Nucléaire iranien : d’abord un enjeu de communication
Article rédigé par Thomas Flichy de La Neuville, le 07 avril 2015 Nucléaire iranien : d’abord un enjeu de communication

L’accord-cadre signé à Lausanne le 2 avril entre le groupe des « 5+1 » (États-Unis, Russie, Chine, France, Royaume-Uni et Allemagne) et l'Iran établit les « paramètres clés » d'un futur accord définitif qui doit être rédigé avant le 30 juin. Derrière les effets de manche (« empêcher l’Iran d’obtenir l’arme nucléaire »), un rééquilibrage des alliances sur fond de guerre économique.

La question nucléaire iranienne est-elle en passe d’être résolue ?

Contrairement aux apparences, la question nucléaire n’est pas centrale dans le dossier iranien. Il s’agit essentiellement d’un enjeu de communication, et ceci pour l’ensemble des protagonistes.

Pour le gouvernement iranien, l’aspiration à l’enrichissement nucléaire permet de stigmatiser l’enrichissement nucléaire clandestin d’Israël tout en faisant miroiter à la population l’acquisition d’une bombe nucléaire. Ceci a pour effet immédiat d’aiguiser la fierté patriotique de la population.

L’image de la bombe nucléaire a été utilisée de manière symétrique par le gouvernement israélien : en désignant un ennemi extérieur prêt à semer l’apocalypse, celui-ci a pu rassembler une population intérieure minée par les divisions.

Ceci est également vrai pour les chancelleries européennes, en perte de vitesse, pour lesquelles la question nucléaire iranienne a permis de maintenir l’illusion de politiques étrangères autonomes. Pour Barack Obama enfin, l’action de communication sur sa victoire diplomatique en Iran permet de masquer l’ensemble des désastres militaire dont il a dû assumer l’héritage.

En réalité, l’image mentale de l’explosion nucléaire est d’une telle puissance, qu’elle a été instrumentalisée par l’ensemble des protagonistes afin de manipuler les émotions des foules en coupant court à toute réflexion.

Dans ces circonstances, que faut-il retenir de l’accord qui vient d’être signé ?

Il faut retenir essentiellement les visites des inspecteurs de l’AIEA. La filière industrielle nucléaire irrigue en effet l’ensemble de l’industrie de pointe iranienne. En la contrôlant à intervalle régulier, les inspecteurs de l’AIEA peuvent se faire une idée très précise des avancées technologiques iraniennes dans le domaine industriel.

Or c’est précisément l’innovation iranienne qui inquiète l’Occident, dans la mesure où ce pays est aujourd’hui allié à la Chine et à la Russie. Quant à la bombe nucléaire, l’Iran n’a nullement besoin de la fabriquer lui-même. Il lui suffirait de l’acheter à ses alliés, qui lui fournissent d’ores et déjà une aide militaire importante.

Quels sont les véritables enjeux pour l’Iran ?

L’Iran représente un enjeu géopolitique majeur dans la mesure où ce carrefour commercial relie depuis l’Antiquité, l’Europe aux Indes. Qui plus est, ses réserves gazières en font un objectif stratégique de premier plan.

Il suffit d’ailleurs de se transporter un demi-siècle en arrière pour s’apercevoir que l’Iran constitue l’objectif majeur des forces de l’Axe, pendant la Seconde Guerre mondiale, afin de couper la Grande-Bretagne de son ravitaillement en provenance des Indes. Si les verrous de Stalingrad et de Singapour sautaient, alors les colonnes de chars de la Wehrmacht se précipitaient vers l’Iran tandis que les cuirassiers japonais, feraient soudain irruption dans le golfe Persique.

Mais le plan échafaudé par les Allemands en 1942 échoue et l’Iran devînt la plus grande plate-forme logistique d’acheminement des armes américaines vers l’Union Soviétique.

Aujourd’hui, la situation reste inchangée, à la différence près que le centre de gravité économique mondial, en se déplaçant progressivement vers l’Orient, a rendu les sanctions américaines caduques. Il n’aura servi à rien aux États-Unis d’user de l’arme des sanctions pour balayer les entreprises françaises, italiennes ou allemandes implantées en Iran. Ce sont les Chinois qui les ont remplacées.

Aujourd’hui, au cours de la gigantesque bataille d’influence qui a eu lieu à Washington entre les tenants de la ligne dure israélienne et ceux – beaucoup plus discrets – d’une réouverture d’un marché iranien combinée à la possibilité d’agir à nouveau sur les affaires du Moyen-Orient, ce sont les seconds qui l’ont emporté.

Quelles conséquences géopolitiques et économiques ?

En premier lieu, l’avancée américaine, met en pleine lumière l’impasse d’une politique étrangère française faisant fi de l’expertise de ses propres diplomates. L’accord donne raison a posteriori aux diplomates dont les positions réalistes et nuancées ont été réduites au silence au bénéfice d’une dangereuse fuite en avant. En second lieu, l’imminence du rapprochement irano-américain a forcé l’Arabie saoudite à démasquer ses batteries.

En lançant violemment son aviation sur le Yémen afin de faire échouer ce rapprochement, l’Arabie saoudite a montré en creux qu’elle pouvait parfaitement agir militairement à l’encontre de l’État islamique mais s’en abstenait soigneusement. Elle va devoir aujourd’hui s’accommoder d’un rééquilibrage de la politique américaine à son détriment. Il est possible que cela l’engage à se rapprocher davantage encore d’Israël.

Pour autant, les équilibres géopolitiques sont loin d’être bouleversés. La politique désastreuse de confinement de l’Iran a eu pour résultat de structurer une solide alliance continentale eurasiatique, un nouvel empire mongol constitué par l’Iran, la Chine et la Russie, et auquel Poutine vient de raccrocher la Turquie.

Aujourd’hui, les États-Unis tentent d’introduire une brèche dans ce dispositif. Il s’agit enfin d’une inflexion intelligente, mais bien tardive et seule une reconnaissance éclatante de la légitimité de l’Iran à exercer le leadership régional serait susceptible d’entraîner un véritable renversement géopolitique.

Pour l’instant, la conclusion d’un accord n’entraîne qu’une conséquence : la bataille économique entre la Chine et les États-Unis est ouverte. Par conséquent, l’Iran retrouve sa place géopolitique centrale. Il n’a aucun intérêt à un règlement trop rapide de la question. L’essentiel pour lui est de se positionner au centre en tant qu’arbitre imprévisible et silencieux.

 

Thomas Flichy de La Neuville est historien, membre du Centre Roland-Mousnier, Université de Paris IV – Sorbonne.

 

Pour aller plus loin : Antoine de Prémonville et Thomas Flichy de La Neuville, Géopolitique de l'Iran, de l'empire confiné au retour de la puissance, Presses Universitaires de France (à paraître prochainement).

 

 

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