L'alliance de l' Amérique et de l'islamisme.
Article rédigé par Roland Hureaux, le 04 août 2016 L'alliance de l' Amérique et de l'islamisme.

 Le grand secret de l'alliance de l' Amérique et de l'islamisme.

 

Après Orlando, Bachar-el-Assad est-il toujours l’ennemi principal ? se demandent aujourd'hui beaucoup . La réponse nous parait claire  : évidemment oui.

Que juste après l'attentat,  les plus hauts fonctionnaires du département d'État se soient plaints dans un manifeste[1]  que le président n'en faisait pas assez contre le chef d'État syrien en dit long sur l'état d'esprit qui règne aujourd'hui à Washington. Le président Barack Obama a beau condamner avec emphase comme "un acte de terreur et de haine " ce qu'il qualifie de  "la pire fusillade de l’histoire des Etats-Unis", qui a fait 50 mort et 53 blessés, il sait très bien que la politique américaine ne changera pas pour autant.

Les présidents américains successifs ont clamé les uns après les autres au son des trompettes qu'ils partaient en guerre contre le terrorisme, principalement islamique . Mais il n'en ont jamais tiré les conséquences : on ne comprend rien au Proche-Orient si on n'a pas intégré que l'alliance entre les  Etats-Unis et l'islamisme radical est une des données  géopolitiques les plus fondamentales des 70 dernières années. Une  alliance qui s'est même renforcée au cours de la toute dernière période.

L'attentat du 11 septembre,  revendiqué par l'organisation Al Qaida, avait semblé la remettre en cause. Le golem islamiste avait échappé des mains de son artisan.  Il a donné lieu à des torrents de littérature emphatique sur la  guerre planétaire sans merci que le "monde libre" devrait  désormais livrer au terrorisme, proclamé ennemi mondial numéro 1. Mais il n'en a rien été : comme le chien retourne à ses vomissements, les États-Unis ont très vite délaissé ces bonnes intentions pour déclarer la guerre à un ennemi qui n'avait qu’un lointain rapport avec l'attentat, si tant est qu’il en ait eu vraiment un, le régime de talibans en Afghanistan, et surtout un autre qui n'en avait strictement aucun, et qui constituait même dans sa zone un rempart contre l'islamisme, l'Irak de Saddam Hussein.

 

L'attentat d'Orlando ne changera pas la donne 

Pour horrible qu’il soit, l'attentat d’Orlando risque encore moins de changer la donne , en tous les cas  tant que le clan  néoconservateur  imposera ses vues à  Washington.

L'alliance américano-islamique a commencé avec le pacte passé le 14 février 1945 sur le croiseur américain Quincy, au large de la péninsule arabique, entre le président  Roosevelt et  le roi Ibn Séoud. Quand on sait comment le riche royaume saoudien, Etat ayant pignon sur rue mais adepte de la doctrine fanatique du wahhabisme,  a financé année après année les mouvements islamistes, y compris terroristes, on mesure la portée de l'engagement américain.

On retrouve les États-Unis soutenant les Frères musulmans contre l'Egypte de Nasser au cours des années cinquante et soixante. Quoique rivaux des wahhabites, ces derniers professent la même doctrine,  ayant  pour objectif final le règne de l’islam sur le monde entier. Ils ont bénéficié des mêmes complicités occidentales équivoques : les Frères n'étaient-ils  pas nés en 1928 dans le giron de la colonisation britannique ?

Les tenants de l'islam pur et dur n'ayant pas de doctrine économique s'accommodent facilement du libéralisme :  cela suffit au Américains.

A partir de 1979, les États-Unis se sont appuyés sur l'Arabie saoudite  et sur les rebelles  islamistes pour rendre la vie impossible aux Soviétiques qui avaient  envahi l'Afghanistan. Ils fournirent en particulier à ceux-ci  des missiles Stinger terriblement meurtriers pour l'aviation russe. Au moins l'alibi de la lutte contre le communisme était-il défendable.

