François Ernenwein : Les chrétiens sont porteurs d'une forme d'exigence sur la qualité du débat démocratique
Article rédigé par Antoine Besson, le 13 août 2011

[ENQUETE SUR LES MEDIAS CHRETIENS] Dans le cadre de notre série d'été, libertepolitique.com rencontre les acteurs de la presse chrétienne et tente avec eux de comprendre le rôle qu'ils jouent dans l'actualité et le débat politique. Comment ces médias voient-ils leurs vocations à l'aube de l'année électorale de 2012 ? Cette semaine, François Ernenwein, rédacteur en chef au journal La Croix, répond à nos questions.

La Croix est un journal dont la ligne éditoriale est généraliste et catholique. Qu'est-ce que cela signifie concrètement sur le plan politique ?

Sur la question politique, nous ne prenons pas parti. A l'occasion des présidentielles, nous avons pour habitude de pointer les grandes problématiques de la société en demandant aux principaux candidats de réagir sur des questions que nous estimons importantes pour la France. Concrètement, cela nous permet de ne pas subir les agendas des candidats mais de revenir sur les préoccupations essentielles de la société française.

Par exemple, en 2007, nous avions produit une série d'articles intitulés  ce qui doit changer en France . Dans ce cadre, nous avions exploré une dizaine de thèmes comme la croissance et l'emploi, le partage des richesses, l'accueil de l'immigré, l'école, les banlieues, la France dans le monde, la place des religions, etc...

Notre volonté est de proposer un débat utile à partir de ce qui nous apparaît important. C'est aussi une façon d'échapper aux tactiques électorales. Cette année, nous avons déjà fait une série de quarante pages sur le thème  apprendre autrement . Notre prochaine thématique sera vraisemblablement  travailler autrement  à l'automne et nous ferons  vivre ensemble autrement  au printemps.

Comment traitez-vous ces sujets de façon à ce qu'ils apportent une réelle plus value au débat politique ?

Nous essayons avant tout d'identifier la nature et les termes du débat. Nos dossiers sont constitués de reportages, d'explications, d'analyses,  avec éventuellement les points de vue des principaux candidats en la matière et les aspects programmatiques.

Nous ordonnons toujours ce que disent les candidats à partir des préoccupations essentielles de la société française. Notre agenda n'est donc pas dicté par le microcosme politique. Il cherche à intégrer aussi tout ce qui se passe dans le milieu des associations et dans la société civile en général.

Comment identifiez-vous ces fameux points essentiels dont vous parlez ?

La politique peut être un reflet assez imparfait des préoccupations de la société. Aussi notre rôle est-il de remettre les choses à leur juste place et de pousser le débat dans le sens de ces préoccupations publiques. Il n'y a aucune garantie  parce qu'une question est importante en France et que certaines personnalités en parlent, que le débat sera bien repris par les politiques. Par exemple, sur le sujet du nucléaire, il semble y avoir un consensus entre la droite et la gauche qui n'est pas exactement le reflet des points de vue de la société française sur cette question. En tout cas, le débat n'a pas vraiment lieu. De même, pour les sujets qui concernent davantage notre spécificité catholique, le discours sur la famille dans le monde politique est rarement le même que celui de l'Eglise et des chrétiens en général.

Nous sommes exigeants. La politique est trop importante pour se réduire au jeu des politiques.

Comment, à travers l'ensemble de ces sujets, le journal vit sa spécificité chrétienne ?

Nous portons bien évidemment une attention particulière à la situation et aux points de vue des chrétiens dans la société. Mais nous faisons du journalisme, nous ne fabriquons pas des tracts ! Les lecteurs nous en sont reconnaissants. S'il fallait résumer l'image de La Croix depuis des décennies, il faudrait parler d'un  catholicisme ouvert et disponible au débat avec d'autres .

Cela peut paraître dérisoire mais c'est en fait une exigence au quotidien pour la rédaction. Nous essayons d'éviter an maximum le mélange des genres. Nous séparons donc le fait et le commentaire. Notre spécificité chrétienne intervient davantage dans le choix des sujets. Notre sensibilité aux questions d'éthique en général et de bioéthique en particulier par exemple est liée à notre enracinement chrétien, mais nous relatons avant tout l'actualité.

D'autre part, les gens qui travaillent à La Croix savent pourquoi ils y sont. Il y a peu de turnover au sein de la rédaction. Les gens sont donc là pour longtemps et partagent une communauté de pensée. Il n'y a pas de clivages au sein de la rédaction mais un consensus sur le journal que nous faisons. Ce consensus nous vient directement des valeurs du christianisme. Toutes les sensibilités sont peu ou prou présentes au sein de la rédaction, dans un esprit de dialogue.

Quelle est la vision de La Croix en matière d'engagement du chrétien dans la cité ?

Le texte le plus proche de la position de notre journal vient du Magistère. Il s'agit de Réhabiliter la politique publié par la commission sociale de l'Eglise en 1999.

Moi-même, j'ai souvent participé à des sessions de  la politique, une bonne nouvelle  organisées par les jésuites et qui visent à former les cadres politiques chrétiens. Comme ces initiatives, le journal est sur une ligne d'implication des chrétiens dans la vie politique. Les chrétiens sont porteurs d'une forme d'exigence sur la qualité du débat démocratique, sur les pratiques politiques, sur la transparence... La démocratie n'est pas seulement constituée de procédures mais elle comporte aussi une éthique de la discussion. L'alchimie démocratique, c'est l'opération de décision par le débat. Nous acceptons par conséquent que ce débat puisse être rugueux. .

Pour résumer, nous sommes pour l'engagement en politique. Mais notre déontologie journalistique nous interdit de prendre partie pour tel ou tel camp. Nous pouvons avoir des prises de position fortes (pour la construction européenne par exemple) mais elles sont toujours dictées par nos valeurs chrétiennes et non par une affiliation à un parti. On nous reproche parfois d'être tièdes mais nous sommes au contraire très impliqués dans le débat et pour le dialogue.

Vers quoi s'oriente le débat électoral de votre point de vue ?

Après une campagne 2007 qu'on peut qualifier de flamboyante, nous nous attendons à une campagne 2012 plus sobre. Compte tenu de l'actualité récente, les comportements déviants seront plus difficiles à porter.

Par ailleurs, les rapports de force étant assez équilibrés, la campagne rude .. Il n'y a pas de vainqueur évident, ce qui est très galvanisant pour le débat public.

Du fait de la situation économique actuelle, il y aura sans doute un grand débat sur la question fiscale. Je pense que sur ce plan, l'un des sujets prédominants sera l'équité, c'est-à-dire comment, en période de rigueur, partager l'effort demandé aux Français ? La question de la jeunesse, par le biais de l'éducation ou de l'emploi, sera également assez centrale. Enfin, l'aspect proprement environnemental sera également au cœur du débat. Contrairement aux questions de politique étrangère dans la mesure où elles sont souvent les grandes oubliées des campagnes présidentielles. C'est évidemment  dommage.

 

Propos recueillis par A.B.

 

 

***