défend contre ce type de manipulation car ses cellules sont programmées de façon tout à fait particulière. Elles se divisent en effet par vagues successives de façon synchrone et symétrique pour atteindre normalement le nombre de 64 éléments (soit six générations après la fécondation), parfois un peu moins en culture. L'œuf a besoin de ce capital de soixante quatre cellules pour passer à l'étape suivante de son évolution ; si le nombre est insuffisant, il meurt. Et peut-être faut-il rappeler ici que, plus que tout autre, l'œuf humain est fragile. Il en meurt une proportion importante avant même l'implantation et ce n'est pas en expérimentant sur ceux qui ne demandent qu'à vivre — et en les tuant — qu'on améliorera les choses.

 

Clonage par transferts de noyau

C'est la naissance de la brebis Dolly, annoncée en février 1997, qui a mis le problème du clonage reproductif sur la place publique et immédiatement suscité des débats passionnés. Contrairement à ce que pense le grand public, il a été extrêmement difficile d'obtenir Dolly. Toute la mise au point du procédé a été décrite avec une grande clarté, d'abord par Vial Correa , président de l'Académie pontificale pour la Vie et aussi par A. Kahn . Le procédé sera donc décrit ici seulement dans ses grandes lignes pour souligner tout ce qui est anti-biologique dans cette technique. Disons tout d'abord que, avant d'obtenir Dolly, 834 tentatives avaient été faites : 557 à l'aide de noyaux d'embryon ou de fœtus pour six naissances et 277 avec des noyaux provenant d'un animal adulte pour...une seule naissance (depuis plusieurs naissances ont été obtenues dans différents laboratoires, sur différentes espèces de mammifères).

Soulignons que l'ovule et le spermatozoïde sont complémentaires et faits pour s'unir : leur nom générique de gamètes l'indique clairement puisque game signifie union, mariage. Pendant sa très longue maturation, l'ovule a préparé les substances qui agiront sur le spermatozoïde, permettront la fusion des deux noyaux et donc le rétablissement du nombre de chromosomes en même temps que la détermination du sexe de l'enfant. En outre, pendant les premiers stades du développement, les gènes d'origine maternelle et paternelle jouent un rôle différent : les gènes maternels dirigeront tout le début de la formation de l'embryon proprement dit, tandis que les gènes paternels commanderont la mise en place des annexes embryonnaires, ces formations trophoblastiques qui assureront tout à la fois l'implantation de l'œuf dans la muqueuse utérine et par voie de conséquence sa nutrition et sa protection : c'est l'empreinte parentale, où Jérôme Lejeune voyait le symbole, superbe, du rôle respectif et complémentaire des parents dans la formation et la protection de leur enfant. Là encore, c'est le long processus de maturation des gamètes qui est responsable de cette activation génique différente. Où est-elle dans le clonage ? Nulle part, évidemment.

L'ovule n'est pas fait pour recevoir un noyau somatique, qu'il soit embryonnaire, fœtal ou adulte. Quant au noyau somatique, il est programmé pour participer à la construction ou au fonctionnement d'un organe, pas pour fabriquer un enfant. Il va donc falloir traiter ces deux cellules que rien ne destinait à se rencontrer pour que l'ovule apprenne au noyau greffé comment il devra se comporter pour essayer d'assurer toutes les étapes du développement. Le processus le plus long portera sur la cellule donneuse de noyau. Celui-ci avait été programmé pour remplir un rôle précis (nous reviendrons plus loin sur ce problème de programmation), il va donc falloir le déprogrammer complètement pour qu'il obéisse aux nouvelles instructions données par l'ovule. Ceci est obtenu par une mise en culture prolongée dans un milieu de plus en plus appauvri : le noyau oublie ce qu'il avait appris et devient donc une structure passive. Quant à l'ovule, il faut extraire son noyau, sans pour autant endommager la cellule : on a donc recours à un traitement chimique diminuant la résistance de la membrane de surface et facilitant sa ponction avant l'aspiration du noyau. On le laisse ensuite reposer et pour finir, on réalisera la fusion entre ovule énuclée et cellule donneuse du noyau grâce à un choc électrique.

