Nicolas Sarkozy, bénédiction ou malédiction de la droite ?
Article rédigé par Atlantico, le 24 juillet 2020 Nicolas Sarkozy, bénédiction ou malédiction de la droite ?

Source [Atlantico] Alors qu’il sort un nouveau livre de mémoires consacrées à son quinquennat, l’ancien président de la République demeure la référence de la droite. Il reste le dernier à avoir réalisé une synthèse permettant aux différentes composantes de la droite de se réunir. Son retour éventuel pourrait-il redonner un nouveau souffle aux Républicains ?

Atlantico.fr : Alors que Nicolas Sarkozy, avec la sortie d'un nouveau livre, revient sur les non dits de son quinquennat, peut-on voir cette promotion littéraire comme une tentative pour revenir sur le devant de la scène politique ?

Edouard Husson : Il est évident que, dans la situation où se trouve le pays, un homme de l'expérience de Nicolas Sarkozy pourrait stabiliser la situation. Il a fait ses preuves durant la crise de 2008. Il fut le dernier français capable d'imposer sa volonté à un chancelier allemand. Il a profondément réformé le pays. C'est vrai qu'il s'est fait inutilement des ennemis; souvent par provocation mais aussi parce que le candidat de 2007 n'a jamais complètement revêtu l'habit présidentiel. Et c'est d'ailleurs toute l'ambiguïté de sa position actuelle. Publier un livre tous les étés entretient l'espoir. Mais quel signe Nicolas Sarkozy envoie-t-il pour dire qu'on aurait enfin, complètement, à l'Élysée, le chef d'État qu'il a su être partiellement entre 2007 et 2012? Les dernières impressions politiques que les Français ont eues de Nicolas Sarkozy, c'est un débat présidentiel  avec François Hollande où il n'avait pas su incarner le président sortant au-dessus des partis.Et une primaire de la droite où il fut battu par François Fillon et Alain Juppé. 

Paul-François Paoli : Surement. La politique comme la nature a horreur du vide et sans doute Nicolas Sarkozy cherche t'il à revenir sur le devant de la scène d'une manière ou d'une autre. La droite manque de chef charismatique alors pourquoi pas lui? Psychologiquement son calcul n'est peut être pas complètement absurde. La classe politique française est tellement pauvre en hommes et en tempérements que l'on se dit qu'il n'a pas peut être pas tort de tenter sa chance à nouveau.

Sébastien Laye : Avec un sens historiographique consumé, Sarkozy tente de son vivant de polir sa stature historique par cet exercice autobiographique: la période abordée (2007-2008) est suffisamment ancienne désormais pour qu'il puisse en théorie l'aborder avec sérénité et détachement: mais à dire le vrai, en lisant les premiers extraits, le courroux contre certaines personnalités tels Bayrou, ces premières années du quinquennat avorté sonnent comme plein de regrets et de ressentiments: avec une première année marquée par une distanciation entre lui et le peuple français, puis la survenue de la crise, c'est le noeud gordien du quinquennat et de son échec final que l'on retrouve. Nicolas Sarkozy a été accusé d'avoir été un des premiers présidents à mépriser le passé et le sens hégélien de l'Histoire dont ses prédécesseurs furent si friands: ses succès d'essayiste lui octroient une ultime revanche contre ces détracteurs. Mais il ne faut pas surinvestir le sens de cette gloire littéraire que tous les chefs d'Etat français ont convoité: sa cinglante défaite en 2016 montre que s'il est un phare pour le peuple de Droite, il n'est point un recours. Le contentieux est bien connu: la trahison du rejet du traité constitutionnel européen de 2005 et donc de la volonté populaire, de nombreux reniements sur la discipline budgétaire, les réformes économiques, la politique internationale...L'ère Sarkozy a culminé, en 2012 mais aussi en 2016-2017 en la défaite de la Droite, comme si le dernier des grands politiques de Droite avaient annihilé sa propre famille. Nicolas Sarkozy est lucide sur ces échecs et ces luttes fratricides, et sait qu'il n'est pas en position de revenir se battre contre les autres fauves politiques. Mais il peut être un arbitre, un parrain, un maître des cérémonies sans qui rien ne se fait.

Son retour éventuel en tant père spirituel de la droite française pourrait-il redonner le nouveau souffle que Les Républicains recherchent désespérément pour peser sur la scène politique française ou au contraire renforcera-t-il les dissensions qu'il a contribué à créer ?

