Résumé : Introduction à la pensée de Benoît XVI : c'est en recourant au Jésus de l'histoire, qui fait un tout avec le Jésus de la foi, que le pape théologien entend répondre à l'étrange pénombre qui affecte l'homme moderne, qui non seulement a perdu Dieu, mais aussi le sens du bien et du mal.

 

 

 

*Ancien vicaire émérite du pape pour le diocèse de Rome, ancien président de la Conférence des évêques d'Italie. le 14 décembre 2006, à l'université pontificale du Latran.

 

 

 

 

 

Selon le cardinal Ruini, le cœur de l'enseignement de Benoît XVI est la question de la vérité de la foi chrétienne . Le point de départ est la crise de la raison, qui traverse le christianisme et l'Occident rationaliste. Paradoxe : c'est en recourant au Jésus de l'histoire, qui fait un tout avec le Jésus de la foi, que Benoît XVI entend répondre à l'étrange pénombre qui affecte l'homme moderne, qui non seulement a perdu Dieu, mais aussi le sens du bien et du mal. En retrouvant Jésus comme vrai Dieu et vrai homme, l'Occident chrétien pourrait se rapprocher des autres cultures et religions du monde et leur offrir sa sincère proposition. Ruini reconnaît que Ratzinger ne se fait pas d'illusions sur l'état de santé actuel de l'Église catholique en particulier et du christianisme en général , mais qu'il fait face à la grandeur, même excessive , de sa tâche, avec la certitude que celui qui croit n'est jamais seul .

 

 

 

 

 

UNE CARACTERISTIQUE DU MAGISTERE DE BENOIT XVI est son grand engagement à l'égard de la question de la vérité de la foi chrétienne dans le contexte historique actuel et par rapport aux formes de rationalité qui prévalent aujourd'hui. En termes théologiques, on peut dire que le pape fait face, dans son style et de façon innovatrice, à la question centrale de l'apologétique, ou comme on le dit de préférence aujourd'hui, de la théologie fondamentale. Le but de cette intervention n'est pas, évidemment, d'approfondir ces problématiques, encore moins d'en faire une présentation complète.

Il s'agit seulement de les introduire, en présentant quelques-unes des principales lignes d'orientation et des clés d'interprétation, à la lumière du magistère de Benoît XVI — en particulier du discours du 12 septembre 2006 à l'Université de Ratisbonne et de celui du 19 octobre au congrès de Vérone, en plus de l'encyclique Deus caritas est — ainsi que de son précédent travail de théologien. Parmi les plus importants de ses livres, je parle essentiellement de Introduzione al Cristianesimo (Introduction au christianisme), édité en Italie par la Queriniana (Introduzione ci-après), et de deux recueils d'essais — Fede Verità Tolleranza. Il cristianesimo e le religioni del mondo (Foi ,Vérité, Tolérance. Le christianisme et les religions du monde), publiée par Cantagalli en 2003 (Fede ci-après), et L'Europa di Benedetto nella crisi delle culture (L'Europe de Benoît dans la crise des cultures), publié en 2005 aussi par Cantagalli (L'Europa ci-après) — ces trois livres étant plus directement liés à notre sujet.

Bien que Benoît XVI ait pris soin de séparer son magistère pontifical de son travail de théologien — comme il a lui-même affirmé dans la préface de son libre Gesù di Nazareth (Jésus de Nazareth) – une profonde correspondance et une unité substantielle existent entre son magistère et sa théologie. Un examen attentif permettrait donc de repérer justement, à travers l'un et l'autre, les lignes fondamentales. Voilà ce que je tâcherai de faire aujourd'hui. Avant de traiter la question, il est utile de faire quelques remarques sur l'approche théologique de Joseph Ratzinger et sur sa façon de procéder.

 

Quelques préliminaires

 

Le pape, qui a enseigné la théologie fondamentale et puis la théologie dogmatique, aborde les problèmes sous l'angle théorique et philosophique. Ce procédé se place dans une perspective avant tout d'ordre historique et concrète. De plus, il éclaire les problématiques contemporaines à la lumière de sa formation biblique, patristique et liturgique. Sa position vis-à-vis de ces questions dénote certainement des capacités critiques aiguës, mais elle est avant tout empreinte de volonté constructive, d'ouverture et même de sympathie. Si on veut se faire une idée de la perception que le pape a de sa formation et de son travail de théologien, on peut lire son livre autobiographique Ma vie, souvenirs , qui est particulièrement intéressant.

Parlons maintenant de notre sujet. Je pense que notre point de départ doit être la conviction, exprimée par le cardinal Ratzinger, qu' à la fin du deuxième millénaire, le christianisme traverse, dans le lieu de sa diffusion originelle, en Europe justement, une crise profonde, basée sur la crise de sa revendication de vérité (Fede, p. 170). Cette crise a deux dimensions : la méfiance envers la possibilité, pour l'homme, de connaître la vérité sur Dieu et sur les affaires divines et les doutes que la science moderne, les sciences naturelles et les sciences historiques ont créés par rapport aux contenus et aux origines du christianisme.

