Remaniement : l'heure des costauds
Article rédigé par Thibaut Dary, le 04 mars 2011

Annoncé depuis plusieurs jours comme inéluctable, le remaniement du gouvernement de François Fillon a été officialisé le dimanche 27 février en fin d'après-midi. Au départ forcé du ministre des Affaires étrangères Michèle Alliot-Marie, s'ajoute le renforcement d'une équipe taillée en vue de la campagne de 2012.

C'était devenu intenable pour elle, et inévitable pour lui : Michèle Alliot-Marie, ministre des Affaires étrangères depuis trois mois, a remis dimanche 27 février à 15h30 sa démission au président de la République, qui l'a acceptée.

De maladresses en révélations, le début de l'année 2011 aura été fatal à MAM, lui réservant une sortie violente, après huit années passées sans interruption au gouvernement. Sa proposition d'une assistance technique aux forces de sécurité intérieure tunisiennes face aux manifestants, le 11 janvier devant l'Assemblée nationale, était déjà mal passée, donnant l'image d'une France insensible et du côté de la matraque. Mais avec les révélations de ses vacances sur place fin 2010 alors qu'éclatait la révolution populaire, de ses rencontres tout sauf  fortuites  avec Aziz Miled, homme d'affaires proche du régime du président Ben Ali, et des achats immobiliers conclus par ses propres parents à cette occasion, les accusations de complaisance intéressée prenaient toute leur consistance.

Ces dernières semaines, le Quai d'Orsay donnait de plus en plus l'impression d'un navire au pilote décrédibilisé et emporté par la tempête, apportant chaque jour une nouvelle eau au moulin médiatique qui n'en demandait pas tant. Boris Boillon, à peine nommé nouvel ambassadeur en Tunisie le 26 janvier, et missionné pour renouer la confiance avec la France, s'emportait le 16 février face aux journalistes locaux, devant les caméras... Simultanément, la France s'attirait l'exaspération du Mexique à force de mises en doute publiques sur la condamnation de la Française Florence Cassez dans l'affaire du gang Vallarta. Michèle Alliot-Marie se faisait quasiment invisible, tandis que Christine Lagarde et Laurent Wauquiez gagnaient la Tunisie le 22 février pour  une visite d'amitié et de travail  censée rattraper ses ratés.

L'ambiance tournait au vinaigre avec les déclarations successives de collectifs de diplomates anonymes : le groupe  Marly , dénonçait dans Le Monde du 23 février  l'amateurisme, l'impulsivité et les préoccupations médiatiques  de la diplomatie française sous l'ère Sarkozy. Le 24, Le Figaro publiait le contre-feu du  Rostand , qui défendait une nouvelle diplomatie,  dépoussiérée et tournée vers l'action . Le 27, c'était au tour du groupe  Albert Camus  qui dans Libération, accusait tout bonnement  une erreur dans le choix du titulaire du Quai d'Orsay .

Fin du chahut

Il fallait trancher, et siffler la fin du chahut. Décidé le mercredi 23 avant le conseil des ministres, le départ de MAM a été implicitement annoncé dimanche soir par Nicolas Sarkozy. Dans une allocution télévisée, il déclarait aux Français avoir désormais à faire face à  une ère nouvelle dans nos relations avec ces pays dont nous sommes si proches par l'histoire et la géographie , un impératif qui le conduisait à  réorganiser les ministères qui concernent notre diplomatie et notre sécurité .

C'est Alain Juppé qui hérite du Quai d'Orsay, et voit ainsi son rôle de poids lourd s'affirmer encore davantage au sein de la majorité. Nouveau ministre de la Défense depuis novembre 2010, il retrouve un poste qu'il avait déjà occupé entre 1993 et 1995 dans le gouvernement d'Édouard Balladur, en y laissant le souvenir d'une expérience réussie. Un échelon de plus dans le retour en grâce pour ce fidèle de Jacques Chirac, qui aura eu à subir une condamnation à l'inéligibilité en 2004, se sera exilé une année au Québec, avant de reconquérir son mandat de maire de Bordeaux en 2006, pour enfin reprendre place au gouvernement. Le soulagement est palpable dans la majorité, où l'on salue  l'homme d'État, qui saura redonner du lustre à l'image de la France au plan international .

Ce jeu de chaises musicales consacre le retour au gouvernement de Gérard Longuet au poste de ministre de la Défense, après seize ans d'un long processus judiciaire dont il est sorti blanchi. Figure de la droite des années quatre-vingt-dix, président du PR de 1990 à 1995, le sénateur de la Meuse, patron du groupe UMP au Sénat, avait été pressenti pour entrer au gouvernement dès novembre dernier, sans que cette espérance se concrétise. Une déception qui trouve aujourd'hui sa consolation pour ce libéral au verbe vif, symbole d'une droite décomplexée, conseiller politique de Nicolas Sarkozy depuis 2006.

L'autre événement important de ce dimanche vient du départ du gouvernement de Brice Hortefeux, qui abandonne le ministère de l'Intérieur. Fidèle entre les fidèles du Président dont il est un ami de longue date, il est appelé à rester auprès de lui, mais dans une fonction de  conseiller spécial . Un retour dans une situation plus discrète qui lui permettra aussi d'affronter avec moins de dégâts potentiels pour la majorité les étapes à venir des procès pour injure raciale et atteinte à la présomption d'innocence qui lui sont faits, et dont les jugements en appel sont prévus en juin.

 Pas de bug 

Claude Guéant, secrétaire général de l'Elysée et éminence grise de Nicolas Sarkozy depuis dix ans, entre pour sa part dans la lumière, pour rejoindre la place Beauvau. Un poste pour lequel ce haut fonctionnaire, ancien préfet, semble parfaitement taillé. Directeur de cabinet de Nicolas Sarkozy entre 2002 et 2004, puis de 2005 à 2007, quand celui-ci occupait le poste dont il hérite aujourd'hui, il en  connaît tous les rouages . N'ayant jamais affronté le tumulte des campagnes électorales ni la sanction du suffrage universel, Guéant est néanmoins jugé comme  l'homme de la situation  par les policiers, avec de lourds chantiers devant lui.

 Ainsi les fonctions régaliennes de l'État se trouveront-elles préparées à affronter les événements à venir dont nul ne peut prévoir le déroulement , a conclu Nicolas Sarkozy dimanche soir. Mais la réorganisation gouvernementale est inévitablement lue comme la constitution d'une équipe qui saura tenir la barre en prévision des échéances électorales de 2012. Car il faut désormais  des professionnels, des gens sérieux au service de la France , souligne un ministre,  et surtout, pas de bug  !

Avec des sondages très défavorables, une situation économique tendue, et la possibilité de flux migratoires massifs venant d'Afrique du Nord, Nicolas Sarkozy se trouve en effet sous la surveillance d'une opinion extrêmement échaudée, et ne dispose que de très étroites marges de manœuvre. Songeant avec toute sa majorité à une possible réélection, il lui était plus qu'urgent de s'entourer de costauds à toute épreuve, pour maximiser les chances de succès dans l'année difficile qui l'attend.

 

[Sources : Le Figaro, Le Monde, Libération]

 

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