 

Retour en arrière

La naissance de Dolly a suscité un enthousiasme délirant : c'est, a-t-on dit, le progrès scientifique le plus considérable réalisé depuis la domestication de l'énergie atomique... À elle seule cette comparaison doit faire réfléchir. Que le travail du Roslin Institute où est née Dolly soit un exploit technique, c'est certain. Mais est-ce un progrès ? Il est permis de se le demander puisque cette reproduction par clonage va à l'encontre d'un processus naturel, à l'origine de la progression de la vie sur terre, à savoir la reproduction sexuée. On trouve celle-ci à tous les échelons de la vie animale et c'est elle qui a permis, par le brassage des gènes qui lui est sous-jacent, l'incroyable diversité des espèces et des individus au sein d'une espèce. Les structures vivantes qui se reproduisent par clonage obligatoire, telles les bactéries, ne progressent pas et se modifient à peine, telles les archéobactéries qui existent, pratiquement inchangés, depuis plus de deux milliards d'années.

Avec ce retour en arrière dans la production de la vie, qu'espère-t-on ? Et ce " meilleur des mondes " que l'on nous promet grâce au clonage ne risque-t-il pas de devenir le pire des mondes ? Car bien entendu, on a aussitôt annoncé que cette technique allait, à brève échéance, être applicable à l'homme. Pourquoi faire ? Citons pêle-mêle : permettre à un homme stérile ne pouvant pas bénéficier de l'ICSI d'avoir un enfant, permettre à une femme stérile en raison d'une maladie mitochondriale d'avoir elle aussi un enfant et aussi perpétuer inchangé un génie ou permettre à un couple de lesbiennes d'avoir chacune la fille de l'autre. Sans commentaire.

En très grand nombre, les voix les plus autorisées se sont élevées contre cette atteinte inqualifiable à la dignité humaine. Peut-être faut-il y ajouter deux réflexions. D'abord, sur le plan familial, où se situerait l'enfant ? Admettons que ce soit l'homme qui ait donné le noyau : génétiquement l'enfant serait son jumeau — né trente ou trente cinq ans plus tard — et il serait donc, toujours génétiquement, l'enfant de ses grands-parents... Par ailleurs on prétend qu'il n'y aurait pas de différence dans ce cas de copies conformes, entre le couple constitué par l'enfant et le donneur de noyau et celui représenté par deux jumeaux identiques. Il y en a une, considérable : les jumeaux, certes étroitement unis l'un à l'autre, ont cependant leur avenir devant eux. L'enfant né par clonage serait dépossédé de son avenir puisqu'il connaîtrait à l'avance tout son développement, aussi bien physique qu'intellectuel.

Fort heureusement il est arrivé malheur à Dolly. On avait espéré que le clonage reproductif réalisé à l'aide d'un noyau adulte allait en quelque sorte conférer à celui-ci une jeunesse éternelle. Or, Dolly a été fabriquée grâce à un noyau prélevé sur une brebis de six ans. Au début tout s'est bien passé, puis brutalement Dolly a vieilli : le noyau d'origine avait l'âge de la donneuse et Dolly a rattrapé l'âge de sa " mère ". C'est un coup très rude porté au clonage reproductif par transfert de noyau adulte, car le cloné se trouverait avec une espérance de vie extrêmement courte. Il semble qu'on ne parle plus guère actuellement de ce mode de reproduction.

