Lynchage médiatique ou problème politique ? Pourquoi nous demandons le départ de Frédéric Mitterrand
Article rédigé par Fondation de Service politique, le 14 octobre 2009

De nombreux Français sont choqués par le lynchage médiatico-politique qui s'est abattu sur Frédéric Mitterrand. Certains invoquent le respect de sa vie privée, d'autres s'en tiennent aux regrets que le ministre aurait publiquement affichés ; beaucoup s'effraient d'une proximité inacceptable avec le Front national. Mais c'est l'honneur de la politique qui est en jeu. Voici pourquoi nous avons estimé devoir lancer une pétition demandant le départ de Frédéric Mitterrand. En toute indépendance.

Quand un abcès doit être vidé, on en maîtrise rarement les circonstances : c'est en général à chaud, au détour d'une sale affaire et au mauvais moment qu'on est forcé d'opérer. Vaut-il mieux y renoncer au risque de laisser le mal empirer ? Nous ne le pensons pas. Quatre raisons plaident contre l'attitude du ministre de la Culture et son maintien au gouvernement.
1/ L'exemplarité du responsable politique
Les égarements de Frédéric Mitterrand sont connus du microcosme depuis toujours, mais l'on pouvait croire que son livre de confessions constituait une forme d'exorcisme, certes empreint de complaisance et de voyeurisme, mais digne d'un certain respect à cause de la souffrance qu'il exprimait. C'est pourquoi, lors de sa nomination aux fonctions de ministre de la Culture, malgré toutes les réserves que celle-ci inspirait, il nous a paru inopportun de rappeler publiquement son passé. À ceux qui ont invoqué l'épisode de la femme adultère (Jn VIII, 1-11), nous convenons que jusque là ils avaient raison.
Nous sommes tous peu ou prou dans la situation de la femme adultère, avec nos faiblesses et nos fautes. Reste à savoir quel usage nous en faisons ou quelle correction nous y apportons, notamment lorsque nous avons à exercer des responsabilités publiques : qu'on le veuille ou non, elles exposent leurs détenteurs sur le devant de la scène et les contraignent à rendre compte de leur mission, mais aussi de l'exemple qu'ils donnent. Toute autorité est revêtue d'une dimension d'exemplarité qui est parfois très lourde à porter ; mais on ne peut prétendre à l'une sans devoir assumer l'autre.
Entre 2005 et 2009, M. Frédéric Mitterrand a changé de statut : de personne privée, il est devenu une personne publique, chargée d'une fonction ministérielle. Il est donc porteur d'une part de l'autorité de l'État. Ce ne sont ni sa personne privée et ni ses orientations sexuelles qui sont en cause, mais le ministre dans l'exercice de sa fonction. Sans doute encouragé par les conditions dans lesquelles il a été nommé ministre de la Culture et par la symbolique que ses amis et confrères ont voulu y voir, il a lui-même créé l'amalgame qui se retourne à présent contre lui.
2/ La justification de la faute
En prenant publiquement et officiellement la défense de M. Roman Polanski poursuivi pour viol d'une enfant mineure de treize ans avec circonstances aggravantes, notamment l'usage de stupéfiants, M. Frédéric Mitterrand a non seulement porté atteinte à la souveraineté et à l'exercice de la justice dans deux pays démocratiques et respectables, dérapage devenu banal, mais surtout il a considéré que les faits en question étaient non répréhensibles, voire excusables, au motif qu'ils avaient été commis par un grand artiste, et il y a longtemps ( une affaire ancienne qui n'a pas beaucoup de sens ).
Dès lors qu'il prenait cette position, il devenait légitime qu'on s'intéresse à ses écrits antérieurs pour éclairer son comportement actuel. Ils ont alors pris une autre dimension : a posteriori, mais de façon certaine, ils prenaient une dimension justificatrice en raison de leur contenu même. En effet ce contenu s'inscrivait dans le même registre que celui qui devait être excusé chez un autre. Ainsi, on était conduit à lire son expérience du tourisme sexuel, au cours de laquelle il s'était rendu complice en toute lucidité de la traite des jeunes gens et de leur exploitation sexuelle par des réseaux criminels, non plus comme une confession, mais comme une revendication ou, à tout le moins, comme une banalisation.
3/ L'alibi de la posture littéraire
Appelé à se justifier, M. Mitterrand avait à nouveau la possibilité de prendre de la distance par rapport à ses écrits antérieurs pour montrer que l'homme public d'aujourd'hui n'épousait pas les dérives passées de l'homme privé, mais assumait les exigences de sa fonction de membre du gouvernement de la République. Il n'en a rien fait, bien au contraire, comme l'illustre l'évolution de sa défense depuis une semaine.
D'abord, il a traité la question par le mépris.
Ensuite, par la dénégation.
Dans son entretien diffusé par TF1 le jeudi 8 octobre, il a dénaturé les faits en déclarant qu'il n'avait pas commis de crime , mais simplement une erreur . En prétendant que ses amants d'un soir n'étaient pas des enfants, mais des adultes consentants , il a proféré un mensonge que son propre récit démentait à l'évidence (partout, il évoque des gosses ). Quant à la condamnation du tourisme sexuel, prononcée du bout des lèvres et après que la journaliste qui l'interviewait ait dû insister pour la lui arracher, elle n'était manifestement que de circonstance.
Enfin, par l'euphémisation.

