(source : Atlantico) Atlantico : Quels éléments concrets permettent d’affirmer qu’il existe une bulle dans le secteur de l’intelligence artificielle (via les valorisations excessives, les flux massifs de capitaux, le déséquilibre entre les revenus et les promesses technologiques) ?
Alexandre Delaigue : Certains signes témoignent d’une alerte. L’entreprise OpenAI, qui a développé ChatGPT, lorsqu’elle réalise 1 € de chiffre d’affaires, enregistre en réalité 4 € de pertes. Certains estiment que la société est en phase de lancement, que nous ne sommes qu’au début de l’utilisation de cette technologie et qu’il y aura plus d’utilisateurs par la suite. Mais le fait est qu’actuellement, il est difficile de voir un modèle économique clair se dégager.
Un certain nombre d’autres éléments n’invitent pas à l’optimisme ou vont dans le sens d’une possible bulle. Cela concerne notamment des opérations de financements circulaires, souvent liées aux valorisations boursières. Par exemple, OpenAI achète des processeurs à une entreprise mais les paie en achetant des actions de cette même entreprise. Ils prétendent que l’achat de processeurs va faire monter la valeur en bourse, générer une plus-value, et qu’ils revendront ensuite les actions pour régler leur achat. Cela donne l’impression d’un montage peu solide, voire artificiel.
Par ailleurs, les montants en jeu sont colossaux. Sur les prochaines années, des milliers de milliards de dollars pourraient être investis dans le secteur de l’IA. Même si, à terme, ces investissements aboutissent à quelque chose de rentable et de profitable, même si cela génère des gains pour l’économie, il n’est pas certain que les entreprises pionnières soient les premières à en bénéficier. Il suffit d’utiliser ces services pour constater qu’il existe de nombreux acteurs proposant des prestations similaires, sans avantage technologique décisif. Aucun ne semble bénéficier d’une position de monopole liée à une avance précoce.
Même si l’économie dans son ensemble peut être gagnante, cela ne garantit pas que les entreprises de l’IA le soient également. Il est possible d’envisager un avenir où la fourniture de services d’intelligence artificielle ressemble à celle de l’électricité domestique. L’IA pourrait être à l’avenir une activité indispensable et massivement utilisée mais qui ne justifie pas des valorisations boursières extrêmement élevées pour ses producteurs, même si ceux-ci restent en bonne santé financière.
Aujourd’hui, les valorisations boursières sont extrêmement élevées. Beaucoup parlent de la bonne santé de l’économie américaine mais si l’on retire les entreprises liées à l’IA, l’indice S&P 500 progresse moins que les indices européens. L’Europe est souvent accusée d’être en retard dans le domaine de l’IA et de connaître une croissance plus faible, mais en réalité, l’économie américaine ne va pas si bien que cela. Ce sont l’investissement dans l’IA, la production d’électricité et de processeurs qui soutiennent et propulsent l’économie des Etats-Unis.