 

L'horreur

Mais il reste deux domaines dans lesquels le clonage reproductif peut continuer à s'exercer, cette fois avec des noyaux embryonnaires ou fœtaux. Chez l'homme, on ne voit guère quel intérêt il pourrait avoir au point de vue de la reproduction, étant donné l'éventail offert par les techniques de PMA . Mais dès qu'on a évoqué la possibilité d'obtenir des humains par clonage reproductif, certains ont proposé de fabriquer par cette technique des êtres qu'on ne saurait considérer comme tels car dénués de cerveau par exemple. Après leur naissance on les maintiendrait en survie artificielle prolongée pour avoir une croissance suffisante, après quoi on les mettrait en pièces détachées pour pratiquer des greffes d'organe. L'horreur. Au cours d'une émission télévisée diffusée l'an dernier, on a demandé à un certain nombre de personnes ce qu'elles pensaient de cette possibilité : tous les Européens ont manifesté leur écœurement, en revanche la plupart des Américains ont trouvé l'idée prometteuse et aucun d'entre eux n'a évoqué la femme qui pendant neuf mois porterait un enfant qu'elle saurait anormal et destiné à être découpé en morceaux. Or on dispose actuellement d'une énorme réserve de noyaux embryonnaires : 70.000 embryons congelés (en France seulement). Combien y en a-t-il au Japon ou aux États-Unis où l'orientation de la recherche est déterminée par les tous puissants laboratoires et où la faisabilité tient lieu de règle bioéthique ?

L'autre domaine est bien entendu celui du clonage animal, qu'on associe maintenant aux techniques du génie génétique pour obtenir des clones transgéniques, c'est-à-dire dans lesquels on a introduit différents gènes, bien souvent humains. On annonce ainsi la création de brebis clonées produisant du lait de femme et surtout de porcs clonés pour rendre leurs organes compatibles avec l'homme en vue de greffes, de cœur en particulier. Mais le système d'histocompatibilité n'est pas seul en cause : qui prouve qu'un cœur, un foie ou un rein de porc fonctionne identiquement à un organe humain ? De surcroît ces animaux semblent bourrés de virus qui seraient dangereux pour l'homme. Peut-être cette recherche donnera-t-elle de bons résultats dans quelques ou plusieurs années. Il semble assez incompréhensible en tout cas que le grand public n'envisage pas que les futurs essais de ces techniques puissent faire courir des risques à l'homme, alors qu'il s'inquiète de voir distribuer des tomates, du maïs ou du soja " génétiquement modifiés " qui, eux, semblent non nocifs.

 

II- LE CLONAGE CELLULAIRE

 

Alors que le clonage reproductif par transfert de noyau est actuellement mis en veilleuse en ce qui concerne l'homme, l'autre aspect du clonage en revanche, le clonage cellulaire, est en pleine actualité. À cela, deux raisons. La première, c'est la future révision de la loi de bioéthique, la seconde le stock considérable d'embryons congelés dont on ne sait quoi faire. La loi de bioéthique de 1994 avait abordé le sujet de la recherche sur les embryons, avec deux stipulations : la première interdisait de fabriquer des embryons aux fins de recherche ; la seconde n'autorisait la recherche sur les embryons qu'à condition qu'elle ne porte pas atteinte à leur vie. Or, à l'heure actuelle se dessine un courant extrêmement fort, demandant qu'on puisse mettre en culture puis établir des clones cellulaires à partir des 70000 embryons congelés dont on ne sait que faire.

Il est certain que pour établir ces clones cellulaires, les embryons devront être complètement dissociés, donc tués : de toute façon il est impossible de tenter quoi que ce soit comme expérimentation sur ces embryons sans les modifier de façon irréversible et donc de les tuer. Mais à l'instar de ce qui a été voté en Grande-Bretagne (Bill Warnock, 1985) beaucoup voudraient qu'on refuse tout statut à l'embryon de moins de quinze jours, en faisant un " pré-embryon " sur lequel ne porterait plus l'interdit de manipulation et d'expérimentation.

Sur quoi se base-t-on pour vouloir cette mise en culture et ce clonage cellulaire ? Et d'abord, en quoi ce clonage cellulaire consiste-t-il ? On dissocie le tout petit embryon à un stade auquel ses cellules sont totalement indifférenciées. Les cellules sont alors mises en culture individuellement et la descendance de chacune d'elle constitue un clone cellulaire, clone qu'il est ensuite possible de traiter pour obtenir, pour chacun, un type cellulaire différent : cellules nerveuses, cellules pancréatiques, cellules sanguines, etc. Ces clones cellulaires différenciés pourraient alors être utilisés pour traiter des maladies où existe une dégénérescence cellulaire (comme la sclérose en plaque ou certains déficits immunitaires), se substituant aux actuelles tentatives de thérapie génique dont les résultats sont très décevants.