 

 

 

I- LA NATURE ORIGINELLE DU CHRISTIANISME: L'ÊTRE, LE LOGOS ET L'AGAPE

 

 

 

On comprend la gravité et le caractère radical d'une telle crise à la lumière de ce qu'est la nature même du christianisme. Il est certainement vrai que ce n'est pas avant tout une décision éthique ou une grande idée, mais la rencontre avec un événement, avec une Personne, qui donne à la vie un nouvel horizon et par là son orientation décisive (Deus caritas est, n. 1). Il convient de signaler aussi que l'option pour le logos, et non pour le mythe, a caractérisé le christianisme depuis ses débuts. J. Ratzinger soutient avec force cette affirmation, avant tout sur le plan historique, depuis sa première leçon universitaire en 1959, à l'Université de Bonn, intitulée Le Dieu de la foi et le Dieu des philosophes, jusqu'au très récent discours à l'Université de Ratisbonne.

Sur ces bases, déjà bien avant la naissance du Christ, la critique des mythes religieux entreprise par la philosophie grecque — critique qui peut se définir comme l'illuminisme philosophique de l'Antiquité — a trouvé son équivalent dans la critique des faux dieux faite par les prophètes d'Israël (en particulier, le deutéro-Isaïe) au nom du monothéisme yahwistique. Par la suite, la rencontre entre foi judaïque et philosophie grecque a évolué progressivement, s'exprimant aussi dans la traduction grecque de l'Ancien Testament, notamment dans la Septante. Selon Benoît XVI, elle est plus qu'une simple traduction et représente une avancée importante de l'histoire de la Révélation (discours de Ratisbonne). Par conséquent, l'affirmation Au commencement était le Logos , avec laquelle s'amorce le prologue de l'Évangile de Jean, constitue la parole ultime de la notion biblique de Dieu, la parole par laquelle tous les chemins souvent difficiles et tortueux de la foi biblique parviennent à leur but et trouvent leur synthèse (ibid.).

La patristique s'est orientée dans la même direction comme l'audacieuse et incisive phrase de Tertullien le montre — Christ a affirmé être la vérité, pas la coutume (Introduzione, p. 102) — ainsi que le choix net de saint Augustin. Se référant aux trois formes de religion identifiées par l'auteur païen Varron (Marcus Terentius Varro), Augustin place résolument le christianisme dans le cadre de la théologie physique , c'est-à-dire de la rationalité philosophique, et non dans celui de la théologie mythique des poètes ou de la théologie civile des États et des politiques. À la différence des religions païennes désormais privées de vérité aux yeux de la rationalité pré-chrétienne même, le christianisme se présente donc comme une vraie religion et réalise, par rapport à elles, une grande œuvre de démythisation .

Un chemin de ce genre avait déjà commencé au sein du judaïsme, mais il rencontrait encore la difficulté du lien spécial entre l'unique Dieu créateur universel et le seul peuple juif – lien dépassé par le christianisme – dans lequel l'unique Dieu s'offre comme sauveur de tous les peuples, sans discrimination. Dans ce sens, la rencontre entre le message biblique et la pensée philosophique grecque n'a pas été un simple accident, mais la réalisation historique du rapport intrinsèque entre la révélation et la rationalité. Et cela est exactement une des raisons fondamentales de la force de pénétration du christianisme dans le monde gréco-romain (cf. Fede, p.173-180).

Cependant, nous n'avons qu'une moitié du discours : l'autre moitié est constituée par la nouveauté radicale et par la diversité profonde de la révélation biblique par rapport à la rationalité grecque, et cela avant tout, par rapport à l'élément central de la religion : Dieu. J. Ratzinger s'applique vigoureusement à le montrer en examinant les textes bibliques du récit du buisson ardent en Exode III, jusqu'à la formule Je suis que Jésus applique à soi-même dans l'Évangile de Jean. Il démontre que l'unique Dieu de l'Ancien et du Nouveau Testament est l'Être qui existe de soi-même et pour l'éternité, celui que les philosophes recherchaient (Introduzione, p. 79-97). Mais il souligne également que ce Dieu dépasse radicalement ce que les philosophes avaient pensé de Lui.

Premièrement, Dieu est nettement différent de la nature, du monde qu'Il a créé : la physique et la métaphysique parviennent seulement ainsi à se différencier clairement. Et surtout, ce Dieu n'est pas une réalité qui nous est inaccessible, que nous ne pouvons pas rencontrer, et vers laquelle il est inutile de se tourner en prière, comme le pensaient les philosophes. Au contraire, le Dieu biblique aime l'homme et pour cela entre dans notre histoire, donne vie à une authentique histoire d'amour avec Israël, son peuple. En Jésus-Christ, non seulement Il élargit cette histoire d'amour et de salut à toute l'humanité, mais Il l'amène à l'extrême, c'est-à-dire au point où il se retourne contre soi-même , dans la croix de son propre Fils. Il relève ainsi l'homme, le sauve et l'appelle à cette union d'amour avec Lui, qui aboutit dans l'Eucharistie (cf. Deus caritas est, 9-15, où Benoît XVI résume avec grande force ce qu'il avait approfondi dès le début de son travail de théologien).

[Fin de l'extrait] ...

 

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