Colloque : "Transgression et moeurs politiques"
Article rédigé par Astrid Coeurderoy, le 30 octobre 2009

Compte-rendu de la table ronde organisée par la Fondation de Service politique le 1 octobre 2009 à l'Espave Bernanos (Paris IXe). Quand un ministre revendique le droit littéraire de raconter ses frasques sexuelles avec des gosses , faut-il penser que la transgression a droit de cité dans la sphère politique ? L'exemplarité de l'homme d'État a-t-elle encore un sens ?

  Préserver sa capacité d'indignation. Le Père Lancrey-Javal, curé de la paroisse St-Louis d'Antin, introduit la table ronde en appelant les chrétiens à ne pas se taire devant la transgression. Mais leur cette capacité d'indignation doit demeurer rationnelle pour ne pas devenir source de violence.
Thierry Boutet : Et la probité ?

Thierry Boutet, porte-parole de la Fondation de Service politique, ouvre le débat en posant le concept de probité : du latin probus, honnêteté, soit la vertu de l'homme de bien. La probité est la fidélité au principe que l'on a accepté et reconnu. Cette vertu conduit l'homme à l'impartialité, indissociable de la vie sociale.
Beaucoup d'hommes politiques récusent cette exigence d'exemplarité. Dès lors, il faut s'interroger : la cohérence chez l'homme politique est-elle un critère indispensable pour gouverner droitement ? La notion de probité doit-elle être réintroduite en politique ; et si oui, comment, quand la transgression semble tenir lieu de stratégie politique ?
Christian Vanneste : Le faux visage de la libération
Comment définir la transgression ? Pour le député Christian Vanneste (UMP-Nord), la transgression exerce d'elle-même une certaine fascination sur la population. Elle peut-être assimilée grosso modo à l'esprit soixante-huitard, cette propension jubilatoire à dépasser les frontières, en rebelles ou dissidents .
L'affaire Frédéric Mitterrand n'est pas un accident mais un symptôme. Ces dernières décennies ont vu fleurir des hommes de culture, écrivains et cinéastes, exprimant une grande fascination pour le sulfureux et aimant à jouer avec la beauté du diable. Dans l'entretien télévisé du 8 octobre, Frédéric Mitterrand, interrogé par Laurence Ferrari, se livre, avec talent, à un feu d'artifice d'affirmations émues, utilisant des méthodes de manipulation de l'opinion dont la phrase célèbre empruntée à Gide est un excellent exemple : On ne fait pas de la bonne littérature avec de bons sentiments.
De même que l'Église a ses Pères et ses docteurs, pour le député Vanneste, l'idéologie nihiliste a aussi ses maîtres. Pour pères, le marquis de Sade, Arthur Rimbaud et son Bateau ivre et Friedrich Nietzsche, apôtre de l'irresponsabilité, dont le paroxysme est l'infantilisme. Pour docteurs, se côtoient Georges Bataille et sa Somme a-théologique et le philosophe Michel Foucault avec son idée d'injustice.
Même le sociologue athée Durkheim soulignait l'importance de la frontière entre le sacré et le profane, frontière abolie par les philosophes actuels. La transgression pratiquée aujourd'hui conduit à son anéantissement. Le film les Nuits fauves qui relate la vie d'un homme bisexuel sans limites a été emblématique des années 70-80. Aujourd'hui, même s'il n'est plus le film culte qu'il a été, il demeure très diffusé. Dans son esprit, l'homme se pense libre lorsqu'il brise les tabous.
Politiquement, l'UMP, parti de droite censé représenté certaines valeurs conservatrices comme la famille, l'ordre ou l'équité, est trop souvent composé d'hommes politiques nombrilistes et irresponsables, fasciné par le monde de la jet-set. De haut en bas, on tend à évincer le père, figure d'autorité : le renversement des valeurs est synonyme de libération et de créativité.
L'attitude de Frédéric Mitterrand en est un exemple flagrant ; la perversion objective n'est pas premièrement dans l'âge hypothétique des victimes (au-dessus ou au-dessous de quinze ans), mais dans le sens où l'autre (un prostitué en Thaïlande) n'est pas reconnu comme une personne, mais comme un bien que l'on consomme et que l'on manipule. Cette perversion est liée à la transgression comme un aspect trompeur de la libération de l'interdit, en l'occurrence, le sanctuaire de la personne.
La subversion a un autre visage : celui de la dérision. Quand les principes fondateurs du lien social sont moqués, on atteint le sommet de l'art, la quintessence de l'audace créatrice. Les communicants en sont les principaux responsables. La politique devient soumise à l'égo des anima-tueurs . L'idéologie de la transgression, transmise par les médias, se pense comme une révolution, un ordre nouveau, sans interdits objectifs. Il me faut l'inconnu, la terre étrangère, le pays sans repère déclame Frédéric Mitterrand. Mais lorsque la démocratie prend ce tournant démagogique, où la manipulation de l'opinion exploite les plus bas instincts, le risque est grand de voir apparaître le tyran. Il est temps de se battre pour un ordre inspiré.
François de Lacoste Lareymondie : L'exemplarité de l'homme d'État

Après l'exposé de Christian Vanneste sur l'emploi de la transgression dans la vie politique, culturelle et sociale, François de Lacoste Lareymondie, vice-président de la Fondation de Service politique, revient sur l'affaire Frédéric Mitterrand, dont l'éclatement et l'évolution sont significatives de l'état de la société française.
Trois principaux faits ont rythmé l'événement : la publication d'extraits de la Mauvaise Vie dès le mois de juin ; la prise de position de Frédéric Mitterrand, ministre de la Culture, en faveur du cinéaste Roman Polanski, accusé de crimes sexuels aux États-Unis et arrêté en Suisse en septembre ; puis, début octobre, l'étouffement de l'affaire après le débat sur TF1 avec l'animatrice Laurence Ferrari. L'affaire Jean Sarkozy à l'EPAD prendra le relais dans les médias de façon inopinée.
Trois éléments auraient alors sauvé Frédéric Mitterrand :

  1. la citation tronquée de son livre (évoquant de jeunes garçons au lieu de garçons ), jouant un effet boomerang ;
  2. la réaction de Marine Le Pen, jouant à son insu le rôle de repoussoir ;
  3. la solidarité sans faille de l'ensemble du monde médiatique et de la culture, donnant le la de la pensée éthiquement correcte.

Le ministre de la Culture aura retourné la situation en cadrant la controverse sur l'épouvantable confusion entre homosexualité (revendiquée, mais correcte ) et pédophilie (non prouvée, donc condamnée ). Le reste étant de la littérature , l'accusé est devenu victime... CQFD.

On notera toutefois que le président de la République a peu réagi et a fait montre d'une relative discrétion sur l'affaire. Son instinct politique l'aurait-il prévenu que l'épisode laissera des traces, préjudiciables à son intérêt ?
Le scandale de cette affaire n'est pas moral au sens où la société doit juger une personne sur son comportement privé, mais il est politique au sens où l'intéressé occupe une responsabilité publique, et que ses paroles et ses revendications sont publiques. Sous ce rapport, la confusion est totale : l'autorité de la France et de l'État dans la lutte contre le tourisme sexuel est directement mise en cause. Un ministre doit être publiquement exemplaire.
C‘est la raison pour laquelle la Fondation de Service Politique a réagi. La pétition pour la démission du ministre de la Culture a récolté en quelques jours plus de 7000 signatures, ce qui est un résultat tout à fait honorable. L'affaire n'est sans doute pas définitivement close. Une réflexion de longue portée sur la société actuelle est devenue nécessaire pour recentrer la politique sur son objet initial : le bien commun.
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