50 ans après la découverte de la trisomie 21 : les personnes trisomiques, icône de la faiblesse, symbole du bouc émissaire et témoins de la civilisation
Article rédigé par Jean-Marie Le Méné, le 24 août 2012 Jérôme Lejeune

Lors du Congrès de Communion et Libération à Rimini (Italie) qui mettait à l'honneur cet année Jérôme Lejeune, savant français découvreur de la cause de la trisomie 21, le Président de la fondation Jérôme Lejeune, Jean-Marie Le Méné, a donné une conférence le 22 août 2012 dans laquelle il revient sur la manière dont les personnes trisomiques sont perçues dans la société moderne.

La trisomie 21 est une icône de la faiblesse, un symbole du bouc émissaire et un témoin de civilisation.

Plusieurs faits brûlants d’actualité nous donnent l’occasion de le vérifier. 

Premier fait. Une jeune chrétienne pakistanaise – qui serait atteinte de trisomie 21 - est en prison depuis plusieurs jours sous l’accusation de blasphème contre l’islam. La police a arrêté jeudi la petite Rimsha – qui serait âgée de 11 ou 12 ans – après avoir été informée qu’elle avait été vue en public tenant des pages brûlées sur lesquelles se trouvaient des versets du Coran et d’autres textes islamiques. Des musulmans ont tenu des rassemblements pour exiger que Rimsha soit punie. Rimsha a comparu vendredi devant un tribunal et a été placée en garde à vue pour 14 jours, ce qui, paradoxalement, permet de la maintenir en sécurité face à la foule en colère. Elle devrait de nouveau comparaître d’ici la fin du mois. Si elle était condamnée, elle risquerait la lapidation. Des chrétiens ont été forcés de quitter temporairement le quartier en raison de la tension. L’émotion est grande dans le monde entier et semble renforcée par la trisomie 21 de la jeune fille. Pourquoi ? Parce qu’il serait encore plus injuste de punir une telle personne si elle n’est pas en pleine possession de ses moyens. Le crime serait en quelque sorte redoublé. Mais quel paradoxe de voir que la vie menacée au Pakistan d’une personne trisomique nous émeut mondialement alors qu’en Europe des politiques conduisent à la disparition de cette population, sans émotion.

Second fait. Les citoyens allemands, suisses, autrichiens et du Liechtenstein ont depuis quelques jours accès à un nouveau test de dépistage prénatal de la trisomie 21. Des demandes de commercialisation de ce test ont été et seront sous peu déposées dans l’ensemble des pays européens. Cette nouvelle méthode développée en Europe par la firme allemande LifeCodexx à partir de l’exploitation d’un brevet américain simplifie de beaucoup les procédures jusqu’ici mises en œuvre. Elles nécessitaient différents examens (sériques et échographiques) ainsi que la pratique éventuelle d’une amniocentèse au deuxième trimestre de la grossesse qui entrainait aussi 1 % de fausses couches d’embryons sains. Le résultat peut désormais être obtenu entre la 12ème et la 14ème semaine de grossesse, de manière plus sûre, non invasive, à partir d’une seule prise de sang.

De nombreux problèmes éthiques sont soulevés par cette nouvelle technique.

  • Le premier consiste à assimiler progrès technique et progrès médical et à faire passer de la communication promotionnelle pour de l’information scientifique. Au contraire, ce faux progrès médical ne devrait-il pas être l’occasion pour notre société de voir en face le problème éthique du diagnostic prénatal des enfants trisomiques occulté depuis près de 20 ans ?
  • Le deuxième consiste à considérer que le fait de ne plus supprimer que des anormaux est un progrès, ce qui en réalité signifie que la vie des normaux a plus de valeur que celle des anormaux.
  • Le troisième consiste à se réjouir d’un taux de fiabilité à 100 % alors que 96 % des enfants trisomiques dépistés sont déjà avortés : faut-il encore absolument gagner 4 % sur la voie de l’éradication ?
  • Le quatrième est que le nouveau test permet d’obtenir le diagnostic de trisomie avant la fin du délai légal pour pratiquer une interruption volontaire de grossesse.  Inéluctablement cette nouvelle technique va faire disparaitre la distinction IVG / IM(médicale)G et conduira à noyer indistinctement les avortements eugéniques pratiqués pour cause de trisomie dans la masse de ceux demandés par la femme. Le résultat est terrifiant : le génocide des enfants trisomiques in utero ne sera plus décompté et n’existera plus. A l’assassinat d’un groupe humain déterminé par son génome s’ajoutera l’assassinat de leur mémoire.

