Pourquoi il est vital de rétablir l’universalité des allocations familiales
Article rédigé par Didier Leprince-Ringuet, le 26 juin 2015 Pourquoi il est vital de rétablir l’universalité des allocations familiales

La politique familiale du gouvernement a sacrifié le principe de l’universalité des allocations familiales. À partir du 1er juillet, les allocations seront réduites pour les foyers qui cotisent déjà le plus. Ce choix injuste et suicidaire aura pour effet de casser le lien de solidarité entre toutes les familles.

LA JUSTICE élémentaire qui a fondé notre système de protection sociale échappe aux socialistes, pourtant héritiers des générations issues du Front populaire. Ils professent de manière incantatoire la justice sociale, mais ils n'ont de cesse de détruire les solidarités concrètes qui peuvent exister dans la société, et en premier lieu dans la famille. Ce faisant, ils mettent en péril notre cohésion sociale.

Les deux réformes phare du gouvernement, la baisse du plafond du quotient familial et la modulation des allocations familiales, témoignent de cette incapacité à regarder les choses dans leur globalité : l’effet du quotient familial est analysé sans assimiler le sens de la progressivité de l’impôt, celui des allocations familiales sans tenir compte des cotisations qui en sont la source…

Présentation tronquée et passage en force sans concertation, malgré l’opposition de la quasi-totalité des syndicats et des associations concernées, voilà assurément de quoi exacerber ce sentiment d’injustice qui vient saper jusqu’à l’autorité de l’État, et le consentement à l’impôt indispensable dans un régime démocratique.

Le principe du quotient familial

Pour les fondateurs de notre système fiscal, l’objectif de la « progressivité » de l’impôt fut de taxer plus fortement le superflu que le nécessaire ; le quotient familial visait alors à appliquer cette progressivité de manière équitable, les foyers sans enfants étant proportionnellement plus « aisés » que les foyers avec enfants ; le bon sens prévalait alors et celui-ci n'était pas plafonné, pour une saine application du principe constitutionnel d'égale contribution aux charges publiques : à niveau de vie égal, taux d’imposition égal.

Le quotient familial n'est donc ni une aide ni une dépense fiscale ; le présenter comme un avantage croissant avec le revenu, en comparant le niveau d'impôt théorique « sans quotient » et le niveau réel d'impôt revient en fait à dénoncer la progressivité de l'impôt : les familles avec enfants ont alors été exclues de cette justice élémentaire qui consiste à taxer moins fortement le nécessaire que le superflu ; à niveau de vie équivalent, évalué selon les méthodologies de l’OCDE ou de l’Insee, elles sont maintenant imposées de l’ordre de 30% plus fortement que les familles sans enfant…

Les familles paient plus qu’elles ne reçoivent

Dans le cas de la réforme des allocations familiales, la ficelle fut encore plus grossière : toujours sous couvert de « justice sociale », le gouvernement n’a présenté que la modulation des allocations en fonction des revenus. S’il avait tenu compte des cotisations versées chaque mois par les familles à la CAF pour financer cette politique, il aurait compris qu’en réalité c’est la modulation en fonction de la « capacité contributive » qu’il s’apprêtait à supprimer.

Il faut en effet savoir que pratiquement toutes les familles concernées par ces mesures payaient déjà, avant la réforme, plus de cotisations familiales qu’elles ne recevaient d’allocations ; le seul impact de la réforme est d’élever leur contribution globale au niveau de celle de foyers bien plus aisés, de transformer ce système en un impôt insidieux et injuste, et de détruire ainsi le lien de solidarité entre les familles avec enfants et les familles sans enfant.

Ceci est d’autant plus choquant que ce deux poids, deux mesures, est toujours au détriment des seules familles : pourquoi n’a-t-on pas pensé à moduler le remboursement de l’IVG pour ceux qui gagnent plus de 6 000€ par mois ?... à revenu égal, ceux-là ont-ils besoin de plus d’aide que ceux qui élèvent leurs enfants ?

Dans une République dont on exalte sans cesse les racines « sociales » issues du Conseil national de la Résistance, dans un système de protection sociale où les retraites des plus âgés sont payées par les cotisations des plus jeunes, casser le lien de solidarité entre toutes les familles est une entreprise suicidaire.

Ce sont les enfants mis au monde aujourd'hui qui créeront la richesse de demain et payeront les retraites d'après-demain, et les retraites de tous. C'est pour cela que ce sont les impôts de tous qui doivent financer l'école de tous, sans considération de ressources. C'est pour cela que les cotisations et impôts de tous doivent financer les allocations familiales qui réduisent l'appauvrissement relatif de toutes les familles par rapport aux foyers sans enfants.

Dans un tel contexte, après de tels errements, que risque-t-il de se passer, si une très prochaine alternance n’abrogeait pas immédiatement ces mesures délétères pour n’en faire qu’un mauvais souvenir ?

Un vrai risque d’explosion

À force d’exclure ceux qui financent le modèle social du bénéfice que celui-ci peut apporter, il y a un vrai risque d’explosion du système.

