Vendredi 7 octobre, l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe a vidé de sa substance deux textes élaborés à partir du rapport de Mme McCafferty (UK, socialiste), un projet de résolution et un projet de recommandation, visant à remettre directement en cause le droit à l'objection du personnel médical face à l'avortement et à l'euthanasie (cf. Décryptage, 1er octobre et 24 septembre). Un réel succès, mais qui n'a pas éliminé certaines ambiguïtés.

L'efficacité de la mobilisation
Grâce à la vigoureuse contre-offensive de tous les défenseurs de la liberté de conscience, cette tentative a échoué : la mobilisation de nombreuses associations, notamment grâce au travail de documentation, d'information et de contre-propositions effectué par plusieurs organisations comme l'European Center for Law and Justice, une ONG d'origine américaine, ou l'Alliance pour les droits de la vie, a porté ses fruits auprès des parlementaires (voir l'interview de Tugdual Derville : "Comment la situation s'est retournée"). Le projet de recommandation de Mme McCafferty a été purement et simplement rejeté. Or il constituait le texte le plus dangereux dans la mesure où son contenu attentatoire à la liberté de conscience était directement adressé aux États.
Tirons-en une première leçon : rien n'est jamais perdu d'avance. Une mobilisation bien orchestrée à partir de dossiers documentés permet de contrer efficacement les lobbies transgressifs.
L'enjeu n'était pas mince : s'il en avait été autrement, il est certain que les partisans du soi-disant droit à l'avortement ou à l'euthanasie eussent triomphé et s'en fussent servi pour peser sur les instances européennes, aussi bien la Cour européenne des droits de l'homme que la Cour de justice de l'Union européenne. Ils ne le pourront pas.
L'affirmation d'un droit à l'objection de conscience
Non seulement le projet de recommandation de Mme McCafferty a été rejeté, mais les parlementaires ont largement réécrit le projet de résolution qui leur était soumis pour y affirmer l'existence du droit à l'objection de conscience, tant en faveur des individus que, et ce point est fondamental, des institutions hospitalières ; droit assorti de celui de demeurer exempt de toute pression et discrimination pour leur refus de réaliser des actes de mort.
C'est ainsi que le premier paragraphe de la résolution dispose expressément :

Nul hôpital, établissement ou personne ne peut faire l'objet de pressions, être tenu responsable ou subir des discriminations d'aucune sorte pour son refus de réaliser, d'accueillir ou d'assister un avortement, une fausse couche provoquée ou une euthanasie, ou de s'y soumettre, ni pour son refus d'accomplir toute intervention visant à provoquer la mort d'un fœtus ou d'un embryon humain, quelles qu'en soient les raisons [1].

Quant au deuxième paragraphe de la résolution, il commence par cette affirmation essentielle : l'Assemblée parlementaire souligne la nécessité d'affirmer le droit à l'objection de conscience...
Une résolution néanmoins ambiguë
À côté de ces affirmations positives, la résolution comporte des éléments qui le sont nettement moins ; notamment l'idée qu'il y a lieu de réglementer l'objection de conscience (même si elle déclare que cette réglementation est en général suffisante) afin d'assurer à chaque patient un droit à recevoir un traitement légal dans un délai approprié . En outre, les États devraient veiller à assurer l'accès aux soins médicaux légaux et protéger le droit à la santé , phraséologie dont le caractère apparemment anodin cache en réalité une assimilation de l'avortement et de l'euthanasie à des soins médicaux dès lors qu'une loi nationale les a autorisés...
Plus loin, la résolution ajoute que les patients doivent être informés en temps utile de tout cas d'objection de conscience et envoyés chez un autre prestataire , et que doit leur être garanti un traitement approprié . Ainsi refait surface cette idée pernicieuse d'une balance à assurer entre l'objection de conscience et les actes de mort contre lesquels elle s'insurge.
Sans doute était-ce le prix à payer pour obtenir une majorité sur une résolution amendée qui reconnaisse le droit à l'objection de conscience tout en rejetant les propositions de Mme McCafferty. La bataille est donc loin d'être définitivement gagnée ; gageons que les lobbies pro-avortement reprendront leur offensive à la première occasion. Mais le coup d'arrêt n'en est pas moins important car la prise de position politique demeurera comme un point d'appui pour tous les défenseurs de la vie.
Les défaillances des parlementaires français
Le projet de recommandation de Mme McCafferty a été rejeté 56 voix contre 51 (et 3 abstentions) : cette courte majorité n'est pas étonnante dans l'état de division profonde où se trouvent les européens sur ces questions. La résolution amendée, elle, n'a été approuvée que par 56 voix contre 51 (et 4 abstentions) : c'est plus étonnant dans la mesure où on aurait pu s'attendre à ce que les concessions rédactionnelles qu'elle comporte rallient quelques parlementaires supplémentaires aux convictions indécises.
Cela signifie sans doute que ces concessions, pour malheureuses qu'elles soient du point de vue des défenseurs de la vie, n'ont sans doute pas suffi à entamer le camp des idéologues de l'avortement. Raison de plus pour craindre la reprise de leurs attaques contre le droit à l'objection de conscience à la première occasion.
Quant aux parlementaires français [2], on ne peut que souligner le manque de cohérence dont ils ont fait preuve. Sur les sept d'entre eux qui ont participé au vote concernant le projet de recommandation (le plus significatif), trois ont voté pour , tous issus du groupe PPE/DC (démocratie chrétienne) et tous membres de la majorité parlementaire en France, alors que les quatre opposants comptaient deux socialistes [3].
Les votes sur la résolution sont plus complexes et ont donné lieu à des chassés-croisés qui peuvent s'expliquer soit par des désaccords sur les compromis rédactionnels, soit par le souhait d'engranger les ambigüités : cette fois-ci, sur les neuf parlementaires français qui ont participé au vote, trois seulement ont voté pour , tous membres du PPE/DC et de l'UMP dont deux avaient aussi voté pour le projet de recommandation, cinq ont voté contre dont deux UMP qui avaient voté contre le projet de résolution et deux socialistes, tandis qu'un socialiste s'abstenait.
Comprenne qui pourra...
Même si il faut se réjouir de ce coup d'arrêt, la lutte n'est pas finie.

[1] Texte provisoire de la résolution tel que diffusé par le Conseil de l'Europe, en attendant l'ajustement des traductions.
[1] Les membres de l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe ne sont pas élus directement, mais délégués par les parlements des pays dont ils proviennent, de façon proportionnelle à leur représentation nationale. Sur un total de 318, les parlementaires français sont au nombre de 18. L'assemblée ne siège pas en permanence mais tient quatre sessions par an ; dans l'intervalle, le travail se fait au sein d'une des dix commissions.
[3] Les trois parlementaires français qui ont voté pour le projet de recommandation de Mme McCafferty sont Alain Cousin, Christine Marin (députés UMP), et Yves Pozzo di Borgo, sénateur Union centriste-UDF ; les quatre opposants sont Maryvonne Blondin, sénatrice socialiste, Muriel Marland-Militello et André Schneider, députés UMP et René Rouquet, député socialiste.
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