Primaire : y a-t-il eu des votes catholique, juif et musulman ?
Primaire : y a-t-il eu des votes catholique, juif et musulman ?

[Source : Par Jérôme Fourquet et Service Infographie]

François Fillon a obtenu 59 % des voix des catholiques pratiquants de droite au premier tour de la primaire et 83 % au second.
 
Jérôme Fourquet est directeur du département opinion et stratégies d'entreprise de l'institut de sondages Ifop.
 
L'analyse détaillée des bureaux de vote permet de souligner la forte composante religieuse du scrutin ayant désigné le candidat de la droite.

Des catholiques très mobilisés et très fillonistes
L'électorat catholique pratiquant de droite, qui représente environ 15 % de l'ensemble de l'électorat de droite, s'est nettement plus mobilisé que la moyenne des électeurs de droite. 36 % d'entre eux ont participé au premier tour de la primaire, contre 27 % pour l'ensemble des sympathisants Républicains. François Fillon s'est taillé la part du lion de cette composante, avec 59 % de ces catholiques pratiquants de droite, 10 points de plus qu'auprès de l'ensemble des électeurs LR.
Même s'ils n'ont pas voté de manière monolithique: 27 % optant pour Nicolas Sarkozy et 11 % pour Alain Juppé.
Si certains catholiques engagés ont soutenu Jean-Frédéric Poisson, ces électeurs ont majoritairement fait le choix du vote utile. Ainsi à Versailles, bastion catholique et haut lieu de mobilisation de la Manif pour tous, Jean-Frédéric Poisson obtient des scores très supérieurs à sa moyenne nationale mais ne franchit quasiment jamais la barre des 10 % quand François Fillon atteint entre 52 et 67 % dans ces bureaux de vote au premier tour. Dans les deux bureaux de vote de Rambouillet, dont il est élu, Poisson obtient 11,1 et 16,5 % des voix, mais loin derrière Fillon. Dans d'autres communes bourgeoises des Yvelines à plus faible tradition catholique, il ne recueille que peu de suffrages: 57,3 % pour Fillon contre 2,7 % pour Poisson à Saint-Nom-la-Bretèche, 57,9 % contre 2,3 % au Vésinet, 57,5 % contre 1,3 % à Croissy-sur-Seine.
Finistère, Manche… vote Fillon et clivages locaux
Si les très bons scores de Fillon dans les encore assez catholiques Pays de la Loire peuvent aussi s'expliquer par un «effet fief», les écarts entre différents terroirs d'un même département dans d'autres régions renvoient clairement au degré de présence (ou de survivance) du catholicisme. Il en va ainsi du Finistère, où le député de Paris franchit au premier tour la barre des 50 % dans plusieurs bureaux de vote du nord Finistère, notamment du Léon, zone où la pratique reste forte. Ses résultats sont en revanche inférieurs dans le sud du département, notamment en Pays bigouden et en Cornouaille, déchristianisés de longue date.
On constate le même phénomène dans la Manche, avec des scores supérieurs à 50 % dans le sud du département (Avranchin), bocage aux confins de l'Orne, de la Mayenne et de l'Ille-et-Vilaine qui fait figure de bastion catholique conservateur: 62 % à Saint-Pois, 53,8 % à Mortain, 53,4 % à Saint-Hilaire-du-Harcouët, 52,8 % à Brécy. Alors que plus au nord du département, le Cotentin, plus déchristianisé, a moins voté pour lui: 41,8 % à Martinvast, 41,5 % à Beaumont-Hague, 40.5 % aux Pieux et 40,1 % à La Glacerie.
En Ardèche, André Siegfried avait mis en lumière le clivage entre un Nord catholique et un Sud protestant ou déconfessionnalisé
Il en va de même en Ardèche, département dont André Siegfried avait mis en lumière le clivage entre un Nord catholique et un Sud protestant ou déconfessionnalisé. Des différences sensibles apparaissent entre les bureaux de vote septentrionaux (Lamastre: 53,6 %, Annonay: 52,2 %) et ceux situés dans la moitié sud du département: 36 % à Vals-les-Bains et 38,7 % aux Vans par exemple.
Dans les Deux-Sèvres, où il existe également une ligne de fracture entre le bocage du Nord, où la pratique catholique demeure encore vivace, et un Sud plus déchristianisé, le contraste a été encore renforcé par le positionnement géographique du département situé aux confins des zones d'influence respectives des deux finalistes. Le nord du département est limitrophe des Pays de la Loire, fief de François Fillon, quand le sud des Deux-Sèvres et la région de Niort sont dans la grande aire d'influence de la métropole bordelaise. Au premier tour, François Fillon domine ainsi très largement dans l'arrondissement de Bressuire au nord du département alors que ses scores sont nettement moins élevés dans le sud déchristianisé, où Alain Juppé fait jeu égal avec lui voire le devance dans certains bureaux de vote.
Dans les Pyrénées-Atlantiques, avec une pratique religieuse encore élevée, le vote Fillon y a été proportionnellement moins fort dans ce département aquitain (zone juppéiste) dominé par la figure de François Bayrou, maire de Pau et fervent supporteur du maire de Bordeaux. Mais, là encore, il existe un contraste géographique. Sauf exception, François Fillon domine sur la côte et dans le Pays basque, quand Alain Juppé vire en tête dans le Béarn.
Le succès des thèmes portés par le député de Paris
Les thèmes mis en avant par François Fillon expliquent l'écho rencontré auprès des catholiques de droite. Le député de Paris a ainsi accordé une large place à la défense de la famille traditionnelle. Avec notamment sa promesse de remplacer l'adoption plénière par l'adoption simple pour les couples homosexuels. De même, son engagement fort en faveur des chrétiens d'Orient a été remarqué et apprécié.
L'ancien premier ministre a également abordé sans fard la question de l'islam et de l'islamisme. Se sentant minoritaires dans leur propre pays, bon nombre de catholiques vivent avec inquiétude le développement de l'islam en France.
 