Sur quels arguments se fonde-t-on pour chercher à établir ces cultures ? Sur des études menées sur les embryons de souris et la mise en évidence de ce qu'on appelle les cellules ES ou cellules souches embryonnaires qu'on considère comme des cellules totipotentes c'est-à-dire capable de donner origine à n'importe quel type de cellule de l'organisme. Dans l'embryon intact, la phase de totipotence est très brève. Au stade des premières divisions cellulaires, ces divisions synchrones et symétriques des premiers jours, la totipotence absolue n'existe que jusqu'au stade huit cellules. Ensuite, la disposition de la petite masse fait que quelques cellules se trouveront à l'intérieur de celle-ci et ne recevront pas exactement les mêmes informations que celles qui se trouvent à l'extérieur. Les cellules externes seront appelées à se différencier pour former le trophoblaste nourricier, les cellules internes (la masse cellulaire interne) formera, au cinquième, sixième jour pour l'embryon humain, le bouton embryonnaire à partir duquel s'organisera tout l'embryon. Le bouton embryonnaire est donc totipotent pendant 48 heures environ pour former l'embryon. Ensuite commence sa différenciation en deux feuillets. Au stade du bouton embryonnaire, chez la souris, on a injecté dans celui-ci des éléments provenant d'un bouton au même stade de développement ou légèrement plus avancé, mais venant d'une souche de souris avec des caractères différents, donc transgénique par rapport au premier bouton. Une fois la souris formée, on retrouve ces cellules transgénique dans tous ses tissus et ses organes, ce qui semble bien par conséquent correspondre à la totipotence de ces éléments.

Pourquoi une cellule perd-elle sa totipotence, alors que son noyau contient absolument tous les gènes d'un individu donné ? C'est parce qu'on peut comparer les gènes à une banque de données : cette banque ne sera utilisable que sous l'action d'un logiciel qui choisira les données nécessaires pour telle ou telle fonction. Le logiciel correspond, au niveau de la cellule, au phénomène dit épigenèse fait de facteurs divers : environnement cellulaire, sécrétion d'autres cellules, etc. Sous cette action seront choisies, activés les gènes correspondant à la différenciation cellulaire, les autres gènes étant bloqués. Si l'on veut cloner des cellules ES de façon à leur imposer ensuite tel ou tel type de différenciation, il faut donc faire la mise en culture au stade du bouton embryonnaire. Les cellules qui ont un potentiel de multiplication très élevé formeront donc facilement des clones qui étant chacun formé de cellules placées dans les mêmes conditions, échapperont à toute influence épigénétique, et une fois le clone bien établi, on pourra l'amener à se différencier.

 

Qu'est-ce-que la vie ?

Redisons-le, il y a actuellement en France 70000 embryons congelés : ce sont des produits de fécondation in vitro après stimulation ovarienne. L'ovule, à la différence du spermatozoïde, se congelant très mal, on le féconde et le petit œuf résultant (qui lui se congèle bien), est mis dans l'azote liquide au stade huit cellules. À chaque FIV, trois œufs sont implantés et les autres, de trois à sept, parfois plus sont congelés en vue d'une éventuelle nouvelle transplantation ou d'un don d'embryons. La plupart du temps, ils sont inutilisés. Pourquoi produire autant d'embryons ? En Allemagne et maintenant en Italie, on n'en fait que trois qui sont implantés, il n'y a donc pas de mise en réserve. En France on a pris l'habitude de faire une stimulation ovarienne forte, on fabrique donc beaucoup trop d'embryons dont on ne sait que faire et il ne sera pas facile de revenir à une production plus modérée.

