Depuis plusieurs années, Philippe Nemo s'était fait plus rare. Au sortir des sept cent quatre vingt quatre pages de l'Histoire des idées politiques, le lecteur ne peut plus ignorer combien l'auteur a dû détester le contenu que lui enseignèrent les " maîtres " universitaires de cette discipline, et les maîtres eux-mêmes : Jean-Jacques Chevallier, Jean Touchard, Marcel Prélot ou Georges Burdeau.

Encore se sera-t-il agi des meilleurs. On ne s'abaissera pas à nommer les innombrables Aliboron de moindre renommée qui empoisonnèrent la vie intellectuelle de notre pays.

Quelle était leur faute ? D'abord de ne rien connaître à l'Antiquité. Ou trop peu, ou si mal. Et cela pour la raison première que l'histoire des idées politiques ayant été longtemps un privilège des facultés de droit, ce sont des juristes qui se chargèrent de la besogne. Leur bagage philosophique ne dépassait pas ce que la classe de propédeutique leur avait permis d'apprendre d'Aristote (et encore, par extraits, mal traduits car, déjà le grec n'était plus réservé qu'aux futurs normaliens). De leur première année de licence en droit, ils avaient retenus quelques notions encore utilisées en droit positif. Le Moyen Âge, haut, moyen, bas, leur était inconnu ou horrifique. Et ce n'est guère qu'à partir de la formation du droit régalien, avec la naissance de l'État moderne — qu'on les voit (nous parlons toujours des professeurs d'histoire des idées politiques) émerger en ayant lu les textes dont ils parlent et, pour les meilleurs d'entre eux, capables d'en avoir tiré des idées personnelles.

On peut le dire simplement. Ce n'était pas l'histoire des idées politiques qui nous était contée, mais celle de la naissance et de l'épanouissement de l'État. Avec, en prime, le substratum de la vulgate marxiste qui régnait (règne toujours ?) dans les facultés françaises à partir des années cinquante et qui assurait l'armature de la plupart des manuels. On dira le trait forcé ? À peine. Il suffit de mettre leurs œuvres en parallèle avec le livre de Philippe Nemo, dont le titre cache le véritable but : écrire l'histoire de la naissance et des progrès de la liberté au travers de l'idée que s'en firent les hommes et des institutions qu'ils se donnèrent pour en assurer la fragile existence.

Dès lors, la première incompréhension serait de croire que l'ouvrage de Philippe Nemo n'est qu'un manuel destiné aux étudiants. Dieu veuille que tout étudiant français puisse déjà assimiler et vivre avec un tel bagage intellectuel ! Cela fournirait quelque optimisme pour les années futures. En tout état de cause, cette Histoire des idées politiques dans l'Antiquité et au Moyen Âge s'adresse à nous tous. Et, d'ailleurs, dans le domaine des idées, que sommes-nous d'autres sinon de perpétuels élèves jusqu'à notre mort ? La seconde faute consisterait à imaginer que, s'adressant à un public d'étudiants, par nature " pluriel " dans ses opinions, l'auteur aurait été contraint de mettre son propre idéal dans sa poche, pour présenter une somme intellectuelle à géométrie variable afin de la rendre admissible par tous les courants de " pensée " qui traversent notre pays.

S'il s'agit bien d'une histoire des idées politiques, au travers de l'exposé des notions de tous ceux qui en ont forgé la naissance, il s'agit bien d'une histoire de la liberté. En cela, Philippe Nemo n'a pas oublié qu'il est l'un des grands connaisseurs de Hayek et l'auteur du meilleur livre paru à ce jour en Français pour introduire à l'œuvre du dernier des " old whigs " . Cette Histoire des idées politiques est celle d'un hayekien. Que cela plaise ou non. Que cela fasse fuir ou pas. On retrouve suffisamment souvent les concepts du maître pour ne pas en douter. En cette année où le centenaire de la naissance de Friedrich Hayek sera passé à peu près inaperçu en France, et pour cause, il n'est pas interdit d'en profiter pour rendre un modeste hommage au maître qui lutta, toute sa vie, contre l'emprise totalitaire.