Quand le Front islamique du salut ( et le GIA ) algérien tentait de prendre le pouvoir à Alger et commettait des attentats sanglants à Paris, il n’avait pas eu de difficulté à ouvrir à Washington un bureau qui ressemblait fort à une représentation diplomatique. La répression de l’islamisme en Algérie (1990-2000) a fait plus de 200 000 morts (Il est étonnant que personne n'osa alors faire des reproches au gouvernement algérien, alors qu’on s'acharne sur celui de Bachar el Assad dont la position, face à une rébellion également islamiste, est analogue.)

Gulbuddin Hekmatyar,  un protégé de Washington qui contrôlait le  sud-est  de l'Afghanistan, s'étant trouvé impliqué de loin  dans le premier attentat du WTC (1993), les Américains, par Pakistanais interposés, suscitèrent pour le punir et pour  le remplacer le mouvement taliban, le plus radical qui ait existé,  quitte à   le combattre à son  tour à partir de 2001.

Dans les Balkans entre 1990 et 1999, l 'OTAN a   pris parti pour les musulmans (Bosnie, Kosovo), aidés par des djihadistes,  contre les chrétiens orthodoxes.

La destruction du régime de Saddam Hussein en 2003 ne pouvait que plaire aux islamistes qui détestaient ce dictateur trop tolérant pour les minorités et, quoique musulman sincère, aux manières de mécréant. Il menaçait les monarchies du Golfe protégées par les États-Unis et adeptes d'un islam bien plus  radical. La nature ayant horreur du vide, sa chute attira en Irak les islamistes de tout poil qui  s'implantèrent  dans le nord de la Mésopotamie. Servi  par des complaisances anglo-américaines, turques,  saoudiennes, qatari et autres,  ce mouvement conduisit en 2013  à la création de Daesh.   

 

Les printemps arabes : de la démocratie à islamisme  

Depuis son accession à la tête de la Turquie en 2003, Recyp Erdogan, frère musulman lui aussi, a bénéficié de toutes les faveurs de Washington. Sa candidature à l'entrée dans l'Union Européenne l'a protégé d'un coup d'Etat militaire kémaliste (c'est-à-dire laïque) et lui a permis de renforcer l'islamisation du pays, tout en lui offrant une base arrière à la rébellion  islamiste en Syrie et en Irak. Daesh n'a pas d'allié plus solide aujourd'hui que la Turquie, membre de OTAN. Il suffirait que ce soutien lui soit retiré pour qu'il retourne dans les sables, mais personne n' exige  d'Erdogan qu'il le retire.  

Ce soutien aux islamistes s'est déchainé à partir de 2011, notamment sous l’influence d'Hillary Clinton. On savait depuis toujours que démocratiser un pays arabe, c’était donner le pouvoir aux Frères musulmans, non que le peuple adhère à leurs doctrines mais parce que, seuls,  ils sont présents sur le terrain pour soulager sa misère.  L'Occident  se prit néanmoins d'enthousiasme pour les "printemps arabes" au point d'appuyer tantôt politiquement, tantôt militairement l'émergence de pouvoirs islamistes en Egypte, en Libye, en Tunisie, au Yémen avant de tenter de le faire en Syrie. Morsi et Erdogan, frères musulmans tous les deux,  étaient les  favoris d'Hillary Clinton.

Cette politique a failli réussir en Syrie où la dynastie Assad,  pouvoir laïque fort, adapté à un pays  religieusement pluraliste,  se trouvait confrontée depuis des années à une opposition islamiste. Sans l'aide massive apportée aux opposants à Assad, il  n'y aurait sans doute pas eu de guerre en Syrie. Ces  opposants sont, quoi qu’on  dise, idéologiquement proches de Daesh, même quand on feint, comme c'est le cas  d' Al Nosra, branche syrienne d'Al Qaida ou d'Ahrar-el-Sham,  de leur trouver des vertus démocratiques. Cette offensive anti-Assad  s'est heurtée à la détermination des Russes à garder le seul point d'appui qu’ils avaient encore dans la région et à celle de la minorité alaouite dont sont issus les Assad,  laquelle  n'avait d'autre alternative que de rester au pouvoir ou d'être exterminée.

