Quand les politiques veulent décider de l’heure de début du film du soir

Source [Contrepoints] : Une proposition de résolution veut réguler l’horaire des films en soirée. Mais est-ce vraiment le rôle de l’État de s’immiscer dans notre vie privée ?

« En 12 ans, l’heure de début du film du soir a été repoussée de 29 minutes, de 20 h 38 à 21 h 09. »

C’est inadmissible. Enfin, pour le député du Loiret Thomas Ménagé, c’est inadmissible. Tellement inadmissible qu’il a décidé de proposer une loi pour y mettre fin.

https://twitter.com/Thomas_Mng/status/1696175047696691557

 

Enfin, non, pas une loi : une « proposition de résolution, visant à enrayer la tardivité de la diffusion des programmes audiovisuels de première partie de soirée. »

La tardivité, ça claque, ça fait savant. Sauf que, dans le dictionnaire, la tardivité, c’est la qualité d’un végétal tardif, sa capacité à s’épanouir quand on le plante en fin de saison. Mais passons sur cette bizarritude, tardivité, ça sonne mieux que : règlement, formulaire, déclaration, verbalisation, amende, menotte, prison.

Un problème : une loi. Une loi : des fonctionnaires pour la mettre en application. Des fonctionnaires : des procédures absconses et le chausse-pied qui va avec pour y faire entrer les Français.

 

Le rôle de la politique

Passons rapidement sur le fait que pratiquement plus aucun film n’est diffusé en soirée, et que les séries et divertissements raflent largement l’audience : sur la semaine du 28 août au 3 septembre 2023, les cinq principales chaînes ont diffusé cinq films, dont deux le dimanche soir…

Passons également sur le fait que l’on compte plus d’abonnements internet que de foyers, que 65 % des Français sont abonnés à au moins une plateforme de streaming, et donc qu’une large majorité de la population a donc accès à la vidéo à la demande, soit sous forme de location, d’achat, d’abonnement ou de replay, ce qui lui permet de fixer l’heure de visionnage du film…

Passons enfin sur le fait qu’on est loin du temps où les sirènes des usines annonçaient l’embauche à 6 heures du matin et la cloche de l’école sonnait à 7 heures et demie : même en dehors du clair décalage des horaires de travail, les Français ne travaillent pas tous de 9 heures à 17 heures

Passons sur ces évidences qui indiquent qu’en réalité, seule une minuscule minorité est réellement gênée par l’heure de diffusion tardive des rares films diffusés à la télévision, pour nous poser finalement cette question : est-ce effectivement le rôle de la politique de s’occuper de la vie privée des gens ?

 

Hiérarchisation des problèmes

N’y a-t-il pas d’autres problèmes, plus importants, plus impactants, plus graves ?

Ceci dit, il vaut peut-être mieux que les députés passent leur temps à s’occuper des horaires de télévision, plutôt que de problèmes plus importants, compte tenu des résultats qu’ils peuvent parfois obtenir (ou ne pas obtenir) lorsqu’ils se piquent d’en trouver et de les régler.

À quand une proposition de résolution visant à fixer l’heure du petit-déjeuner et le nombre de tartines pendant qu’on y est ? On a déjà eu droit à l’organisation du plan de table à Noël !

C’est vrai quoi : c’est inadmissible cette mode anglo-saxonne de manger des céréales le matin et de risquer ainsi de voir disparaître à terme la bonne baguette française ! Sauf que c’est sans doute plus le prix actuel de la baguette (et le prix de l’électricité pour la cuire) qui risquent de la faire disparaître, mais passons, encore une fois…

 

Hiérarchisation des solutions

Ou restons sur le sujet, justement ! Voilà sans doute un exemple qui illustre parfaitement comment les pires maux découlent des meilleures intentions.

Le prix de la baguette, voilà un sujet qui intéressait les Français et qui inquiétait le gouvernement. Vous vous souvenez ? Il y a à peu près un an ? Nous allions tous mourir de faim, et de froid le matin : la hausse du prix du blé et la dépendance au gaz russe allaient mettre sur la paille des milliers de boulangers et faire disparaître la fameuse baguette qui venait juste d’entrer au patrimoine mondial de l’UNESCO.

Les politiques ont donc décidé quasi unanimement qu’il fallait donner un coup de main aux boulangers en péril. Résultat un an plus tard : les rares artisans boulangers survivants sont loin d’être sortis du pétrin, et en dehors des chaînes et de la grande distribution, la baguette est presque devenue un signe extérieur de richesse.

Personne n’avait prévu qu’obliger de renégocier les contrats en y ajoutant une clause de continuité de service allait déboucher sur une augmentation des prix…

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