 

Le crible de la liberté

Certes, il ne s'agit pas d'une histoire de l'idée libérale, au sens strict du terme, depuis les origines jusqu'à nos jours, moins encore d'un manifeste, mais le crible des progrès de la liberté est partout présent, et dès les premières pages. Pour ne prendre qu'un exemple, Platon n'est pas traité avec la vigueur dont usa Karl Popper dans la Société ouverte et ses ennemis — qui fait du théoricien de la République et Des lois l'auteur matriciel de tous les totalitarismes modernes — mais la référence à la conceptualisation popperienne clôt le chapitre consacré à Platon en rappelant que, grâce à elle, une lecture plus critique de Platon est devenue possible de nos jours. Et Philippe Nemo le prouve lui-même, en intégrant cette critique dans le corps même de la présentation des théories politiques platoniciennes.

À propos de la législation spartiate, Philippe Nemo écrit, entre autre, " C'est donc un anti-libéralisme absolu : toute transaction, tout contrat en général toute relation entre citoyen intéresse l'État. Tout ce qui est social est étatique. Il n'y a ni "vie privée" ni "société civile" ". Et d'ajouter que Platon trouvait les institutions spartiates encore trop libres, parce que la morale n'était pas comprise dans le lot. Cependant, Philippe Nemo fait la part des choses et, à d'autres moments, il rend hommage à la clairvoyance de Platon, par exemple lorsqu'il écrit que " les politiciens d'aujourd'hui qui gouvernent les yeux fixés sur les sondages répondent merveilleusement à la définition platonicienne du démagogue étudiant les passions et les revirements du "gros animal" qu'est le demos. "

De la même façon, les concepts hayekiens apparaissent dès les premières pages du livre.

Ainsi, estime Philippe Nemo, avec Clisthène nous avons un " des premiers exemples de " constructivisme " en politique, c'est-à-dire de la démarche consistant à mettre fin délibérément à des traditions et à forcer la réalité en lui appliquant un plan rationnel conçu par une intelligence abstraite ". Une note de bas de page nous signale d'ailleurs la parenté entre la Route de la servitude de Friedrich Hayek et les Origines du totalitarisme d'Hannah Arendt à l'occasion des vertus que l'un comme l'autre prêtent à l'ordre spontané de la société contre le parti totalitaire qui entend organiser la société plutôt que la laisser " s'auto-organiser ".

À propos de la naissance et de l'évolution du droit romain, Philippe Nemo écrit : " Des mécanismes institutionnels souples ont permis que des règles nouvelles soient formulées, testées et confirmées, à la faveur d'un long processus d'"essais et d'erreurs" qui a fini par sélectionner des règles vraiment compréhensibles par tous et permettant effectivement d'éviter les conflits et d'améliorer la coopération sociale ". Nous sommes tout à fait dans le mécanisme hayekien de la détermination des bonnes institutions humaines.

On multiplierait les exemples de cette façon de passer les événements au crible de la liberté politique par lequel, sans cesse, et par petites touches, Philippe Nemo revivifie les lectures anciennes à la lumière d'éclairages récents. Ce qui nous éloigne du danger qui guette les histoires des idées politiques, qu'elles soient consacrées à un auteur ou bien qu'elles s'apparentent à une fresque monumentale : la désincarnation.

 

Question de méthode

En effet, tout livre d'histoire des idées politiques commence par poser une difficulté de méthode : l'auteur va-t-il insister sur le mot " histoire " ou sur la notion d'" idées politiques " ? Autrement dit, va-t-il restituer la naissance des idées dans leur contexte historique ou s'immerger dans l'enchaînement des idées pures, sans trop s'occuper du temps qui les vit naître, pour ne vérifier que leur validité par rapport à leur époque ou à la nôtre ?

Deux ouvrages ont particulièrement symbolisé l'ennui de ce choix. Pendant longtemps, pour des cohortes d'étudiants contraints d'acquérir un vernis de culture général afin de glaner quelques points pour obtenir leur diplôme, l'histoire des idées politiques se résuma à la lecture de deux maîtres : Jean-Jacques Chevallier et Jean Touchard. Le livre de Jean-Jacques Chevallier porte une thèse qui en fait plus qu'une collection de fiches de lecture : les œuvres politiques sont une forme de la littérature, mais dont l'influence finit par formater l'époque durant laquelle elle naît. C'est de là que son livre, les Grandes Œuvres politiques de Machiavel à nos jours, étudiées par époque et avec référence aux autres œuvres, s'apparente à une Histoire des idées politiques. Avec d'innombrables inconvénients.