Edouard Husson : Pour revenir, Nicolas Sarkozy doit se méfier des Républicains. Non seulement parce qu'ils ne l'ont pas sélectionné comme candidat à l'issue des primaires mais parce que c'est l'état d'esprit LR qui a empêché Nicolas Sarkozy d'être réélu. Le candidat avait gagné l'élection de 2007 en ralliant à lui une partie de l'électorat du Front National. Il avait promis contrôle de l'immigration et rétablissement de la sécurité intérieure. Or l'UMP a considéré qu'il s'agissait d'arguments électoraux ou, comme je l'entendais dire souvent à l'époque, dans les rangs de la majorité présidentielle, qu'il fallait "garder le président de ses propres démons" sur ces sujets. Le résultat c'est que Nicolas Sarkozy a perdu l'électorat Front National en 2012. Bien entendu il était victime aussi du fait qu'il ne suivait pas suffisamment les sujets, une fois qu'il les avait lancés. Et puis aussi de son "esprit d'ouverture", sorte de macronisme avant la lettre. Précisément, aujourd'hui, il doit se méfier d'un parti LR fasciné par Emmanuel Macron et il doit se donner les moyens de rassembler à droite, dans une France dont la majorité est encore plus clairement de droite qu'en 2007. La question pour Nicolas Sarkozy, s'il décidait de revenir, c'est éventuellement la création d'un parti qui lui soit propre - et qui accueille essentiellement des cadres de droite - ceux qu'on peut définir tels à LR, mais aussi des personnalités de la "droite hors les murs"; il pourrait ainsi se situer au-delà de LR et du RN et finalement attirer aussi des transfuges du Rassemblement National. Cela passerait par un vrai mea-culpa sur les promesses non tenues de 2007. 

Paul-François Paoli : Père spirituel surement pas. Mais homme de synthèse pourquoi pas?   Les fractures historiques à droite, telles que les a décrites René Rémond, restent profondes et semblent indépassables. Edouard Philippe pourrait incarner une forme d'orléanisme raisonnable face à Marine Le Pen dont le populisme autoritaire et égalitaire est en fin de compte dans le prolongement du bonapartisme historique. Enfin Marion Maréchal, sans doute la jeune femme politique le plus douée de sa génération, est l'héritière du légitimisme, courant très minoritaire mais qui existe encore, ici et là en Vendée ou dans le sud est. Ces trois courants sont à peu près impossibles à réunir. Entre orléanistes et bonapartistes le fossé est infranchissable car leurs cultures et leurs sociologies sont opposées. Dans ce contexte la force de Nicolas Sarkozy est son côté électron libre. Bonapartiste de tempérement, il est aussi libéral ce qui le rapproche de l'orléanisme. Du reste en 2007 il avait tenté de faire une sorte de synthèse libérale-bonapartiste qui lui a fait gagner les éléctions.

Sébastien Laye : Comme il représente encore un phare et un positionnement clair pour des militants de droite qui vivent dans la nostalgie des victoires passées, ce nouveau souffle serait réel si Nicolas Sarkozy adoubait un héritier ou un nouveau champion: or, en huit ans, afin de ne jamais insulter le futur, il ne s'est jamais livré à cet exercice. Pire, son attitude ambiguë à l'égard de Macron a aidé ce dernier et divisé le peuple de droite; Sarkozy représentait la dernière grande synthèse de droite populaire, rassemblant la droite bonapartiste, la droite orléaniste et la droite conservatrice (pour reprendre la typologie de René Rémond). Mais l'exercice du pouvoir n'a laissé qu'un bonapartisme de conquête personnelle: Macron est dans le même logiciel. Or il reste à la Droite le champs des idées, et donc principalement si on reprend les deux autres droites de Rémond, le libéralisme et le conservatisme. Cette synthèse fut réussie par le candidat Fillon mais elle oubliait aussi la droite sociale et populaire. La droite devrait ignorer les querelles de chef et même laisser le bonapartisme au président Macron, qui n'a plus que cela pour exister dans un vide des idées évident chez Larem. A cet égard, se poser la question d'un retour bonapartiste de Sarkozy est contre productif pour la Droite: le plus capé des généraux de la Droite doit être et demeurer un arbitre, aidant sa famille dans une situation de crise en identifiant les nouveaux leaders qui porteront le nouveau logiciel intellectuel de la Droite.

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