L'objection de croissance, nouvel horizon des chrétiens en politique ? (1ère partie)
Article rédigé par Joël Sprung (Pneumatis), le 17 février 2012 Actualité présidentielle : objection de croissance

Parce que « la conformation au Christ et la contemplation de son Visage  insufflent chez le chrétien un désir irrépressible d'anticiper dans ce monde, au sein des relations humaines, ce qui sera réalité dans le monde définitif »[1] les chrétiens regardent avec une vibrante attention les paradigmes économiques propres à satisfaire les exigences de vie évangélique. C’est en ce sens que le choix de l’objection de croissance, éclairé par l’évangile et le magistère de l’Eglise, s’inscrit dans le champ bien plus vaste de l’économie du salut[2].

L'objection de croissance, au sens où nous l’entendons, rejoint au fond  une démarche de foi et de découverte du mystère de l’incarnation et de la rédemption. Elle nous appelle à faire le choix radical de la sobriété partagée et vécue dans la confiance en la divine providence. Nous la reconnaissons dans l'esprit de fraternité qui animait les premières communautés chrétiennes, dans le témoignage d’un saint François et chez tous ceux qui depuis des siècles à la suite du Christ s’engagent à vivre quel que soit leur état de vie le conseil de pauvreté évangélique.

C’est parce que « dans le Christ, Dieu ne rachète pas seulement l'individu, mais aussi les relations sociales entre les hommes »[3], que de vivre cette conversion personnelle appelle un prolongement dans l’engagement politique : « La priorité reconnue à la conversion du cœur n'élimine nullement, elle impose, au contraire, l'obligation d'apporter aux institutions et aux conditions de vie, quand elles provoquent le péché, les assainissements convenables pour qu'elles se conforment aux normes de la justice, et favorisent le bien au lieu d'y faire obstacle. »[4]

Comme conversion personnelle et comme choix politique, l’objection de croissance prend donc sa source au cœur du mystère chrétien de la kénose de Dieu. Parce qu’elle est d’abord notre réponse à Celui qui vient : le Christ vrai Dieu et vrai homme a renoncé à sa toute-puissance pour nous sauver. N'est-il pas grand temps d'imiter notre Dieu, de lui répondre à notre tour ? Il s'est abaissé pour nous, nous abaisserons-nous pour Lui ? « Il faut qu'il croisse et que je diminue »[5]. N'ayons pas peur des mots : la croissance de l'humanité en Christ repose sur l’abaissement de Dieu fait homme. Le Christ s’est fait notre humble serviteur, il s’est penché et a pris sur Lui nos péchés et toutes nos pauvretés, qu'elles soient matérielles, physiques, psychologiques ou spirituelles. N'est-ce pas là, dans les tréfonds  de nos blessures qu'il nous donne de croître dans sa grâce ? Créée à son image et à sa ressemblance, notre humanité blessée requiert que nous répondions de cette ressemblance, en le prenant Lui pour modèle et en marchant dans ses pas. « Celui qui veut marcher à ma suite, qu'il renonce à lui-même, qu'il prenne sa croix chaque jour, et qu'il me suive »[6]. A sa suite et en Lui nous sommes donc appelés à vivre une triple kénose, par ressemblance à ce Dieu qui (1) s'est fait serviteur, (2) obéissant jusqu'à la mort, (3) et jusqu'à la mort sur la croix[7].

1. Pour commencer, s'orienter dans la voie d’un juste  partage fraternel, avec nos lenteurs, au rythme qui nous est propre, allégé de tout code moral culpabilisant, ne relève pas d'une utopie de doux  et sympathiques rêveurs. Au contraire, il s'agit de revenir au réel et au sens des responsabilités en vue du bien commun. Où pouvons-nous trouver la source de cette clarification qui nous ouvre les chemins de notre conversion personnelle et de notre engagement chrétien dans les débats de la cité, sinon dans la contemplation émerveillée du mystère de l'Incarnation ? C’est du moins comme cela que l'a admirablement exprimé Benoît XVI, dans sa récente homélie de Noël.[8] Comment notre cœur ne pourrait-il pas être  bouleversé par la reconnaissance et l'accueil de ce Dieu très-haut, venu se donner à nous sous les traits d'un petit enfant innocent et vulnérable ? Quel est cet orgueil humain qui résiste encore à celui qui s’abaisse aux pieds de notre misère, et nous manifeste au cœur de celle-ci, dans un don gratuit et inconditionnel, la grâce infinie de sa miséricorde ? Comme Dieu s'est fait homme jusqu'à prendre la condition de serviteur, nous devons à notre tour devenir serviteurs, sous l’impulsion de son Esprit. L'abaissement de Dieu dans son incarnation nous appelle, personnellement et collectivement, à mettre à terre toutes nos prétentions à la puissance et à la domination[9], à nous abaisser à notre tour afin d’être élevés par Dieu. C’est la première kénose que nous avons à vivre.

