Pourquoi Jacques Delors était un père de l’UE 

Source [Conflits] : Lors de son passage à l’émission « L’Heure de vérité » d’A2 le président de la Commission européenne avait écrit dans le livre d’or de l’émission cette phrase qui me semble résumer sa vie et son action européenne : « la chance aide parfois, le courage souvent, le goût de la vérité toujours ». Puissions-nous tous nous en inspirer pour que l’Union européenne reconquière le cœur des Européens comme Jacques Delors avait su le faire.

Les nombreux hommages rendus à Jacques Delors à la suite à sa mort ce 27 décembre 2023 à travers l’Union européenne (UE) sont justifiés, tant il a contribué à la populariser. Pour cela, il restera probablement dans les mémoires comme le plus grand président de la Commission européenne. En tant que fonctionnaire européen ayant travaillé pendant dix ans sous sa présidence, je peux témoigner que parmi les collègues qui l’ont connu — et pas seulement — tout le monde aspire à retrouver un futur président de la Commission comme lui.

Un père de l’UE

Entre 1985 et 1995, il a donné à cette institution ses heures de gloire, sachant concilier la rigueur de l’analyse, la recherche du bien des citoyens et une politique équilibrée pour le bien de chaque État membre. Avant lui, la majorité des citoyens connaissaient à peine l’existence de cette institution. Grâce à quelques politiques qui semblent aux jeunes d’aujourd’hui avoir toujours existé, il a donné à l’UE « une âme », comme il le souhaitait.

Avant lui, la Commission était uniquement technocratique, après lui, elle est devenue uniquement politique. Par exemple, lorsque j’ai rejoint la Commission européenne, mon commissaire à l’énergie était le diplomate belge Étienne Davignon qui, avec Henry Kissinger, avait créé l’Agence internationale de l’énergie au sein de l’OCDE ; à l’époque, la politique énergétique de l’UE était équilibrée et rationnelle et visait à offrir une énergie abondante et bon marché pour tous. Lorsque j’ai pris ma retraite, l’idéologue politique Frans Timmermans, un doctrinaire antinucléaire, a dirigé cette politique cruciale ; appelé « le tsar de l’énergie » pour souligner son autoritarisme manichéen, il a grandement contribué au chaos énergétique actuel. Delors était le juste équilibre entre la rationalité et la politique dans tous les domaines. C’est pourquoi il a laissé un trou si béant à Bruxelles et raison pour laquelle nous ne cessons d’entendre que nous avons besoin d’un nouveau Delors.

A lire également 

L’européisme à la sauce tomate ou comment l’Italie espère rebattre les cartes au Parlement européen

Il a réussi la relance de l’intégration européenne, qui avait été mise en veilleuse après l’enthousiasme des années 50 (traité de Paris, traité de Rome et traité Euratom). Si avant Delors, l’« Europe » était effective et efficace, elle était encore loin des citoyens. La disparition des frontières intérieures, une monnaie unique et la redistribution entre les États membres par le biais des fonds structurels étaient nécessaires pour créer cette « âme » dont rêvait l’ancien ministre français des Finances.

Il lance immédiatement la création du « marché unique » pour remplacer « le marché commun », avec 1992 comme date butoir. À l’époque, le slogan « 1992 » était sur toutes les lèvres, comme « climat » aujourd’hui. Mais c’était un raccourci, car en fait la date était le 31 décembre 1992. L’idée était de donner l’impression d’aller vite, alors que des années de préparation et d’adoption de directives essentielles avaient été nécessaires. L’un des responsables de ces directives, Michel Ayral (qui est devenu mon directeur, promu par son travail acharné pour tenir le délai de 1992), a fait adopter toute une série de directives que des anti-européens se sont plu à ridiculiser tant elles paraissaient tatillonnes.

Lire la suite