Liberté de conscience : le déshonneur du droit
Article rédigé par Guillaume Bernard, le 29 novembre 2013 Liberté de conscience : le déshonneur du droit

Alors qu’elle est un principe constitutionnel, la liberté de conscience est, en raison du positivisme juridique, protégée de manière toute relative. Les explications de Guillaume Bernard dans une tribune publiée par Valeurs actuelles, le 25 novembre 2013.

[Valeurs actuelles] — Le Conseil constitutionnel a proclamé, le 23 novembre 1977, que la liberté de conscience était un principe fondamental reconnu par les lois de la République. Principe constitutionnel, elle s’enracine dans l’article 10 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 et l’alinéa 5 du Préambule de la Constitution de 1946. Or, les sages de la rue de Montpensier ont, ce 18 octobre, considéré qu’il n’était pas inconstitutionnel que le législateur n’ait pas prévu de clause de conscience permettant aux officiers d’état civil qui le souhaiteraient de s’abstenir de célébrer un “mariage” homosexuel. Il est vrai que, si la liberté de conscience est un principe général, l’objection de conscience — consistant dans le refus d’accomplir, au nom de convictions morales, certains actes juridiquement exigibles — n’est qu’exceptionnelle : elle doit être explicitement prévue par la loi. Ainsi, existe-t-il des clauses de conscience pour certaines professions (avocats) mais pas pour d’autres : les pharmaciens ne peuvent refuser de vendre, sauf rupture de stock, des produits abortifs ou contraceptifs.

La position de la haute juridiction pourrait être compréhensible si le maire, à qui l’État confie la tâche de célébrer les mariages, était exclusivement l’un de ses agents. Or, il n’est officier d’état civil que parce qu’il est, d’abord, un élu local choisi en fonction de ses idées. Dans ces conditions, l’absence d’une clause de conscience est, à l’évidence, problématique. Pour s’assurer du bon fonctionnement du service public de l’état civil, le législateur pouvait prévoir que le préfet, en cas d’abstention du maire et de ses adjoints, désigne un fonctionnaire. Une telle disposition aurait permis de ne pas contraindre les élus municipaux (fermes dans leurs convictions…) soit à encourir des sanctions pénales, soit à devoir démissionner de leurs mandats pourtant confiés par les citoyens souverains.

Depuis quelques années, la limitation de la liberté de conscience s’affirme. La loi du 4 juillet 2001 contraint le médecin qui ne veut pas pratiquer d’avortements à rediriger l’intéressée vers des praticiens réalisant de tels actes. En outre, même si le chef d’un service (public) d’obstétrique et de gynécologie ne veut pas faire lui-même d’IVG, il doit les rendre possibles. Quant au Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes, il préconise la suppression de la clause de conscience spéciale permettant au personnel soignant de n’être jamais tenu de réaliser un avortement, sous prétexte qu’il existe une disposition générale du même type concernant tous les actes médicaux. Cette recommandation s’inscrit dans l’objectif visant à faire de l’IVG non plus une dérogation — la dépénalisation d’une infraction — mais un droitcréance opposable à la société, voire aux tiers.

La protection de la liberté de conscience est très relative parce qu’elle s’inscrit dans un système juridique positiviste : est juste ce qui est légal. Le droit moderne admet que la personne ne l’approuve pas (liberté de pensée), mais ne l’autorise à s’y soustraire que dans des cas particuliers prévus par lui-même. La conscience ne peut pas s’extérioriser, de la même manière que la laïcité relègue la religion dans la sphère privée. L’individu se retrouve donc écartelé entre son for interne théoriquement libre et son for externe généralement contraint. La liberté de conscience moderne révèle, là, son vrai visage : quand elle contribue à détruire la société traditionnelle, son subjectivisme est admis ; mais, dans le cadre d’un régime idéologique progressiste, elle doit être muselée.

À l’inverse, du point de vue classique, la liberté de conscience ne consiste pas en une exaltation de l’individualisme ; elle n’est pas une fin mais un moyen permettant de préserver la hiérarchie des normes. Comme il existe un ordre des choses dans lequel l’homme est inscrit, sa liberté de conscience incarne la limitation, pour le pouvoir, de contraindre les personnes à collaborer à des actions contestables. Quand le droit positif viole le droit naturel, la droite conscience dicte le refus d’obéir au premier en raison de la supériorité du second.

Guillaume Bernard est maître de conférences HDR à l’Institut catholique d’études supérieures.

@Valeurs

 

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