Les familles s’entendent souvent dire qu’« avoir un enfant, c'est leur choix », et qu'elles doivent en assumer les conséquences. Peut-on ainsi considérer l’enfant comme un bien de consommation qu’il faudrait pouvoir « se payer » ? N’y a-t-il pas ici un germe destructeur de notre civilisation, celui de l’individualisme et du consumérisme qui mène inéluctablement à la barbarie ?

Et pourquoi alors contribuer gratuitement à la solidarité nationale en payant toujours plus d'impôts et de cotisations, en recevant toujours moins de prestations et en supportant seuls les charges pour élever des enfants qui paieront les retraites des autres ? La réponse est déjà apportée par les nombreux jeunes talents qui décident d’aller s’installer au-delà de nos frontières, sous des cieux plus cléments en termes de prélèvements obligatoires…

Ceci peut avoir un effet d’avalanche, car cette fuite des actifs va continuer à déséquilibrer un système déjà à bout de souffle, mis à mal par le vieillissement de notre population. Cela nous entraîne dans un cercle vicieux : plus le rapport entre cotisations et « prestations » (allocations ou retraites) va devenir défavorable, plus ce mouvement va être encouragé, jusqu’à l’écroulement du système. Et il est illusoire de penser que c’est l’immigration qui prendra la relève ! Pourquoi les talents étrangers viendraient-ils se faire tondre pour payer les retraites d’une génération de « français-cigales » ?

Refondre notre modèle social

Ces déséquilibres doivent nous conduire à remettre en question certains aspects de notre modèle social. Il était de toute façon urgent de le faire.

Ce modèle a été fondé sur un principe très simple de justice sociale, l’universalité : chacun contribue aux charges publiques en fonction de ses capacités, et reçoit en fonction de ses besoins ; l’assurance maladie illustre bien cela, et même si on peut sans aucun doute en améliorer la gestion, c’est un pilier important qu’il nous faut préserver.

À la lumière de ce principe, on peut quand même s’étonner du fonctionnement des systèmes de retraites « obligatoires », gérés par la puissance « publique », car ceux-ci s’appuient sur une toute autre logique : les cotisations sont proportionnelles aux revenus, et bien que les besoins soient a priori les mêmes pour tous, les pensions sont déterminées en fonction des revenus antérieurs. Plus on cotise, plus on reçoit. Cette logique ne peut se comprendre qu’au sein de systèmes privés, qui dans ce cas ne doivent pas être « obligatoires », car il relève de la responsabilité individuelle, et non de la collectivité, d’atteindre le niveau de revenu de retraite souhaité.

Ces supposés « droits acquis en proportion des cotisations » ne sont-ils pas de fait contredits par le principe fondateur de l’« universalité », et, de manière presque caricaturale, par la loi de finance 2015 de la Sécurité Sociale, qui, à cette occasion, a entériné un système où « plus on cotise, moins on reçoit » ? Pour financer des déficits qui proviennent des caisses de retraites, pour assurer que certains continueront à recevoir du « public » en proportion de leurs cotisations, on demande à d’autres de se satisfaire d’allocations inversement proportionnelles.

Les branches Famille et Vieillesse de notre protection sociale fonctionnent maintenant de manière opposée, contradictoire.

Revenir au principe initial

Plutôt que de s’éparpiller ainsi sur ces bases incohérentes, ne faudrait-il pas revenir au principe initial : cotisations proportionnelles aux « capacités contributives », prestations égales pour tous ; et laisser à la sphère privée le soin de s’occuper du reste ?

Ne serait-ce point ici la première pierre d’une vraie réforme de notre système de retraites, permettant alors de diminuer radicalement les prélèvements obligatoires sur les actifs, d’éviter ainsi la fuite de nos meilleurs talents, d’augmenter le pouvoir d’achat et la compétitivité de nos entreprises, de diminuer le chômage, et surtout de rétablir la vérité sur les retraites : on ne les prépare réellement qu’en épargnant ou en élevant des enfants !

Il n’est pas trop tard pour arrêter l’entreprise de destruction du gouvernement.

Le décret sur les allocations familiales, paru le 3 juin 2015, va être attaqué au Conseil d’État. Les chances de succès sont significatives, d’autant que le gouvernement, dans sa grande incompétence, a fixé des seuils discriminatoires : ceux-ci introduisent des ruptures d’égalité caractérisées, la modulation étant beaucoup plus pénalisante, à niveau de vie égal, pour certains types de familles.

Dans ce contexte, nous appelons tous les citoyens à signer la pétition Pour l’universalité des allocations familiales.

Pour rétablir la justice entre toutes les familles et pour éviter que notre société se déchire, nous demandons au gouvernement d'écouter les familles aujourd'hui révoltées, et de publier un décret rétablissant l'universalité des allocations familiales quand celles-ci sont financées par des cotisations proportionnelles aux revenus.

 

Didier Leprince-Ringuet

 

 

Pour aller plus loin :
Signez la pétition « Pour l’universalité des allocations familiales »

 

 

***