[LPJ] Jacinthe Lafont (SDD) : « La justice doit protéger la confiance entre le médecin et son patient »

L’acquittement du Dr Bonnemaison et l’arrêt du Conseil d’Etat ordonnant la fin de l’alimentation de Vincent Lambert ont un point commun : le rôle crucial du médecin dans la décision pouvant entraîner la mort accélérée d’un patient, qu’il soit en fin de vie ou non. Le conseil de l'Ordre national des médecins a pour sa part maintenu la radiation, avec prise d'effet au 1er juillet, du Dr Bonnemaison pour avoir délibérément provoqué la mort de sept de ses patients. L’avis de Jacinthe Lafont, porte-parole de l’association Soigner dans la dignité (SDD).

LIBERTE POLITIQUE JEUNES : Quel impact peuvent avoir les affaires Bonnemaison et Vincent Lambert sur l'image du corps médical ?

JACINTHE LAFONT : Dans ces deux affaires comme dans tous les cas difficiles de patients en fin de vie, les médecins agissent selon ce qui leur paraît le mieux pour le patient. J’ose espérer que c’était le cas pour ces deux médecins [le Dr Kariger dans le cas de V. Lambert, Ndlr] et je pense que les patients et leurs familles sont conscients de l’extrême difficulté des décisions que doit prendre le médecin.

Le risque est que les médecins soient vus comme des techniciens qui ont la liberté de choisir entre la vie et la mort. Dans les deux cas, nous sommes face à des comportements qui vont malheureusement alimenter les critiques maintes fois formulées à l’encontre d’une médecine qui se voudrait « toute puissante ». La responsabilité du médecin est lourde, à la mesure de son rôle auprès du patient, mais ce dernier doit rester un acteur essentiel, pris en compte, écouté à chaque instant.

Dans ces deux cas, et particulièrement dans l’affaire Bonnemaison, je regrette amèrement le peu d’égard que semble accorder la justice à l’essentielle confiance qui doit régner entre médecin et patient. Cet acquittement semble un acquiescement aux yeux de tout un chacun, et porte en lui un message lourd de sens : on peut être médecin, injecter du curare à des patients parmi les plus fragiles, sans leur demander leur avis, être acquitté par un tribunal, s’en retourner à l’hôpital, reprendre son métier comme si de rien n’était.

On se souvient qu’au début des années 2000, l’infirmière Christine Malèvre, accusée de faits similaires — si ce n’est que certains de ses patients étaient apparemment moins mal en point — avait été condamnée beaucoup plus sévèrement. Dix ans de réclusion criminelle en première instance, sentence sur laquelle le ministère public avait fait appel, et portée à douze ans devant la cour d’appel. Les faits incriminés ont-ils à ce point perdu en gravité dans la dernière décennie ? C’est le primat affiché du sentiment sur la rationalité, même devant un tribunal censé statuer sur la base du droit et de l’équité, qui nous a conduit à une pareille aberration.

De telles situations sont douloureuses et complexes. Peut-on dire cependant que la loi Léonetti est trop floue ? Ne laisse-t-elle pas s'installer une confusion sur le rôle du médecin ?

La loi Leonetti est une loi claire et précise qui constitue une excellente base décisionnelle pour les médecins. Cependant, la fin de vie est une situation particulièrement délicate et il n’existe pas de situation type. Il serait illusoire de croire qu’une loi pourrait régler tous les cas sans qu’une prise de responsabilité du médecin intervienne. C’est pourquoi la loi Leonetti, plutôt que d’envisager une infinité de cas cliniques et leurs solutions possibles, préfère encadrer la prise de décision collégiale et pluridisciplinaire qui doit prévaloir dans ces situations.

Le rôle du médecin a évolué au fil du temps du fait des grands progrès de la médecine, toujours plus performante et puissante, et l’image de la mort, le rapport qu’entretiennent la société et ses soignants à ce que l’on appelle désormais pudiquement la « fin de vie », ont changé d’autant. La loi Leonetti intègre cette nécessaire modification du rôle du médecin : entendre la plainte du patient et savoir y répondre. Les demandes d’euthanasie sont rares comparées au nombre de patients en fin de vie, elles correspondent le plus souvent à un appel à l’aide face à une souffrance difficile à surmonter. Le rôle du médecin est alors de tout mettre en œuvre pour apaiser la souffrance : qu’elle soit physique ou morale.

Ces affaires de fin de vie provoquée sont-elles un premier pas vers l'euthanasie active ?

Ceci est en effet à redouter. Vu les décisions de justices prises en France, et l’évolution du cadre législatif chez nos voisins européens, nous devons rester très vigilants.

Le droit français est issu du droit romain, il n’est donc pas construit, en théorie, par une évolution jurisprudentielle : ces décisions n’ont donc pas vocation à être étendues uniformément à tous les cas similaires. Toutefois, au vu de l’impact médiatique qui les a accompagnées, on est en droit de craindre que toute affaire ultérieure dans le même domaine soit jugée, consciemment ou inconsciemment, à l’aune des cas Lambert et Bonnemaison.

Le statut du Conseil d’État, juge ultime dans l’ordre administrative et interprète des lois, renforce ces craintes en ce qui concerne l’affaire Lambert, et le sort des 1700 autres personnes se trouvant actuellement en état pauci-relationnel en France.

Comment SDD compte agir pour promouvoir la dignité humaine des patients après ces deux affaires ? Pensez-vous avoir un rôle à jouer ?

Oui, bien sûr, SDD a un rôle à jouer : nous sommes les médecins de demain ! Mais nous agissons à hauteur de nos moyens, c’est-à-dire en nous faisant connaître le plus possible.

Nous prévoyons de développer des formations pour que le plus grand nombre d’entre nous soit bien formé à l’accompagnement du patient en fin de vie et de sa famille. Lors d’une journée de formation que nous avons organisée il y a une semaine, les membres de l’association ont pu rencontrer Jean Vanier, grande figure de l’accompagnement des personnes handicapées, fondateur de l’Arche, qui nous a apporté son expérience précieuse aux côtés des plus fragiles.

Car c’est bien la fragilité qui caractérise ces patients en fin de vie, et qui fait, à nos yeux, toute leur dignité. La vie humaine est digne et doit être respectée justement parce qu’elle est fragile ; l’illusion d’une dignité proportionnelle aux capacités physiques est symbolique d’un individualisme forcené que nous rejetons fermement.

 

Propos recueillis par François de Lens

 

Pour en savoir plus :

Affaires Bonnemaison et Lambert : la loi niée et pervertie, par Me Jean Paillot

Soigner dans la dignité regroupe des étudiants en médecine qui refusent de donner la mort et défendent le serment d'Hippocrate. Nous l'avions présenté ici.

 

 

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