L’art contemporain, définition et concurrence. Entretien avec Aude de Kerros

Source [Conflits] : Le dernier ouvrage de l’essayiste et critique d’art Aude de Kerros clôt, en décrivant la situation actuelle, un long cycle qui commence avec L’Art caché – Une dissidence de L’Art contemporain suivi de quatre autres livres qui décrivent les métamorphoses artistiques,  financières, intellectuelles et géopolitiques de l’art depuis 1945. 

Aude de Kerros, L’Art caché enfin dévoilé. La concurrence de l’Art contemporain, Eyrolles, 2023

Propos recueillis par Pétronille de Lestrade

Comment définir l’Art contemporain et comment est-il parvenu à éclipser les siècles d’histoire artistique qui l’ont précédé ?

Au cours des années 1970, dans le contexte de la guerre froide culturelle, l’expression composite « Art contemporain »  s’est avérée être une arme sémantique qui a remarquablement atteint son but de destituer en même temps Paris, capitale de tous les courants artistiques du monde, et Moscou, capitale de l’unique et définitive avant-garde internationale, le Réalisme socialiste. New York les détrônera en choisissant, pour leur faire concurrence, une vieille avant-garde[1] apparue avant la guerre de 14 : le conceptualisme. Customisée et revêtue du mot « Art contemporain » cette nouvelle avant-garde inverse la définition du mot « art », sans le dire, et sème ainsi une confusion cognitive générale.

Vous évoquez un hold-up sémantique qui aurait permis à l’Art contemporain d’asseoir sa légitimité depuis une quarantaine d’années. En quoi consiste-t-il ?

Ce changement de stratégie a lieu au début des années 1960. Les réseaux d’influence constatent un échec dans le domaine des arts plastiques : ils n’ont pas réussi à imposer, après la guerre, l’Expressionnisme abstrait comme la super modernité américaine déplaçant le centre du monde de l’art à New York.

Pourquoi le choix du conceptualisme ? Son atout majeur est qu’il n’existe que grâce à une consécration institutionnelle et donc contrôlée. Intellectuels et artistes n’ont besoin ni de génie ni de talent ni de la reconnaissance d’un public. Les institutions les rémunèrent et les consacrent afin qu’ils puissent remplir leur austère apostolat : provoquer, déstabiliser, questionner, critiquer, déplaire et, depuis une dizaine d’années, « défendre les valeurs sociétales ». Il est un révolutionnaire institutionnel, un fou du roi, un prêcheur !

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