Pas de trêve estivale pour les cellules souches
Article rédigé par Pierre-Olivier Arduin*, le 10 septembre 2008

L'actualité scientifique des cellules souches ne connaît pas de répit. Outre les déboires des cellules embryonnaires, la découverte majeure de Yamanaka n'en finit pas de faire parler d'elle.

 

Décidément, le pari d'avoir tout miser sur les cellules souches embryonnaires pour espérer en tirer des applications thérapeutiques chez l'homme s'avère de plus en plus compromis.

La communauté scientifique bute depuis plusieurs mois sur l'instabilité foncière de ces cellules, observée dans de nombreux modèles animaux, à l'origine du développement de tumeurs proportionnel à leur capacité de prolifération. Voilà qu'on apprend en outre qu'elles seraient très mal tolérées sur le plan immunitaire (Genethique, 25 août 2008). Des chercheurs de l'Université de Stanford en ont eu la preuve en étudiant en temps réel le devenir biologique de cellules embryonnaires transplantées chez la souris. Leur durée de vie moyenne n'excède pas la dizaine de jours chez un hôte immunocompétent. En d'autres termes, un organisme normal les repère très facilement comme des corps étrangers pour les éliminer grâce à ses cellules immunitaires dites tueuses . Une contre-performance supplémentaire à ajouter à une liste déjà longue.

Or plusieurs alternatives crédibles existent pour contourner cet obstacle.

D'abord, utiliser des cellules immuno-privilégiées telles les cellules souches issues du sang de cordon dont nous avons largement parlé ici. Afin de profiter du potentiel thérapeutique du sang de cordon, il serait judicieux de mettre en place un réseau de banques de stockage permettant de couvrir le maximum de typages HLA humains. Ce sera un point de réflexion majeur du débat qui s'annonce pour préparer la révision de la loi bioéthique française.

D'autre part, développer des lignées cellulaires à partir des propres cellules du patient. Dans ce cas, on obtient des entités taillées sur mesure et parfaitement compatibles. Illustrons cet aspect en donnant un exemple parmi tant d'autres. La greffe cardiaque de cellules souches prélevées dans la moelle osseuse d'un malade a montré une amélioration spectaculaire de la fonction cardiovasculaire en cas d'infarctus avec un bénéfice persistant après plusieurs mois de recul. Les équipes allemandes en particulier ont conduit de nombreuses études concluantes reposant sur ce protocole.

Révolution scientifique

Autre technique qui donne lieu à l'heure actuelle à une avalanche de publications. La reprogrammation de cellules cutanées en cellules souches pluripotentes dites induites (iPS) dont la découverte revient au désormais célèbre professeur Yamanaka, en course pour le prix Nobel de médecine [1]. Saluée comme une révolution scientifique de premier ordre en fin d'année dernière, entraînant plusieurs chercheurs renommés à renoncer à leurs travaux sur le clonage et la recherche embryonnaires, la méthode inventée par le professeur japonais a braqué cet été sur elle tous les projecteurs.

Deux études de très belle facture sont actuellement sur la sellette. La première provient de l'équipe dirigée par le docteur Kevin Eggan de l'Institut des cellules souches d'Harvard [2]. Ces scientifiques sont parvenus à cultiver des cellules souches iPS à partir de cellules de peau prélevées chez des malades frappés par une affection neurologique redoutable, la sclérose latérale amyotrophique (SLA) ou maladie de Charcot. Cependant, ils ne se sont pas arrêtés à ce stade : ils ont réussi à les transformer en neurones atteints du même dysfonctionnement que celui généré par la SLA. L'intérêt pour la recherche médicale est considérable puisque est offert aux chercheurs la possibilité de travailler très précisément sur des outils cellulaires reproduisant parfaitement les mécanismes de la maladie.