Que faire de tous ces embryons congelés ? Les détruire ? Ou les utiliser ? Il est certain qu'ils résultent d'une erreur de production : on n'a pas réduit la stimulation ovarienne et donc la production d'embryons au fur et à mesure de l'amélioration des techniques de FIVETE. Or, après décongélation, s'il y a effectivement un déchet important, surtout pour les embryons les plus anciens, il n'en demeure pas moins que beaucoup d'entre eux sont bien vivants. Alors se pose la question cruciale : qu'est ce que la vie ? La vie ne se définit pas, elle s'observe sur un ensemble de signes. Chez ces embryons tout jeunes, la vie commandée par un génome humain se manifeste par son élan et la logique des étapes de son organisation. Elle doit être évaluée de façon objective et non comme le veut Frydman par la valeur que lui attribuent les donneurs de gamètes : s'ils ne veulent pas de l'embryon celui ci n'aurait pas plus de valeur qu'une chose.

Évidemment, il peut être tentant de dire : ces embryons surnuméraires ne peuvent être conservés indéfiniment, ils devront être détruits ; autant les utiliser pour la recherche, surtout si l'on fait en outre miroiter les retombées thérapeutiques de cette recherche. Mais c'est, comme toujours dans ces circonstances, ouvrir la porte à des abus. Car la dérive sera facile d'utiliser immédiatement les embryons excédentaires pour la recherche et puis, insidieusement, d'en fabriquer quelques-uns, puis beaucoup à des fins de recherche. Il ne s'agit pas ici de mettre en culture des cellules prélevées par exemple à partir d'une tumeur, il ne s'agit même pas de cultiver à des fins de diagnostic des cellules prélevées par biopsie, on se trouve devant la destruction d'un tout petit être, obtenu à la suite d'une mauvaise appréciation humaine. Une erreur en justifie-t-elle une autre ? Et si la France suit l'exemple des États-Unis, ces cultures seront brevetées, commercialisées : ce n'est pas pour cela que la FIVETE a été inventée.

 

III- LE CLONAGE DES GENES

 

Depuis vingt ans, la lecture du génome humain a progressé de façon spectaculaire grâce à deux outils remarquables : les enzymes de restriction et l'amplification génique. Les enzymes de restriction sont des substances provenant des bactéries : elles constituent le moyen de défense des bactéries contre l'action des virus. Certes, comme toutes les cellules, les bactéries peuvent être infectées par des virus mais il existe une spécificité d'action : une bactérie donnée ne pourra être infestée que par un virus. Si un autre virus tente d'y pénétrer, il sera aussitôt inactivé par les enzymes de restriction qui coupent l'acide nucléique du virus en des points bien précis le rendant ainsi inopérant. Les enzymes de restriction peuvent agir sur n'importe quel ADN à condition qu'il présente la séquence de base, cible de l'enzyme. On a pu en isoler un bon nombre à partir de différentes bactéries, on sait en quels points ces enzymes agissent et on dispose par conséquent, en les faisant intervenir successivement, d'un éventail extrêmement précis de ciseaux à découper l'ADN. Par ailleurs on dispose de sondes, substances se combinant spécifiquement avec telle ou telle région d'ADN ce qui permet de l'identifier après découpage, bien plus facilement que sur le peloton représenté par le mètre d'ADN contenu dans chacune de nos cellules.

Une fois isolé, le gène est amplifié : sous action enzymatique, il va s'autocopier un très grand nombre de fois ce qui va permettre d'étudier son activité après coloration spéciale de le reconnaître pour un individu donné : car chaque gène est fait d'une alternance d'ADN actif et d'ADN inactif dont la disposition est caractéristique d'un individu donné. On peut donc facilement comparer de très nombreux segments d'ADN. Cette comparaison, qu'on appelle test ADN dans le grand public, est utilisée en médecine légale pour des recherches de paternité ou l'éventuelle identification d'un criminel. Elle est maintenant utilisée dans certaines maladies génétiques graves pour réaliser le diagnostic pré-implantation ou DPI. On a recours à ce test quand, dans une famille, est né un enfant atteint d'une maladie génétique à évolution fatale : mucoviscidose, maladie de Duchène et que les parents veulent se mettre à l'abri de la naissance d'un autre enfant atteint. Le test bien entendu ne peut être pratiqué que si l'on a identifié le gène responsable de la maladie, gène qui sera isolé des cellules de l'enfant malade.

