Le pape et l'Église qui est en France (extrait)
Article rédigé par Luc Perrin, le 09 décembre 2008

Par LUC PERRIN,
historien. A publié : L'Affaire Lefebvre (Cerf).
INVITE par Mgr Perrier, évêque de Tarbes et Lourdes, et par l'archevêque de Paris, le pape Benoît XVI a pu constater qu' il est en communion avec les évêques de France, selon la formule renversante , au sens propre, d'un haut prélat français. Le président de la Conférence des évêques de France (C.E.F.) s'est plu à souligner les encouragements donnés à la hiérarchie locale, l'absence de critique publique ou privée et la convergence presque parfaite entre l'évêque de Rome et ses confrères dans l'épiscopat : Sur beaucoup de sujets, il affirme ce que nous avons dit nous-mêmes .

Rive gauche : une brillante vitrine
L'Église de France a réussi à mobiliser les fidèles ; tous les commentateurs, même les plus prévenus à l'égard de la religion ou du catholicisme, en sont convenus. Sans atteindre le caractère massif des Journées mondiales de la Jeunesse, tenues à Paris en 1997, le rassemblement de 250 à 260.000 catholiques pour la messe célébrée devant les Invalides, la foule massée la veille le long des quais au passage de la papamobile à l'issue de la rencontre au collège des Bernardins avec le monde culturel hexagonal, l'exceptionnelle couverture médiatique, tout cela conforte l'impression de succès. La présence de la jeunesse catholique le vendredi soir devant Notre-Dame et plus encore pour la longue veillée dans plusieurs églises parisiennes où la quasi-totalité des sensibilités étaient représentées, voilà qui conforte l'appréciation positive du président de la C.E.F. Ce dernier souligne, dans une interview à l'Osservatore Romano , que l'image de l'Église projetée par ces foules de Paris et de Lourdes est complètement différente de celle qui est habituellement reproduite car on voyait majoritairement des jeunes, étudiants, employés, jeunes familles avec enfants.

Est-ce à dire que les années sombres que l'Église qui est en France a connues de 1960 au début des années 1980 appartiennent désormais à un passé révolu ? Le retour du religieux , si souvent évoqué au cours du pontificat de Jean-Paul II, se serait imposé dans notre pays ? La vitrine de la Rive gauche, comme toutes les vitrines, est un peu trompeuse. Le promeneur pouvait s'en rendre compte aisément pendant la visite de Benoît XVI en venant de la Rive droite. Tandis que les groupes de fidèles convergeaient vers les quais de Seine, Notre-Dame et l'île de la Cité, arborant parfois des t-shirts rouges ou bleus avec le nom du pape, agitant des petits fanions aux couleurs blanc et or du Saint-Siège, sur la Rive droite, c'était un vendredi après-midi ordinaire. Alors qu'à Washington en avril, pour sa visite aux États-Unis, tous les kiosques et boutiques pour touristes exposaient t-shirts, assiettes, posters, tous les bibelots souvenirs à l'effigie du Saint-Père, rien de tel à Paris. Un habitant ou un touriste qui serait demeuré Rive droite, sans prêter attention aux media, n'aurait pas su que de l'autre côté de la Seine se trouvait le Souverain Pontife. Si le maire de Paris était présent parmi les invités aux Bernardins, l'hôtel de Ville demeurait tel qu'il est habituellement, point de signe extérieur spécifique, pas même un drapeau du Saint-Siège. De part et d'autre du fleuve, les deux France — la catholique et la laïque — ne se font plus la guerre comme au temps de la Question laïque mais elles s'ignorent.

Les clercs et militants laïcs savent bien que l'angoisse missionnaire qui étreignait le cardinal Suhard dans sa fameuse lettre pastorale de 1947 demeure, dans une société où ce n'est plus le socialisme athée qui menace mais l'indifférence qui accompagne l'anomie tranquille de notre société libérale. Face à cette indifférence, comment doit réagir le catholicisme français ?

Une visite révélatrice d'une ligne de partage ancienne
On pourrait se demander si Humanæ vitæ ne préfigurait pas une ligne de partage entre un "courant de composition" et un "courant de contradiction". Le premier, selon l'ouverture au monde qu'aurait voulue le concile, s'attache à dégager des domaines de coopération des chrétiens avec les partenaires sociaux en s'appuyant sur des valeurs communes. Le second, né dans les années quatre-vingt, entend redéfinir l'être chrétien et repartir du centre de la foi. [...] Ce courant propose donc un "modèle alternatif" et accepte de jouer le rôle d'une minorité contestatrice, un signe de contradiction. [...] Ainsi s'expliqueraient les tensions du moment en plusieurs Églises de notre continent .

L'analyse de Mgr Bruguès, qui vaut au-delà de notre continent par exemple en Amérique du Nord, rend bien compte de cette ligne de partage qui affleure, en dépit des déclarations unanimistes du cardinal-archevêque de Paris. La réserve et le mécontentement du courant de composition ne se sont pas exprimés ouvertement au sein de l'épiscopat , autrement que par une réduction du rôle effectif de l'évêque de Rome. Mais le courrier des lecteurs du journal La Croix a fait une bonne place à ce courant qui domine, sans être autant hégémonique qu'il le fut, l'Église de France depuis plusieurs décennies. Un lecteur de Seine-Maritime se plaint amèrement, consternation unanime et désarroi : Les réformes attendues, conformes aux décisions de Vatican II, nouveaux ministères, participation des laïcs, communautés locales, dialogue œcuménique, diaconat féminin, etc. ne viennent pas. C'est un total immobilisme et un repli identitaire délibéré (14/10/2008). La référence, rituelle, à Vatican II relève du concile imaginaire : les ministères laïcs, étroitement encadrés, ont été introduits par Paul VI en 1972 et on ne trouvera nulle part de décision conciliaire relative à un diaconat féminin. Nous sommes au cœur de l'herméneutique de la rupture , vigoureusement dénoncée par Benoît XVI dans son allocution à la Curie du 22 décembre 2005. Dans la même veine, un lecteur du diocèse de Poitiers se déclare ulcéré : s'appuyant sur la pastorale locale mise en place par Mgr Rouet, il écrit que l'avenir de l'Église ne peut se construire sur un clergé qui ne recrute plus. [...] Et ce d'autant plus que le célibat reste une condition exclusive de la prêtrise (17/09/2008). Un écho similaire est donné par un prêtre du Lot qui, significativement, relève que beaucoup de personnes de ma génération (60-80 ans) ont été frappées de la sensibilité pré-Vatican II du pape ; et de se réjouir : Heureusement [...], beaucoup de laïcs sont investis de responsabilités par des lettres de mission de leurs évêques (7/10/2008). Une lectrice de Paris et une autre d'Ille-et-Vilaine regrettent toutes deux l'absence de changement quant au sacrement de mariage, et la première s'indigne : Rien de neuf pour entendre une "bonne nouvelle" au féminin ! Rien pour entrouvrir une porte à un diaconat féminin ! (7/10/2008).

 

 

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