La seconde équipe, issue également de l'Université d'Harvard, a procédé selon le même schéma et a abouti à un résultat aussi probant, mais en recueillant les cellules cutanées dans un large panel de malades souffrant de diverses pathologies telles le diabète de type I, la trisomie 21, la chorée de Huntington, la maladie des bébés bulles , la maladie de Parkinson [3],... George Daley qui a supervisé les travaux s'est félicité des larges perspectives ouvertes dans la compréhension des mécanismes pathologiques et dans la recherche de nouvelles voies thérapeutiques [4]. Il ajoute : Afin d'accélérer la recherche médicale, nous souhaitons désormais produire des lignées cellulaires pour un très grand nombre de maladies, à la fois pour notre équipe, nos collaborateurs, mais aussi pour l'ensemble de la communauté scientifique. Notre travail n'est que le début d'une entreprise qui permettra d'étudier des milliers de maladies dans des boîtes de Petri. Le dernier argument

Derrière ces expériences, c'est ni plus ni moins que le dernier argument avancé par les adeptes de la recherche sur l'embryon qui tombe. Plusieurs scientifiques ont en effet régulièrement mis en avant l'intérêt qu'ils avaient à disposer d'embryons humains malades pour étudier les mécanismes pathologiques à l'échelon cellulaire. Le professeur Marc Peschanski de l'Institut I-Stem justifiait il y a peu la nécessité de bénéficier de modèles cellulaires embryonnaires de la myopathie de Duchenne. L'Agence de biomédecine, suite au décret du 6 février 2006, a autorisé les études sur des embryons atteints rejetés par le tri sélectif du diagnostic préimplantatoire. Oui, mais voilà, dans la liste de maladies qui ont permis aux Américains de développer des lignées de cellules souches induites figurent différentes formes de myopathies. De simples cellules de peau ont suffi pour parvenir à ce résultat ! Autant dire que la recherche sur l'embryon, fût-il malade, vient de prendre en l'espace d'un été un sérieux coup de vieux [5].

Dans sa saisine du Conseil d'État, le Premier ministre demandait que soient relevées les éventuelles lacunes de notre législation en matière de bioéthique. À ce titre, il requerrait un état des lieux précis de la recherche sur les cellules souches : Le régime encadrant les recherches sur les embryons surnuméraires ou sur les cellules souches embryonnaires a-t-il atteint ses objectifs ? La réponse semble toute trouvée.


*Pierre-Olivier Arduin est responsable de la commission bioéthique du diocèse de Fréjus-Toulon. A publié La Bioéthique et l'Embryon (Ed. de l'Emmanuel, 2007).




[1] Le procédé inventé par Yamanaka consiste à intégrer un cocktail de gènes bien particuliers au génome des cellules réceptrices, en l'occurrence des fibroblastes cutanés adultes. C'est l'association de ces gènes qui permet la dédifférenciation et la reprogrammation cellulaires observées.
[2] K. Eggan and al., "Induced pluripotent stem cells generated from patients with ALS can be differentiated into motor neurons", Science, 29 août 2008, 321 (5893) : 1218-21.
[3] G. Daley and al., "Disease specific induced pluripotent stem cell", Cell, 6 août 2008.
[4] Jean-Yves Nau, 2008, le bien bel été des cellules souches , www.medhyg.ch, 20 août 2008.
[5] D'ailleurs Marc Peschanski semble le reconnaître à demi-mot : Tous les laboratoires spécialisés ont choisi de développer cette technique récemment mise au point par Shinya Yamanaka. Ce procédé, qui est maintenant breveté, est étonnamment simple à mettre en œuvre. En toute hypothèse, la production de cellules iPS permet déjà d'envisager de multiples applications très concrètes , Le Monde du 29 août 2008. Va-t-il en tirer les conséquences comme Ian Wilmut en Grande-Bretagne, le père scientifique du clonage, ou James Thomson aux USA, le découvreur des cellules souches embryonnaires, tous deux s'étant ralliés aux travaux de Shinya Yamanaka ?



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