Interviewé dimanche 11 octobre, toujours sur TF1, lors de l'émission Vivement dimanche , il s'est abrité derrière l'alibi littéraire. Qu'il ait voulu faire œuvre littéraire avec son ouvrage La Mauvaise Vie (Robert Laffont), et qu'il y ait montré du talent, est une chose certaine. Dès sa parution cependant, nul ne s'est trompé ni sur la nature autobiographique du récit, ni sur la véracité de son contenu qu'il n'a pas désavoué [1]. Il a poursuivi dans la mise en scène. Est-ce prendre de la distance ou exprimer des regrets que d'invoquer à présent la bonne littérature qui ne se [ferait] pas avec de bons sentiments ? Non, hélas ! surtout après les dénégations antérieures. On ne peut plus lui faire crédit : il y a là trop manifestement une posture à usage conjoncturel, fabriquée pour les besoins de la cause.

4/ La contradiction politique
Cette affaire pose brutalement la question du statut politique et social du monde de la culture, non en tant que tel, mais dans ses comportements les plus déviants et dans sa façon de les utiliser par des transgressions systématiques dont la visée est à la fois commerciale et revendicatrice. Circonstance aggravante : ces transgressions opèrent avec la complicité de l'État et des milieux politiques, toutes tendances confondues ou presque.
Ces derniers jours, le ministre de la Culture a agi comme s'il était normal que certains soient au-dessus des lois et bénéficient d'une immunité particulière, précisément en raison de leur appartenance à ce monde-là. La défense de M. Polanski devait donc s'entendre comme un plaidoyer pro domo. La quasi-unanimité des soutiens dont il bénéficie témoigne moins d'une indignation réelle – on sait comment cela se fabrique – que d'une solidarité de fait dans la banalisation de la transgression, et de l'emprise que les milieux libertaires imprégnés de l'esprit soixante-huitard exercent sur le monde culturel et politique, jusqu'au plus haut niveau de l'État.
Le décalage est cependant très grand entre le monde politico-médiatico-culturel et les réactions de base entendues partout, même si on s'empresse de les étouffer. Si le président de la République persistait dans son refus de vider l'abcès, c'est-à-dire dans son refus d'écarter M. Frédéric Mitterrand du gouvernement, il encourrait un réel risque politique. Ce refus reviendrait à confirmer de facto l'immunité revendiquée. Comment alors empêcher que d'autres s'en emparent à leur profit et que l'État se trouve encore plus en porte-à-faux dans les nombreux domaines où le rejet de la loi, et plus généralement des normes naturelles élémentaires, tend à se généraliser ?
L'enjeu ne se situe pas seulement à l'intérieur, mais aussi à l'extérieur de notre pays : ce n'est pas pour rien que les soutiens à M. Polanski se sont rapidement évanouis hors de France. Confronté à une contradiction aussi flagrante au plus haut niveau avec ses engagements et sa politique affichée, notre pays met sans doute sa crédibilité et la véracité de ceux-ci en balance.
La culture véhicule l'image d'une société : quelle est l'image que nous voulons donner de la nôtre ?

 

 

SIGNEZ la pétition : Je demande la démission du ministre de la Culture Frédéric Mitterrand

[I] Lire les extraits du livre La Mauvaise Vie (Robert Laffont, 2005), p. 296-307, cités par Le Monde. Lire aussi dans Le Point du 15 octobre : Frédéric Mitterrand a oublié son "copain Rachid", à propos du film Mon copain Rachid de Philippe Barassat (1997) (voir le site : http://barassat.com).

 

 

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