La question de l’appartenance, et de la sortie, de l’Union Européenne est l’un des plus grands tabous de la vie politique française. Alors que près de 55 % des Français se sont prononcés contre le traité établissant une Constitution européenne en 2005, en 2024, à l’aube des élections européennes, les partisans d’un « Frexit » (une sortie de l’UE pour la France) sont marginaux ou marginalisés.

Il ne s’agit pas ici de trancher cette question, de se ranger dans un camp « européiste » ou « souverainiste », mais de relever l’étonnant non-dit autour du sujet.

 

Aujourd’hui, une personnalité politique européenne sera disqualifiée si elle défend une sortie du giron bruxellois, mais pas si elle s’attaque à l’immigration. Le récent cas de Geert Wilders aux Pays-Bas, celui de Meloni en Italie en ont été des illustrations, tout comme le revirement du Rassemblement National sur la question européenne en 2017.

 

Ce revirement était-il nécessaire ? Idéologiquement et en matière de conviction pure, chacun aura son avis sur la question, mais en termes électoraux, il semble bien qu’une certaine raideur vis-à-vis de l’UE crispe. Il ne s’agit pas d’une crispation directe de l’opinion mais plus d’un filtre médiatique qui est déposé sur les candidatures considérées comme « eurosceptiques ».

 

Changer l’UE de l’intérieur, la quitter : quelle marge de manœuvre ?

 

Naviguer à contre-courant en Union Européenne est possible mais pas éternellement et dans certaines circonstances. Le Hongrois Viktor Orban le montre, la Pologne l’a fait, un temps, au moins dans une certaine mesure en matière de questions sociétales.

 

La pression demeure très forte sur ceux qui ne s’alignent pas sur le catéchisme idéologique bruxellois.

Qu’en serait-il en cas de victoire de candidats dits « eurosceptiques » dans l’un des deux pays phares du continent : la France ou l’Allemagne ? On peut imaginer que l’importance budgétaire des deux premiers contributeurs nets donnerait une certaine marge de manœuvre à un chef d’État d’un de nos deux pays pour changer la donne. Dans une certaine mesure, l’Allemagne fait déjà valoir ce statut pour arriver à ses fins économiquement et en matière d’énergie. Reste à savoir si un dirigeant français réputé « eurosceptique » serait en mesure, personnellement, d’avoir le courage d’imposer sa loi à la machine européenne.

 

En effet, si l’UE coûte cher à la France, que ses normes paralysent une partie de l’économie et que sa morale progressiste nous étouffe, il faut bien avoir à l’esprit que l’indépendance nécessite compétence, détermination et rigueur.

 

Le déclin généralisé des élites et de la population en France peut laisser penser que renouer avec l’autonomie reviendrait aujourd’hui à déplacer la médiocrité bureaucratique de Bruxelles à Paris.

 

Vers une Europe de transition ?

 

Pour 2024, les projections électorales, même les plus favorables aux partis patriotes et souverainistes, ne laissent aucune chance à ce camp qui, par ailleurs, est divisé. Il est difficile d’imaginer à court terme le centre droit (PPE) se tourner vers des droites souverainistes, même si un rapprochement à plus longue échéance n’est pas idéologiquement impossible.

 

Les grandes manœuvres européennes ne se feront pas en juin. Le sort du Continent est étroitement lié à son tuteur étasunien, et l’élection du président des États-Unis à la fin de l’année pourrait rebattre les cartes sur le Vieux Continent plus que notre propre vote.

 

Nous demeurons ici dans le domaine de l’hypothétique, et la victoire, incertaine, de Donald Trump pourrait signer la fin du soutien américain à l’Ukraine et contraindre l’UE à un engagement total dans ce dossier ou à son abandon…

 

Le paysage politique qui ressortira du scrutin de juin permettra de compter les points en France deux ans avant la présidentielle mais le visage du parlement européen ne devrait pas présenter les traits que d’une chambre monocamérale en transition, tiraillée comme toujours entre des sensibilités idéologiques variées et des intérêts nationaux divergents, une sorte de condensé du pire du parlementarisme auquel seul un Etat plurinational peut donner lieu.

 

Olivier Frèrejacques

Président de Liberté politique