Les Grandes Œuvres politiques de Machiavel à nos jours de Jean-Jacques Chevallier dispensa à jamais des générations entières de lire aussi bien le Prince ou la Politique tirée de l'écriture sainte que l'État et la Révolution, en passant par l'Esprit des lois ou De la démocratie en Amérique, pour s'en tenir à l'énumération de quelques-unes des œuvres marquantes que le génie occidental apporta au monde, pour ses heurs et malheurs.

Le livre avait l'avantage de dispenser de lire les œuvres originales. À quoi bon s'y ennuyer, en effet, puisqu'un esprit délié a déjà pris la peine de les lire pour vous, de les replacer dans leur contexte et de vous dire, avec une bienséante prudence, renforcée par les événements politiques qu'il venait de vivre, ce qu'il fallait en penser. Aux meilleurs d'aller plus loin. La première édition des Grandes Œuvres politiques de Machiavel à nos jours date de 1949. À peine révisée, elle faisait toujours autorité trente ans après. Certes, à chaque fois, Jean-Jacques Chevallier replace le livre qu'il étudie dans son temps et par rapport aux péripéties de la vie de l'auteur, mais c'est le continuum qui manque. Ce continuum qui se trouve, précisément, chez Philippe Nemo.

Dix ans après le livre de Jean-Jacques Chevallier, sorti de la même matrice de l'École, alors dite " libre ", des Sciences politiques, Jean Touchard, affirma plus nettement la méthode en écrivant une Histoire des idées politiques, appelée, elle aussi, à durer et perdurer de rééditions en rééditions. Précisons toutefois que, à la différence de Philippe Nemo, Jean Touchard n'œuvra pas seul. Il s'entoura de quatre collaborateurs. S'interrogeant sur les difficultés que ne peut manquer de faire naître une " histoire des idées politiques ", Jean Touchard stipulait bien : " L'Histoire des idées politiques nous semble inséparable de l'histoire des institutions et de celle des sociétés [...]. "

L'ouvrage de Philippe Nemo se situe dans l'injonction implicite que contient cette remarque. Avec lui, l'histoire est sans cesse présente parce qu'il est difficile de parler de " Rome " comme si mille ans d'histoire n'avaient pas vu se succéder les institutions, elles-mêmes influençant les conceptions politiques, à moins que ce ne soit l'inverse.

 

La majeure du mineur

Philippe Nemo ne s'empare pas de la Politique d'Aristote pour étudier tout Aristote et, à travers lui, éventuellement, et par récurrence, toute la pensée politique attique, comme l'aurait fait Jean-Jacques Chevallier. Il étudie toute la pensée politique attique, les principaux événements historiques qui expliquent son surgissement, l'environnement intellectuel et, parmi celui-ci, il focalise sur Platon ou Aristote, Xénophon ou Isocrate. Ce qui lui permet, au passage, de relativiser l'importance trop souvent accordée aux uns, de réhabiliter ou d'en faire surgir d'autres, ou de les étudier sous un angle différent de celui que la tradition nous a transmis. En cela, Philippe Nemo a écrit un livre. Jean Touchard, n'avait publié qu'un manuel.

Il en va ainsi, en particulier, de l'intérêt porté par Philippe Nemo aux conceptions économiques des auteurs grecs anciens. Domaine le plus souvent délaissé ou jugé mineur par les exégètes et dont on sait, au contraire, en filiation précisément avec les théories sur l'échange, combien il importe sur l'ensemble. Le mépris de Platon pour les commerçants, l'impératif de s'en tenir à l'autarcie économique, que voulait imposer Aristote à la Cité, font partie des grandes limites de la pensée philosophique ancienne. Et, au demeurant, des grandes énigmes historiques. Comment des esprits qui étaient des encyclopédies vivantes, dont la curiosité était insatiable, qui vivaient immergés au milieu de cités marchandes, elles-mêmes ne cessant d'échanger avec tout le bassin méditerranéen, comment ces esprits n'ont-ils pas mieux vu l'importance de la formation de richesse et son intérêt ? Mais c'est ainsi. Du code d'Hammourabi, premier manuel de dirigisme économique, à l'édit de Dioclétien, première tentative d'instauration d'un contrôle général des prix par un pouvoir politique, l'Antiquité doit en partie sa disparition à l'absence de conceptualisation autour des causes de la naissance de la richesse.

