Libye : une leçon de l'histoire
Article rédigé par Philippe Oswald, le 08 juillet 2011

Il y aura bientôt un siècle, le 28 septembre 1911, commençait la première intervention militaire aérienne de tous les temps.  Et elle se déroulait...en Libye ! Les avions italiens attaquaient les soldats de l'Empire ottoman. Avec leur douzaine d'avions et leurs deux dirigeables, les Italiens disposaient de la maîtrise totale du ciel. Tout comme les forces de l'Otan aujourd'hui contre les troupes de Kadhafi...et avec un résultat aussi peu probant. Ce n'est qu'en 1932, après l'intervention de 250 000 soldats que les Italiens conquirent (pour peu de temps) la Libye. 21 ans plus tard ! Les insurgés libyens mettront-ils beaucoup moins de temps à investir Tripoli ?

Ce rapprochement audacieux est fait par l'historien israélien Martin van Creveld interviewé à propos de son livre  The Age of Airpower (L'Ere de la puissance aérienne) par le magazine  Guerres et histoire  (n°2). Il y explique qu'après un court  âge d'or  des offensives aériennes culminant à la fin de la Seconde Guerre mondiale, nous sommes revenus à la case départ : la fin des guerres conventionnelles consacre l'impuissance de l'aviation à conclure victorieusement un conflit.  Non seulement l'usage de l'aviation a toujours été problématique dans des guerres mêlant combattants et population, mais l'explosion des coûts des appareils et de leur logistique rend leur production et leur utilisation exorbitante : pour un prix équivalent à celui d'un seul chasseur-bombardier dernier cri d'aujourd'hui, on produisait 170 de ses ancêtres en 1944 ! Quant aux hélicoptères, explique encore Martin van Creveld, ils restent trop vulnérables à basse altitude pour offrir une solution de remplacement satisfaisante (il rappelle au passage que les Américains ont perdu 5000 hélicoptères au Vietnam).

 

Dans l'actuelle intervention aérienne contre la Libye, les drones et les missiles sont entrés dans la danse. Moins coûteux et n'exposant pas la vie d'un pilote, ils n'en restent pas moins dangereux pour la population civile comme pour les rebelles eux-mêmes (pas facile de distinguer du ciel amis et ennemis) et tout aussi impuissants à conclure. C'est au sol que la guerre trouvera son issue. D'où l'aide militaire fournie par la France aux insurgés au grand dam de la Russie qui y voit une extrapolation abusive du mandat de l'Otan. Mais l'opposition à cette aide croissante se manifeste aussi aux États-Unis, où la Chambre des représentants a voté jeudi 7 juillet un amendement demandant la fin de l'entrainement, du soutien et de la livraison d'armes et d'équipements militaires aux rebelles libyens. Une disposition qui aura force de loi, sauf veto du Sénat.

Quant à l'Italie, elle vient de rappeler son porte-aéronefs, le Garibaldi, escomptant une économie de plus de 80 millions d'euros :  Nous avons réduit essentiellement les coûts en Libye: des 142 millions prévus au premier semestre, nous sommes passés à moins de 60 millions pour le second , a déclaré également le 7 juillet le ministre de la Défense, Ignazio La Russa, à l'issue d'un Conseil des ministres qui a adopté une loi de refinancement des missions militaires à l'étranger en forte réduction. De son côté, le président du Conseil italien, Silvio Berlusconi, ne s'est pas privé de souligner les dissensions de l'Otan au sujet de la Libye en rappelant qu'il était, dès le début, hostile à une intervention de l'Alliance contre le régime du colonel Mouammar Kadhafi :  J'étais contre cette initiative, comme chacun le sait , mais j'étais tenu par le vote du parlement de mon pays , a-t-il souligné, assurant que l'Italie s'était vu forcer la main par ses alliés, France et Grande-Bretagne en tête.  J'étais contre et je suis contre cette intervention qui finira d'une façon que personne ne connaît , a-t-il ajouté.

Le fait est que même si l'actuelle offensive des rebelles libyens devait être décisive -ce qui est loin d'être joué malgré l'appui croissant de l'Otan- nous ne sommes pas  sortis de l'auberge  avec la Libye, tant le camp des opposants à Kadhafi paraît divisé. Le Conseil national de transition se déchire en particulier à propos de la place de la religion (forcément musulmane !) dans la Libye de l'après-Kadhafi: une déclaration d'intention selon laquelle la charia doit être l'unique source des lois du pays a fait l'objet de vifs échanges. La division entre l'est du pays (d'où est issu le gros des opposants à Kadhafi) et la Cyrénaïque, à l'ouest, se manifeste également à propos de la place de la femme dans la société : des opposantes venues de l'ouest, où Kadhafi avait eu l'habileté de favoriser une certaine émancipation des femmes, ont eu la désagréable surprise de découvrir leurs consœurs voilées et parquées dans un  carré des femmes  entouré de palissades de deux mètres cinquante de haut sur la Place de la Révolution à Benghazi. Par ailleurs, selon un ex-officiel du CNT (Conseil national de transition) les islamistes ont entrepris d'exploiter les frustrations des habitants de Benghazi dont la guerre aggrave la misère. Est-ce vraiment pour une  nouvelle Libye  de ce type que nous livrons bataille à si grands frais ? Réponse : non, bien sûr, c'est pour le pétrole. Que pèsent la liberté de conscience et le sort des femmes face aux barils d'or noir ?

 

Sources : Guerres et histoire, RFI, Jeune Afrique, Le Figaro

 

 

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