La première étape consistera à pratiquer une fécondation in vitro sur une grande échelle : stimulation ovarienne forte pour obtenir un grand nombre d'ovules qui seront tous fécondés. On laisse les embryons évoluer jusqu'au stade huit cellules et on prélève alors sur chacun d'eux une ou deux cellules. En enlever trois empêcherait l'œuf de progresser jusqu'au stade balstocyste. De ces cellules, on extrait l'ADN qu'on traite pour obtenir le gène responsable de la maladie ou son homologue sain. Ce gène est amplifié et comparé à celui de l'enfant atteint. S'il est identique c'est que l'embryon est porteur de la tare génétique. Si l'embryon est indemne, il est conservé pour implantation. Test délicat à réaliser, seuls deux laboratoires sont actuellement habilités à le pratiquer en France.

Devant l'indicible souffrance d'un couple qui sait son enfant atteint d'une maladie incurable, qui peut lui reprocher de chercher par n'importe quel moyen à avoir un enfant sain ? même au prix de tuer plusieurs embryons pour réaliser cette aspiration ? Il faut bien admettre qu'il s'agit ici d'un cas d'eugénisme. Or le risque est toujours le même, à partir du moment où on commence à pratiquer ce genre de test. De circonstances exceptionnelles, il se peut que, petit à petit, on glisse vers des cas moins exceptionnels pour finalement choisir l'enfant qu'on désirera avoir en fonction de la qualité de son génome. En viendra-t-on à tenter de dépister par diagnostic préimplantatoire des maladies génétiques à manifestation tardive, telle la maladie d'Alzheimer ou la chorée de Huntington, ou même certaines tendances familiales à des pathologies métaboliques telles le diabète ou certaines formes d'athérosclérose ? On nous ressortira le vieil adage : " mieux vaut prévenir que guérir "... mais dans le cas présent la prévention, c'est l'élimination de l'enfant atteint : ne vaut-il pas mieux chercher à l'améliorer avant d'être à même de le guérir ?

 

Consommer ou protéger ?

Nous avons passé en revue les trois aspects du clonage ou, si l'on préfère, les trois significations à donner au mot clone. Qu'y a-t-il en commun entre ces trois aspects ? Tout d'abord, aucun des trois " modes " de clonage n'aurait été possible sans la banalisation des méthodes de procréation médicalement assistée. À partir du moment où les gamètes sont devenus aisément accessibles, il était tentant d'expérimenter sur eux : d'où les protocoles de clonage reproductif. Il était également tentant de produire un grand nombre d'embryons, avec l'excuse que les ovules se congèlent fort mal, pour parer à l'éventuel insuccès d'une tentative d'implantation : d'où l'existence actuelle d'un stock d'embryons congelés, de vies commençantes dont on ne sait que faire mais qu'il est tentant de manipuler. Et enfin, puisqu'on peut produire des embryons à peu près à volonté, pourquoi ne pas envisager de les " trier ", certes pour éviter la naissance d'un enfant condamné à brève échéance, mais peut être un jour s'offrir un enfant " à la carte " sans attendre le moment ou l'amniocentèse sera praticable ?

Chacun des trois aspects traduit aussi le peu de valeur qu'on attribue actuellement à l'embryon : c'est devenu un objet de consommation qu'on veut parfait, c'est devenu une chose qu'on peut manipuler sans scrupule, en oubliant totalement qu'on a affaire à une vie, une vie dont les manifestations sont différentes de la nôtre, mais cependant une vie qu'il faut d'autant plus protéger que l'embryon n'a aucun moyen de se défendre.

J. P.