François Fillon, qui surclasse déjà très largement son rival dans l'électorat de droite en général avec un score de 75 %, atteint 83 % parmi les catholiques pratiquants de droite
Le trouble profond suscité dans ces milieux par le meurtre du prêtre de Saint-Etienne-du-Rouvray par deux djihadistes est venu renforcer l'image menaçante que l'islam avait auprès de certains. Au lendemain de cet attentat, la sécurité et la lutte contre le terrorisme apparaissent ainsi comme la priorité numéro un des Français (58 % de citations), et cette focalisation est encore plus spectaculaire parmi les catholiques pratiquants. Les prises de position de François Fillon sont apparues en phase avec ce ressenti. Dans la même veine, il a rappelé à de multiples reprises son opposition à des mesures plus strictes en matière de laïcité ayant pour effet de brider l'expression des convictions religieuses notamment des chrétiens qui seraient en quelque sorte des victimes collatérales des tensions entre la République et une partie de la population musulmane.
Les angles d'attaque d'Alain Juppé dans la campagne de l'entre-deux-tours ont encore amplifié la mobilisation de cet électorat en faveur de François Fillon. 40 % d'entre eux ont ainsi participé au second tour (contre 27 % en moyenne dans l'ensemble des sympathisants des Républicains) et ont massivement plébiscité le député de Paris. François Fillon, qui surclasse déjà très largement son rival dans l'électorat de droite en général avec un score de 75 %, atteint 83 % parmi les catholiques pratiquants de droite contre 73 % parmi les non-pratiquants et 70 % auprès des sans religion de droite.
Sarkozy fort au sein de la communauté juive
L'analyse des bureaux de vote dans certains départements fait apparaître un vote de l'électorat juif en faveur de Nicolas Sarkozy. Dans le XVIIIe arrondissement de Paris, où il n'a obtenu en moyenne que 13,7 % des voix, Sarkozy atteint 28,2 % dans le bureau situé 40 bis rue Manin, au cœur d'un quartier juif et 28,1 % dans celui implanté 152 rue d'Aubervilliers. C'est dans ces deux bureaux de l'est parisien, et pas dans les XVIe ou VIIIe arrondissement, qu'il a enregistré ses meilleurs résultats à Paris.
 
On retrouve le même phénomène dans le Val-d'Oise, avec des scores très au-dessus de la moyenne départementale dans deux bureaux de vote de Sarcelles englobant le quartier juif de cette ville, appelé la Petite Jérusalem, et dans deux bureaux de villes voisines de Garges-lès-Gonesse et Saint-Brice-sous-Forêt, où sont également présentes des communautés juives importantes. C'est également le cas dans le Val-de-Marne dans trois bureaux de Créteil, dans un bureau de Saint-Mandé, situé non loin de l'Hyper Cacher de la porte de Vincennes, visé par Amedy Coulibaly, et dans un bureau d'Alfortville.
Juppé en tête dans les quartiers à forte population d'origine musulmane
Dans des bureaux de vote correspondant à des quartiers ou des communes à forte population originaire de pays musulmans, on constate un vote massif en faveur d'Alain Juppé. On peut penser que le réflexe anti-Sarkozy, toujours très vivace parmi ces électeurs, a incité certains d'entre eux à participer à la primaire et à voter pour Alain Juppé. La Seine-Saint-Denis est avec six départements de son fief aquitain, l'un des seuls départements à l'avoir placé en tête au premier tour. Le maire de Bordeaux obtient 82,8 % à La Courneuve, 46,5 % à Saint-Denis, 42,7 % à Saint-Ouen, 42 % à Aubervilliers ou 39,8 % à Clichy-sous-Bois. Les scores sont également impressionnants dans des quartiers à très forte proportion d'habitants issus de l'immigration: 81,7 % dans le bureau situé rue Félix-Pyat dans le IIIe arrondissement de Marseille ou encore 75,4 % à Mantes-la-Jolie dans le bureau implanté dans le centre commercial de Mantes-2. Les sarkozystes avaient raillé le déplacement d'Alain Juppé sur la dalle d'Argenteuil en arguant qu'il n'y avait pas d'électeurs de droite. Les résultats montrent que ce déplacement n'a pas été vain, puisque le maire de Bordeaux arrive en tête dans 4 des 9 bureaux de cette ville, avec des scores proches de 40 %. Dans certains départements de province, les communes marquées par une forte présence de l'immigration constituent les seuls territoires où Alain Juppé a viré en tête au premier tour. C'est le cas notamment dans l'Oise, avec un score de 41,2 % à Creil et 38,2 % à Montataire contre une moyenne départementale de seulement 22,8 %.
Jérôme Fourquet
Cet article est publié dans l'édition du Figaro du 07/12/2016.