Nigeria, entre pétrole, racket et insécurité
Article rédigé par François Martin*, le 13 mai 2011

Après son analyse des élections nigériennes, (Cf Décryptage du 6 mai : le Nigeria, ou la vie dans la violence) François Martin poursuit son analyse de la situation dans ce pays stratégique pour l'avenir de l'Afrique de l'Ouest.

Le Nigeria est un pays où règne une grande insécurité. Tout le monde le sait, ou plus exactement tout le monde le croit. En réalité, les choses ne sont pas aussi simples. La situation est en effet très différente entre les grandes villes (Lagos, Abuja, Ibadan, Kano, Kaduna, Onitsha même), et ce qui se passe dans la zone pétrolière (Port Harcourt, Warri et, dans une moindre mesure, Aba).

Si, d'une façon générale, le pays est sujet à des crises de violences épidémiques (émeutes et attentats électoraux, pogroms), en réalité les choses ont bien changé en trente ans, depuis la guerre du Biafra, et plus encore depuis la Présidence d'Obasanjo, entre 99 et 2007. Ceux qui s'y rendent régulièrement[1] peuvent attester du fait qu'on y circule maintenant facilement le soir, en ville, ce qui était autrefois difficile. Depuis dix ans, le pays s'est beaucoup enrichi. Une classe moyenne s'est formée. Elle contribue largement  au changement du paysage urbain (ouverture de nombreux magasins et restaurants). A ce titre, certains quartiers de Lagos ou d'Abuja, la capitale, sont aujourd'hui tout à fait modernes. On n'a donc, sauf imprudence caractérisée, et sauf périodes électorales  chaudes , plus de raison particulière d'y craindre enlèvements ou assassinat d'expatriés.

Les choses sont très différentes dans la zone pétrolière : Là-bas, sur fond de pauvreté, on a vu peu à peu s'installer des groupes politico-maffieux, qui ont fait régner la terreur[2] et mis en danger sérieusement la sécurité des ressortissants étrangers. A cela, plusieurs raisons :

Tout d'abord, les compagnies pétrolières ont trop peu pris en compte l'environnement social dans lequel elles opéraient depuis presque 50 ans. Elles n'ont pas suffisamment mesuré l'impact que provoquerait le manque d'infrastructures, d'écoles, de structures médicales, la pollution[3], et ses corollaires, la raréfaction de l'eau potable et des produits de la pêche, provoquées, directement ou indirectement, par leurs activités. Richesses pétrolières gigantesques  d'un côté, misères tragiques de l'autre, évidemment, il est logique que ce soit installé, peu à peu, dans les immenses territoires du  swamp [4], un sentiment de mécontentement profond, qui a favorisé les prédations sauvages dans les pipelines (et donc les pollutions) et le développement des mouvements rebelles.

A ces accusations, les pétroliers répondent que cette prise en compte du développement économico-social de ces zones était bien prévue dans les protocoles d'exploitation, à la charge conjointe des compagnies et des autorités locales, et que ce sont les nigérians qui n'ont pas respecté leur part du contrat, laissant aux pétroliers la totalité de la charge. Ceci n'est sans doute pas faux.

Mais allons plus loin, car au Nigeria, tout est possible[5] : de là à dire que ce sont les autorités locales qui encouragent elles-mêmes, en sous-main, les mouvements rebelles, pour racketter à la fois les compagnies pétrolières, profondément impactées par la baisse de la production[6] et par les enlèvements, et aussi l'Etat Fédéral pour obtenir plus d'importance et plus de moyens, il n'y a qu'un pas qu'on peut facilement franchir. Et plus encore, on peut même se demander si l'Etat fédéral n'est pas lui-même en partie complice de la mise en scène de sa propre insécurité, lorsque l'on sait qu'il prépare, depuis plusieurs années, une profonde réforme du secteur pétrolier au bénéfice, bien entendu, des intérêts locaux[7].

Ce qui milite assez bien pour cette hypothèse, c'est le fait qu'il est infiniment facile, au Nigeria, d'acheter ou d'intimider les personnes, et surtout les pauvres, car leur vie n'y a pas un grand prix. Par ailleurs, la police et l'armée y sont puissantes, même si elles sont corrompues, et l'Etat est riche, nous ne sommes pas en Somalie. Enfin, on sait que lorsqu'elles décident de rétablir l'ordre, les autorités le font souvent avec une brutalité inouïe[8]. On peut donc penser que les forces de l'ordre, si elles le voulaient vraiment, n'auraient pas beaucoup de mal à obtenir des villageois la dénonciation, puis le repérage et la liquidation des rebelles et de leurs matériels. Si elles ne le font pas, c'est que çela arrange  provisoirement certains décideurs politiques.

Tout laisse donc à penser qu'on se trouve, en réalité, au milieu d'un vaste marchandage, une partie de poker menteur, à quatre acteurs, l'Etat fédéral d'une part, les Etats fédérés concernés d'autre part, les compagnies pétrolières, et enfin les grands groupes politico-maffieux locaux, qui attendent à la fois de la reconnaissance politique et de l'argent. Si l'insécurité continue, c'est qu'on n'est pas encore d'accord, visiblement, sur les sommes que chacun doit mettre sur la table[9]. Si les parties prenantes trouvent un accord, on peut penser que les exactions s'éteindront, du moins jusqu'à ce que l'un des acteurs pense qu'il a plus à gagner à ce qu'elles reprennent.

Grandes manœuvres politiques, jeux de chantage et de  qui perd gagne , instrumentalisation des forces politiques et économiques, des populations et des petits, corruption et trafics, tout cela est classique au Nigeria. Mais cela indique aussi une stratégie extrêmement claire, tout sauf une perte de contrôle.

Inquiétant, rassurant ? Les deux, sans doute...

 

 

[1] C'est le cas de l'auteur, depuis 1975.

[2] Le plus connu est le MEND, le Mouvement pour l'Emancipation du Delta du Niger

[3] D'après le gouvernement, 7000 déversements de pétrole se sont produits entre 1970 et 2000

[4] Marécage

[5] Cf article  Le Nigeria, ou la vie dans la violence

[6] Le Nigeria a perdu près d'un Million de barils/jour depuis 2005, passant de 2,5 Millions à 1,5 Millions

[7] Le gouvernement est en passe de mettre en œuvre le PIB (PetroleumIndustry Bill), une vaste réforme de l'industrie pétrolière,  dont le but est de taxer beaucoup plus fortement les compagnies étrangères, et de favorises les intérêts publics et privés nigérians, à un moment où le pays se développe, et où le pétrole ne cesse de monter. Laisser faire sur place une sorte de  politique de la terre brûlée , pour piéger et étrangler les pétroliers étrangers, et racheter ainsi moins cher ces industries peut parfaitement entrer dans ses vues.

[8] N'hésitant pas, par exemple, à envoyer des avions pour mitrailler une manifestation afin de mieux la disperser. Ca s'est déjà fait, à Kano, il y a une quinzaine d'années, laissant plus de 1000 morts.

[9] La réponse des pétroliers a été de mettre pour l'instant, malgré que le pétrole nigérian soit excellent, les nouveaux investissements en  stand by , faisant ainsi chuter, drastiquement, les réserves du pays. Qui perdra le plus à ce jeu ?

 

 

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