Troisième fait. Dans une affaire actuellement pendante devant la Cour Européenne des Droits de l’Homme (CEDH) (Affaire Kruzmane contre Lettonie), la mère d’une fille trisomique se plaint ne pas avoir pu effectuer la prise de sang de dépistage de la trisomie pendant la grossesse, dépistage qui lui aurait permis de connaître la trisomie de sa fille et de prendre la décision d’avorter. Elle prétend que cette procédure de dépistage-avortement fait partie des «soins prénataux» nécessaires au suivi de la grossesse, et que leur accès est garanti par le droit fondamental au respect de la vie privée et familiale. En se tournant vers la CEDH, l’action intentée prend une ampleur particulière car, pour la première fois, la Cour européenne doit se prononcer sur un prétendu droit à l’avortement en raison de la santé de l’enfant (dans le présent cas porteur de trisomie 21). La décision de la Cour indiquera si l’avortement d’un enfant malade ou handicapé est un droit fondamental.

Une telle décision de la CEDH inscrirait dans les 47 Etats membres européens un droit fondamental à l’avortement eugénique en raison d’un handicap dépisté (IMG), qu’il s’agisse de la trisomie 21 ou d’un autre motif de santé. Or l’IMG n’est pas un droit, mais une dérogation au droit à la vie. Lorsque l’IMG est légale, sa mise en œuvre est soumise à l’appréciation et à l’autorisation du corps médical, et ne peut pas résulter de la seule demande de la mère. Par ailleurs, ce qui sera vrai pour la trisomie 21, le sera aussi pour toutes les pathologies dépistables avant la naissance, voire même pour des prédispositions génétiques révélant un risque de développer telle ou telle maladie. Le processus «Dépistage – Elimination » tel qu’il est souvent installé entraine déjà de grave dérives dans beaucoup d’Etats membres. L’affaire Kruzmane contre Lettonie va encore plus loin en risquant de créer une jurisprudence européenne favorable au droit, ouvert à tous, de supprimer la vie des enfants handicapés avant leur naissance sur des critères arbitraires.

Quel rapport entre ces faits et la fondation Jérôme Lejeune ?

Rien de ce qui touche la trisomie 21 ne nous est indifférent. En effet, cette icône de la faiblesse qu’est la trisomie 21 est perpétuellement abimée. En effet, la trisomie 21 est un symbole du bouc émissaire sans cesse réactivé. En effet, le sort réservé aux personnes porteuses de trisomie est celui d’une stigmatisation de plus en plus organisée par la société.

Or, l’origine de ces attitudes étrangement convergentes résulte de plusieurs causes : développement de la techno-science, relativité morale, consumérisme médical, judiciarisation de la médecine, etc. La fondation Jérôme Lejeune n’a pas la prétention ni les moyens de lutter contre toutes ces causes. Mais il est des causes – objectives - contre lesquelles il est de sa mission de lutter et elle le fait à la suite de son fondateur, Jérôme Lejeune. 

Est-il exact qu’il n’y a rien à faire pour améliorer le sort des personnes touchées par une déficience intellectuelle ?

Non, c’est faux. Et nous en apportons la preuve dans la consultation médicale de la fondation Jérôme Lejeune (5 000 patients) qui développe une expertise en matière de diagnostic, de prévention et de traitement des sur-handicaps, de conseil aux familles, de continuité de prise en charge et d’enrichissement de la recherche clinique.

