Après le scrutin du 7 juin : les grandes illusions
Article rédigé par Roland Hureaux, le 11 juin 2009

Victoire de l'UMP, des Verts, défaite du PS et du MoDem, déconfiture des souverainistes , au moins ceux de droite : voilà comment est présenté le résultat des dernières élections européennes. Tout cela est vrai puisque c'est ainsi que l'a perçu — ou qu'on l'a fait percevoir à l'opinion. En politique, la manière dont les choses sont perçues est une part de la vérité : esse est percipi.

Et pourtant que d'illusions dans cette perception !
Défaite des souverainistes ? Certes, le déclin du Front national est confirmé, le MPF et DLR payent le prix de leur division suicidaire : seul Villiers survit — affaibli.
Mais le fait massif de ces élections est tout de même le taux d'abstention : 59, 2 % soit, en raccourci, le pourcentage d'électeurs qui répondent dans les sondages qu'ils voteraient aujourd'hui "non" à la Constitution européenne. De 1979 à 2009, le taux de participation aux européennes n'a cessé de dégringoler de scrutin en scrutin pour perdre en trente ans près de 20%. Et que l'on ne s'y trompe pas : il ne s'agit pas seulement là d'indifférence. Comment ne pas ressentir l'hostilité sourde à la machine européenne qui sous-tend ce retrait massif ? Comment ne pas y percevoir la crise profonde de la démocratie qu'induit le processus européen ? Et comment ne pas comprendre la désaffection des électeurs qui, en 2005, avaient voté non au traité constitutionnel à 55 % , quand ne sont invités à débattre sur les plateaux de télévision que des partisans du "oui" ou quand on nous dit que le libéral Barroso sera reconduit comme président de la Commission que les élections en Europe soient gagnées par la droite ou par la gauche ?
Victoire de l'UMP ? Mais compte tenu des abstentions, c'est 11, 5 % du corps électoral seulement qui s'est déplacé pour donner un satisfecit au pouvoir en place, et encore ceux qui votent malgré tout quand l'abstention est forte sont les personnes âgées naturellement légitimistes. Les classes jeunes et actives se sont au contraire massivement abstenues. On frémit d'entendre que le gouvernement disposerait dans un tel résultat d'un blanc seing pour poursuivre la modernisation de la France !
Victoire des Verts ? Peut-on encore le dire avec 6,4 % du corps électoral ? Succès tout de même, surtout dans les villes où les bobos ont voté vert pour sanctionner le Parti socialiste, d'autant que ce vote était à peu près la seule manière de faire passer dans cette élection sans enjeu un message ayant quelque contenu, message dont la projection du film d'Artus-Bertrand a rappelé l'urgence. Une projection pas innocente bien entendu, d'autant que Sarkozy et Cohn-Bendit se rencontrent. Victoire ambiguë tout de même : Cohn-Bendit et Bové, les deux figures emblématiques des Verts, ne sont à peu près d'accord sur rien s'agissant de l'Europe. Victoire éphémère sans doute, issue davantage d'une addition de circonstances que d'une véritable adhésion.
L'échec bien réel de Bayrou ne vient nullement, selon nous, de son antisarkozysme supposé primaire. Encore moins de sa riposte maladroite à l'agression odieuse de Cohn-Bendit, bien dans la ligne des méthodes de déstabilisation à la Vichinsky, à base de familiarité grossière et d'injure, dont il faisait un si efficace usage dans les amphis en mai 1968. Loin d'avoir trop déserté le terrain européen, François Bayrou n'a pu empêcher le gros de ses troupes, Marielle de Sarnez en tête, de quitter la posture populiste du centre qui lui avait si bien réussi en 2007, pour revenir à sa pente naturelle : une surenchère européenne qui n'était pas précisément ce que l'opinion attendait. Intrinsèquement, l'Europe n'était-elle d'ailleurs pas, pour le MoDem, le plus mauvais terrain pour se démarquer de l' UMPS qu'il dénonce ?
Quant au parti socialiste, sa défaite est la sanction méritée de ses divisions, de son absence dramatique d'idées et de la grisaille technocratique qu'incarne si bien Martine Aubry, grisaille si judicieusement pointée du doigt par Emmanuel Todd dans un essai récent. Au demeurant comment le parti de Guesde et de Jaurès ne paierait-il pas le prix fort, en pleine crise économique internationale, d'être devenu celui de Strauss-Kahn et de Lamy, les deux papes du capitalisme mondialisé ?
Pourtant, s'agissant du PS, ces résultats ne préjugent en rien de la suite : considérant que ni Cohn-Bendit ni Mélenchon et encore moins Besancenot ne représentent une alternative crédible à gauche, il est à ce scrutin une gagnante qu'on ne saurait négliger : Ségolène Royal, qui voit Martine Aubry affaiblie en interne et François Bayrou en externe. Or on ne voit pas comment le président Sarkozy, la crise et l'usure du pouvoir aidant, pourrait reconquérir une part suffisante des 88,5 % d'électeurs qui n'ont pas daigné voter pour les listes UMP aux européennes. La présidente de Poitou-Charentes risque ainsi d'apparaître le moment venu, pour le meilleur et pour le pire, non seulement comme la candidate naturelle du PS, mais aussi, sauf fait nouveau à ce jour imprévisible, comme l'unique moyen pour les Français de sanctionner le Président sortant, sachant qu'en démocratie — ce scrutin vient de le confirmer par le truchement des abstentions — on vote plus souvent contre que pour.
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