Penser la guerre (VI). Europe, la clé de l’indépendance
Article rédigé par Henri Hude, le 10 juillet 2014 Penser la guerre (VI). Europe, la clé de l’indépendance

Un siècle après 1914, soixante-dix ans après le Débarquement, vingt-cinq ans après la chute du Mur, comment se pensent la guerre et la paix ? Une réflexion d’Henri Hude, directeur du Pôle Ethique des écoles de Saint-Cyr Coëtquidan. Cette semaine, la fin de notre série : Si l’Europe pouvait être indépendante...

L'EMPIRE US, désindustrialisé, oligarchisé, avec une classe moyenne dégonflée et appauvrie, est en déclin rapide, comme l’était l’empire britannique à la veille de la guerre de 1914 face à l’ascension rapide de l’Allemagne.

Les grands pays émergents s’organisent entre eux (BRICS, Organisation de Shanghaï).

Les immenses projets de nouvelle route de la soie (très comparables à ce que fut avant 1914 le Bagdad Bahn) permettent d’envisager de Hambourg à Shanghai un continuum économique continental, avec de grandes routes terrestres, complétées par l’ouverture de la voie maritime arctique, laquelle diminue de moitié la distance entre l’Asie et l'Europe, voie facile à sécuriser, permettant de soustraire le commerce mondial au contrôle de l’US Navy. Plus généralement, il semble probable de voir mis en échec le basculement océanique de la vie économique, voulu par les USA, aussi bien transpacifique que transatlantique, et la renaissance d’une vie intra-continentale très active, tendant à retransformer les Amériques en une simple Île, comparable par rapport au monde à ce que sont les Îles britanniques par rapport à l’Europe continentale.

Si l’Europe s’émancipait

Il est clair dans ces conditions que l’empire finirait, si l’Europe pouvait se déclarer indépendante et s’associer en tant que de besoin au continuum continental russo-chinois. Ceci se ferait d’abord à travers un nouveau Rapallo germano-russe.

Si cette liaison naturelle se réalisait, cela signifierait la fin de l’organisation présente.

Il est probable que, dans ces conditions, l’islam se dégagerait de l’islamisme, regarderait vers le Nord, et que les Sinisés nationalistes mettraient un bémol à leur ardeur guerrière, face à la Chine. Les USA devraient reconstruire leur industrie, renoncer à l’empire, rétablir les classes moyennes et restaurer la démocratie. Ils arrêteraient de troubler le monde entier par ambition et idéologie délétère. La France et l’Italie se tourneraient vers l’Afrique. La France et l’Angleterre se développeraient en Polynésie. L’Espagne et le Portugal se tourneraient vers l’Amérique latine.

L’Europe, au lieu d’être une Confédération du Rhin impuissante et dominée, rentrerait dans l’Histoire, comme une alliance souple de pouvoirs ex-impériaux et désormais transformés en nations civilisées associées ouvertes chacune sur une portion du monde, dans une perspective de coopération non dominatrice, rassurante, garantie précisément par la dimension moyenne de chacun de nos États européens, et par leur indépendance relativement aux ambitions démesurées de l’empire.

Le retour de la primauté du politique

Les nations civilisées sauraient organiser l’économie selon des règles ne permettant pas à la propriété privée et au commerce ou à la finance de se transformer en moyens de domination internationale ou impériale. Elles sauraient éliminer les abus permettant au droit de servir au lawfare, à l’information de se transformer en propagande politique, à la liberté des associations de devenir l’arme privilégiée des faux-nez de services spéciaux adverses, à la technologie des communications de devenir une arme d’espionnage universel, etc. En un mot, elles élimineraient les diverses conditions de la guerre hors limites.

Dans ce nouveau contexte, la guerre telle que nous l’avons connue depuis 1989 laissera nécessairement de nouveau la place aux conflits interétatiques mais sous une forme non classique et encore largement imprévisible : toute la défense est à réinventer de A à Z.

1914-2014 : un étrange parallèle

Dans ces conditions, nous sommes obligés de constater un étrange parallélisme entre la situation européenne de 1914 et la situation planétaire de 2014. Un empire bat de l’aile. De nouvelles puissances émergent. Un renouveau culturel se manifeste, en même temps que l’idéologie dominante sombre dans l’abjection. Des blocs se forment. Si l’empire veut se maintenir, il ne peut plus se contenter de faire la police. Il doit décider de faire la guerre.

Dans ces conditions, deux options s’offrent à lui :

  1. l’empire américain abdique sans bruit comme est tombée l’Union soviétique ;
  2. il prépare méthodiquement la IIIe Guerre mondiale.

La clé de l’avenir se trouve en Europe. Sans elle, l’empire ne peut opter pour la guerre. Si l’Europe refuse de suivre les USA contre la Russie, la paix est sauvée. Les États-Unis peuvent renaître à la démocratie et à la modération. L’Europe rentre dans l’Histoire.

 

Henri Hude est philosophe, directeur du Pôle Éthique des écoles militaires de Saint-Cyr Coëtquidan. Dernier ouvrage paru : La Force de la liberté, nouvelle philosophie du décideur (Economica).

 Article précédent : Les trois échecs de l’empire américain

 

Illustr. : La Chute du Faucon noir

 

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