Inside job : le grand krach du crédit organisé
Article rédigé par Hélène Bodenez, le 04 janvier 2012

Au moment des vœux présidentiels pour l’année 2012, ouvrons une bouteille à la mer, celle d’Inside job, puisque le Président de la république lui-même aborde la question de la « grave » crise économique, « crise inouïe »,à quelques mois d’une « échéance importante ». La France ne se laissera pas mener par les agences de notation a, en effet, affirmé le Président de la République en ce 31 décembre 2011 à la télévision. Chaque Français ne demande qu’à croire que la dérégulation des marchés financiers qui « choque tant » soit arrêtée.

Comme une bouteille à la mer, la voix de Matt Damon lance la dernière phrase: « Il y a des choses qui valent une bataille ». La conclusion d’Inside Job vous claque à la figure sur fond de statue de la liberté. Sans les tours jumelles. À défaut d’avoir vu ce film documentaire primé aux Oscars 2011 à sa sortie, il faut le voir d’urgence  en DVD. La crise financière de 2008 et ses conséquences économiques expliquées par le menu vous laissent sans voix, « bouillants de rage » comme le prédit la bande annonce. Assommé, vous avez envie alors de partager la colère récente de Michel-Edouard Leclerc à la radio à propos des agences de notation« il faut flinguer tous ces mecs qui viennent nous donner des leçons ». La rébellion doit monter même à retardement et faire lever la force nécessaire pour percer les mystères, lever les secrets d’influences, les opacités, bref les délits d’initiés, de ceux qui déstabilisent plus que l’Islande, le monde entier. La crise de 2008 était évitable, voilà l’argument du film.

Film noir, entre film catastrophe et film de « vrais gangsters »

Comment les États-Unis peuvent-ils en finir avec une déréglementation criminelle, sans accuser les fautifs, sans mettre en prison pour longtemps les responsables d’une telle crise, banquiers braqueurs de banques, ceux  qu’il faut définitivement empêcher de nuire à nouveau ? Comment changer, comment venir à bout de ceux qui à « coups de milliards » continuent d’empêcher toute réforme ? Comment, en un mot comme en dix, empêcher les banques de nuire à la société ? En posant d’abord un diagnostic fin et en le vulgarisant à grande échelle.

C’est ce que fait Charles Ferguson, auteur, réalisateur et producteur d’Inside job. En politologue averti, il conduit des interviews d’une habileté redoutable auprès des plus hautes personnalités de la finance américaine et internationale impliquées dans la crise de septembre 2008 et dont la faillite de Lehman Brothers est le tournant le plus emblématique. Dramatisée au bout d’une heure quatre minutes de film, la vue aérienne du quartier général de la banque fait apparaître à côté de sa tour gigantesque, les deux trous béants des Tours Jumelles. Ce 14 septembre 2008, un troisième écroulement a lieu, une troisième tour s’effondre et « l’ennemi était à l’intérieur » : la spéculation des marchés financiers qui a fait exploser et s’écrouler Lehman Brothers.

Cinq parties structurent le film bâti comme un thriller. Comment en est-on arrivé là ? La bulle. La crise. Responsabilités. Comment changer ? Le spectateur n’en croit pas ses yeux, ses oreilles à chaque image, à chaque réponse des acteurs principaux. Tout concernant les subprimes, les produits dérivés dérégulés, les milliards de CDO toxiques vendus comme sûrs et notés triple A« aussi  sûrs que des bons du trésor », la chaîne de  titrisations, l’effet de levier, les couvertures de défaillances, vous saurez tout, vous comprendrez tout. Tout de « l’épidémie de fraude », tout des établissements financiers qui vendaient d’un côté, assuraient de l’autre côté ce qu’ils qualifiaient entre eux pourtant de « produits merdiques » ; tout des sociétés d’assurance sans liquidités qu’on renfloue sur le dos des contribuables, tout des conflits d’intérêt qui liaient les universités les plus prestigieuses aux lobbies financiers – le secteur financier n’emploie-t-il pas trois mille lobbyistes soit cinq par membre du Congrès, ne dépense-t-il pas cinq milliards en frais de lobbying et en dons politiques ?Vous entrez de plain-pied dans l’univers des produits dérivés de crédit qui « permet n’importe quoi » et des modes de rémunération pervers.

La vérité si je mens

Mauvaise foi, cynisme, bafouillement cocasse, énormes blancs d’une confusion pathétique ponctuent des interviews menées de main de maître. Les protagonistes impunis quant à eux  refusent de voir, ne regrettent rien, pire continuent de plus bel. Le gouvernement d’Obama est à la fin du film identifié comme le « gouvernement de Wall Street ».Les Démocrates ne sortent pas moins coupables que les Républicains, loin de là. On prend les mêmes et on recommence.

Poignantes images de Chine où le salaire de quelques dizaines de dollars est vu comme une bonne rémunération alors que de l’autre côté de l’Océan les milliards valsent pour demeures de luxe avec piscines, jets  privés, yachts. Ceux qui les achètent, corrompus jusqu’à la moelle, ne sortent même pas de la catastrophe qu’ils ont créée « virés » mais simplement « démissionnés » avec obtention de primes indécentes par leur conseil d’administration. Ces ingénieurs de la finance, « vendeurs de rêves » qui virent aux cauchemars, déconnectés depuis longtemps de la société, n’ont obéi qu’à la seule cupidité ainsi que le dit amer un témoin « Ceux qui ont mené leur pays à la catastrophe sortent des décombres fortune intacte ».

Gagner plus en risquant… plus !

Rien n’aura réussi à freiner le cataclysme. Des cassandres s’y sont essayés comme Raghuram Rajan qui se demandait tôt si « le développement financier était un risque pour le monde » ayant mis à jour le mensonge éhonté de ceux qui annonçaient « gagner plus en prenant moins de risques ». D’autres s’étaient effrayés de tant de crédits sans apports de capitaux, avaient peur de voir « le monde entier frappé à la même vitesse en même temps ». Ils voyaient juste.

Les millions de saisies de maisons, les villes de tentes de sans-abris en Floride et ailleurs, le chômage galopant, la récession mondiale en marche émeuvent plus qu’on ne saurait dire tant le spectateur d’Inside job acculé a l’impression que « le tsunami » le menaçant ne fait que commencer ses ravages, s’approche de lui pour reprendre l’image d’une Christine Lagarde, grave dans le film. N’aurait-il en effet qu’à le regarder venir et à se demander seulement « quel maillot il faut mettre » ?

 

INSIDE JOB

Bande annonce

Sur le site Comme au cinéma.

Article du Monde

Autopsie d’une crise financière annoncée.

Article de Libération

Inside job, les effets spécieux de la finance

Article de L’Express- L’Expansion

Inside job, la crise financière primée aux Oscars.

Émission de radio sur France Inter« Le Masque et la plume »(avec une excellente intervention du public -Curseur 49’16-50’30).

Curseur 43’52-50’30

DVD

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