Prison pour enfant (II). Dans la violence et la saleté, le plus dur c'est le mépris
Article rédigé par La Fondation de service politique, le 14 mars 2003

Voici déjà trois semaines que j'ai quitté le sol français pour ce pays magique que sont les Philippines. Notre travail a la prison reste pour le moment assez sommaire, la clé des cellules reste entre les mains des gardes et il n est pas toujours facile de se faire ouvrir les portes.

Aujourd'hui, nous entreprenons un grand cycle de nettoyage, désinfection puis peinture des cellules.

J'entre dans la cellule numéro 4. Quarante-quatre enfants y vivent. Il est 9 heures, les garçons sont étalés sur ce qui a dû un jour ressembler à des nattes. Le leader des lieux est vautré sur deux vrais matelas, un gros oreiller sous la tête, il est gras et mou. Le regard inquisiteur et dominateur, il nous observe avec dédain... Autour de lui, cinq ou six garçons constituent sa cour, ses serviteurs... les petits, les faibles.

Personne ne semble comprendre ce que je viens faire ici avec mon sceau dans une main et mon balai dans l'autre. Le parrain ne daigne pas m'adresser la parole et me confie à son " intendant ", Raffy, quinze ans, sympathique et débrouillard. Il parle à peu près anglais et nous essayons de nous entendre pour organiser le décrassage. Mais les garçons sont las et peu motivés, ils vivent pour certains depuis plus d'un an dans cette crasse et il sera dur de leur faire comprendre l'utilité de l'exercice. Je me mets donc au travail, seul...

Ils me regardent, surpris. Un déclic, un premier me rejoint, puis un autre... Les taches disparaissent peu à peu. Je m'occupe de la " salle de bain " avec trois autres garçons. La salle de bain. C'est la première fois que j'ose y pénétrer... Une infecte odeur d'urine s'en dégage, aucune aération, une chaleur moite, étouffante. Un gros bidon bleu d'environ 500 litres, plein d'eau, occupe le coin gauche ; à côté, un tuyau crache un filet d'eau tiède croupie ; à droite, une cuvette de WC sans réservoir délivre ses effluves pestilentielles. Au sol un carrelage, vieux de quarante ans. Les murs, d'un jaune douteux, sont recouverts de petits carreaux fendus où se nichent des insectes attirés par les ordures qui débordent dans un coin.

Deux enfants, nus, frêles, un chiffon à la main, les plus jeunes de la cellule, m'attendent, quand un gros costaud leur ordonne violemment de se mettre au travail. La relation de force est posée, les petits s'agenouillent et se mettent à frotter sous le regard de la brute. Je me mets aussi au travail ; le grand, gêné, me prie d'arrêter, me faisant comprendre que ce n'est pas mon travail et que, comme lui, je suis là pour surveiller... Je persévère. Toujours aussi gêné, il se propose enfin de m'aider quand le sbire trouve son maître à son tour, Raffy, qui l'expulse avant de couvrir de coups sans raison l'un des petits bonhommes qui frottait le sol avec moi. Le petit tombe, il a mal, mais il rit, un rire philippin, un rire qui sauve l'honneur...

Tout s'est passe très vite. Sous mes yeux, la violence carcérale. Une violence omniprésente, instable ciment de la pyramide hiérarchique de chaque cellule. Je tente de m'interposer. Étonnement. La violence est le seul langage connu ici. Pour les gardiens, elle établit une forme de stabilité et facilite leurs relations avec les enfants qui ne parlent plus que d'une seule voix, celle du leader, tout puissant.

 

Le nettoyage s'achève, c'est l'heure du déjeuner. Les enfants se rendent en silence dans la pièce qui sert de réfectoire. Au menu, sur six grandes tables sans chaises (trop cher), une assiette de riz arrosée d'une sorte de bouillon de légumes. Debout derrière leur table, les petits prisonniers absorbent sans couverts (trop dangereux) leur ration bi-quotidienne.

Pause. Demain, visite médicale. Les corps souffrent, mais la première souffrance des enfants, c'est le mépris. Auprès d'eux, nos meilleures armes sont l'amour et l'espérance. 90% des enfants des prisons viennent de familles séparées, 100% ont subi des sévices de la part de leurs parents. Comment éviter cette misère sans familles unies et stables ? La souffrance de mes garçons, ici, est ineffaçable mais au fond de chacun d'eux brille toujours, bien cachée, une petite lumière. Mais sans l'amour de Dieu, rien n'est possible !

Mabuhay ! Magkita tayo namaya.

À la semaine prochaine,

Charles.

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