Pas plus que les attentats du 11 septembre, cette politique n'a été infléchie par les attentats de Paris et de Bruxelles ; seule la France semble s'être mise à l'écart . Et encore :  il y a quelques semaines, l'armée syrienne aurait  capturé des soldats d'Al Qaida encadrés par des conseillers techniques américains, anglais, français et saoudiens. Washington ne décolère pas que les bombardements russes n'épargnent pas Al Qaida.  Al Qaida ! [2]

Contre qui cette alliance entre Washington et la mouvance islamiste ? Au Proche-Orient même  contre tout  ce qui avait encore apparence d'État sous la seule forme que l'on connaisse dans cette région : une dictature militaire plus ou moins laïque, fondée sur un parti unique de type baasiste ou nassérien. Bien que fort peu agressifs à l'extérieur ( la Syrie a certes tenté de faire valoir ses droits sur le Liban et l'Irak sur le Koweït mais il ne s'agissait que d'objectifs limités ), n'ayant jamais sérieusement menacé Israël, ces régimes furent pris en grippe par les néo-conservateurs, qui pensaient que pour faire un Etat  de droit, il fallait d'abord détruire  l'État et qui auraient voulu redécouper (reshape) le Proche-Orient selon des lignes ethnico-religieuses, mieux à même d’entretenir le chaos.

 

Contre la Russie 

Mais cette politique est surtout dirigée contre la Russie instaurée en ennemie historique quand bien même elle n'est plus communiste ; une Russie plus vulnérable à l'islamisme par sa proximité et la présence de  15 % de musulmans sur son sol, alors que, malgré les Twin Towers et Orlando, la menace islamique est beaucoup plus lointaine  en  Amérique. Que l'islamisme qu'elle nourrit doive pourrir  la vie aux Russes et aux Européens  lui importe peu.  Bien que menacée en première ligne, l'Europe  s'est laissé  entraîner avec une rare inconscience  à soutenir les États-Unis dans cette entreprise de déstabilisation contraire à ses intérêts. La France  l'a fait au mépris d' alliés historiques qui avaient toujours bénéficié de sa protection comme les chrétiens d’Orient, premières victimes de l'appui apporté aux islamistes. La question proche-orientale est un moyen d'arrimer l'Europe occidentale  au char américain, contre la Russie. Que le terrorisme et les flux de migrants déstabilisent les États d'Europe est plutôt bien vu dans certains cercles  washingtoniens,  où l'on compte que ces États, une fois affaiblis par le multiculturalisme, seront plus dociles à l'instauration d'un espace euro-atlantique unifié.

Au vu de ces collusions , nous ne cèderons pas à la tentation de dire des  attentats : "les Américains les ont bien cherchés". Ce  serait indécent : les victimes d'Orlando ne sont pas les mêmes que ceux qui élaborent à  Washington les politiques de déstabilisation. D'ailleurs, il ne faut pas imaginer  que le terrorisme soit tenu pour un grave problème par les grands qui dirigent le monde. Malgré la rhétorique dont ils usent à l'usage du peuple, les attentats terroristes sont d'abord pour eux un moyen de déstabiliser l'adversaire  (le seul qui compte, la Russie) ou  de coaliser les opinions publiques autour d'eux , éventuellement de  restreindre les libertés. Orlando, à cette échelle, est un non-évènement.

Aujourd'hui alliée à l'islamisme contre la Russie, l 'Amérique aurait l'option alternative de s'allier à la Russie contre l'islamisme. C'est plus ou moins le programme de Trump. Le laissera-t-on faire ? En tous les cas ce serait là une rupture avec 70 ans de politique pro-islamiste :  on comprend qu’elle suscite des inquiétudes à Washington.

[1]  Le  Monde, 20/06/2016

[2] Al Qaida ( dont la branche syrienne s'appelle Al Nosra)  est désignée  comme une organisation terroriste à combattre dans   la Résolution  de l'ONU du 18 décembre 2015  et a  sinon revendiqué, du moins approuvé l'attentat du Bataclan, ce qui n'est pas le cas d'Ahrar-el-Sham.  Voilà ce que les forces spéciales françaises continuent à soutenir !