Est-il exact qu’on ne trouvera jamais comment faire disparaître ou atténuer le retard mental de la trisomie 21 ?

Non, c’est faux. Et nous en apportons la preuve dans la recherche conduite ou financée par la fondation Jérôme Lejeune. Grâce à ce soutien, plusieurs équipes scientifiques dans le monde travaillent désormais sur la trisomie 21 dans une perspective thérapeutique. Ce qui paraissait impensable il y a quinze ans devient aujourd’hui possible et les résultats observés laissent espérer que nous sommes à mi-chemin du traitement recherché. C’est une première victoire que d’avoir vaincu le désespoir et le défaitisme des chercheurs. La communauté scientifique internationale, dans son ensemble, estime donc que l’on pourra à terme traiter la déficience intellectuelle des patients trisomiques. L’objectif est de trouver des solutions thérapeutiques qui atténuent le retard mental en améliorant les capacités d’autonomie et d’apprentissage des personnes concernées. Plusieurs essais cliniques sont en cours à la Fondation ou à l’extérieur. Les études actuelles s’orientent vers deux directions principales. D’un côté, on essaye d’agir sur le « génotype », c'est-à-dire de moduler les gènes surexprimés sur le chromosome 21 et identifiés comme suspectés d’être responsables du retard mental. D’un autre côté, on essaye d’agir sur le « phénotype » de la trisomie 21, c'est-à-dire directement au niveau du cerveau, en particulier sur les dysfonctionnements observés au niveau des neurotransmetteurs cérébraux.

Est-il exact que la politique de dépistage systématique et généralisé de la trisomie 21 qui conduit à l’éradication d’une population est cohérente et compatible avec une démarche médicale et scientifique ? 

Non, c’est faux. Il y a presque vingt ans, Jérôme Lejeune notait déjà que « le vrai danger est dans l’homme ; dans ce déséquilibre de plus en plus inquiétant entre sa puissance qui s’étend chaque jour et sa sagesse qui parfois régresse ». De ce point de vue, les choses se sont plutôt aggravées parce que dans la course entre la techno-science et la sagesse, c’est la techno-science qui l’emporte. Jérôme Lejeune avait déjà décrit tout ce que nous voyons se réaliser sous nos yeux : « Une société qui se donne le droit d’expérimenter sur les embryons, de tuer un fœtus in utéro chez une femme jeune qui n’a pas envie d’assumer ses responsabilités et en même temps de fabriquer des enfants à une femme vieille, est une société en plein délire ». Ce qui a changé depuis Jérôme Lejeune qui critiquait des transgressions dont certaines étaient encore illégales, c’est l’avènement des lois dites de bioéthique qui sont des machines à entériner les transgressions. Comme l’explique très bien l’encyclique Evangelium Vitae de 1995, ces nouveaux attentats contre la vie perdent donc leur caractère de crimes pour prendre celui de droits. Il y a désormais confusion du bien et du mal. La vie en société en est profondément altérée.

En acceptant l’ouverture de la cause de béatification de Jérôme Lejeune, l’Eglise nous propose le modèle très nécessaire actuellement d’un laïc chrétien qui a toujours su faire usage de sa science pour le vrai bien de l’homme, qui a été un signe de contradiction face au mensonge qui tue mais qui a été aussi un signe d’espérance.

C’est une invitation à imiter, sans crainte des pressions et de l’ostracisme, la personnalité et la vie unifiées de Jérôme Lejeune et aussi une invitation à rejoindre les actions de la fondation qui porte son nom.

 

Jean-Marie Le Méné est président de la Fondation Jérôme Lejeune, membre de l’Académie pontificale pour la vie et membre du Conseil pontifical pour la santé

 

Photo : Wikimedia Commons / fondation Jérôme Lejeune