La réforme territoriale ou comment résoudre un problème qui ne se pose pas
Article rédigé par Roland Hureaux, le 06 août 2014 La réforme territoriale ou comment résoudre un problème qui ne se pose pas

Au temps de l'Union soviétique, ceux qui avaient analysé le phénomène idéologique (Raymond Aron, Jean-François Revel, Alain Besançon, Annie Kriegel, pour s'en tenir aux Français) disaient que le propre de l'idéologie était de laisser en plan les vrais problèmes et de chercher à résoudre ceux qui ne se posaient pas.

LA FRANCE est confrontée aujourd'hui à d'immenses problèmes mais précisément pas à un problème de découpage régional ! C'est pourquoi le gouvernement socialiste, gouvernement idéologique s'il en est, y consacre aujourd'hui l'essentiel de son énergie.

Faux problème ? Oui, car nos régions, contrairement à ce qu'à force de l'entendre répéter, on a fini par croire, ne sont pas plus petites que dans le reste de l'Europe. La population moyenne de nos 21 régions métropolitaines (en ne comptant ni la Corse ni l'Outre-mer) est de 2,9 millions d’habitants ; celle des 20 régions italiennes, de 2,9 millions aussi. Celle des 17 communautés autonomes espagnoles de 2,5 millions.

On croit que les länder allemands sont plus puissants : c'est en partie vrai. En moyenne, les 15 länder ont 5 millions d’habitants, mais comme ils sont très inégaux, sait-on que 8 sur 15 (dont les 6 d'Allemagne de l'Est, de création récente) sont au-dessous de la moyenne française ?

Germanolâtrie

Sortons d'Europe. Aux États-Unis, 20 États sur 50 ont moins de 3 millions d’habitants sans qu’il soit question de regrouper quoi que ce soit ! L'Angleterre n'avait pas de régions et s'en passait d'ailleurs fort bien jusqu'à ce que Tony Blair, réformateur brouillon lui aussi, en crée, mais pas plus grandes que les nôtres ; l'Écosse (5 millions d’habitats), le Pays de Galles (3 millions) et l’Irlande du Nord (1,8 million), royaumes distincts posant, comme on le sait, des problèmes spécifiques.

Comme il arrive souvent, ce projet absurde est né de deux travers bien français :

- d'abord la germanolâtrie la plus stupide, l'idée que tout est mieux en Allemagne, cette maladie née de la défaite de juin 1940, dont le général de Gaulle avait tenté de nous guérir mais qui est revenue au galop depuis ;

- ensuite la légèreté française qui fait que non seulement on veut imiter le voisin mais, en plus, on ne fait pas l'effort d'aller voir ce qui se passe vraiment chez lui !

Partout, les solidarités historiques

Cette gent sotte et superficielle, comme dirait notre bon vieux La Fontaine, qui inspire les réformes en cours, est partie d'une illusion : le hasard ayant fait que les plus grosses régions de nos voisins, en Allemagne (Rhénanie Nord-Westphalie : 17, 8 millions d’habitants, Bavière 12, 5, Bade-Wurtemberg : 10,7) , en Italie (Lombardie : 9,8 millions), en Espagne (Catalogne : 7, 5 millions) — à comparer cependant avec l’Ile-de-France : 11,8 millions et Rhône-Alpes : 6,2 millions — ne se trouvaient pas loin de nos frontières, on n’a pas pris la peine d'aller voir plus loin : la Thuringe, les Pouilles, l'Estramadure…

Non seulement cette réforme ne nous rapproche pas de nos voisins, mais elle nous en éloigne. Ils ont tous été en effet attentifs à respecter les solidarités historiques. Si les länder allemands sont si inégaux et si la Bavière est un gros land, c‘est parce que la Bavière a une histoire, comme l’Alsace, comme la Lorraine, comme le Limousin, comme la Picardie.

Et aucune de ces entités n'est à cheval sur une frontière linguistique, comme le sera notre future région Est.

Le principe du coût de concentration

Nous avions réussi à faire de même dans l'admirable réforme de 1964 et comme personne ne se plaignait vraiment, il y avait là, dans la logique désormais toute-puissante de ce que Guy Debord appelait la société du spectacle, tout pour bouleverser.

Tout bouleverser au mépris de la sagesse qui commande de laisser au temps le soin de consolider les nouvelles institutions, comme on avait su le faire pour le département depuis 1789.

Tout bouleverser au mépris surtout de cette règle de sociologie administrative, hélas ignorée : en matière d'administration publique, il n'y a pas d'économies d'échelle !

Au contraire, il faudra ajouter aux coûts de transition, qui risquent d'être considérables comme dans toute réforme, le coût de concentration lequel obéit à un principe malheureusement ignoré de nos décideurs : plus une structure publique est lourde, plus les frais généraux sont importants ; on aurait dû s'en apercevoir (entre mille cas semblables) avec l'intercommunalité qui a entraîné le recrutement de 200.000 fonctionnaires.

Bonjour les dégâts !

R. H.

 

Sur ce sujet :

Des objectifs coupés du réel, par Gérard-François Dumont, 07/07/14
L'émulation territoriale s'exerce par le bas, par Gérard-François Dumont, 13/06/14
Régions françaises : petit dictionnaire des idées reçues, par Gérard-François Dumont, 5/6/2014
Brouillage des régions, brouillage des repères, par Roland Hureaux, 6/6/2014
Revue Population et Avenir n° 718, mai-juin 2014 

 

Illustration : d’après Soularue.

 

 

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