2. Cette objection à la croissance et ce chemin de renoncement personnel ne relèvent pas non plus d'une recherche illusoire du paradis terrestre. Au contraire, ils nous conduisent à convertir tout esprit de conquête et de compétition en esprit de don et de service, et d'en assumer le prix jusqu'à l’acceptation du sacrifice de nos vies. Comme Dieu s'est fait obéissant jusqu'à la mort, nous sommes appelés au don total de nous-même. « Car celui qui veut sauver sa vie la perdra ; mais celui qui perdra sa vie pour moi et pour l'Évangile la sauvera. »[10]. La nécessité de cet abaissement ne s’arrête pas à l’individu et concerne le corps social dans son ensemble. Cette objection de croissance devient objection à toutes nos tours de Babel, qu’elles soient financières ou grandioses projets techno-industriels. Elle est reconnaissance de nos limites, consentement d'une humanité enfin adulte, à croître dans la grâce du Seigneur. Elle est renoncement à notre sentiment infantile de toute puissance, et brèche ouverte sur l'horizon des béatitudes, dans la pauvreté évangélique. Cet esprit d’obéissance au sacrifice qui doit peu à peu féconder notre corps social est la seconde kénose que nous avons à vivre.

3. Enfin, ce don de nous-mêmes serait incomplet s'il n'incarnait pas prophétiquement notre espérance évangélique la plus vivante en ce bas-monde. Dieu s'est fait obéissant jusqu'à la mort, et à la mort sur une croix. A son tour, notre présence au monde, notre vie quotidienne, nos engagements  politiques, n'ont de sens que s’ils témoignent de notre amour du Christ. C’est le sens véritable du martyr chrétien. En ce sens, l’objection de croissance vécue comme témoignage se prête à devenir signe d’Espérance. Parce qu’elle est aussi renoncement à marcher avec les foules dans le sens du monde, elle rend ainsi visible, au milieu de l'indifférence, le mystère d'amour du Dieu tout-puissant. Roi des cieux, en Jésus-Christ, Il renonce à tout pouvoir terrestre, se laisse insulter, humilier, jusqu'à la mort sur la croix, prémice de sa Résurrection. Notre temps, avec son système de valeurs tourné unilatéralement vers l’avoir, appelle les chrétiens à un nouveau chemin de croix. A temps et à contre temps, voilà la marche du chrétien ! C’est à contre temps de l’esprit du monde, que l’objection de croissance devient prophétique, signe en cette cité terrestre, de la cité promise dans les cieux. Ce témoignage est la troisième kénose que nous avons à vivre.

 

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[1] Compendium de la doctrine sociale de l’Eglise, §58

[2] Le développement authentique de l’homme concerne unitairement la totalité de la personne dans chacune de ses dimensions. Sans la perspective d’une vie éternelle, le progrès humain demeure en ce monde privé de souffle. Enfermé à l’intérieur de l’histoire, il risque de se réduire à la seule croissance de l’avoir. (Caritas in Veritate, §11)

[3] Compendium de la doctrine sociale de l’Eglise, §52

[4] Compendium de la doctrine sociale de l'Eglise, §42

[5] Jean 3, 30

[6] Luc 9, 23

[7] Philippiens 2, 6-8

[8] Benoît XVI, homélie de Noël : http://www.vatican.va/holy_father/benedict_xvi/homilies/2011/documents/hf_ben-xvi_hom_20111224_christmas_fr.html

[9] Magnificat : « Déployant la force de son bras, Il disperse les superbes. Il renverse les puissants de leurs trônes, Il élève les humbles. »

[10] Marc 8, 35