 

Les trois piliers de l'Occident, Athènes, Rome et Jérusalem

On ne se donnera pas le ridicule d'essayer de résumer le livre de Philippe Nemo ni même un seul des courants qu'il aborde. Donnons simplement quelques aperçus.

Les Grecs inventent la liberté comme l'autre phase de la loi dans le cadre spécifique de la Cité. Les Romains inventent le droit tout court, y compris celui des étrangers puisqu'ils créent un préteur des étrangers. Mais surtout, ils inventent le droit naturel, compris et applicable par et pour tous. En fait, le droit romain invente la personne.

En effet, à l'étude, indispensable, d'Athènes, l'auteur ajoute une réhabilitation de la pensée politique romaine à laquelle il consacre une place importante, en particulier par le rappel de l'apport capital d'une figure en voie d'oubli, Cicéron. Un Cicéron dont Philippe Nemo rappelle " qu'il est un auteur capital dans l'histoire de la philosophie politique ", négligé en France, comme par hasard, alors que les anglo-saxons " voient en lui l'un des pères de la rule of law ", c'est-à-dire du règne du droit. Quant au droit romain, il est devenu le grand oublié de la pensée occidentale. Le positivisme juridique, qui règne désormais en maître, a forcé l'université à chasser l'étude de son histoire, ou à la cantonner dans un réduit, tandis qu'elle était jadis considérée, et pour cause, comme fondamentale.

 

Les Grecs avaient inventé la Cité, communauté ordonnée par la loi — égale pour tous [...] rendant possible la liberté individuelle. Mais, s'ils avaient découvert la loi, ils n'étaient pas allés très loin dans l'élaboration de son contenu. Ce sont les Romains qui ont décisivement approfondi celui-ci, actualisant, de ce fait, les virtualités de liberté individuelle contenues dans l'idée même de la loi. [...] Ces frontières du mien et du tien, du domaine propre de chacun, ce sont les juristes romains qui les ont dessinées.

 

Et Philippe Nemo d'énumérer tout ce que nous leur devons pour organiser la liberté, du droit des personnes, au droit des obligations en passant par le droit des choses. Pour conclure que " les Romains, en ce sens, ont inventé l'homme lui-même, au sens occidental du terme, c'est-à-dire la personne humaine individuelle, libre, ayant une vie intérieure, un destin absolument singulier, réductible à aucun autre, et des droits qu'elle entend faire respecter aussi bien des autres personnes que de l'organisation collective en tant que telle. Toutes les formes politiques occidentales ultérieures, sauf au haut Moyen Âge, seront conçues et construites en fonction de l'être humain ainsi conçu ".

 

La Jérusalem délivrée

Mais en ce cas, que vient apporter une " politique de la Bible " dans cet univers où tout figure déjà si parfaitement ? Au mieux, cette " politique " (les guillemets sont de l'auteur) ne saurait être que superflue. Il suffisait d'attendre que le Moyen Age, qui ne l'avait jamais perdu tout à fait de vue, puis la Renaissance, redécouvrent l'héritage romain et en donne une magnifique floraison qui durera trois siècles. Au pire, l'instauration d'une " politique de la Bible ", matrice de la victoire du christianisme sur les catégories impériales, pourrait se confondre avec cette régression que tant d'historiens, depuis Edward Gibbon et cent autres, n'ont cessé de déplorer.

Or, et c'est sans doute le deuxième intérêt majeur de son livre, après la redécouverte du droit naturel chez les Romains, Philippe Nemo consacre un bon tiers à l'apport de la Bible, des Évangiles et des Pères de l'Église à la liberté. Cela ne manquera pas de surprendre, en France, où une " histoire " pitoyable de l'Église enseigne depuis des siècles que celle-ci n'a jamais été autre chose qu'une ennemie déclarée de la liberté, au point que certains de ses serviteurs ont fini par s'en persuader eux-mêmes. Qui pourrait leur reprocher ? Le clergé lui-même ne cesse de se flageller pour des crimes que l'Église n'a pas commis.

