Libye : trop d'ombres pour triompher
Article rédigé par Philippe Oswald, le 22 septembre 2011

Incontestablement, Nicolas Sarkozy a réussi un beau coup double en se rendant à Tripoli et à Benghazi libérés de Kadhafi le 15 septembre, puis à New-York, le 20 septembre. Devant les Nations Unies, c'est auréolé du succès libyen qu'il a endossé le rôle de pacificateur dans le conflit israélo-palestinien. Pourtant, la Libye reste un pays en guerre.

D'intenses combats se poursuivent entre les ex-rebelles  et les forces encore fidèles à Kadhafi retranchées à Beni Walid et à Syrte (la ville natale de Mouammar Kadhafi et le fief de sa tribu, les Kadhafa). Cherchant à rompre leur encerclement et subissant toujours les bombardements de l'Otan, celles-ci résistent avec acharnement, infligeant de lourdes pertes aux forces du CNT (Conseil National de Transition) dont les progrès militaires laissent encore à désirer, malgré leur armement pléthorique (au point que l'Onu s'inquiète de  la prolifération des armes en Libye et son impact potentiel sur la paix et la sécurité dans la région ). Devant les pertes subies, les ex-rebelles annonçaient le 22 septembre, une pause d'une semaine dans les offensives sur Syrte et Beni Walid, officiellement pour faire face à un manque de munitions, consolider les gains et établir  une forte ligne de défense , selon le commandant Moustafa ben Dardef dont la brigade est stoppée à 30 km à l'est de Syrte. (Libération, 22 septembre).

Cette guerre, répétons-le, n'est pas celle du Bien contre le Mal, de la Démocratie contre la Tyrannie, mais un conflit tribal dans un pays qui regorge de pétrole et de gaz. A ce propos, citons les propos incisifs de l'ambassadeur de la Russie à l'Otan, interviewé par Le Figaro (17 septembre) :  Vous pensez que c'est le rendez-vous de l'islam et de la démocratie. Nous croyons que c'est un choix entre un tyran et al-Qaida. (...) Et puis, nous n'avons pas aimé la façon dont l'Otan s'est servi de la résolution de l'ONU pour poursuivre des objectifs qui n'avaient rien de commun avec elle.   La France a joué un rôle prépondérant dans cet engagement contre celui avec lequel elle avait entrepris  d'établir un partenariat d'exception  (Nicolas Sarkozy au colonel Kadhafi, Tripoli, 25 juillet 2007) - y compris en fournissant au  tyran  du matériel militaire et de protection personnelle qui lui est sans doute plus utile que jamais aujourd'hui (notamment, selon le site Mediapart, un 4×4 ultra-sécurisé fabriqué par la société française Bull-Amesys. Vendu 4 millions d'euros, ce véhicule furtif devait permettre à Mouammar Kadhafi de passer entre les bombes ).

Dommage que le motif humanitaire de notre retournement et de notre intervention, éviter un massacre à Benghazi,  ressemble à présent à un engagement partisan qui laisse se perpétrer des exactions contre tous ceux qui sont, à tort ou à raison, soupçonnés d'appartenir au  mauvais camp . Ceux-ci sont loin d'être tous des mercenaires, catégorie dans laquelle sont rangés d'office tous les Noirs venus travailler en Libye.  Le Conseil national de transition doit maîtriser les groupes armés anti-Kadhafi, afin de faire cesser les représailles et les arrestations arbitraires , a déclaré Amnesty International le 13 septembre 2011, à l'occasion de la publication d'un rapport sur les violations des droits humains commises dans le cadre du conflit libyen. Succédant à plusieurs autres, cet avertissement ne semble pas près d'être entendu. Exaspérés par la résistance de Syrte, les forces des ex-rebelles accusent les habitants d'être du côté des Kadhafistes. Les cris de vengeance que rapporte l'envoyé spécial à Syrte du Figaro (19 septembre) font craindre le pire quand la ville (où se trouveraient encore 50.000 habitants) tombera :  Ce sont des civils qui ont bombardé nos combattants. Il faut tous les tuer. Il faut raser cette ville !  lance un assaillant devant le reporter. Dans l'autre camp, la radio de Syrte explique aux habitants :  Ce sont les descendants des Italiens qui ont jadis envahi la Libye qui bombardent nos enfants avec les avions de l'Otan. 

Mais les divisions des Libyens s'étalent aussi dans le camp des (presque) vainqueurs, comme on le voit encore avec les difficiles tractations pour la formation d'un gouvernement de transition.  Nous croyons dans la Libye unie, pas dans la Libye divisée  avait prévenu Nicolas Sarkozy dans son bref discours aux accents gaulliens aux insurgés de Benghazi, le 15 septembre. Le 17, des affrontements fratricides faisaient 12 morts à Tripoli. Le 18, à Benghazi, Mahmoud Jibril, le  chef de l'exécutif  du CNT (il fait office de Premier ministre en charge des affaires internationales et a été invité à ce titre à prendre la parole à l'ONU), annonçait le report  sine die  de l'annonce d'un gouvernement de transition, faute d'une entente entre les nouveaux dirigeants libyens sur la composition de l'équipe chargée de gérer la transition. Au tout nouveau siège de la Libye à l'ONU, il s'est ravisé sous la pression occidentale en annonçant un nouveau gouvernement pour son pays  dans la semaine ou sous dix jours , ce qui paraît bien improbable. Lui-même, ancien membre du régime Kadhafi rallié à la rébellion après un long séjour au Qatar, est accusé par des membres de l'exécutif du CNT de faire cavalier seul, oubliant de consulter plusieurs partis politiques dont les Frères musulmans. Multipliant les gages d'amitié à l'adresse des Occidentaux et notamment des Américains séduits par ce diplômé en Sciences politiques de l'université de Pittsburg, il est dans le collimateur des islamistes qui le soupçonnent, non sans raison, de placer ses pions en vue d'établir un nouvel émirat pétrolier.   Les prémices d'un Etat totalitaire sont palpables dans l'action de Mahmoud Jibril, qui cherche à donner à ses proches les moyens de contrôler l'Etat  a déclaré le chef islamiste Ali Sallabi (Le Figaro, 22 septembre) après la nomination d'un nouveau ministre du pétrole et des finances par Jibril. Celui-ci connaîtra-t-il le sort d'un autre rallié de premier plan, le général Younès, assassiné par les islamistes ?

Lors de la réunion des  amis de la Libye  en marge de l'Assemblée générale de l'ONU à New-York,  Nicolas Sarkozy a réaffirmé sa confiance dans l'instauration d'une démocratie en Libye en balayant la menace représentée par les islamistes. La peur est mauvaise conseillère, a déclaré le président français.  Avec des raisonnements comme celui-là, l'Europe de l'Est ne se serait jamais débarrassée du communisme. Mais précisément, le communisme s'est effondré pacifiquement, sans coup férir, au terme d'une lente décomposition à laquelle ont œuvré, non sans de lourds sacrifices, des témoins de la liberté forts de la culture de leur peuple. Quelle culture de la liberté y a-t-il en Libye ? Et plus généralement,  quelle conception de la liberté se fait-on dans les pays régis par l'islam ? Combien de ces pays a-t-on libérés et démocratisés par les armes ? L'Irak ? L'Afghanistan ? Si l'Otan doit poursuivre sa mission en Libye tant que les populations seront menacées, comme l'a assuré à New-York Nicolas Sarkozy de concert avec Barack Obama, il y a fort à parier que la fin de l'intervention  n'est pas pour demain.

 

Sources : Le Figaro, Libération.fr, LeMonde.fr, Apic, Mediapart.

 

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