Féminicène, de Vera Nikolski

Source [Institut Iliade] : Nous sommes entrés dans le féminicène. La révolution industrielle n’implique pas seulement l’arraisonnement des écosystèmes par l’espèce humaine. Elle sous-tend une rupture anthropologique décisive : la fin d’une domination masculine générale remontant au Paléolithique. Véra Nikolski (normalienne, docteur en science politique) explore cette « ère des femmes » en battant en brèche idées reçues et discours féministes convenus. À lire, pour mieux saisir les mécanismes de l’évolution culturelle.

L’égalité juridique entre hommes et femmes n’est plus que la partie émergée de l’iceberg. Acquise au cours du XXe siècle (Constitution de 1946), elle s’accompagne de phénomènes autrement significatifs et décisifs. Longtemps enclines à choisir des époux disposant d’un capital économique, social et culturel supérieur (hypergamie), les femmes occidentales tendent désormais à l’hypogamie. Une mutation stratégique portée par la révolution éducative des sociétés développées : les femmes sont aujourd’hui plus diplômées que les hommes. On pourra illustrer ou compléter le propos de Véra Nikolski par des études désormais classiques et pour le moins éloquentes. Considérons les titulaires d’un diplôme de type CAP/BEP/BEPC nés dans les années 1920 : 27% des femmes adoptent une stratégie hypergamique, contre 7% des hommes. La tendance s’inverse cependant en quelques décennies, de telle sorte que 20% des femmes et 34% des hommes s’unissent à un conjoint plus diplômé dès les années 1960 (Milan Bouchet-Valat [INED] ; Population, 2015/4).

Un certain féminisme n’a certes jamais nié l’importance de facteurs structurels dans le mouvement d’émancipation des femmes. Simone de Beauvoir conclut dès 1949 avec Le Deuxième sexe que « l’action des femmes n’a jamais été qu’une agitation symbolique ». En dépit des militantes réclamant l’égalité politique et l’égalité socio-économique, jamais mouvement féministe ne fut capable de se constituer en véritable force d’opposition, donc de négociation, au sein d’un système intégralement dominé par des – les – hommes. Ni lutte armée ; ni grève générale ; ni appel à un allié extérieur : les femmes ont gagné « ce que les hommes ont bien voulu leur concéder ; elles n’ont rien pris : elles ont reçu. » Avec Beauvoir – et contre l’idéalisme d’une certaine gauche – Véra Nikolski adopte une approche résolument matérialiste, postulant le primat de l’infrastructure sur la superstructure ; soit des conditions concrètes d’existence sur les idées propagées par quelques essais et mouvements. La méthode proposée par le psychologue Steven Pinker (La part d’ange en nous, les Arènes, Paris, 2017) et l’anthropologue Emmanuel Todd (Où en sont-elles ?, Paris, Seuil, 2023) conduit à dépasser la strate du discours, jusqu’à l’identification de facteurs fondamentaux.

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