Ne perdant nullement son temps à polémiquer avec ces caricatures qui, pour s'appeler " histoire ", n'en constituent pas moins le compendium de son contraire, sa démonstration prend de la hauteur et repose sur deux points. Le premier, pour résumer très vite une démonstration fondamentale, vient de ce que la Bible sort l'Antiquité du temps cyclique pour révéler le temps linéaire, celui de l'attente. Donc le temps d'une liberté à organiser. Ensuite, la Bible, invente la distinction entre le politique et le religieux, par le biais de l'interpellation du pouvoir politique. Bon connaisseur des exégètes bibliques contemporains, comme Martin Buber, Philippe Nemo, nous présente, dès les Prophètes, une société en perpétuelle opposition au pouvoir politique.

On pourrait, en incidente, rappeler que Hayek et les siens font remonter la liberté économique, support de la liberté tout court, aux conceptions propagées par les religieux de l'école de Salamanque il y a cinq siècles de cela. Évoquant un auteur évidemment inconnu en France, Graham Maddox, Philippe Nemo écrit à propos de son livre, au titre révélateur Religion and the Rise of Democracy :

 

La thèse de Maddox est conforme à une tradition anglo-saxonne constante pour laquelle la religion a joué un rôle positif éminent dans l'éclosion des régimes démocratiques modernes (ne citons, pour l'Angleterre, que Locke, J.S. Mill, Lord Acton ; pour les États-Unis, il faudrait citer tous les prédicateurs de l'époque coloniale, tous les " pères fondateurs " et les hérauts du " Grand Réveil " du début du XIXe siècle : pour tous ces puritains, il va de soi que " Jérusalem " est l'inspiration première de la démocratie). Thèse surprenante du point de vue français, pour qui l'État laïque et libéral moderne est, au contraire, le fruit d'une révolte radicale contre le judéo-christianisme et l'Eglise mais, ajoute Philippe Nemo, la thèse de Maddox est solidement étayée par l'histoire des idées.

 

Ce qu'il prouve dans le dernier tiers de son livre.

La mise en cause, la défiance vis-à-vis du pouvoir temporel finit par aboutir à la séparation du politique et du religieux. Les rois d'Israël ne sont pas en même temps grand prêtre. Ils ne se confondent pas avec les sadducéens et les pharisiens qui se partagent le Temple. L'ensemble de la société juive puis, plus tard, de la société chrétienne, ne peut admettre de rendre le moindre culte à César. Ce sera la pierre d'achoppement qui entraînera la destruction d'Israël et la persécution des premiers chrétiens.

Plus tard, Augustin élabore la théorie des deux cités, pour dégager un espace de compréhension de l'histoire humaine, qui rend sa liberté à Dieu et aux hommes. Mais là encore, Philippe Nemo surprend, en n'accordant à la destinée politique de l'œuvre de saint Augustin qu'un héritage en demi-teinte, comme le sont les théories de l'évêque d'Hippone, beaucoup plus nuancées qu'on ne le croît. " L'augustinisme politique " n'étant, d'ailleurs, qu'un concept politique récent et réducteur.

Avant, en même temps et après Augustin, Philippe Nemo nous apprend (car il faut être modeste, qui connaît vraiment cette face de l'histoire des idées ?) tout ce que les pères de l'Église, des plus inconnus de nos jours, pour notre honte, au plus célèbre mais pas forcément le mieux interprété — saint Thomas — ont apporté à la notion de liberté. Et c'est ainsi que, surprise, Philippe Nemo n'hésite pas à faire de la laïcité une invention et un aboutissement du christianisme. On admettra qu'il y fallut quelques méandres. Et quelques errements avant d'arriver à l'une de ces périodes de synthèse entre la Rome antique et le christianisme que constitue la Renaissance. Là-même où s'arrête ce premier tome. C'est-à-dire au Moyen Âge finissant dans les millénarismes avant que n'éclatent la Réforme et la Contre-Réforme.

Le livre s'arrête là. Le reste, au contraire de ce que disait Kipling, n'est pas une autre histoire. C'est la même qui se poursuit. Mais il faudra attendre le tome II pour la connaître.

a. c.